critiques de livres - Revue militaire canadienne
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CRITIQUES DE LIVRES AMERICAN EMPIRE : THE REALITIES AND CONSEQUENCES OF U.S. DIPLOMACY par Andrew J. Bacevich Cambridge, MA, Harvard University Press, 47,50 $ Compte rendu par Philippe Lagassé D epuis le milieu des années 1990, le vaste débat sur la mondialisation et sur la puissance militaire sans précédent des États-Unis a suscité la publication de très nombreux ouvrages consacrés à l’émergence d’une Pax americana. Sans tenir compte des travaux de Noam Chomski et d’autres auteurs de même allégeance, les études sur la suprématie américaine (comme celles de Charles Krauthammer, Joseph Nye et Michael Mastanduno) évitent d’analyser les politiques américaines et préfèrent se concentrer sur les caractéristiques structurelles du système international unipolaire. Le livre de Andrew J. Bacevich, American Empire, tranche nettement sur cette tendance en présentant un examen stimulant et critique de la stratégie d’ensemble que les États-Unis ont adopté dans l’après-guerre froide. Grâce à des aperçus perspicaces de Charles A. Beard et de William Appleton Williams, deux historiens qui étaient tombés en discrédit, Bacevich montre comment le besoin jamais remis en question d’une prospérité interne accrue a poussé une république autrefois isolationniste à adopter une politique de domination économique et militaire globale. En fait, comme Bacevich le montre, cette poussée impérialiste apparaît clairement dans les politiques des administrations de Bush père et de Clinton, ce qui démontre que les aspirations impérialistes des États-Unis sont délibérées et que, en dépit de divergences idéologiques, de nombreux membres de l’élite des affaires étrangères américaines les partagent. La pierre angulaire de l’argumentation de Bacevich est que l’impérialisme américain repose sur le principe d’« ouverture ». Dans le domaine économique, les politiques d’ouverture assurent la stabilité financière des citoyens américains. Cette stabilité a été acquise grâce à l’engagement inébranlable des États-Unis depuis la fin de la guerre froide en faveur de l’ouverture des marchés, du capitalisme et du libre échange. De plus, selon la démonstration de Bacevich, cette volonté d’expansion du marché global n’a rien d’anodin. En effet, alors que ses promoteurs prétendent que les bénéfices de la mondialisation transcendent les frontières nationales, les États-Unis sont le pays qui a le plus bénéficié de l’accroissement du commerce international. Il n’y a alors rien d’étonnant à ce que les questions de politique économique internationale se soient retrouvées à l’avant-plan des affaires étrangères américaines pendant l’administration Clinton. Au plan politique, l’ouverture vise aussi à répandre à l’étranger les valeurs démocratiques libérales américaines. Certes, il ne s’agit pas là d’un nouvel objectif de la politique étrangère des États-Unis, mais, selon Bacevich, cette expansion de la démocratie libérale à l’ère de l’après-guerre froide sert aussi les nécessités économiques intérieures. Plutôt que de relever d’un quelconque messianisme, augmenter le nombre de démocraties libérales dans le monde se rattache à la recherche de nouveaux débouchés commerciaux puisque ces démocraties tendent à favoriser le capitalisme de marché. Le concept d’ouverture permet ainsi à Bacevich de lier habilement la politique d’expansion de la démocratie de l’administration Clinton à la construction d’un empire économique américain. Été 2003 ● Revue militaire canadienne Tout en traitant du concept d’ouverture, Bacevich montre aussi que les États-Unis sont un empire militariste. Par contraste avec les précédents historiques, l’institution militaire américaine ne s’est pas désintégrée au lendemain de la guerre froide. En effet, non seulement les États-Unis ont-ils conservé une force militaire impressionnante après la chute de leur principal ennemi, l’Union soviétique, mais les dirigeants américains se sont efforcés de maintenir en place un appareil militaire jamais égalé. En outre, comme ce fut le cas pour l’importance