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16 // Focus: Vrai ou faux Le portrait de la belle inconnue examiné par Paul Hug sous le spectroscope Raman. La «soeur» de Mona Lisa sous le spectroscope Raman Un tableau attribué à un artiste allemand du 19e siècle qui se révèle être une oeuvre inconnue de Leonardo da Vinci – le rêve pour tout collectionneur d’art, mais qui ne devient que rarement réalité. Lorsqu’il s’agit de confirmer l’authenticité d’un tableau, ce sont en premier lieu aux experts en matière d’art que l’on s’adresse. Il n’est toutefois pas rare que des expertises soient demandées à des spécialistes des sciences physiques et chimiques, et ainsi aussi à l’Empa où ces tableaux sont soumis à des examens. Comme pour la «Belle sortie du tiroir» dont l’histoire a fait le tour de la presse cet été. TEXTE: Martina Peter / PHOTOS: Empa Focus: Vrai ou faux e portrait d’une jeune femme - attribué à un artiste du 19e siècle – offert dans une vente aux enchères plut immédiatement à un amateur d’art suisse; il fit une offre et se vit adjuger ce dessin. Dix ans durant cette belle resta enfermée dans un tiroir. Jusqu’à ce qu’il montre ce portrait à un collectionneur canadien qui s’exclama: «Mais c’est un Leonardo!». Les experts auxquels on présenta une photo de ce portrait étaient eux aussi convaincus: la manière dont les cheveux étaient noués, les motifs de la robe – c’était sans aucun doute une oeuvre du fameux peintre de la Renaissance. Le laboratoire français «Lumière Technology» procéda à une analyse colorimétrique multispectrale numérique des couches de craie blanche, rouge et noire recouvertes à l’aquarelle. Les experts purent ainsi analyser en détail la technique picturale. Le hachurage, la conduite du trait - tout indiquait qu’il s’agissait d’un Leonardo. Et en tant qu’authentique «da Vinci», ce portrait présente une valeur inestimable. C Une mosaïque d’indices pour un travail de détective Lorsque l’origine et l’itinéraire d’un tableau ne sont pas documentés, les amateurs d’art et les acheteurs potentiels se posent toutefois des questions. Le tableau est-il vraiment un original? Ou est-ce un faux ou peut-être une oeuvre «à la manière de»? Ils font alors volontiers appel à des spécialistes des sciences physiques et de la science des matériaux. Ceux-ci peuvent en effet fournir des indications sur l’âge et la provenance des couleurs et du support utilisés. Pour cela ils recourent à des méthodes microscopiques, telles que la spectroscopie Raman, pour analyser les particules de couleur sans endommager le tableau. Les résultats ne fournissent certes pas de preuves définitives mais des indices précieux (au sens littéral du terme), qui rendent l’authenticité plausible. «Aussi longtemps qu’il n’existe pas de preuve contraire, il peut encore toujours s’agir d’un original», déclare Paul Hug, l’expert de ce genre d’analyses à l’Empa. Le propriétaire a ainsi intérêt à réunir à l’aide des techniques de la science des matériaux autant d’indices que possible qui rendent invraisemblable l’existence d’un faux. Premier indice grâce au blanc «Les premières analyses sont souvent effectuées sur les pigments blancs » explique Hug. Le blanc est révélateur car, suivant les époques, les peintres ont utilisé différents pigments blancs. Jusqu’au 19e siècle, ils utilisaient du blanc de plomb. Ce type de blanc, aussi appelé céruse, était apprécié car il sèche rapidement et résiste à la lumière. Du fait de sa toxicité il fut toutefois remplacé tout d’abord par le blanc de zinc puis, à partir de 1920 environ, par le blanc de titane. Si, par exemple, on trouve des pigments de blanc de titane dans un tableau datant prétendument de la Renaissance, ceci appelle la recherche d’explications: par exemple l’existence de travaux de restauration effectués après 1920 ou la présence de particules d’un papier d’emballage blanc restées collées sur le tableau. Mais même pour le blanc de titane on trouve des différences, petites