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POSITIF
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N°637 mars 2014
Le devoir des juges
Les œuvres nous plaisent ou elles ne nous plaisent pas. Il n’y a pas lieu de surmonter la subjectivité de notre goût. Il convient seulement de disqualifier ceux de nos
jugements que nous savons reposer sur des préjugés, des passions individuelles,
des intérêts politiques. Mais comme notre propos est de convaincre, nous voilà
dans l’embarras. Ici commence notre travail. Quand il s’agit de cinéma, les explications, les justifications et les éloges risquent d’autant plus de s’empêtrer qu’ils ne
s’adressent pas à un public éclairé et restreint, mais à une foule indistincte et qu’ils
envisagent un art dont toute la tradition demeure présente : une revue comme la
nôtre, lue surtout par des amateurs passionnés et cultivés, vise dans ses choix le
monde entier des spectateurs et n’entend pas se cantonner à des films élus par le
snobisme. D’autre part, le cinéma est encore trop jeune pour que ses chefs-d’œuvre
les plus anciens n’éclairent pas nos analyses.
L’hostilité de quelques critiques à l’égard de 12 Years a Slave laisse supposer qu’ils
en ont jugé à la hâte. C’est une position politique qui dicte à Libération cette
condamnation : « L’ignominie de l’esclavage est tout entière contenue dans son
caractère institutionnel, dans le fait qu’il répondait à des besoins économiques
précis. » C’est faux : l’esclavage définit un système économique, d’ailleurs déjà
périmé au XIXe siècle, et que son utilité n’eût pas suffi à rendre odieux. C’est de
plus dépourvu de pertinence : que la représentation de la servitude repose sur la
déshumanisation des Noirs, au moyen de l’oppression par la violence, le choix
est aussi intéressant que celui de montrer le commerce du coton, et le tableau de
Degas sur Le Bureau du coton à La Nouvelle-Orléans (1873) ne laisse guère percevoir de blâme à l’égard d’un système de production à peine différent.
Un inusable préjugé impose aux Cahiers du cinéma et aux Inrockuptibles, pareillement programmés, la référence à Rivette et au prétendu effet esthétisant de Kapo,
dont Thirard a rappelé qu’il n’existait pas (Positif n° 543), mais la vérité peut-elle
triompher de l’Opinion ? Ils ne remarquent pas qu’ils n’ont pas regardé le film, vu
combien sa peinture de l’esclavage était inédite, observé que la nécessité des sévices
et la diversité de leurs formes y répondent au fait que l’esclave, lui trop savant,
elle trop désirable, dément la nature qu’on veut lui attribuer, celle d’être humain
capable seulement d’obéissance. Cela constitue une critique radicale de la théorie
esclavagiste héritée d’Aristote.
Le critique de Transfuge traduit ces partis pris moralisateurs de la façon la plus
édifiante : la « maîtrise » du cinéaste incite les spectateurs à « une jouissance d’esthète » aux dépens des « esclaves, exploités pour notre plaisir ». Quel scrupule
touchant ! Dommage que la compassion de ce prédicateur aille à des personnages
fictifs ! Et le terme de jouissance n’est-il pas excessif et sommaire quand il s’agit
des sentiments et des pensées du public. La séquence où le village nègre reprend
ses travaux derrière Solomon pendu ne distrait pas notre regard du supplicié,
comme l’affirme le contresens décisif de cet article : elle accuse un contraste, décrit
les frontières extrêmes de l’état d’esclave, dénote l’horreur de l’habitude, résume
une impuissance. Rien n’empêchera pourtant Transfuge de dénoncer dans ce film
une « imposture chic ».
Quant à Sofilm dont le solécisme qui lui sert de titre révèle qu’il s’agit d’un organe
francophone mais pas trop, il considère Hollywood comme une marque d’infamie
et déplore la vision « binaire » de McQueen, « bien loin des mille nuances des
négriers de Tarantino » : en somme les planteurs du Sud ne méritent pas une
réprobation sans distinguos, mais un ratatinage irisé.
Les films de Wiseman, de Spike Jonze et de Schlöndorff qui ont attiré notre attention ce mois-ci courent eux aussi le risque du jugement sommaire. Invitons donc à
ne pas les lire, les démasquer ni les évaluer avant de les avoir regardés.
Alain Masson