accordée à l’expansion économique, l’élite politique n’a guère discuté de l’intention de maintenir la suprématie militaire des États-Unis, et les citoyens du pays y ont en règle générale souscrit. En soi, la puissance militaire ne fait pas un empire mais, comme l’indique Bacevich, les dirigeants américains ont, depuis la fin de la guerre froide, utilisé comme jamais auparavant la force militaire dont ils disposent. En effet, à partir d’études de cas détaillées de la première guerre du Golfe et des interventions en Somalie, à Haïti, en Bosnie et au Kosovo, Bacevich démontre de façon convaincante que les États-Unis ont adopté une politique étrangère qui repose nettement sur la puissance militaire. Enfin, dans ce qui semble un effort précipité de mise à jour de son texte, Bacevich montre succinctement comment les événements du 11 septembre 2001 n’ont pas ébranlé la prédominance américaine et comment la lutte contre le terrorisme et ses catastrophes la renforce davantage. Non seulement la guerre contre le terrorisme a-t-elle permis à l’administration du président George W. Bush de clairement utiliser la puissance militaire des États-Unis pour introduire la démocratie et les valeurs américaines dans des États voyous ou faillis, mais la menace que fait peser Al-Qaeda est une raison de plus pour maintenir la suprématie militaire des États-Unis. American Empire apporte une contribution importante aux études contemporaines sur les politiques étrangère et de défense des États-Unis. Par son analyse de la stratégie d’ouverture, Bacevich rappelle à ses lecteurs que, comme n’importe quelle autre structure politique, les empires s’adaptent aux particularités de l’époque qui les voit naître. Aujourd’hui, un empire n’est pas nécessairement un phénomène d’ordre purement militaire; la mondialisation propre à l’ère de l’information permet d’accroître le nombre de moyens d’exercer discrètement des pressions et d’influencer. Toutefois, comme le montre Bacevich, l’empire américain n’a pas perdu ses caractéristiques militaires. L’absence d’un concurrent de sa taille ne l’empêche pas de poursuivre le renforcement de sa puissance militaire. Même si l’on peut mettre en doute le caractère révolutionnaire de la transformation de la défense aux États-Unis, on ne peut nier que ce pays entend bien posséder l’arsenal militaire le plus capable, le plus souple et le plus meurtrier aussi longtemps qu’il le pourra. Si l’on ajoute la militarisation de la politique étrangère américaine telle que présentée par Bacevich à la puissance de la machine militaire et aux intérêts économiques globaux de ce pays, l’avenir risque de déboucher sur de « nouvelles guerres pour assurer l’empire ». Rédigé sur un ton polémique, parfois répétitif et peu susceptible de convaincre les sceptiques, American Empire n’en reste pas moins un livre dont il faut fortement recommander la lecture. Philippe Lagassé a récemment obtenu une maîtrise en Études sur la conduite de la guerre du Collège militaire royal du Canada et, en octobre 2003, il commencera des études de doctorat en sciences politiques à l’Université Carleton. 67 CRITIQUES DE LIVRES THE HALIFAX EXPLOSION AND THE ROYAL CANADIAN NAVY par John G. Armstrong Vancouver, BC, UBC Press, 320 pages, 39,95 $ Compte rendu par le Capitaine Hugh Culliton T out membre de la Marine canadienne qui passe la pointe de Chebucto connaît l’histoire de l’explosion de Halifax, et tout navire qui traverse le détroit jusqu’au bassin de Bedford suit les règles de navigation édictées depuis cette horrible catastrophe. Bien que l’explosion survenue à Halifax en décembre 1917 ait été rapidement occultée par les événements de la Grande Guerre et par l’épidémie de grippe espagnole de l’année suivante, ses conséquences continuent de marquer l’histoire du Canada. D’ailleurs, à la suite du 11 septembre 2001, ce grand désastre et l’impact qu’il a eu sur les témoins de l’époque trouvent probablement un nouvel écho aujourd’hui. Pourtant, à l’exception des quelques lignes laconiques, coincées entre la bataille de Vimy et la campagne des Cent Jours, que lui consacrent les livres