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Directeur de la publication : Edwy Plenel
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on voit mal comment elle pourrait advenir depuis
Bruxelles, ou à l’échelon municipal, faut-il d’abord
conquérir les institutions, en priorité les subvertir, ou
parvenir à faire les deux à la fois ?
Débat Piolle/Sintomer. Conquérir,
subvertir ou subir les institutions
PAR JOSEPH CONFAVREUX
ARTICLE PUBLIÉ LE DIMANCHE 7 AOÛT 2016
Telles sont les questions qui ont animé cette nouvelle
rencontre entre Éric Piolle, maire de Grenoble depuis
2014, élu sur une liste de rassemblement citoyen et
écologiste et membre d’Europe Écologie-Les Verts,
et Yves Sintomer, professeur de science politique à
l’université Paris 8 et auteur d’une Petite histoire
de l’expérimentation démocratique. Tirage au sort
et politique d’Athènes à nos jours (La Découverte),
ainsi que d’un article paru dans le dernier numéro
de la Revue du Crieur, intitulé « L’ère de la
postdémocratie ? Démocratiser la démocratie ou
céder aux tentations autoritaires ».
Tout l’été, Mediapart et la Revue du Crieur organisent
des face-à-face entre chercheurs et politiques, entre
celles et ceux qui décident de la vie de la cité et celles
et ceux qui la pensent. Cette nouvelle rencontre oppose
le maire de Grenoble, Éric Piolle, et Yves Sintomer,
professeur de science politique.
Face aux accusations de trahison adressées aussi
bien à Alexis Tsipras qu’à François Hollande ou
Boris Johnson, la discussion a commencé sur le
sentiment que gagner des élections aboutissait souvent
à une forme de reniement, ou de renoncement, visà-vis des convictions affichées durant les campagnes
électorales. « La question est de savoir comment on
passe du projet à la mise en actes, a souligné d’emblée
Éric Piolle. Comment tirer des bords pour avancer
dans le cap défini, trouver des alliés naturels ou
objectifs, et prendre en compte la réalité qui pose
forcément des difficultés. »
Comment donc faire en sorte que le mandat donné
aux élus soit tenu ? Pour Yves Sintomer, « le principe
du système représentatif, depuis les révolutions du
XVIIIe siècle, est celui du mandat libre, dans lequel
les élus ne sont pas tenus par leurs engagements et
mènent les politiques qu’ils veulent. Ce qui permettait
de compenser cela était la proximité, ou des rouages
permettant de faire en sorte que les élus soient
comme des éponges de la société, de ses refus, ou de
ses indignations. Une difficulté, aujourd’hui, est que
Mediapart et la Revue du Crieur organisent, en
partenariat avec le Festival d’Avignon, des face-àface entre une figure intellectuelle et une personnalité
politique, pour confronter celles et ceux qui décident
de la vie de la cité à celles et ceux qui la
pensent, et ainsi mettre en discussion le pouvoir,
qu’il soit exécutif ou législatif, avec le regard critique
des intellectuels et les analyses des chercheurs de
différentes disciplines.
À quelles conditions transformer les institutions sans
être transformé par elles ? Que ce soit au niveau
européen, où la crise nouée autour du Brexit a entraîné
maints appels à une refondation démocratique dont
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les mécanismes qui permettaient que les élus soient
des éponges sont très largement affaiblis. Les partis
politiques ne jouent plus le rôle qu’ils avaient avant ».
Pour lui, « il faut que le pouvoir demeure dans
une situation d’inconfort et de discussion ». Mais
l’archipel des expériences de démocratie délibérative
ou participative est-il à même de régénérer un système
démocratique dont les formes ont été inventées au
XVIIIe siècle, ou faut-il envisager un bouleversement
plus important des institutions actuelles pour éviter de
s’enfoncer dans un gouffre démocratique ?
