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Extrait de l’ouvrage :
«GOUVERNANCE LOCALE, DEVELOPPEMENT LOCAL ET PARTICIPATION CITOYENNE»,
direction de Dominique-Paule de Coster, Université libre de Bruxelles, Charleroi 2002.
4. DE LA GESTION MUNICIPALE AU DEVELOPPEMENT LOCAL: UN NOUVEAU MODELE DE
GOUVERNANCE EST EN MARCHE
4.1. INTRODUCTION
Dans le chaos planétaire actuel, le citoyen éprouve de plus en plus de difficultés à se situer et à
comprendre l’évolution de la société. Il ne parvient plus à intervenir sur le monde, la lutte des classes
s’est diluée dans la mondialisation, le patron s’est désincarné en actionnariat; les seuls repères
dotés de sens s’inscrivent dès lors sur son territoire proche, dans son lieu de vie.
Il peut encore agir au niveau de sa communauté locale, retourner à son identité d’acteur en
participant à la définition du futur souhaitable pour sa collectivité, établir la stratégie pertinente pour
construire ce projet d’avenir et devenir ensuite bâtisseur de réalisations. C’est dans ce contexte que
change le rôle de l’élu : les électeurs attendent de leurs représentants de pouvoir construire avec
eux un projet local chargé de sens commun. Une telle attente modifie du tout au tout la tâche du
mandataire municipal.
Certes, il s’agira toujours de gouverner, c’est-à-dire de prendre des décisions, mais suivant un
processus très différent, du moins pour celles qui ont trait à la stratégie de développement collectif et
à son application.
Notre propos n’est pas d’invalider notre système de représentation démocratique mais au contraire
de renforcer le sens donner à la notion de mandat, c’est-à-dire à la confiance accordée par les
mandants aux élus pour la gestion de l’intérêt général.
Nous le verrons : des décisions portant sur le destin d’une communauté locale se trouvent
renforcées et légitimées dès qu’elles font l’objet d’un débat partenarial qui conduit à définir un projet
global et à fixer un agenda.
Associer acteurs locaux et population à la conception d’un dessein collectif pour un territoire partagé
rend coresponsables les partenaires lors de la concrétisation. Nous caressons ici la notion de
gouvernance locale. Elle suppose que l’administration d’un territoire, si petit soit-il, ne peut reposer
sur les seules épaules des mandataires locaux.
Proposons une définition pour éclairer notre propos :
«La gouvernance locale est un système décisionnel partenarial non hiérarchisé. Elle s’exerce
comme une capacité collective des acteurs publics, privés et associatifs, à gérer les
interdépendances du projet de développement local de leur territoire et son agenda; une
contractualisation orale ou écrite formalise leurs décisions stratégiques».
Il ne s’agit donc pas de miter le mandat des élus locaux ni de contrarier le législateur, mais d’innover
dans le domaine de la gestion stratégique de microterritoires; d’inventer un nouveau système de
décision locale qui, par le partenariat et la participation citoyenne, tienne compte des aspirations
retrouvées de la société civile. Il s’agit de rendre du sens aux individus, d’éveiller leur
sentiment d’appartenance à une communauté, d’être co-responsables du destin des
habitants sur leur territoire et de tourner le dos à l’individualisme et à l’égoïsme stériles.
Si nous plaidons, c’est pour le bon sens, car il y a comme une évidente nécessité à encourager les
acteurs locaux à sortir de l’attentisme d’un mieux-être qu’apporterait quelque messie ou enchanteur
venu d’ailleurs, vulgairement appelé «investisseur».
Et quand bien même ce bienfaiteur surgirait, il faudrait que le tissu local, l’humus des projets, soit
fertile, que le territoire participe d’une spirale positive de développement, qu’il ait été mis en projet
par ses acteurs, seuls capables de remplir cette tâche par une autre organisation des potentialités :
une approche systémique, une arborescence des compétences, une mise en réseau avec le
territoire global, un système de filières sans fracture sectorielle ni frontière administrative.
La communication et la transparence contribuent à une société bâtie autour d’un contrat social. De
nos jours, on assiste souvent à des levées de bouclier des habitants, face notamment à des projets
d’infrastructures; on qualifie de NIMBY (not in my back yard) ce refus de changement dans le
quartier. D’aucuns qualifient cette attitude d’individualisme, d’égoïsme primaire. Une autre lecture
peut parcourir ces expressions sociales : les habitants éprouvent sans doute aussi un sentiment
d’injustice face à ces décisions qu’ils qualifient d’illégitimes. L’exposé des faits, le dialogue, la
négociation et la collaboration pour définir des solutions communes permettent d’éviter les réactions
épidermiques et les colères citoyennes à l’encontre des élus cibles.