d’histoire, que sait-on vraiment de cet événement? Les recherches de John Armstrong permettent de revivre en grande partie cet épisode dramatique. Pour aiguiser l’appétit du lecteur, un bref rappel historique s’impose. En 1917, la Grande Guerre s’était transformée en une gigantesque lutte d’usure. Après trois années de sanglants combats, le Canada était devenu un allié majeur et respecté de la Grande-Bretagne. Le Corps expéditionnaire canadien atteignait le summum du professionnalisme et les efforts antérieurs de Sir Sam Hughes avaient permis de complètement mobiliser l’industrie du pays. À cause de cet effort massif et de la menace assez nouvelle que faisaient peser les sousmarins allemands, les convois qui partaient du Canada vers la Grande-Bretagne étaient essentiels à l’effort de guerre. Le port de Halifax avait toujours eu une grande importance stratégique, mais c’était la première fois que les Canadiens en avaient la responsabilité en temps de guerre. La Milice était en garnison dans la Citadelle et la Marine royale du Canada (MRC) patrouillait les approches du port, surveillait les barrières anti-sous-marines et contrôlait les mouvements de tous les navires alliés. Depuis longtemps, on qualifiait la MRC de marine d’opérette. L’expression était justifiée pour la marine mort-née d’un Dominion toujours très attaché à la notion d’Empire et en admiration devant la Marine impériale. Encore à cette époque, Halifax oscillait entre l’amour et la haine à l’égard de la MRC. En 1917, la MRC était toujours ce que Hadley et Sarty ont appelé une « flotte de pacotille », c’est-à-dire un agaçant avorton qui singeait la glorieuse plus grande marine du globe. Après l’explosion, cette réputation, jointe à la difficulté 68 croissante de la MRC à contrôler l’important trafic maritime de guerre autour de Halifax, l’a placée dans une situation très inconfortable. Tout accident aurait pour elle des conséquences majeures : la tournure dramatique des événements rendait angoissante la situation de la MRC. De fait, la preuve ultime de l’incompétence de la MRC a semblé s’établir lorsque, le matin du 6 décembre 1917, la plus forte explosion d’avant l’ère atomique a dévasté la ville de Halifax et rasé celle de Dartmouth. Mais la MRC avait-elle quelque chose à se reprocher? Ses officiers et ses marins avaient réagi avec courage. À dire vrai, des équipages entiers étaient, selon le règlement, coupables de « mutinerie » pour avoir abandonné leurs navires afin de venir en aide aux civils. Mais qui au Canada aurait pu les punir pour un tel geste? D’ailleurs, ce genre de comportement indépendant était une cause de fierté pour les commandants de l’Armée en France. Quoiqu’il en soit, la MRC était bel et bien responsable des mouvements dans le port. Comme le montre bien Armstrong, l’explosion, si dévastatrice fût-elle, a eu moins d’importance que les réactions qu’elle a suscitées, particulièrement en ce qui a trait à l’opinion qu’on se faisait quant à la responsabilité de la MRC. Les dégâts étaient concentrés dans un rayon de trois milles marins, mais les dommages politiques s’étendaient au pays tout entier. Étant donné les contraintes qu’il y a à gouverner un pays en guerre, le premier ministre Borden était très préoccupé. Quel impact un tel événement peut-il avoir sur l’effort de guerre d’un pays quand les médias condamnent sans appel toute une arme de ses forces armées? Comment une enquête peut-elle aboutir à des conclusions impartiales quand les journaux s’en prennent constamment à cette arme? Bien avant l’affaire O.J. Simpson, les médias de Halifax ont démontré comment un journalisme « appliqué » conduit à des conclusions prédéterminées. Armstrong fait une excellente analyse de ce grand moment de l’histoire canadienne. L’agencement de son livre permet aux férus d’histoire d’aborder facilement le sujet. Les cartes sont bien choisies et des photographies illustrent les aspects plus humains si souvent négligés lorsque l’on raconte des événements importants. Le récit des événements qu’a suscité l’explosion est palpitant comme un procès. Armstrong présente plusieurs héros auxquels