Après et avant, quand la victime parle. Une clinique psychologique
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Après et avant, quand la victime parle. Une clinique psychologique
Journée d’ Etudes, mai 2004, La Roche sur Yon, Institut Catholique d’Etudes Supérieures. Victime, Justice et Peine. Devoir de sanction, besoin de réparation et désir de vengeance. Loick M. Villerbu, Pr. à l’Université de Rennes 2, Psychologue. Directeur l’Institut de Criminologie et Sciences Humaines Après et avant, quand la victime parle. Une clinique psychologique dans les embarras de la victimologie et l’apport de la psycho-criminologie. Dire le temps La catastrophe psychique inscrit, dans le cours d’une existence qui pouvait s’ignorer comme telle, un avant et un après. Une temporalité particulière et capricieuse, instable : un avant et après, un après qui se présente toujours comme une création avant l’avant. Avant l’avant : dans un temps sans période, in illo tempore. Avant qui pouvait s’ignorer, se maintenir dans l’in-connu, le non-identifié, avant intuitionné mais non énuméré. Un avant jusqu’alors inconnu s’impose avec les certitudes de ses fondations détruites. Au sens où après, avec une consistance lourde ne viendra plus rien désigner, circonscrire, identifier, comme appartenant aux mondes et aux représentations évidentes d’avant. Après devient un identifiant temporo-spatial engendrant de nouveaux fondements. La catastrophe convoque la connaissance nouvelle et une reconnaissance, énonciation nouvelle à apprendre, identité qui ne trouve pas encore de lieu ou d’habitat pour s’expérimenter. La catastrophe psychique est égarement et raccrochage, nourrie des lambeaux et des morcellement de l’expérience : comment faire connaître qu’il y a dans toute situation de dommage subi une personne qui attend d’être connue et reconnue pour ce qui lui est arrivé, ponctuellement, résistant en cela à la perdition qui a pu être la sienne, égarée dans le basculement de son monde propre, rendue à ses limites d’organisation psychique, cherchant de nouveaux fondements sur ces opportunités catastrophiques ? Que se passe-t-il quand ce plus rien se fait entendre avec suffisamment de force ? Comment interpréter dans le cadre subjectif de l’expérience de dislocation et vacillement, cadre qui s’impose avec une évidence objectivante et de reconstruction, le recours au droit ? Serait-ce une dernière et ultime certitude? De quoi et pour Qui ? Et Pourquoi ? Une dernière attestation d e l’altérité exige-t-elle un droit écrit, oral, des tables de la loi au-delà des usages et coutumes ? Quelle est la scène qui vient désormais se jouer là ? Comment dire la théâtralité du recours au droit pénal ? Comment les praticiens du droit, pénal et civil, les nouveaux spécialistes en urgence et en accompagnement psychologique des victimes la conçoivent-ils? Bien des expériences sont en cours et notre temps est bien celui de l’expérimentation des procédures en reconnaissant des expériences qui jusque là étaient évacuées, tout autant de la sphère familiale que de la sphère professionnelle et avec ces expériences des hommes et des femmes, des enfants, des adolescents… dans la pratique qu’ils peuvent avoir d’eux mêmes, de leur entourage. Une triple clinique vient actuellement proposer quelques interrogations et ébauches d’actions. Une clinique victimologique 1- au-delà du modèle standard de la cure, interroge les concepts de traumatisme et de stress. Parler de victimologie et en identifier ses références ne va pas de soi. Les termes se sont banalisés et les modes d’entrées dans ce qu’elle est censée désigner sont multiples.1 Convenons pour notre part que la victimologie est issue d’une volonté de ne pas laisser pour compte (sans prise en charge) autant que de restaurer le lien social et de prévenir toute réitération. Elle désigne l’ensemble des systèmes sociétaux prenant en considération positive des états psychiques et sociaux de mal être réactionnels à des situations d’agressions identifiables, qu’elles soient humaines( de la guerre aux agressions subies dans un milieu familier) ou résultat de catastrophes naturelles. On désignera ainsi tout autant les victimations professionnelles (les métiers à risque, les postes à risque du fait de tiers..) et les victimations d’ordre pénal. On parle ainsi, quelque