SA252_17-22 - Spectra Analyse
Transcription
SA252_17-22 - Spectra Analyse
TECHNOLOGIE APPLIQUÉE PASCAL CHALUS1,*, YVES ROGGO1, MICHEL ULMSCHNEIDER1 La spectroscopie Raman: un outil pour répondre à l’initiative « Process Analytical Technology » (PAT) dans l’industrie pharmaceutique RÉSUMÉ Expérience p « Process Analytical Technology » (PAT) est une initiative de la Food and Drug Administration (FDA) qui vise à permettre une compréhension plus complète et une meilleure maîtrise d’un processus de fabrication afin d’améliorer la qualité des produits pharmaceutiques. Cette démarche implique la mise en œuvre d’outils d’analyse précis, robustes et rapides, comme par exemple la spectroscopie Raman. Cette technique présente notamment l’avantage d’être non destructive et de permettre l’analyse de produits sous différentes formes sans recourir à une étape de préparation d’échantillons pouvant se révéler fastidieuse. Les résultats présentés dans cet article sont issus d’une étude ayant permis d’explorer le potentiel de la spectroscopie Raman pour caractériser les excipients, les principes actifs et les produits finis. Dans un premier temps, la détermination de la teneur en carbonate de calcium dans un excipient a été réalisée par construction d’un modèle quantitatif grâce à une régression linéaire par la méthode des moindres carrés (PLS). Dans un second temps, l’analyse des principes actifs purs a conduit à la différentiation de polymorphes et la quantification de leur mélange. Enfin, le dosage de la teneur en principe actif dans des comprimés pharmaceutiques à faibles dosages a été développé à partir des spectres Raman du produit fini. Cette étude a mis en évidence une flexibilité et des performances permettant de justifier l’utilisation de la spectroscopie Raman dans le cadre de l’initiative PAT de la FDA. MOTS-CLÉS Spectroscopie, Raman, produits pharmaceutiques, Process Analytical Technology (PAT), chimiométrie. Raman spectroscopy : a tool for process analytical technology (PAT) SUMMARY The PAT initiative published by the Food and Drug Administration (FDA) is not only to obtain a better control of pharmaceutical products all along the process but also to better understand their manufacturing process. It is therefore necessary to have accurate, robust and fast analytical tools. As near infrared spectroscopy, which is by now widely used in pharmaceutical environment, Raman spectroscopy is as well a non destructive tool. The study has been done on different steps of the production of tablets, from the raw material to the end product. The Raman spectroscopy demonstrated skills not only to qualify material and polymorphs but also to perform quantitative analyses during the process and for the content uniformity analyses of the end tablets. It also showed a good flexibility as the entire study has been conducted with a single probe head.. KEYWORDS Spectroscopy, Raman, pharmaceutical, Process Analytical Technology (PAT), chemometrics. * Pour correspondance 1 65/516, F. Hoffmann-La Roche Ltd., Grenzacherstrasse, Bâle, Suisse - Tél.: +41 (0)61 68 86 502 - Fax: +41 (0)61 68 87 408 – E-Mail : [email protected] SPECTRA ANALYSE n° 252 • Novembre 2006 17 TECHNOLOGIE APPLIQUÉE I - Introduction L’industrie pharmaceutique vit actuellement un profond changement en ce qui concerne le contrôle des procédés de fabrication des produits. En effet, depuis la publication par la FDA de l’initiative Process Analytical Technology (PAT) (1), le suivi et la maîtrise de chaque étape de la production d’un médicament constitue maintenant un objectif essentiel. La spectroscopie proche infrarouge, facilement délocalisable, ne nécessitant pas de préparation d’échantillon, est apparue de façon logique comme la solution idoine pour répondre à cette directive (2-4). Toutefois, cette technique se trouve limitée par le fait qu’elle nécessite le recours à des calibrations parfois complexes ainsi qu’à des méthodes de référence afin d’extraire l’information recherchée et apprécier les valeurs obtenues. D’autres technologies ont évolué et se sont adaptées aux contraintes inhérentes à la PAT, elles constituent des alternatives à ne pas négliger lorsque les conditions de productions font que la spectroscopie proche infrarouge ne permet pas d’obtenir toutes les informations utiles sur le procédé étudié. Ainsi la spectroscopie Raman permet également des mesures sans préparation d’échantillons. Elle peut être utilisé à la fois comme une méthode directe ou dans le cadre d’études chimiométriques afin de construire des modèles prédisant les propriétés étudiées (5). Elle permet des déterminations de polymorphes (6), des suivis de mélanges (7, 8) et l’analyse des produits finis (9, 10). Dans cette étude nous verrons comment plusieurs étapes de la production d’une forme galénique solide peuvent être suivies et contrôlées par spectroscopie Raman. II - Matériel et méthodes 1. Spectroscopie Raman 1.1- Principe Lorsque la lumière est réfléchie par une molécule la plupart des photons sont réfléchis de façon élastique. Ces photons conservent la même énergie et par conséquent la même longueur d’onde que les Figure 1 Principe de la spectroscopie Raman. 