La solitude au temps du cyberespace
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La solitude au temps du cyberespace
Le Soir Mardi 24 février 2009 26 Bill Murray organisera ses propres funérailles dans « Get Low » d’Aaron Schneider. Pourquoi ? Pour y assister, tout vivant qu’il est ! Et c’est tiré d’un fait divers authentique. Avec aussi Robert Duvall et Sissy Spacek. © EVAN AGOSTINI/AP. laculture COUP DE CŒUR Le Gong salue les quatuors de Jongen I l existe trois façons de © D. R. jouer du quatuor à cordes : les amateurs éclairés, historiquement les premiers destinataires de cette musique, les quatuors de rencontre, soit qu’ils s’assemblent temporairement autour d’un grand soliste, soit qu’ils rassemblent des instrumentistes d’un orchestre symphonique, et les quatuors professionnels qui dédient l’essentiel de leur temps à cet art hautement exigeant. Issu, depuis ses débuts en 1986, de l’Orchestre philharmonique de Liège, le Quatuor Gong perpétue donc une longue tradition. Aujourd’hui, il se compose de Hanxiang Gong et Yinlai Chen, violons, Arthur Toth, alto, et Théo Schepers, violoncelle. « Notre premier souci, explique Hanxiang Gong, était de faire quelque chose où nous puissions nous exprimer nous-mêmes. Le quatuor à cordes repose avant tout sur l’écoute réciproque, ce qui ne peut qu’enrichir notre travail de musiciens d’orchestre. Nous n’avons jamais voulu concurrencer les ensembles spécialisés qui travaillent six heures par jour, six jours par semaine mais nous avons voulu nous forger une image. Nous avons donc beaucoup travaillé la musique de chambre de Joseph Jongen, si injustement méconnue. » Et nous sommes ravis de retrouver sa Sérénade dramatique aux côtés de Mozart et de Brahms. SERGE MARTIN Liège, Salle Philharmonique, ce samedi 28 à 16 h ; 04-220.00.00. Le Quatuor Gong a enregistré les trois quatuors et les deux sérénades de Joseph Jongen (Pavane). Scènes / Lettre ouverte aux fanatiques Et Dieu dans tout ça ? CRITIQUE epuis des millénaires, l’homme s’interroge sur le silence de Dieu face aux suppliques de ses créatures... Autant dire que la question au centre de Lettre ouverte aux fanatiques, adaptation d’Allah et moi de l’Iranien Raphaël-Karim Djavani, n’est pas neuve. L’auteur, ex-memebrte des Moudjahidin du peuple, exilé en France depuis vingt ans, prend prétexte de son parcours et des injustices dont il fut témoin pour interpeller Allah sur les horreurs commises en son nom. Au fil d’un récit qui nous emmène des montagnes du nord de l’Iran au Kurdistan irakien, de l’enfance passée auprès de parents paysans à l’engagement auprès des Moudjahidin après la révolution islamique, Djavani dénonce à toutva : les régimes tyranniques qui se sont succédé en Iran, l’autoflagellation, parfois jusqu’à la mort, lors de fêtes religieuses, la lapidation des femmes entre autres abus sexistes et meurtriers, les guerres fratricides, l’hypocrisie des mollahs prompts à manipuler les croyances aveugles de villageois analphabètes. En imputant la faute à Allah D et à tous ceux qui le servent fanatiquement, l’auteur met dans le même sac un faisceau de problèmes, réels certes, mais dont l’origine est bien plus complexe, entre poids des traditions, pauvreté ou illettrisme, pour ne citer que ces causes-là. Naïf, le texte s’éparpille dans ces dénonciations, peu aidé par la mise en scène d’Olivier Coyette, qui dilue encore le propos en le ponctuant de discours de Chirac et de Sarkozy. Bien sûr, leurs paroles poujadistes sur l’immigration sont honteuses, mais que viennent-elles faire ici ? Seul sur scène, Roda Fawaz défend le texte avec ferveur – mais aussi avec trop de superficialité, effet peut-être du micro qui casse toute intimité. Alors que l’Iran fête les 30 ans de sa révolution et que l’Europe vient de retirer les Moudjahidin du peuple de sa liste des