soit les champs d’émergence des agressions, de troubles psychiques réactionnels donnant à entendre qu’une 1 R. Cario (2001) Victimologie, de l’effraction du lien intersubjectif à la restauration sociale, L’Harmattan, Paris. Introduction, p.11-53. Loick M. Villerbu (2004), D’une formule embrassante à une autre, l’interchangeabilité des positions d’agresseurs et d victimes. A propos de la « la victime est –elle coupable ? », p.4361- in Robert Cario, La victime est-elle coupable, L’Harmattan, Paris. défaillance d’ordre psychique est venue sinistroser une organisation bio-psycho-sociale, qu’il y ait eu antérieurement, des déficits ou non, des structurations psychopathologiques ou non.. Des notions clés sont émergentes et qu’il faut resituer : que ce soit en référence à une théorie de l’inconscient ou à une théorie neurophysiologique. On parle de trauma ou de traumatisme dans le premier cas, de stress dans le second. Dans la référence à un appareil psychique ou mental ce qui fait évènement trauma n’est jamais un évènement du quotidien mais la résurgence d’une situation non assimilée qui vient faire sens à l’occasion de la rupture ou de la discontinuité existentielle apparue. Dans une théorie de l’après coup le trauma signifie que « pour » être traumatisé il faut disposer d’une certaine vulnérabilité antérieure, être préparé à une question énigmatique laissée sans formulation et que l’incident vient « remplir » en opérant une sidération, en provoquant un effroi. Dans la théorie neurobiologique, au titre de l’appareil qu’elle suppose, c’est l’évènement-là qui est censé déclencher les évènements psychiques et physiologiques. S’il y a vulnérabilité elle n’est pas de l’ordre d’une histoire antérieure ou d’un terrain psychique ; c’est la quantité d’excitation qui endommage un système jusque là indemne et qui avait inventé des stratégies d’adaptations adéquates. Il s’ensuit deux réalités psychiques profondément différentes et, de même, des modes d’interventions aux extrêmes les des autres2. Ces deux notions référentielles sont, pourrait-on dire, des notions stricto sensu, expérimentales, i.e. adaptées à une mode de faire, que ce soit celui de la cure ou de l’intervention comportementale. Elles ne peuvent être, en l’état, transposables dans ce nouvel art que représente la victimologie comme mode d’intervention. S’il convient d’admettre que cet art puisse reposer sur ces notions expérimentales construites et qu’elles sont consistantes, il faut par contre convenir que l’intervention victimologique opérant hors les murs, hors laboratoire puisse également redéfinir les instances psycho dynamiques et interventionnelles sur lesquelles elle repose3. Un terrain conceptuel est alors à conquérir4 et l’usage univoque de termes empruntés faisant office autant d’obédience que de formalisation clinique doit être critiquable. De même que l’intervention victimologique a sa clinique, elle doit pouvoir reposer sur des identifiants théoriques propres qui lui donnent son champ de compétences et sa formalisation : il ne s’agit pas de thérapie sinon dans un sens tellement extensif que le terme ne veut plus rien dire, procèdent par métaphore aliénantes et récupératrices A ce titre et pour identifier un état autant qu’un processus, il serait plus réaliste, auto consistant, de parler de psycho-traumatisme que de traumatisme. Psycho- parce que désignant une atteinte psychique et 2 consulter C. Mormont (2001), Prise en charge comportementales et/ou cognitives des états de stress post traumatiques. In, M de Clercq, F. Lebigot, Les traumatismes psychiques, p.251-266, Masson, Paris. 3 Loick M Villerbu (1993) Psychologues et thérapeutes, Sciences et techniques cliniques en psychologie. L’Harmattan, Paris. 4 Egalement, L. Crocq (1999) Les traumatismes psychiques de guerre, p.282 sq. Odile Jacob, Paris. son inclusion déshabilitante dans le champ social d’une part, parce que appareillé par une dimension a priori institutionnelle. Traumatisme parce qu’on y reconnaît les indices comportementaux, posturaux ou langagiers qu’une forme d’appréhension identifie comme significatifs. 