le lecteur peut s’identifier et certains vilains qu’il peut vilipender. Somme toute, quiconque s’intéresse à l’histoire de la Marine canadienne ou à celle de Halifax devrait lire ce livre. Il est de lecture agréable, rédigé avec professionnalisme et riche en informations. En fait, étant donné les événements actuels, c’est un livre qui vient à point nommé. Le Capitaine Hugh Culliton est affecté au Hastings and Prince Edward Regiment à Peterborough, en Ontario. Revue militaire canadienne ● Été 2003 CRITIQUES DE LIVRES THE GOVERNOR GENERAL’S HORSE GUARDS: SECOND TO NONE par John Marteinson avec Scott Duncan Toronto, Robin Brass Studio, 320 pages, 69,95 $ Compte rendu par Donald E. Graves L es Governor General’s Horse Guards ont une des histoires les plus anciennes et les plus prestigieuses des Forces canadiennes. Ce régiment tire ses origines d’une troupe de cavalerie formée à York (nom que portait alors Toronto) en 1810 et qui a pris part, comme unité ou par ses détachements, à presque toutes les opérations des Forces canadiennes depuis lors. On se demande alors pourquoi cet ancien régiment a attendu un demi-siècle avant de publier une édition mise à jour de son histoire, la dernière datant en effet de 1953. Il valait cependant la peine d’attendre puisque The Governor General’s Horse Guards: Second to None, la nouvelle histoire de ce régiment, est un ouvrage splendide. En six grands chapitres, John Marteinson combine habilement les archives et les récits de plusieurs personnes pour raconter l’histoire du principal régiment de la Milice canadienne de ses débuts jusqu’à aujourd’hui. Cet ouvrage bien écrit est complété et rehaussé par de nombreuses illustrations (dont beaucoup en couleurs), car il s’agit d’une histoire en images avec des peintures, des esquisses, des cartes, des ordres de bataille, d’excellentes et minutieuses représentations à l’échelle de véhicules, des organigrammes, des dessins humoristiques et nombre de superbes photos. La qualité de la conception et de la production est typique des normes que le Studio Robin Brass, sans aucun doute le meilleur éditeur d’ouvrage à caractère militaire, a adoptées pour les histoires d’autres régiments et corps d’armée; le résultat est un plaisir pour les yeux et vaut bien son prix. Les deux chapitres consacrés à la participation des Horse Guards à la Seconde Guerre mondiale forment le plat de résistance du livre. L’histoire de cette unité en temps de guerre est intéressante car c’était l’un des deux seuls régiments blindés de reconnaissance de l’Armée canadienne, l’autre étant le South Alberta Regiment de la 4e Division blindée canadienne. Les régiments blindés de reconnaissance étaient des unités quelque peu étranges issues de la réorganisation des divisions blindées du Commonwealth à la fin de 1942. Plus ou moins (et incorrectement) inspiré de ce que le British War Office avait cru être la fonction du Aufklärungsbataillon dans une division blindée allemande, les régiments blindés de reconnaissance avaient pour tâche de fournir une « reconnaissance rapprochée » aux commandants de division et, au besoin, de se battre pour obtenir des informations. En fait, personne ne savait vraiment quoi faire avec ces nouvelles unités vu que la doctrine tactique en vigueur ne prévoyait aucun rôle pour elles et que leurs tâches de combat étaient en bonne partie assumées par les unités de reconnaissance des corps d’armée. Reflet de cette incertitude, l’organisation de Été 2003 ● Revue militaire canadienne ces régiments blindés de reconnaissance (composés à la fois de chars et de véhicules blindés légers) a changé environ tous les quatre mois entre janvier 1943 et janvier 1944. En février 1944, Montgomery a mis fin à la confusion, du moins dans le 21e Groupe d’armées, en ordonnant de réorganiser tous les régiments blindés de reconnaissance sous ses ordres en régiments blindés mais en leur conservant toutefois leurs appellations distinctes. C’est pour cette raison que le South Alberta Regiment a surtout servi d’élément blindé de combat à la 10e Brigade d’infanterie canadienne en 1944-1945. Les Horse Guards, qui