18 SPECTRA ANALYSE n° 252 • Novembre 2006 photons incidents. Cependant une faible part de la lumière (environ un photon pour 107 photons incidents) est réfléchie à une énergie différente, le plus souvent plus faible, que celle des photons incidents. Le phénomène lié à cette réflexion nonélastique de la lumière est appelé l’effet Raman. La réflexion Raman se produit avec un changement de niveau d’énergie vibrationnel, rotationnel ou même électronique de la molécule. La différence d’énergie entre le photon incident et le photon réfléchi correspond à l’énergie de vibration de la molécule réfléchissante (figure 1). Lorsque l’énergie du photon réfléchi est inférieure à celle du photon incident le phénomène est appelé effet Stokes. A l’inverse et plus rarement si l’énergie du photon renvoyé est plus élevée on parle alors d’effet antiStokes. Le tracé des intensités de la lumière réfléchie en fonction de la différence d’énergie constitue un spectre Raman. 2.2 - Appareillage Le spectromètre utilisé pour l’ensemble des mesures est un appareil RamanRxn1™ de la société Kaiser Optical Systems (Ann Arbor, États-Unis) équipé de la sonde PhAT™. Cette sonde permet des mesures rapides et non destructives des formes solides. Le laser illumine l’échantillon sur un diamètre de 3 à 6 mm ; son faisceau parallèle lui confère une zone de profondeur de champ de taille importante. Cette particularité permet de contourner de façon élégante les problèmes de focalisations souvent rencontrés en spectroscopie Raman classique. La source laser présente une longueur d’onde de 785 nm, son intensité est ajustable par l’opérateur entre 200 mW et 400 mW. L’acquisition des spectres Raman est réalisée entre 100 et 1900 cm-1 en terme de déplacements avec une résolution spectrale de 0,3 cm-1. Cette zone correspond à la zone spectrale appelée « empreinte digitale des produits ». L’acquisition des spectres et le pilotage du spectromètre sont effectués avec un logiciel spécifique de la société Kaiser Optical Systems appelé Holograms®. En revanche le prétraitement et le traitement des données ont été calculés avec le logiciel The Unscrambler® de la société Camo (Oslo, Norvège). Ce logiciel a également été employé pour l’analyse des données spectroscopiques par des méthodes multivariées, analyse en composante principale (ACP) (11) et PLS (12). 2. Echantillons : les poudres Trois types de poudres différentes ont été étudiés au cours de cette étude avec pour chacun un objectif particulier spécifique. • Premièrement, des excipients ont été utilisés pour développer un test de qualité qui permettrait de déterminer et d’expliquer les différences constatées pour les produits finis en fonction des origines des matières premières. Ainsi, plusieurs lots de différents fournisseurs ont fait l’objet d’analyses. • Deuxièmement le silicate de calcium utilisé Technologie appliquée La spectroscopie Raman: un outil pour répondre à l’initiative « Process Analytical Technology » (PAT) dans l’industrie pharmaceutique comme excipient possède la propriété de se transformer lors du stockage en carbonate de calcium qui est non désiré dans la formulation finale des médicaments. Une gamme d’échantillons de silicate de calcium additionné de carbonate de calcium a été construite. Cette gamme étalon est produite par pesée des différents composés purs. Les concentrations utilisées sont 1,8 ; 2,3 ; 3 ; 4 ; 5 et 6,5 % en carbonate de calcium dans le silicate de calcium. Les concentrations sont volontairement faibles de manière à rester dans la zone des concentrations observées après stockage. •Troisièmement la forme cristalline sous laquelle est présent le principe actif (PA) est très importante en ce qui concerne la posologie et la stabilité du médicament. C’est pourquoi il est nécessaire de bien maîtriser le ratio entre les différentes formes d’un PA. La quantification de deux polymorphes d’un principe actif réduit sous forme de poudre a été réalisée. Les deux formes cristallines pures sont broyées ensemble dans les quantités requises pendant dix minutes dans un mortier afin de bien homogénéiser le mélange. Figure 2 Spectre moyen d’un même excipient de deux fournisseurs différents. 