organisations terroristes, on aurait aimé que la pièce se concentre sur le parcours de Djavani, symbole des contradictions et errements d’un pays loin d’être monolithique. ■ CATHERINE MAKEREEL Scènes / « Le chagrin des ogres » au Festival de Liège La solitude au temps du cyberespace LE FESTIVAL DE LIÈGE s’est terminé ce week-end avec la première création de Fabrice Murgia. lle traverse le plateau d’un pas décidé, franchit le haut rideau de plastique transparent qu’elle écarte d’un coup de micro, produisant un bruit violent. Puis elle fait demitour, accomplit le même trajet en sens inverse. Même marche régulière, mêmes coups de micro. Encore et encore… Et toujours, d’une étrange voix de petite fille, elle raconte l’histoire de l’ogre qui dévorait ses enfants… Dès l’entrée dans la salle, le public est plongé dans un univers étrange, oppressant, arpenté par cette curieuse créature que chacun voit d’un œil différent : communiante, mariée, fée, princesse… Sous son diadème, une tache rouge sang s’étend sur la robe blanche. D’un bout à l’autre du Chagrin des ogres, elle sera celle qui commente, raconte, houspille les personnages, nous entraîne dans leurs univers. Les deux personnages sont enfermés dans leur bul- E le. D’un côté, un jeune homme assis derrière son ordinateur et sa webcam. De l’autre, une jeune fille dans une cave où elle se filme en permanence. Le jeune homme (excellent et troublant David Murgia) est inspiré par Sebastian Bosse, ce jeune Allemand de 18 ans qui se suicida après avoir tiré sur les élèves et professeurs de son lycée. Son geste, annoncé sur internet, secoua l’Allemagne et inspira Lars Noren pour sa pièce 20 novembre. Fabrice Murgia, à peine plus âgé que Sebastian Bosse, en donne aujourd’hui sa vision. Deux trajectoires parallèles Parallèlement, il nous fait suivre les rêves d’une jeune fille (Emilie Hermans, d’une justesse parfaite) allongée dans son lit d’hôpital. Elle a tenté de se suicider, sa mère est à ses côtés. Mais elle divague, se voyant enfermée dans une cave, comme Natascha Kampusch, cette jeune Autri- chienne kidnappée et enfermée durant toute son adolescence en Autriche, et qui anime aujourd’hui des talk-shows à la télé… S’inspirant du blog de Sebastian Bosse comme des entretiens accordés à la presse par Natascha Kampusch, Fabrice Murgia nous entraîne dans une lente descente aux enfers. Dans une solitude terrible, face à l’œil de leur caméra respective, les deux jeunes gens font surgir tout le mal-être d’une génération que personne n’écoute. Dépassant largement les clichés sur la crise adolescente et les explications toutes faites (la faute aux jeux vidéo, aux films violents, etc.), Le chagrin des ogres nous met face au désarroi absolu de jeunes gens que personne ne voit ni n’entend. Si, comme bon nombre d’autres spectacles actuels, la mise en scène de Fabrice Murgia utilise largement le travail sur le son, les micros, la vidéo, c’est ici bien plus qu’une donnée technique ou stylistique. L’univers de ces jeunes gens est celui dans lequel nous vivons : un univers d’images, de caméras, d’écrans, de claviers… Un univers de la communication permanente où chacun se retrouve plus seul que jamais. Dans un subtil équilibre entre réel et fiction, jouant avec les codes du théâtre et de la représentation, Fabrice Murgia crée une fable terrible, où l’imaginaire des protagonistes prend corps sur le plateau. Sans jugement ni morale, Le chagrin des ogres nous plonge au cœur du malaise. Un malaise tout entier condensé dans le personnage imaginaire de la petite fille, à la fois narratrice et manipulatrice, porteuse de la légèreté, de l’imagination mais aussi de la cruauté de l’enfance. Un personnage qui se transforme parfois en monstre vociférant ou qui interrompt le récit pour raconter ses petites histoires à elle, contes modernes