2- Sa reconnaissance sociale est le résultat d’une fondation empirique : la victimation Ce que nous savons mieux tient au fonctionnement judiciaire, aux savoirs engendrés par les états de guerre et de catastrophes, par le quotidien criminel. Tous ceux que l’on désignent, à bon droit ( !), comme victimes ne sont pas nécessairement, a priori, des personnes inscrites dans le fonctionnement judiciaire ; il y a peut-on dire à ce sujet des places vacantes ou potentiellement inoccupées, inemployées que le recours au droit, un jour ou l’autre, met en perspectives. Ces savoirs ont engendré un champ clinique victimologique, champ social/champ de l’inconscient, champ du droit, champ de la revendication sociale sécuritaire (pour rendre compte la diversité des rationalités qui ne peuvent se résoudre en une seule) parallèlement à ce que nous avons appris lors des cures thérapeutiques. Dans l’espace victimologique, un savoir pour le sujet, devient originaire, fondateur, en pleine conscience, en trop de conscience ou à son insu quand ses efforts visent à le nier.5Là commence la victimation : les risques, en termes de santé publique et de santé mentale entretenus par un silence maintenu, interprété par l’environnement comme inhibition et interdiction. De là dans la référence sociologique, l’offre/demande de la position contemporaine, offre/demande préventive « d’offrir de l’offre », par une présence insistante sur les espaces d’ébranlement et au delà. Une telle position ne serait pas viable dans le long terme si elle n’était assistée de l’insistance des groupes victimes et d’un changement dans la référence justice : par un déplacement lent des centres de gravité concernant la rapport du justiciable à l’organisation de la justice et celle-ci dans sa relation à la victime. La victimologie apparaît d’un effort de prévention des troubles secondaires, manifestes dans le temps, liés à un concours de circonstances socialement identifiables et ayant introduit une discontinuité dans le cours d’une expérience personnelle. Prévention des troubles et traitement des troubles seront dès lors les deux objectifs affichés d’une politique de santé publique que croisera par intermittence les effets d’un autre pouvoir, la politique criminelle. D’une justice essentiellement rétributive et concernant le mis en examen le glissement s’est opéré vers une justice réparatrice et/ou restauratrice : un emprunt à un fonctionnement outre atlantique 5 Que l’on perçoit bien dans les « même pas mal » de nombreux « incidentés » qui ont choisi au plan narcissique négation et dénégation comme non ouverture à autrui défensive et que l’on voit par la suite développer une série de mal aise des états d’hypervigilance aux paniques. émanant des vétérans dont le souhait était de faire contre poids à une toujours trop grande puissance de l’état, plus ou moins conçu de façon chronique dans ses velléités totalitaires et intrusionnelles. Il y a là effet de symétrie non contestable : des droits vont progressivement être votés-donnés, allant dans le sens d’une responsabilisation accrue, de part et d’autre. Les droits ne précèdent pas les responsabilités au sens où ils obligeraient à des devoirs. L’exigence de responsabilité implique des droits pour pouvoir la soutenir. Les droits procèdent d’une exigence éthique et de la marque essentielle de celle-ci, la souffrance, la division intérieure, la décision toujours suspecte. Cette responsabilité là ne peut confondre avec l’existence de la loi déclinée en responsabilité pénale ou civile même et surtout si pour se donner existence il faille passer par l’instrumentation juridique qui ne dira jamais rien du sujet psychique ou du sujet psychologique. La justice réparatrice ou restauratrice souffrira donc toujours d’un malentendu et fera que les réponses qu’elle propose seront toujours des réponses à coté. La justice réparatrice s’est constituée d’un mouvement général de revendication : se faire entendre d’abord dans sa souffrance et dans ses pertes, exiger pour celles-ci un dédommagement, parallèlement aux demandes faites par le peuple (en la personne de l’avocat général) de restaurer le lien social en interpellant le criminel dans la blessure infligée au corps social, en l’apostrophant et en le sanctionnant. La peine est là pour dire la valeur de la norme bouleversée, l’importance d’un scandale aux yeux de tous. Ce n’est pas la peine en soi qui vient exposer la réparation (si l’on veut prendre comme image celle du pilori), elle n’est qu’une mesure, c’est la sanction qui dans