La gouvernance locale s’intéresse moins à la décision elle-même qu’au processus engagé, à la
trajectoire empruntée pour l’atteindre. Une telle méthode légitime la décision car elle est le résultat
d’un débat démocratique chargé de sens : l’élu devient accoucheur de sens collectif.
La mission de l’agent de développement local se situe en aval : il relaie les décisions auprès des
acteurs et opérateurs dans le respect des objectifs définis en gouvernance; il en est le gardien et
l’ambassadeur sur le terrain.
4.2. L'ÉLU LOCAL VECTEUR DE DÉVELOPPEMENT : PROFIL D'UN NOUVEAU MÉTIER
Dans ce contexte, l’élu local occupe une place fondamentale.
Conscient et convaincu des opportunités nouvelles de cette dynamique, l’élu joue un rôle majeur
pour lancer la réflexion et reste un interprète de premier plan durant l’ensemble du processus.
4.2.1. Initiateur de la démarche
Le mandataire local a l’avantage d’être au centre de multiples circuits d’informations de toute nature.
Ainsi, il peut être informé des diverses initiatives novatrices prises par ses collèges d’ici et d’ailleurs
et s’en inspirer.
On le sollicite également pour participer à des colloques ou séminaires d’échanges et de formation
où il aiguise ses connaissances. De nombreuses institutions supérieures abreuvent les communes
de leurs directives et autres propositions de concours, de subventions. Son entourage politique ou
administratif le documente.
Enfin et surtout, il est à l’écoute de ses administrés et de leurs besoins.
Nourri par ce foisonnement d’informations et doté d’un «nez», c’est-à-dire de la capacité de
pressentir les opportunités, l’élu peut susciter cette dynamique nouvelle dans sa commune et attirer
les acteurs locaux sur un nouveau terrain : celui de la responsabilité d’administrer ensemble un
avenir commun dans les limites fixées par le cadre légal des grandes institutions.
Mais il convient de préciser que, sans stratégie concertée, les choix s’étiolent encore davantage
pour subir les diktats venus d’ailleurs. L’exercice de la stratégie locale repose sur la capacité des
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acteurs à occuper les champs d’action laissés libres par les «grands législateurs» et à intégrer par
ailleurs les propositions institutionnelles dans la mosaïque locale. Cette pratique rappelle sans doute
à d’aucuns l’art d’agencer avec imagination les pièces d’un Meccano pour inventer une nouvelle
machine.
4.2.2. Négociateur
Il faudra bien évidemment que l’élu négocie tout au long du chemin révolutionnaire sur lequel il
s’engage pour inciter ses collèges, les acteurs intéressés et surtout la population, à s’investir dans le
projet de développement local.
Nos structures institutionnelles se construisent sur un schéma pyramidal, hiérarchisé, cloisonné,
sectorialisé verticalement à la manière d’une armée, avec des niveaux de pouvoirs stratifiés.
Le développement local, dont la conception démocratique est basée sur la responsabilité partagée,
balaie cette organisation, qualifiée aussi de bureaucratique. Il modifie complètement la répartition
des pouvoirs qu’il déroule tel un tapis, horizontalement; il fait imploser les cloisons entre secteurs
pour ouvrir à l’identification des interactions de compétences entre les familles d’acteurs publics,
privés et du tiers secteur. Il contamine positivement économie, social, culture et environnement entre
eux, rendant possible une nouvelle approche des projets.
Les collèges échevinaux n’échappent pas à l’organisation pyramidale; chaque échevin assume la
responsabilité d’une compétence, relayé par une administration singulière. Cette organisation
permet à chaque élu responsable de marquer clairement son empreinte et d’attirer l’attention des
électeurs sur son travail.
L’aspect diffus et systémique du développement local contrarie cette logique : les projets participent
de plusieurs compétences scabinales et n’autorisent pas ce type de labellisation.
Tout l’art de l’élu-négociateur et visionnaire sera de parvenir à extraire ses collègues de l’étau
schizophrénique, entre la nécessité de plaire à l’électeur grâce à une politique personnalisée et la
volonté de participer au projet de développement local privé d’identification personnelle.
Une fois convaincus, les échevins auront à insuffler cette dynamique à leur administration, avec
l’aide du secrétaire communal, chef du personnel encourageant l’apprentissage à un travail moins
parcellisé.
Mais le champ de la négociation n’a pas pour seul cénacle le pouvoir communal et son
administration. Si le principe d’appel à une alliance partenariale tous secteurs confondus se fonde
sur la responsabilité civique des appelés, chacun souhaite aussi y trouver du bénéfice. L’élu aura à
négocier le principe de gagnant-gagnant, soucieux du juste retour envers chaque partenaire.