directement issus du réel. Un personnage, magistralement interprété par Laura Sepul, dont les derniers mots balbutiés, suppliants, renvoient dos à dos désespoir absolu et quête, malgré tout, d’un autre réel : « Je ne veux pas que ça se termine comme ça… » ■ JEAN-MARIE WYNANTS Jusqu’au 7 mars au Théâtre de Poche, Bruxelles. Tél. 02-649.17.27. Liège 2015 / Me Misson consulté Le collectif tempête, la Ville tempère a consultation populaire organisée dimanche afin de déL terminer une éventuelle candidature de Liège au titre de capitale européenne de la culture s’est-elle déroulée de façon optimale ? Parce qu’ils en doutent, les membres du collectif « Liège 2015 » ont consulté lundi après-midi Luc Misson. L’avocat se serait donné deux ou trois jours pour étudier le dossier et s’il y a lieu, conseiller d’éventuels recours. Rappelant que plus de 2.000 convocations ne sont pas parvenues à leurs destinataires et que l’obligation pour les votants de se munir de leur carte d’identité a été levée avant la fin du scrutin, 1NL les membres du collectif ont également annoncé qu’ils demanderaient à Fadila Laanan, ministre communautaire (PS) de la Culture de postposer la date butoir de dépôt des candidatures, fixée au 1er mars. Quant à la Ville de Liège, elle estime au contraire que l’organisation de ce scrutin « n’aurait pu être plus parfaite » et confirme que si 10 % des électeurs s’étaient rendus aux urnes, « une candidature liégeoise aurait été déposée ». Le retour des convocations serait dû à des radiations d’office et à des déménagements essentiellement. ■ Jo. Ma. AVEC « LE CHAGRIN DES OGRES », Fabrice Murgia évoque l’enfance brisée mais plus encore l’adolescence réduite au silence. © D. R. Une jeunesse blessée mais pas résignée urant un mois, le Festival de Liège a drainé les foules D comme à chacune de ses éditions précédentes. « Seules cinq représentations n’affichaient pas complet », se réjouit son directeur, Jean-Louis Colinet. À l’heure du bilan, il y a beaucoup de bon, un peu de moins bon mais aussi de l’excellent sur un plan artistique. Il y a également ce succès public jamais démenti, ces rencontres avec les artistes, après le spectacle, toujours largement suivies par un public qui ne vient pas ici en simple con- sommateur de divertissement mais veut en savoir plus, discuter, débattre. Il y a encore les foules, extrêmement diverses, se pressant aux activités du Jardin du Paradoxe. Tout cela fait du Festival de Liège un espace unique de création, de rencontre, de débat, de plaisir, de découvertes. Au fil des ans, un public d’habitués s’est forgé que l’on retrouve de soir en soir, assoiffé de formes nouvelles et de questionnements sur ce monde dans lequel nous visons. Mais en 2009, un nouveau public s’est aussi largement révé- lé. « Il y a eu un incroyable succès du côté des jeunes, s’enthousiasme Jean-Louis Colinet. Ils sont venus en masse, le bouche-àoreille fonctionnant particulièrement vite avec ce public. Certains sont venus par eux-mêmes, d’autres sont venus avec leur école mais ceux-là aussi se sont pris au jeu, se sont reconnus dans les spectacles qu’on leur proposait. Au milieu du festival, avec l’émission Culture Club de la RTBF, nous avons organisé une avantpremière du Chagrin des ogres de Fabrice Murgia. Il y avait près de 200 jeunes et les réactions étaient incroyables. J’en ai vu certains pleurer à la sortie. Ce spectacle mais aussi Fées de David Bobee ou Jeunesse blessée de Falk Richter, parlent directement à ces jeunes, dans un langage qui leur est proche. Et contrairement à ce que l’on croit un peu vite, cela les fait réagir, penser, discuter. À tel point que j’envisage d’aller plus loin en ce sens à l’avenir. Il y a vraiment quelque chose à faire avec ce public. » Des initiatives ne devraient pas tarder. ■ JEAN-MARIE WYNANTS www.lesoir.be