étaient rattachés à la 5e Division blindée canadienne, ont en revanche combattu en Italie en tant qu’unité blindée de reconnaissance lors des fameuses batailles de la vallée du Liri et de la Ligne gothique; mais, comme l’indique clairement l’auteur, leurs activités opérationnelles furent plutôt diversifiées. De la fin de l’été 1944 jusqu’à son départ d’Italie au début de 1945, cette unité a rempli, et fort bien, une grande diversité de rôles, servant même à l’occasion d’infanterie. Lorsque le régiment a été transféré en Hollande en 1945, il a été réorganisé en régiment blindé dont la mission principale était, tout comme ce fut le cas du South Alberta pour la 10e Brigade, de fournir un appui blindé à la 11e Brigade. Le chapitre consacré à l’histoire des Horse Guards après la guerre retrace les changements presque continuels qui, à cause de changements de politiques, ont affligé presque chaque année toutes les unités blindées du Canada dans leur organisation, leur équipement et leur rôle. Marteinson, qui est également coauteur de la récente histoire du Corps blindé royal canadien, est bien armé pour analyser cette période qui pourrait facilement prêter à confusion, et il en souligne les aspects principaux sans se perdre dans les détails sans importance. Il est intéressant de noter (quoiqu’il y ait là de quoi inquiéter) que la politique du Canada au sujet des blindés n’a pratiquement pas cessé de fluctuer depuis 1936; toutefois les événements récents en Irak semblent démontrer hors de tout doute que les blindés ont encore un rôle important à jouer sur les champs de bataille modernes. Pour reprendre les mots de leur colonel honoraire, au fil des années et en fait depuis 1810, les Governor General’s Horse Guards ont maintenu leur tradition de « faire du mieux qu’ils peuvent avec le peu dont ils disposent »; à cet égard, aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre, leur histoire ressemble beaucoup à celle de la plupart des régiments canadiens. Pour ce qui en est de produire un recueil illustré de leur histoire à la fois longue, prestigieuse et intéressante, les Horse Guards sont restés entièrement fidèles à leur devise « Toujours premier »; en effet, ils ne le cèdent à personne comme en témoigne la publication de cet excellent livre qui saura plaire à de très nombreux lecteurs. Donald E. Graves est consultant en matière de patrimoine; il vit dans la région d’Ottawa et est l’auteur de plusieurs livres d’histoire militaire, dont South Albertas : A Canadian Regiment at War qui a été bien accueilli par la critique. 69 CRITIQUES DE LIVRES A KEEN SOLDIER: THE EXECUTION OF SECOND WORLD WAR PRIVATE HAROLD PRINGLE par Andrew Clark Toronto, Alfred A. Knopf Canada, 342 pages, 35,95 $ contester une telle approche, mais le style de Clark donne vie à l’histoire, ce qui plaira aux lecteurs moyens. Bon nombre d’entre eux approuveront d’emblée l’auteur d’avoir interrogé d’anciens combattants âgés, y compris des membres de sa propre famille, qui étaient profondément réticents de parler de la guerre et de Pringle, mais qui souhaitent tout de même qu’on rapporte les faits. Compte rendu par Steve Lukits, Ph.D. P our l’Armée canadienne, le fantassin Jones n’était rien de plus qu’un numéro à six chiffres sans grande importance. Mais il arrive immanquablement dans toute armée, comme dans toute organisation humaine, que quelqu’un se sente plus ou moins responsable de la personne qui se cache derrière ce numéro. » [TCO] Ce commentaire du romancier Colin McDougall au sujet de Jones, un personnage imaginaire, s’applique également à celui qui a inspiré l’auteur : le soldat Harold Pringle, le seul militaire que l’Armée canadienne a exécuté durant la Seconde Guerre mondiale. Dans son livre A Keen Soldier, le journaliste Andrew Clark assume la responsabilité de raconter la vie de Pringle, de ses premières années dans une région rurale de l’Ontario, à ses incarcérations, à son service commandé en Italie, à sa désertion et à son implication dans le marché noir jusqu’à son procès pour meurtre et sa mort devant un peloton d’exécution, le 5 juillet 1945. Il s’agit d’une