Pour Yves Sintomer, « il existe beaucoup
d’expérimentations novatrices. La France ne constitue
pas du tout un désert, au contraire. Toutes ces
expériences vont dans le sens du futur, mais cela reste
des exemples isolés qui ne coagulent pas. Mais entre
ce qui se passe au niveau local et les niveaux centraux,
quelque chose ne passe pas, et un renouvellement
d’ampleur paraît nécessaire. Le problème est qu’on ne
peut pas se contenter d’un retour au passé. Le PCF
a servi d’éponge par rapport aux classes populaires,
mais qui voudrait se mettre aujourd’hui dans une
structure aussi hiérarchique qu’était le PCF ? Une
période est close et il faut donc se tourner vers le
futur, inventer d’autres institutions, parce que sans
transformation forte, on avance vers de grands périls,
avec tous les signaux qui se mettent actuellement au
rouge ».
Toutefois, pour le politiste, la thématique inverse
du « mandat impératif », qui reprend de la
vigueur actuellement, n’est pas satisfaisante. « Dans
l’opposition entre le mandat libre et le mandat
impératif, il y a quelque chose qui est dépassé.
Le mandat libre était fondé sur l’idée que les élus
étaient plus sages que le peuple lui-même. Le mandat
impératif est fondé sur l’idée que la représentation
est quelque chose de neutre, une simple courroie de
transmission. Le débat est aujourd’hui plus complexe.
Plus personne ne croit que les élus sont plus sages
que les citoyens pour décider du bien commun, même
s’ils peuvent y contribuer. Et même dans une petite
association, on ne fonctionne pas sur le mode du
mandat impératif. L’important est qu’il y ait de la
circulation et qu’il puisse y avoir une reprise de
pouvoir si besoin. »
Pour Éric Piolle, « les institutions ne sont pas figées.
La Ve République ne date que de 1958. Il y a 50 ans, le
maire était sous l’autorité du préfet et il n’y avait pas
de représentation de l’autorité municipale. On voit à
quel point les choses ont évolué en quelques décennies.
Mais des partis comme le PS ou Les Républicains se
contentent de proposer de la sécurité dans un monde
qui s’effondre, alors qu’ils ne peuvent l’offrir car,
précisément, leur modèle s’effondre ».
« On ne commence à réfléchir qu’une fois
installé au pouvoir »
Qu’est-ce qui permet alors, quand on parvient
au pouvoir, de demeurer dans une logique
transformatrice, sans se plier à la « réalité » ? Et dans
quelle mesure la manière dont on parvient à entrer dans
les institutions détermine-t-elle ce qu’on y fera ?
Le maire de Grenoble a poursuivi sur cette nécessité
de maintenir un lien fort avec les citoyens, en dehors
des échéances électorales, mettant en avant la création,
dans sa ville, de budgets participatifs et de conseils
citoyens indépendants, représentés à moitié par des
volontaires et par des personnes tirées au sort, qui
peuvent se saisir des objets qu’ils désirent mettre
en avant et venir interpeller le conseil municipal.
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Pour Éric Piolle, dont l’engagement public est récent,
le premier choc a été de découvrir à quel point la
politique ressemble à « une course de formule 1.
Alors que l’important se situe après la course, toute
l’intelligence, l’ingénierie et l’énergie sont mises dans
la course elle-même. On ne commence à réfléchir
qu’une fois installé au pouvoir. Alors que François
Hollande se trouvait dans une situation inédite, à la
tête de toutes les régions, de l’Assemblée nationale,
du Sénat et de la plupart des grandes villes, il n’avait
pas réfléchi aux éléments clés et n’a fait que s’adapter
à l’atmosphère du moment. À Grenoble, on a fait
en sorte que l’important soit la mise en acte et non
seulement la course, en construisant un projet qui
a pris de vitesse les partis politiques, le mien y
compris ».
au niveau national ? De la même manière, faut-il
nécessairement des figures pour incarner la politique,
comme Iglesias en Espagne, ou Sanders aux ÉtatsUnis, pour cristalliser ce que les partis ne cristallisent
plus ? »
Éric Piolle est plus sévère vis-à-vis de Podemos.
« Ce qui s’est passé dans certaines municipalités
espagnoles correspond à la création d’un projet, porté
par un collectif qui peut être soutenu par des forces
politiques assurant la logistique, la transmission des
valeurs et l’impérieuse nécessité d’aller chercher des
gens pour les balancer dans l’espace public. Par
ailleurs, la politique est un espace incarné, où on
fait le choix d’un projet, d’une méthode, d’un style,
mais on peut incarner à la fois un individu et une
équipe, comme aurait pu l’être la candidature Hulot.