mais qui ont leur importance: Hug en a fourni la preuve pour une galerie qui désirait exposer des tableaux de suprématistes russes. Quelquesunes des oeuvres de ces peintres réunis autour de Kasimir Malewitsch – dont l’oeuvre la plus célèbre est le «Carré noir sur fond blanc» – ne possédaient pas de certificat d’authenticité. La galerie s’est alors adressée à l’Empa qui a analysé le pigment blanc de ces tableaux. Le blanc de titane – du point de vue chimique du dioxyde de titane (TiO2) - se trouve dans la nature sous trois formes différentes: l’anatase, le rutile et la brucite. Seules les deux premières sont utilisées pour la production de pigments blancs. Jusqu’à la fin des années 1930, seule la forme anatase se trouvait sur le marché. Par la suite les fabricants de peintures ont utilisé de plus en plus de l’oxyde de titane de la forme rutile plus stable vis-àvis des liants à base d’huiles et des colorants organiques. Sur quelques-uns des tableaux prétendument suprématistes, ainsi que l’a // 17 constaté Hug au moyen de la spectrscopie Raman, on avait très manifestement utilisé du blanc de titane de la forme rutile. Conclusion: des faux, car les suprématistes ne disposaient pas de blanc de titane obtenu à partir de cette forme. L’expertise de Hug constitua une preuve suffisante pour que le galeriste exclue quelques tableaux de son exposition. Examens nondestructifs L’avantage des méthodes d’imagerie telles que la spectroscopie Raman: elles sont non destructives. «Nous n’avons pas besoin de prélever d’échantillons sur ces tableaux précieux pour obtenir nos indications» explique Hug. Toutefois la spectroscopie Raman elle aussi a ses limites: elle ne permet d’analyser que la couche la plus superficielle d’un tableau. Si le tableau a subi une restauration, on obtient certes des informations sur les matériaux utilisés pour celle-ci mais non pas sur les couches sous-jacentes de l’original. Pour atteindre ces couches, Hug et ses collègues ont recours à l’analyse par fluorescence X, une autre méthode non-destructive utilisée pour l’analyse élémentaire des matériaux. Les analyses des pigments révèlent parfois aussi d’autres traces. Comme par exemple des traces de suie sur la belle de Leonardo da Vinci: «Il se peut que quelqu’un ait placé des bougies devant ce portrait pour l’illuminer» suppose Hug. Peut-être son fiancé amoureux? // Les méthodes d’analyse des oeuvres d’art L’analyse des pigments par spectroscopie Raman La spectroscopie Raman est une méthode efficace pour l’analyse des pigments. Le physicien indien Chandrasekhara Venkata Raman a montré vers 1920 que le spectre de la lumière diffusée de substances exposées à un rayonnement de lumière monochromatique présentait des raies de fréquence tout à fait spécifiques. Ces raies, dites raies Raman, sont dues à des vibrations et à des rotations des molécules excitées. Les molécules de chaque pigment, blanc de plomb, bleu ultramarine, azurite ou encore acétate de cuivre, mais aussi le noir de suie, possèdent un spectre Raman bien défini. Les spectres obtenus à l’analyse peuvent être comparés à ceux d’une banque de données permettant d’identifier le pigment. Souvent ces banques de données indiquent aussi comment, par qui et quand ces pigments ont été utilisés au cours de l’histoire. L’analyse élémentaire par fluorescence X Avec l’analyse par fluorescence X (AFX), les échantillons de matériaux sont amenés à émettre un rayonnement propre par excitation au moyen d’un rayonnement X, gamma ou ionique. Le rayonnement de fluorescence X émis par l’échantillon comporte différentes longueurs d’ondes, caractéristiques des différents éléments de l’échantillon, qui sont analysées dans un détecteur. La détermination qualitative de ces différentes longueurs d’onde permet de déceler quels sont les éléments présents dans l’échantillon. La détermination quantitative de l’intensité des différentes longueurs d’onde indique quelles sont les concentrations des différents éléments.