histoire remarquable qu’on a trop tardé à raconter. « Au nom d’intérêts politiques, entre autres l’élection fédérale du 20 juin 1945, le gouvernement du premier ministre Mackenzie King a ordonné le secret sur l’exécution de Pringle de crainte qu’elle ne vienne ternir l’éclat de la victoire en Europe. Conséquemment, les Forces canadiennes ont jusqu’à tout récemment continué à soutenir qu’aucun soldat n’avait été exécuté durant la dernière guerre mondiale. Par une recherche de près de 1 000 pages sur les états de service de Pringle, par ses interviews avec d’anciens combattants qui ont connu le soldat, avec des membres de sa famille et avec celui qui commandait son peloton d’exécution, Clark vient contredire ce démenti officiel. L’auteur replace en outre l’histoire de Pringle dans son contexte grâce à diverses sources secondaires, principalement de The D-Day Dodgers de Daniel G. Dancock et de Battle Exhaustion de Bill McAndrew. Plusieurs lecteurs apprécieront le cadre narratif du livre, qui retrace l’enquête que Clark a menée pour découvrir ce qui s’est passé dans la vie de Pringle ainsi que son récit coloré des événements clés que sa recherche lui a fait découvrir. Des historiens plus conventionnels pourraient 70 A Keen Soldier est centré sur le récit de la vie de Pringle dans l’armée, sur son procès et sur son exécution. Clark fait davantage de Pringle une victime de la guerre et du système que de sa propre personnalité. Pringle a menti sur son âge pour s’enrôler dans The Hastings and Prince Edward Regiment avec son père, un ancien combattant de la Première Guerre mondiale âgé de 42 ans. Lorsque le père est renvoyé chez lui, le fils commence à s’attirer des ennuis et purge une sentence au Glass House, l’odieuse et sévère prison militaire canadienne d’Headley Down. Il sera ensuite envoyé en Italie avec son régiment et participera aux combats dans la vallée du Liri avant de déserter et de s’adonner au marché noir durant l’été 1944. Après l’assassinat d’un de ses comparses, Pringle et trois autres personnes sont accusés de meurtre. Quant à son procès, il repose sur le témoignage fragile de l’un des accusés, à qui on a accordé l’immunité, et sur les preuves contradictoires des médecins légistes. Clark insiste également sur le remplacement à la dernière minute de l’avocat militaire expérimenté de Pringle par un novice, à qui on ne donna que sept jours pour se préparer, et sur le fait que la chaîne de commandement était, semble-t-il, déterminée à faire un exemple en exécutant le déserteur canadien et ses coaccusés britanniques. Clark soutient rétrospectivement et de façon assez convaincante que Pringle a été trop facilement envoyé au peloton d’exécution et qu’il existait un doute raisonnable qui aurait dû lui épargner la peine de mort. Nul lecteur ne restera indifférent à cette victimisation de Pringle ni aux efforts de Clark pour le présenter comme un « jeune fantassin rebelle et traumatisé par les bombardements » [TCO] qui mériterait au moins qu’on songe à lui accorder un pardon. Le livre de Clark incite également à réfléchir à une autre grande vérité : l’histoire des mésaventures du soldat Pringle, de sa désertion et de son exécution en temps de guerre devrait accroître l’admiration et le respect que l’on ressent en temps de paix pour les nombreux autres soldats qui sont restés en poste, ont combattu et sont morts. Steve Lukits, Ph.D., enseigne au Département d’anglais du Collège militaire royal du Canada. Revue militaire canadienne ● Été 2003 CRITIQUES DE LIVRES OUR GLORY AND OUR GRIEF: TORONTONIANS AND THE GREAT WAR par Ian H.M. Miller Toronto, University of Toronto Press, 2002, 264 pages, 45 $ Compte rendu par le Major Andrew B. Godefroy L es chercheurs s’intéressent toujours au Canada de la Première Guerre mondiale et le flot, modeste mais constant, de publications sur ce sujet augmente régulièrement. Mais ce qui est peut-être plus important, bien que les études sociales et biographiques soient toujours les plus nombreuses en ce domaine, c’est que de plus en plus d’historiens canadiens se livrent à des analyses plus complexes de la guerre. Le