Lors de la construction du partenariat, la négociation porte au départ sur la définition du rôle
équitable de chacun des membres de la plate-forme partenariale. Le négociateur aura rempli sa
mission si un processus partenarial s’enclenche et conduit à la gouvernance du projet de
développement local.
4.2.3. Leader – animateur
Le processus partenarial nécessite la présence d’une locomotive, de quelqu’un qui tire les wagons,
donne du sens, rappelle à la tâche. Les nombreux acteurs de partenariat que nous côtoyons au
travers du CREADEL témoignent de la nécessaire présence d’un leader pour perpétuer l’activation
du procès partenarial.
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La difficulté pour un élu est d’exercer ce rôle, tout en étant suffisamment discret pour éviter un
syndrome de politisation.
La magie de l’élu résidera dans sa capacité à impliquer au maximum les autres acteurs, de sorte
que le processus de développement local soit le moins possible troublé par les cycles électoraux.
C’est à nouveau souligner le rôle paradoxal du mandataire dans cette dynamique, qui privilégie
l’intérêt collectif aux dépens des particularismes.
4.2.4. Animateur
Certes, si l’élu devra régulièrement retourner à son rôle de leader pour «doper» le processus
partenarial, on lui préférera la tâche d’animateur de la plate-forme aux occasions plus officielles, son
animation ordinaire étant laissée aux mains de professionnels non engagés politiquement, comme
l’agent de développement local.
Une suggestion paraît toutefois intéressante : les discussions relatives au développement local
peuvent, sans resectorialiser, nécessiter des déclinaisons en cellules thématiques particulières,
comme l’agriculture, le commerce, etc.
Il serait judicieux de confier certaines de ces cellules à des conseillers communaux pour diversifier
les intervenants politiques et impliquer le maximum de représentants des citoyens sans distinction
partisane. Ce conseiller travaillerait toutefois en bonne entente avec le représentant de l’exécutif
local chargé de ces aspects singuliers.
Une telle technique vise à mobiliser et intéresser un maximum de mandataires communaux. La Ville
de Lens, en France, pratique la méthode.
4.2.5. Partenaire
Michel Delebarre, aux assises françaises du développement local organisées à Lille en 2001 par
«Entreprises, Territoires et Développement», affirmait que «le rôle de l’élu ne se limite plus à
créerles conditions de développement mais à être un acteur-partenaire».
Perte de pouvoir pour l’élu ? Nous le pensons pas. Il s’agit au contraire de lui permettre de susciter
par ce processus partenarial la fertilisation de la démocratie, d’être au centre d’un apprentissage
réciproque réduit grâce aux témoignages d’expériences des autres membres du partenariat local.
Il ne s’agit plus de se retrancher derrière des prérogatives régaliennes, mais de partager, grâce à la
rencontre partenariale, les savoirs acquis par les acteurs au cours de leurs expériences pour
construire une connaissance commune du développement.
4.2.6. Passeur
Nous avons souligné les nécessaires modifications d’organisation, mais elles ne peuvent éclore qu’à
travers une nouvelle approche cognitive, une lecture matricielle, pluridimensionnelle, associant
temporalités, espace, savoirs et cultures, communauté locale, institutions.
Cette approche systémique intègre l’arborescence d’une micro-société dans son territoire élargi et
l’alchimie d’un système vivant, truffé d’imprévus, de hasards, d’opportunités.
Il faut sans doute porter un regard particulier sur le monde, avoir la capacité de sortir des cadres de
lecture traditionnels, quitter le microscope et préférer des lunettes panoramiques pour entrer dans
cette nouvelle approche cognitive – horizontale, transversale, systémique –, pour palper cette toile
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de jute du développement local dont la rugosité souligne les intersections des fils grossiers qui
garantissent la solidité du tissu.
Mais nous ne sommes pas tous des élus de cette nouvelle connaissance, le chemin doit être ouvert
par ceux qui la détiennent. Le passage au savoir participe de la maïeutique, c’est-à-dire, comme le
décrivait Socrate, de l’art de faire accoucher les âmes de la connaissance qu’elles possèdent en
l’ignorant.
Il s’agit d’apprendre à regarder autrement, d’abandonner la lorgnette sectorielle et de voir le contexte
général, de passer d’une approche linéaire à une approche systémique; il s’agit d’entrer en
révolution culturelle par le fil novateur de la gouvernance et de produire un nouveau système
sociétal. Ce passage de l’innovation cognitive à un tel changement ne peut s’envisager que grâce à
des passeurs, c’est-à-dire des porteurs de changement. Tel est le rôle constant de l’élu visionnaire
dans un processus de développement local à l’aube du troisième millénaire.
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