3. Les comprimés Les comprimés utilisés sont issus d’une formulation commerciale. Celle-ci est modifiée afin d’obtenir des échantillons s’étalant sur une gamme de concentration allant de 4,2 à 7,4 mg par comprimés, ce qui représente une moyenne de 3 % en masse de principe actif par rapport à la masse du comprimé. La gamme s’étend ainsi sur une fourchette de 70 à 130 % de la valeur nominale en principe actif par pas de 10 %. Chaque concentration est représentée par 10 comprimés, 5 échantillons de 3 lots de production régulière sont ajoutés pour la construction du modèle. III - Résultats 1. Les poudres • La discrimination de deux fournisseurs d’un même excipient a été possible par l’obtention et la comparaison des spectres Raman de leurs produits respectifs. En effet, pour un déplacement Raman d’environ 997 cm-1 le spectre donné par un produit d’origine A présente un pic supplémentaire par rapport à l’excipient d’origine B comme on peut le voir sur la Figure 2. L’utilisation de ces deux excipients dans une même formulation entraîne une différence dans les propriétés de dissolution du produit final. La spectroscopie Raman permet ainsi la vérification de la qualité des excipients utilisés afin de permettre un meilleur contrôle du procédé de production, par ce biais elle s’inscrit totalement dans les objectifs de la directive PAT. • Le silicate de calcium se dégrade en carbonate de calcium lors du stockage. Lorsque le taux de carbonate devient trop élevé les médicaments produits ne rentrent plus dans les spécificités. La dé- Figure 3 Spectre moyen du silicate de calcium pur et avec 10 % de carbonate de calcium. Figure 4 Droite de régression des teneurs en carbonate de calcium dans une matrice de silicate de calcium. SPECTRA ANALYSE n° 252 • Novembre 2006 19 TECHNOLOGIE APPLIQUÉE Figure 5 Spectre Raman des deux formes polymorphiques. Figure 6 Droite de régression des teneurs en polymorphe A. termination de la teneur en carbonate doit donc se faire immédiatement avant l’utilisation du produit. Elle doit être rapide et non-destructive. Ainsi la spectroscopie semble la plus adéquate, cependant les spectroscopies vibrationnelles telles que l’IR ou le proche IR ne sont pas suffisamment sensibles à ce produit non organique pour permettre la détermination du mélange. En spectroscopie Raman le carbonate de calcium présente quatre pics fins absents du spectre du silicate de calcium (figure 3). La construction d’une gamme d’échantillons 20 SPECTRA ANALYSE n° 252 • Novembre 2006 artificiels à teneur connu de mélange a permis notamment grâce au pic spécifique du carbonate de calcium à 1085 cm-1 d’établir un modèle par le biais d’une régression PLS. La régression obtenue se caractérise par un coefficient de corrélation de 0,98 et une erreur standard de prédiction (SEP) de 0,31 % (figure 4). La détermination de la teneur en carbonate de calcium dans une matrice de silicate de calcium est donc possible de manière rapide et non-destructive à l’aide de la spectroscopie Raman. • La forme cristalline sous laquelle se présente un principe actif est un paramètre critique pour l’assimilation et l’efficacité d’un médicament. La vérification de la présence de la bonne forme cristalline doit être faite juste avant la mise en œuvre de la production. On utilise classiquement les rayons X pour ce type de détermination cela nécessite cependant une préparation de l’échantillon et un temps de mesure non négligeable. Dans le cas étudié, le principe actif présente un épaulement différent entre 300 et 350 cm-1 en fonction du polymorphe considéré (figure 5). Pour la calibration, les spectres ont été dérivés selon l’algorithme de Savitzky-Golay (dérivée première, polynôme du second ordre) avec un intervalle de lissage de 10 points. Le nombre d’échantillons de compositions connues étant faible la modélisation est réalisée par utilisation d’une validation croisée complète. Le coefficient de corrélation de la calibration est supérieur à 0,999 et l’erreur standard de calibration (SEC) inférieure à 0,53 %. ces bons résultats ont été confirmés par les valeurs de la validation avec un coefficient de corrélation de 0,996 et une SEP de 1,2 % comme le présente la Figure 6. Technologie appliquée La spectroscopie Raman: un outil pour répondre à l’initiative « Process Analytical Technology » (PAT) dans l’industrie pharmaceutique Figure 7 x 104 Spectres Raman du placebo (bleu) et d’un comprimé de la production (rouge). 5.5 Bandes Raman utilisées 5 Intensité 4.5 4 3.5 3 2.5 2 0 200 400 600 800 1000 1200 Déplacement Raman cm-1 1400 1600 1800 2000 Figure 8 Dérivée première des bandes Raman du principe actif. 