dernier livre de Ian Miller, Our Glory and Our Grief: Torontonians and the Great War, est une étude interdisciplinaire qui dépasse l’histoire sociale et tente de décrire l’anatomie d’un des centres les plus populeux du Canada lors du premier conflit majeur du XXe siècle. source d’information de première main sur la ville au cours de cette période. En outre, l’examen des événements quotidiens enrichit les détails que fournit cet ouvrage et donne une meilleure idée de la vie à cette époque. Le lecteur se rend rapidement compte que les Torontois étaient non seulement bien informés sur les relations internationales, mais qu’ils étaient prêts à soutenir la Grande-Bretagne dans son combat jusqu’à la fin du conflit. Les journaux de Toronto notent un nombre élevé et constant de volontaires, même après les manchettes relatant les horreurs de la seconde bataille d’Ypres et de celles de la Somme et de Passchendaele. À Toronto, presque tous les hommes admissibles s’étaient portés volontaires pour le service avant l’entrée en vigueur de la conscription et, par la suite, ils ont continué à se présenter avant d’y être obligés. Bien qu’il s’agisse d’une excellente étude, elle ne remplit pas les promesses de son titre. Cinq de ses six chapitres sont surtout consacrés aux questions d’engagement, de recrutement et de conscription. La section qui traite d’un sujet différent, « Women and War: Public and Private Spheres », est peut-être le meilleur chapitre du livre en raison de ce qu’il révèle de la vie privée et publique à Toronto pendant la guerre. Il y est peu question, voire pas du tout, des politiques autres que celle du recrutement, et il y a peu de données sur l’économie, l’infrastructure de la ville, l’industrie, le développement urbain ou autres questions urbaines connexes. Le lecteur a nettement l’impression que l’auteur n’a pas saisi l’occasion d’étudier les nombreux aspects de la ville . Dès le début, Miller révise les opinions reçues sur le Canada et la Grande Guerre. Insatisfait des descriptions stéréotypées que comportent souvent les ouvrages contemporains, il présente une thèse donnant une impression totalement différente de l’impact de la guerre sur la vie des Canadiens dans leur pays. Bien qu’il rende hommage aux études actuelles sur la mémoire et la signification de la Grande Guerre, Miller s’en éloigne rapidement et explique qu’il a l’intention de jeter davantage de lumière sur « une question qui a attiré assez peu d’attention : l’impact que la guerre avait sur la vie quotidienne des citoyens » [TCO]. Ainsi, il conteste les analyses d’historiens tels que Jeffrey Keshen, auteur de Propaganda and Censorship During Canada’s Great War (1996), qui juge que les Canadiens restés au pays étaient dans l’ensemble mal informés et manipulés. Miller estime au contraire que les citoyens canadiens étaient très au courant des réalités de la guerre et qu’ils étaient malgré tout « prêts à combattre pour Dieu, le roi et le pays » [TCO]. Il existe des livres qui examinent les questions de l’enrôlement et de la conscription au Canada pendant la Grande Guerre, mais ils le font uniquement à l’échelle du pays. L’étude de cas de Toronto entreprise par Ian Miller permet au lecteur d’approfondir la question et tire des conclusions qui diffèrent de celles auxquelles on pourrait s’attendre. Bien qu’il ne couvre pas l’ensemble de son sujet, ce livre ouvre de nouvelles avenues en ce qui a trait à l’étude du Canada et de la Grande Guerre et il mérite des éloges. C’est une lecture à recommander. Miller tire une grande partie de son information des journaux de l’époque pour cette étude sur Toronto. Ceci ne signifie pas que sa recherche soit de piètre qualité, mais que l’auteur tire un bon parti de ce qui demeure la plus abondante Le Major Andrew B. Godefroy est le commandant de l’Équipe de soutien spatial interarmées des Forces canadiennes. Il termine un doctorat en Études sur la conduite de la guerre au Collège militaire royal du Canada. Été 2003 ● Revue militaire canadienne 71 CRITIQUES DE LIVRES WAR AT THE TOP OF THE WORLD: THE STRUGGLE FOR AFGHANISTAN AND ASIA Le livre