son fondement parle de l’autre atteint dans son intégrité. L’autre comme étant soi-même aux prises avec les affres d’un incident omni présent, et l’autre social devenu difficilement identifiable parce ce ses référents ont été emportés par le mouvement de rupture accompagnant les évènements vécus comme disjonctifs. La victime demande réparation au temps où la justice comme idéologie promeut ses capacités restauratrices du lien social, (et de réhabilitation du criminel). Elle la demande non seulement symboliquement mais concrètement dans ses actes auprès des personnes et non plus seulement dans son apparat. Dire la loi exige maintenant un traitement visible du dire, et pour cela il y a aussi des lobbyings… et des risques ; le moindre n’est sans doute pas dans ces tentatives de « civiliser » le droit pénal. De demander à celui –ci des compensations que l’on attendrait davantage dans le registre du civil, alors même qu’elle exige d’être accompagnée différemment. La victime, autrefois témoin privilégié ne se suffit plus de cette instrumentalisation d’elle-même, par le droit : elle servait à l’accusation et en symétrie elle exige que sa participation à la recherche des éléments de culpabilité de l’agresseur ne soit pas dissociable de la peine qui sera celle de l’accusé confirmé. D’où le statut ambiguë de cette « peine, dans son quantum », dans le processus de sanction : elle apparaîtrait comme une expression visible et concrète d’un retour à l’intégrité psychique ! Une peine miroir, en miroir, d’une intégrité psychique retrouvée, intégrité obscurcie par la confusion née de l’évènement et déplaçant de façon instable, permanente les positions agresseurs-victimes, culpabilité, de responsabilité et de honte. On peut voir le statut très ambigu d’une réponse judiciaire avec ou sans pression des lobbyings, quand elle se met dé-dommager, pour l’essentiel, alors que l’exigence exigerait différemment de trancher dans la masse des confusions ressenties. La restauration doit-elle passer par la réparation sonnante et trébuchante ? Le dédommagement comme retour au troc est-il autre chose qu’un pis aller ? Analyse psychologique et psychopathologique L’agression subie engendre au-delà d’un vécu d’insécurité accompagné d’une revendication symétrique « que fait-on pour me protéger », un vécu de vulnérabilité : le sentiment dévalorisant et paniquant d’une moindre résistance, d’une sensibilité dévastatrice à laquelle chacun réagit en posant des aménagements défensifs, psychique et sociétaux. Une situation devient vulnérante parce que ses repères n’ont plus la faisabilité antérieure (une capacité de bricolage relationnel), ils deviennent persécutant. Cette vulnérabilité a deux faces : une face interne, se vivre comme atteint, blessé et le vivre avec plus ou moins de détresse psychique, culpabilité/honte. Une face externe : un cadre situationnel qui ne tient plus. Les assises narcissiques croulent et s’écroulent. C’est sur cette victimation que s’élaborent éventuellement une victimisation. dans le contexte d’une terrible tentation, la tentation d’innocence. Terrible: parce que transgressive et coupable, parce que l’origine de la transgression peut toujours être reportée à soi-même, soi-même comme persécuté et persécutant, soi-même comme résidence de l’hostilité. Le fondement personnel vacille et selon un processus d’attribution singulier cette faiblesse se cherche un destinataire. Soit se développe un sentiment de préjudice avec ce que cela va impliquer de victimation/sur victimation. Sentiment d’être et d’avoir été lésé et qui amène à poser une re-vendication, un dû/une vengeance. Soit que ce même sentiment laisse plutôt s’élaborer un état dépressif actif, i.e. une forme de retrait dans le souvenir et dans un état où domine des vécus de culpabilité, tantôt niée, tantôt exposée avec ampleur et avec le sentiment permanent d’une mauvaise foi.. Si l’on convient d’appeler victimation les essais sans cesse renouvelés de se donner une Forme de vie, une Forme d’être social par défaut sur la base de l’évènement disjonctif, on appellera survictimation la référence exclusive et identitaire aux effets de cet évènement et victimisation secondaire ce mouvement réactionnel à la non réponse de l’autre et qui vient au sens strict sinistroser6 toute 6 Au sens étymologique, « qui est à