Accouchement sous X
Transcription
Accouchement sous X
Le silence Accouchement sous X Bernadette STASSEN Malo-les-Bains, France, 29 juin 1959, 18h30 ( ?), un bébé pousse son premier cri. Sa maman vient de sauter la frontière dans la clandestinité. Elle sait depuis des semaines, voire des mois, la décision qui s'impose : ne pas garder l'enfant, lui donner une chance ailleurs. Dans trois jours à peine, cet enfant sera accueilli en Belgique, là où il est attendu depuis des semaines, voire des mois, voire des années. "Dis maman, tu m'as choisie entre d'autres bébés ? Pourquoi moi ? Comment suis-je arrivée ici ? Tu étais heureuse de m'avoir ?" Ces questions, je les ai posées cent mille fois à celle qui m'a donné la vie une seconde fois, celle qui m'attendait dans une portée d'amour immense à distance. Le secret de l'avant "29 juin" a toujours été gardé par la maison d'adoption (Œuvre Thérèse Wante à Anvers puis Louvain-la-Neuve). Mes parents eux-mêmes m'ont affirmé ne rien savoir. Rien, un vide qui génère bien des questions, un silence lourd qui donne lieu à bien des interprétations. Le vide : il manque un bout d'histoire. Un arbre ne pousse pas sans racines, un enfant qui ignore d'où il vient a du mal à savoir qui il est et à grandir tout simplement. Sans identité connue, on peut passer une vie à se construire, souvent dans l'excès, dans la douleur, dans le conflit, dans l'autodestruction. Souffrir, faire souffrir même, pour exister et se faire une histoire. Et pas n'importe quelle histoire. En se brûlant, ne se sent-on pas exister davantage ? "En quoi la paix est-elle menaçante pour vous ?" me disait un 23 Reliures 19 Automne-Hiver 2007 jour un psychologue. Sans doute, à la réflexion, parce qu’une vie forte et tumultueuse fait du bruit "à l'intérieur", un bruit qui étouffe et occulte un silence trop lourd, trop insupportable, une question qui reste sans La réponse : mes origines. Aujourd'hui, le signal est assez fort pour que je doive impérativement choisir la paix et, avec elle, le face-à-face avec moi, dans le dénuement, sans éviter le silence. Le silence : il consiste en une absence de trace. On parle bien de traçabilité pour les animaux qu'on sert dans notre assiette. L'humain, lui, a conçu un système qui permet d'effacer les traces gênantes de l'origine. Et vous aurez beau chercher, vous rendre à l'hôpital qui vous a vu naître, rien. Ou plutôt la liste d'une trentaine de "nés sous X" dans la même journée, inscrits sans aucun signe particulier. Volontairement une femme a souhaité tomber dans l'oubli, clore un chapitre… Pour mon bien, pour son bien ? C'est ce silence-là qui est lourd, lourd d'un sens que je ne cesse de vouloir lui donner : a-telle personnellement voulu ce point final ou y a-t-elle été contrainte par son entourage ? M'a-t-elle "laissée" dans les larmes ou était-elle soulagée ? Bref, tenait-elle déjà un peu à moi ? M'a-t-elle aimée un peu ? Est-ce que je lui manque ? Pense-t-elle à moi de temps en temps ? Voudraitelle me rencontrer ? Pour ma part, le manque le plus conscient réside dans l'absence de représentation visuelle : une photo, ce serait déjà si bien. De cet abandon, de ce silence, il résulte bien des conséquences, certaines claires pour moi, d'autres plus floues. "Je ne mérite que le mépris, le rejet, une vie marginale." Tel est le sentiment qui m'habite et qui, du même coup, entraîne de véritables rejets. Manquant d'estime et d'amour pour moi-même, je risque de susciter du non-respect envers moi. Par ailleurs, l'abandon crée un gouffre, un vide qui donne lieu à une demande d'amour énorme et effrayante : que l'autre me donne ce que je ne me donne pas moimême ! Par dessus tout, ou plutôt par dessous tout, le fardeau abandonnique laisse des traces si profondes qu'elles résistent à l'analyse : comment mesurer l'absence de de construction intérieure, d'identité (hérédité inconnue, etc.) ? Seule la manifestation pathologique (maladie, par exemple) est symptôme d'un trouble profond. Mais comment en guérir ? Sans résolution de ces vrais problèmes, la tendance est à la répétition des blessures, à l'autodestruction. Et pourtant la force de vie est là. Jusqu'ici, la loi belge interdit l'accouchement anonyme. Seule la France l'autorise. Depuis 2002, une loi a créé le Conseil National pour l'accès aux origines personnelles. Cette agence reçoit les demandes d'accès à la connaissance des origines de l'enfant, la déclaration d'une mère qui accepte de lever le secret de sa propre identité, les requêtes des pères ou mères en recherche d'enfant. Cette modification législative n'a pas fondamentalement résolu le conflit entre les droits de l'enfant et ceux de la mère. Car, si les mères qui accouchent sous X sont incitées à laisser des informations sur cette naissance, sur l'identité de l'enfant, elles restent maîtres de la levée du secret. Post mortem, encore faudrait-il qu'elles n'aient pas manifesté à temps leur désir de discrétion. La Belgique planche depuis 2006 sur une formule qui autoriserait l'accouchement sous X. Mais contrairement à la France, l'enfant Le silence pourrait connaître l'identité de sa mère biologique dès sa majorité (excellente solution !). Cette préoccupation du législateur, née notamment du constat du nombre croissant d'abandons de bébés dans les rues, coïncide étrangement avec la question de l'adoption par les couples homosexuels. Louable intention, mais regret tout personnel : le couple homosexuel masculin a forcément besoin de pouvoir adopter. Et quoi de plus agréable que d'adopter un petit être neuf, dont le passé est invisible. Si la situation d'enfant adopté est déjà difficile, que dire de celle d'enfant accueilli dans le cadre d'une parentalité unisexuée imposée ? En tant qu'enfant abandonné puis tendrement accueilli par un père et une mère, n'ai-je pas le droit de préférer un schéma familial classique ? Le silence est lourd, violent, pesant, inviolable. Il serait levé si celle qui m'a donné la vie se manifestait. Je n'y crois pas trop. Si je pouvais, je lui communiquerais trois choses : que je n'ai aucune rancœur, que je vivrais mieux en sachant d'où je viens et qui je suis, en sachant qu'elle pense à moi, parfois, avec douceur, sans déni. Pourvu qu'elle vive toujours au moment où j'écris, car il serait bon que ce silence soit rompu de notre vivant. C'est mon vœu. Les silences sont mortifères. J [email protected] DIS MERCI ! Tu ne connais pas ta chance d’avoir été adoptée... Barbara MONESTIER Anne Carrière, 19,05 e Réf.: REL7922 Prix Rel.: 17,15 e DE MÈRE INCONNUE Pascale Odièvre, ou le combat des enfants nés sous X Didier MENDELSOHN et Isabelle MARCHAND Albin Michel, 17,95 e Réf.: REL10713 Prix Rel.: 16,16 e Reliures 19 Automne-Hiver 2007 24