traite finalement de l’occupation du Tibet par la Chine et des difficultés que connaît cette région du monde si particulière. Margolis résume très bien la situation très complexe de ces quatre pays. par Eric S. Margolis Bien que ce livre soit agréable à lire, certains éléments distraient l’attention du lecteur. Pour étayer sa thèse, Margolis se réfère à l’histoire, la guerre et à des anecdotes personnelles tirées de ses nombreux voyages dans la région. L’importance que l’auteur se donne quand il raconte ce qu’il a fait dans la région risque d’agacer le lecteur, qui doit également faire preuve de circonspection. Les positions de Margolis sont évidentes, et le lecteur ne devrait jamais oublier ce parti pris. Par ailleurs, comme War at the Top of The World ne prétend pas être un ouvrage savant, il ne comporte ni notes de bas de page, ni références, ce qui est particulièrement troublant, car l’auteur porte des accusations graves sans les justifier. Par exemple, à la page 33, il déclare que le « KGB a habilement organisé des assassinats, des embuscades et des raids bien ciblés en laissant de fausses pistes, ce qui a convaincu certains chefs des mujahedins qu’ils étaient attaqués par d’autres groupes de mujahedins qui étaient leurs alliés » [TCO]. C’est peut-être vrai, mais il n’y a aucune preuve à l’appui de cette grave accusation. D’autres critiques de ce livre et de la première édition ont mis en doute les faits et les descriptions géographiques que présente Margolis. Autrement dit, le lecteur doit tenir compte de la partialité de l’auteur et en tirer les conclusions qui s’imposent. Toronto, Key Porter Books, date, 250 pages, 22,95 $ Compte rendu par le Major J.C. Stone W ar at the Top of the World: The Struggle for Afghanistan and Asia de Margolis est une mise à jour de la première édition, publiée en 1999. C’est un livre très utile pour acquérir une compréhension fondamentale de la complexité des problèmes en Afghanistan et dans le sud-est asiatique. Cette édition révisée donne une vue d’ensemble des conflits actuels et de la lutte pour le contrôle de l’Himalaya, ainsi que de l’importance de la région pour l’Inde, le Pakistan et la Chine. Margolis aborde aussi la question des talibans, d’Osama ben Laden et d’Al-Qaeda, notamment celle de leur implication dans les attaques terroristes du 11 septembre 2001 contre les États-Unis. La thèse centrale de cet ouvrage est la même que dans l’édition précédente : à cause des conflits ethniques et religieux qu’elle connaît depuis des siècles, cette région est, et restera, une menace pour la paix et la sécurité internationales. Margolis soutient, ce qui est encore plus important, que ce conflit est beaucoup plus grave et explosif que ne le pensent la plupart des pays occidentaux. Le livre s’ouvre sur des remarques sur l’Afghanistan, l’histoire de la région, la manière dont les talibans ont pris le pouvoir et l’importance d’Osama ben Laden. Margolis aborde ensuite le conflit indo-pakistanais au sujet du Cachemire. Cette partie comprend des commentaires très utiles sur certains des problèmes qui se posent aux deux parties et sur ce qu’il adviendrait si l’Inde ou le Pakistan laissaient ce conflit dégénérer en une véritable guerre, maintenant que les armes atomiques font partie de la donne. Malgré ces réserves, les officiers qui liront ce livre en tireront sans nul doute une meilleure compréhension de cette partie très complexe du monde, qui risque de demeurer le point de mire pendant de nombreuses années. Le major J.C. Stone est étudiant de troisième cycle au Collège militaire royal du Canada. Université du New Brunswick Conférence 2003 du Centre for Conflict Studies Le terrorisme et le crime transnational : Les défis changeants au niveau de la sécurité et de la police Les 3 et 4 octobre 2003 Frais d’inscription : 125,00 $, banquet (4 octobre) : 25,00 $ Pour s’inscrire ou pour tout autre renseignement, communiquer avec : Deborah Stapleford Centre for Conflict Studies Université du New Brunswick Fredericton NB E3B 5A3 Téléphone : (506) 453-4587 Courriel : [email protected] 72 Revue militaire canadienne ● Été 2003