gauche et défavorable, de mauvaise augure. » relation et toute perspective. La honte et la défense contre celle-ci inhibent les mouvements de pudeur par où émergea l’identité. Sujet réduit au regard sinistre et honteux duquel il cherche à se dérober puisque c’est le lieu d’où rien ne se peut se dire. Un sujet sur-victimé est donc quelqu’un qui n’a pas pu, pas su, auquel l’environnement est resté d’une manière ou d’une autre sourd à la souffrance émise et qui fait de cet état où se récapitule sa catastrophe psychique un nouveau genre subsumant tous les genres : ni homme ni femme, ni masculin ni féminin, mais sinistré et demandant réparation, dédommagement, vengeance. Cette référence identitaire exige des droits et peut rentrer en délinquance, en actions légitimées mais non légales, parfois illégales, avec une conviction tout à fait singulière sous couvert de se faire justice en instrumentalisant la droit. C’est ici qu’il nous fait réfléchir à propos de la réponse judiciaire, sur la psychodynamique de la répression où le rappel de la loi, par quoi opère la sanction, se présente toujours sur deux faces en glissement constant. Si le rappel de la loi où l’autre se radicalise comme différent vient corriger un écart en le manifestant, la tentation de prendre ce rappel comme vengeance d’un tiers ou d’un groupe n’en est jamais éloignée et le rappel devient expression persécutrice d’une vendetta où seule la mort de l’autre aura alors le pouvoir d’apaiser. La pacification comme la paix intérieure sont alors, sous une forme passionnelle, liées à la mort de l’autre comme un exorcisme final, extrême, paradoxal, démonstratif où tuer équivaut à se tuer, ruiner l’autre-agresseur (l’agresseur identifiable ou anthropomorphiquement repéré) à se ruiner soi-même. L’état survictimal et son contexte de victimisation secondaire est en quelque sorte l’exigence d’effacer toute trace de l’évènement fondateur, plus que d’en faire quelque chose (parce que mis au pied du mur) qui puisse participer à un plus d’exigence éthique, i.e. de responsabilité et de moyens pour l’exercer. La présence des victimes au procès pénal, leur situation dans la ritualité du procès répond à autre chose qu’à une éventuelle légitimité/légalité s’appuyant sur des textes de lois. D’un point de vue psycho dynamique leur présence tient à une exigence interne de reconstruction historique, de ficelage pulsionnel ; elle se valide d’une reconstruction qui figera en une scène close des évènements internes et externes intrusionnels, extra-ordinaires. Leur présence se soutient d’une demande spéculaire, celle d’être au commencement et à la fin, dans un questionnement à rebrousse temps, arrêtant une chronologie, dans une forme dont les aspects passionnels ne sont pas absents : tout savoir sur l’agresseur (seul, en groupe ou une circonstance naturelle) revient à tout savoir sur la victime (soi ou un tiers). L’explication ne renvoie à une rationalité discursive mais à l’extériorité d’un monde autre, dans une visibilité sans faille et sans ombre, une visibilité et une traçabilité sans soupçon. Et pour dire cette vérité de la passion il faut un rituel assurant que rien ne se retournera jamais plus. On peut entendre là aussi les demandes faites aux experts et les enjeux dans lesquels ils se trouvent pris : une explication qui puisse trouver une garantie, scientifique, légale historique. Apport de la psychocriminologique : soutenir se soutenir De quelles balises disposons-nous pour un repérage critique dans l’actuelle confusion des langues empruntant au droit et à la psychologie des notions sorties mutuellement de leur contexte ? Si la psycho-criminologie se définit dans une interprétation psycho anthropologique (axiologique et psychopathologique) du fait judiciaire, cinq questionnements au moins peuvent être suscités à propos de problématique victimale. Le recours au pénal va assurer le cadre théâtral sacré, régalien, du dire vrai. Il assure une double fonction rationnelle et mythique : rationnelle dans l’élaboration des preuves et d’objectivité, mythique dans la mesure où il est attendu qu’une histoire entre conte( quelle leçon), légende(quels personnage), témoignage( quel récit répété) s’écrive dans la quête du mot juste entre émotion, ressenti, et verbalisation, écriture. Le Procès dans ces perspectives, a une