2. Les comprimés Par simple comparaison des spectres du placebo et des comprimés issus de la production possédant 3 % de teneur en principe actif, il a été possible de définir deux zones spectrales intéressantes pour la détermination en principe actif dans ce produit à faible dosage (figure 7). La Figure 8 présente ces deux zones après prétraitement des spectres, à savoir application d’une dérivation Savitzky-Golay du premier ordre avec un filtre de lissage de 10 points. Seules les parties des spectres entre 100 et 300 cm-1 ainsi qu’entre 1510 et 1900 cm-1 composent les données lors du calcul de la régression PLS. Le coefficient de corrélation pour la calibration est de 0,99 et de 0,984 pour la validation. La SEP est 0,176 mg par comprimé (figure 9 voir page suivante). La détermination de teneur en principe actif dans des comprimés à faibles dosages apparaît donc possible par spectroscopie Raman notamment grâce à l’absence de bandes du placebo dans les zones de réponse du principe actif. IV - Conclusion La spectroscopie Raman est non-destructive, elle permet dans les conditions considérées de faire des mesures sur des poudres ou des solides en quelques secondes, le temps d’exposition devant être soigneusement ajusté de manière à s’affranchir au maximum de la fluorescence qui peut intervenir. SPECTRA ANALYSE n° 252 • Novembre 2006 21 TECHNOLOGIE APPLIQUÉE Figure 9 Droite de régression des teneurs en principe actif. Cette mesure est représentative de l’échantillon du fait de la taille du spot illuminé qui peut atteindre 6 mm de diamètre. Elle permet la discrimination entre excipients de différentes qualités, mais aussi d’assurer la présence de la bonne forme polymorphique d’un principe actif. Cette méthode autorise l’évaluation de la teneur dans les poudres et les mélanges. La possibilité d’une interprétation directe des bandes observées en fait un outil de mesure direct pour certaines applications, c’est-à-dire qu’il n’est pas nécessaire de faire appel à des méthodes chimiométriques pour exploiter les résultats obtenus. Elle peut être envisagée dans chaque cas où des modifications chimiques ou physico-chimiques interviennent dans les composés considérés. Les possibilités de contrôle et de maîtrise du procédé, des matières premières aux produits finaux, font de la spectroscopie Raman un outil qui s’inscrit parfaitement en réponse à la philosophie de la directive PAT. Le développement de ces technologies ne vise pas un contrôle final de la qualité de la production, mais une construction de cette qualité tout au long de la mise en œuvre des produits. BIBLIOGRAPHIE (1) FDA, http://www.fda.gov/cder/OPS/PAT.htm (2003). (2) BLANCO M., COELLO J., ITURRIAGA H., MASPOCH S., PEZUELA C.d.l., Near-infrared spectroscopy in the pharmaceutical industry, Analyst, 1998, 123, 135R-150R. (3) REICH G., Near-infrared spectroscopy and imaging: Basic principles and pharmaceutical applications, Advanced Drug Delivery Reviews, 2005, 57, 1109-1143. (4) CHALUS P., ROGGO Y., WALTER S., ULMSCHNEIDER M., Near infrared determination of active substance content in low dosage tablets, Talanta, 2005, 66, 1294-1302. (5) VANKEIRSBILCK T., VERCAUTEREN A., BAEYENS W., VAN DER WEKEN G., VERPOORT F., VERGOTE G., REMON J.P., Applications of Raman spectroscopy in pharmaceutical analysis, Trends in Analytical Chemistry, 2002, 21, 869-877. (6) CAMPBELL ROBERTS S.N., WILLIAMS A.C., GRIMSEY I.M., BOOTH S.W., Quantitative Analysis Of Mannitol Polymorphs - FtRaman Spectroscopy, Journal of Pharmaceutical and Biomedical Analysis, 2002, 28, 1135-1147. (7) VERGOTE G.J., DE BEER T.R.M., VERVAET C., REMON J.P., BAEYENS W.R.G., DIERICX N., VERPOORT F., n-line monitoring of a pharmaceutical blending process using FT-Raman spectroscopy, European Journal of Pharmaceutical Sciences, 2004, 21 479-485. (8) HAUSMAN D.S., CAMBRON R.T., SAKR A., Application of on-line Raman spectroscopy for characterizing relationships between drug hydration state and tablet physical stability, International Journal of Pharmaceutics, 2005, 299, 19-33. (9) JOHANSSON J., PETTERSSON S., FOLESTAD S., Characterization of different laser irradiation methods for quantitative Raman tablet assessment, Journal of Pharmaceutical and Biomedical Analysis, 2005, 39, 510-516. (10) MAZUREK S., SZOSTAK R., Quantitative determination of captopril and prednisolone in tablets by FT-Raman spectroscopy, Journal of Pharmaceutical and Biomedical Analysis, 2006, 40, 1225-1230. (11) MARTENS H., NAES T., Multivariate Calibration, John Wiley & Sons, Chichester, New York, Brisbane, Toronto, Singapore, 1996. (12) M.J. ADAMS, Chemometrics in Analytical Spectroscopy,T he Royal Society of Chemistry, Cambridge, 1995 UK, 1995. 22 SPECTRA ANALYSE n° 252 • Novembre 2006