Mais l’erreur de Podemos a été de se structurer
selon les règles de la formule 1 alors qu’il faut
changer ces règles, en incarnant, à chaque élection,
un projet collectif. Podemos a fait l’erreur de se
structurer comme un parti classique et il me paraît
aujourd’hui stérilisé, comme EELV est aussi stérilisé
aujourd’hui. »
Pablo Iglesias
L’échange entre le maire et le chercheur s’est alors
intéressé à l’exemple espagnol, où l’on a vu, après
les intenses mobilisations sociales du 15-M et des
Indignados, à la fois la constitution de Podemos et de
« marées » municipales, en Galice ou en Catalogne,
c’est-à-dire deux façons différentes d’investir les
institutions depuis la société. Pour Yves Sintomer,
en dépit de certaines difficultés, les expériences
municipales espagnoles constituent des « laboratoires
parmi les plus forts et dynamiques d’Europe. Mais
quand on passe à la course de F1, au niveau
national, peut-on venir avec des Clio ou faut-il un
parti plus classique, comme l’a fait Podemos qui est
quand même parvenu à devenir la troisième force
Ada Colau en 2015
Interrogé sur le fait que même Ada Colau, à Barcelone,
est contestée sur sa gauche, tout comme Éric Piolle
à Grenoble, Yves Sintomer juge que cela mène à
« une question plus générale. Comment transformer
vraiment la société et le monde ? Si on prend l’image
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du réseau, on peut dépasser l’opposition entre prendre
le pouvoir, et tout changer depuis le pouvoir, ou
rester à l’extérieur et tenter de changer la vie depuis
l’extérieur. Il faut des acteurs divers, que certains se
mettent dans les institutions et assument de se payer
la gestion, car même au niveau associatif, ce n’est pas
facile et on se fait rapidement accuser de trahison.
Et que d’autres aient des rapports plus conflictuels
avec les institutions, faits de collaboration, de
confrontation ou de tension ».
de la post-COP21 qu’un État jacobin sur-régulateur,
parce qu’on peut être sur des logiques de projet qui
dépassent certaines logiques politiciennes. »
Yves Sintomer abonde sur l’idée qu’un « certain
volontarisme politique peut payer à terme, s’il réussit
à être en syntonie avec la société. L’importance de
l’énergie solaire en Allemagne est frappante, surtout
quand on la compare avec des zones plus ensoleillées
comme le sud de la France. Mais ici, on garde une
vision très centralisée du changement, héritée de la
monarchie, avec l’idée qu’il faudrait une révolution
pour tout changer. Quoi qu’il en soit, il existe une
vraie difficulté qui est la marge de manœuvre des
institutions, réduite par la mondialisation néolibérale
».
Pour Yves Sintomer, à cette question s’ajoute celle de
savoir s’il n’est pas « plus facile de faire des choses
dynamiques à l’échelle municipale qu’à l’échelle
nationale. On a vu certaines villes se transformer
profondément, dans leur urbanisme, leurs pratiques
quotidiennes. N’est-ce pas plus difficile à l’échelle de
la France ? » Éric Piolle ne pense pas que l’échelle soit
déterminante dans la capacité d'opérer de véritables
changements à travers les institutions. « Le New Deal
de Roosevelt, les mesures prises après la Seconde
Guerre mondiale, ou même l’action européenne de
Kohl et Mitterrand après la chute du Mur, montrent
qu’on peut changer à n’importe quelle échelle. Mais je
pense que les collectivités territoriales et les réseaux
sont davantage à même de devenir les acteurs efficaces
Par ailleurs, juge-t-il, les « institutions ne constituent
qu’une partie de l’action sur la société. Il est
nécessaire qu’elles fonctionnent bien, mais il faut
qu’elles soient capables de se réformer, vite et de
manière assez profonde. Il y a quelques années,
dans les premières enquêtes PISA sur l’éducation, la
France et l’Allemagne étaient toutes deux mal placées.
Vingt-cinq ans après, l’Allemagne a pris des mesures,
alors que la France n’a rien fait ».
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