fonction irrécusable : donner une réalité à ce qui est ressassement, réécrire ce que des médias ont pu désapproprié, s’entendre dans les médias et trouver écho à la souffrance, à sa souffrance. Une histoire attestable, dans un récit écrit et/ou oral, s’objective dans un parler porté par un tiers collectif. Et cela, seul le pénal par son caractère sacré (celui qui a l’autorité sur les libertés) peut en donner une visibilité concrète : le monde victimal est nécessairement un monde du visuel, de la scène qui seule fait écho à la scène dramatiquement vécue. Il faut de la scène là où la scène s’était défaite. Ce qu’on nomme la restauration c’est la présence manifeste d’une référence symbolique immuable7, sur les lieux ou dans l’espace des catastrophes arrivées. Cette histoire qui s’écrit et se joue fait symétrie à une histoire sans parole, une histoire de faits mélangés. Le procès est certes soutenant dans sa forme de chœur théâtral, groupal, imaginaire et libératoire, mais dans quel sens ? Autoguérison (i.e. repli sur ce qui reste valide et enkystement excluant la dimension de l’autre), effacement ? D’où parfois le début d’une autre affirmation que le suicide réifie : il n’y a plus d’existence possible dans ce monde là. Il ne peut y avoir de fins heureuses : ce qui est et restera inachevé peut seulement être saisi comme rebonds. Il n’a pas de nouvelle histoire possible, il n’ y pas de re-naissance : des évènements devenus des faits et des témoignages sont là, écrits, sans modification au même titre que la morphologie d’un garçon n’est pas celle d’une fille ! Lorsqu’on évoque un procès comme étant ou pouvant être libératoire, ce terme ne veut pas dire thérapeutique au sens où l’on 7 par exemple, le droit, le président, l’élu…le texte religieux. Lire Z. Mouheb, MS Lounis, A.Benneouala (2004), Entre le désespoir et l’espoir, Témoignages des intervenants sur le séisme du 21 mai 2003 à Dellys, Préface LM Villerbu et M. Lacoste. Imprimerie Ed- Diwan. entendrait procès= thérapie, réparation= travail du deuil. Il y a là des amalgames qui remplissent de bons offices aux dépens des mouvements psychiques de changements personnels. Libératoire signifie que ce qui a été dit est ; plus rien ne peut être changé. C’est un mouvement qui consiste à se rendre à l’évidence au même titre que ce qui se passe dans le mouvement créatif analysé sur le plan structural : un mouvement d’évidement. Réparation et pardon sont souvent intimement mêlés. A l’extrême l’on supposera ou prescrira un mouvement de pardon : pardon suscité chez la victime, pardon sollicité par l’auteur comme indices de réconciliation : deux positions profondément asymétriques si ce n’est au motif d’une structure commune, la culpabilité psychique et son répondant judiciaire, l’aveu. De même que toute action sociétale exigerait une évaluation dès lors qu’elle a été le résultat d’une subvention, chacun s’accord à dire que les critères d’évaluation ne sont pas si aisés que cela peut paraître à définir : les actions en retour sont souvent déplacées. On sait aussi à partir de l’accompagnement psychologique des personnalités addictives combien la rechute ne signifie pas ipso facto échec. Il y a donc des utopies et des théories implicites fortes, véhiculées, non sur le fait de vouloir évaluer, mais sur les contenus psychiques et ou sociaux évaluables. Il en est de même dans la demande de réparation faite par l’agresseur ou encore initiée par la victime : en quoi et comment s’écrit dans un mouvement s’exerçant à l’insu des uns et des autres une forme de retour aux origines, aux fondations d’avant l’après, de négation de la différence ? Comment dire le travail de mémoire (entre mausolée et militance) sans arracher un aveu comme celui de laisser entendre que s’il est dur de persister dans la haine celle-ci indique cependant dans la douleur la néo-continuité d’une existence interrompue et mise en abîme ? Une justice instrumentée par les victimes comme elle le fut par un certain exercice judiciaire ? Et pourquoi pas, dès lors qu’à chacun est donné le moyen d’exercer la responsabilité de son destin et d’en appeler au plus juste et au plus équitable. C’est cela qui prime, les problématiques du pardon sont bien secondes par rapport à cette question bouleversante et à propos de laquelle personne ne s’en remettra jamais.