Les relations du réparateur avec l`assureur et l`expert automobile

Transcription

Les relations du réparateur avec l`assureur et l`expert automobile
dossier
ACCORDS COMMERCIAUX DANS L’APRÈS-VENTE
Les relations du réparateur
avec l’assureur et l’expert automobile
la mise en place d’accords entre professionnels représente une méthode intéressante
pour fixer les bonnes pratiques d’un secteur d’activité et réduire d’éventuelles tensions
en dégageant les obligations essentielles de chacun. toutefois, le souci de réduire les coûts
conduit à ce que ces engagements, qui ne sont pas juridiquement contraignants, ne soient pas
toujours respectés. leur violation ne reste pas pour autant sans conséquence.
dr
À Luc Grynbaum (1) ,
professeur
à l’université
paris-descartes,
directeur du
master 2 santé,
prévoyance et
protection sociale,
doyen honoraire
de la faculté
de droit
de la rochelle
la suite d’une collision, le réparateur chargé de pro­
céder aux interventions nécessaires a longtemps été choisi par l’assuré. Les travaux et leur montant étaient défi nis après la visite de l’expert désigné par l’assureur. Le client payait grâce à l’indemnité qu’il recevait de ce der­
nier. L’assureur pouvait également régler directement le réparateur sur le fondement d’une indication de paiement. Ce schéma est aujourd’hui largement remis en cause. Il ne sub­
siste guère que dans les zones rurales, où la proximité d’un réparateur unique ou la relation de confiance incite l’assuré à s’adresser à « son garage ».
Dans les zones urbaines ou péri­
urbaines, l’automobiliste qui subit une collision entre, le plus souvent, en contact avec le gestionnaire de sinistres de son assureur, qui l’oriente vers un réparateur agréé par celui­ci. L’argument essentiel réside dans le paiement direct par l’assureur de la réparation au garagiste.
Cette démarche de « référencement » des réparateurs par les assureurs est concomitante d’une politique de même nature menée à l’égard des experts automobiles, qui ont conclu avec les assureurs des partenariats privilégiés (2). L’objectif de l’assureur de ne plus payer « en aveugle » et même de peser sur les coûts explique aisément cette volonté de mieux contrôler la tarifi cation pratiquée par les destinataires fi naux des presta­
tions versées par l’assureur. Tou tefois, la mise en réseau d’experts et de répa­
rateurs agréés éloigne le propriétaire du véhicule de l’idée de choix des prestataires qui vont intervenir dans le processus de réparation.
La petite réparation sans expertise
Il est vrai que, concernant l’expert, celui­ci est considéré depuis long­
temps comme le « mandataire » de l’assureur, dans le sens où il doit véri­
fi er l’étendue des dommages impu­
tables au sinistre déclaré par l’assuré et veiller à ce que le montant des travaux n’excède pas la valeur du véhicule. Ces contrôles bénéfi cient davantage à l’assureur qu’à l’assuré. À l’égard de ce dernier, il doit toute­
fois s’assurer que les réparations envisagées par le garagiste sont de nature à maintenir la sécurité du véhicule. On comprend donc que le processus d’agrément par l’assu­
reur des experts automobiles est accepté depuis bien longtemps, bien qu’il puisse susciter des diffi cultés quant à la mise en œuvre du principe d’indépendance qui gouverne la jurisprudence automobile • n°829 • mai 2011 • jurisprudence-automobile.fr
profession (3), qu’il s’agisse de la dimen­
sion déontologique ou fi nancière de cette indépendance. L’annonce par des assureurs automobiles occupant une place importante sur le marché de leur volonté d’amoindrir l’interven­
tion des experts pour la remplacer par un accord direct avec le réparateur pour les « petites réparations » n’est évidemment pas de nature à rassé­
réner cette profession.
Les réparateurs, quant à eux, ont dû faire face plus tardivement à ce souci d’abaissement des coûts manifesté par les assureurs. Nous observerons tout d’abord la pratique de l’agré­
ment du réparateur par les assureurs. Nous évoquerons ensuite les initia­
tives d’autorégulation par les acteurs du secteur. Nous verrons enfi n qu’en présence d’un éventuel contentieux, l’arsenal législatif s’est développé.
n La pratique de l’agrément
Bien que l’assuré soit libre de faire réparer son véhicule chez le carros­
sier de son choix et que ce principe ait été réaffi rmé par le Comité éco­
nomique et social européen (4), les assureurs ont développé des accords avec des carrossiers visant à orienter leurs assurés vers ces derniers. Cette pratique revêt le nom générique ...
21
Dossier z
Les pratiques commerciales dans la réparation automobile
d’« agrément ». C’est ainsi que, en
2007 déjà, selon un rapport de la
Direction générale de la concur­
rence, de la consommation et de la
répression des fraudes (DGCCRF),
70 % des carrossiers étaient agréés,
parmi lesquels 29 % étaient indépen­
dants, 18 % appartenaient à un réseau
de constructeur automobile et 23 %
à un réseau de carrosseries.
Des clients contre un barème
L’agrément présente des avantages
pour trois des parties impliquées
dans l’opération de réparation. L’as­
suré ne règle pas directement son
réparateur, le paiement étant effec­
tué par l’assureur. Ce dernier maî­
trise ses coûts, car les tarifs de répa­
ration sont prédéfinis dans la
convention d’agrément. Ensuite,
l’agrément se réalise, le plus souvent,
sur la base d’exigences techniques,
de qualité de prestation, notamment
l’accueil et le prêt à l’assuré d’un véhicule de remplacement. Enfin, le
carrossier est susceptible d’accroître
ou de « garantir » son niveau de clientèle, car l’assureur oriente les
assurés vers ses carrossiers agréés.
On a pu constater que l’agrément est
négocié le plus souvent à un niveau
local par des représentants de l’assureur, ou bien au niveau national
pour les réseaux constructeurs. La difficulté n’intervient pas à ce
moment de la relation entre l’assu­
reur et le réparateur agréé. C’est lors des demandes par le carrossier
de voir réévaluer les tarifs préfé­
rentiels consentis à l’assureur que les désaccords, voire les conflits, se
font jour. En effet, le coût de la répa­
ration est tributaire de paramètres
qui sont extérieurs à la relation entre le réparateur et l’assureur.
Néanmoins, le montant payé par
l’assureur au réparateur agréé en lieu
et place de l’assuré fait l’objet d’un
encadrement prévu par la conven­
tion d’agrément.
22
Le carrossier pratique des prix dits
« publics », qui tiennent en un taux
horaire de main-d’œuvre et un coût
de pièces. Les travaux de peinture
sont facturés en coût horaire, incluant
le prix de la matière. Le profit du
carrossier réside donc dans la diffé­
rence entre son coût d’exploitation
et son tarif horaire, et sur la marge
qu’il réalise sur les pièces. Or, pour
ces dernières, les carrossiers qui n’ont
pas développé d’activité de conces­
sionnaire sont tributaires du prix fixé
Bien que l’assuré soit libre
de faire réparer son véhicule
chez le carrossier de son choix,
les assureurs ont développé
des accords avec des carrossiers
pour orienter leurs assurés.
par les constructeurs, le marché de
la pièce détachée hors constructeur
étant encore peu développé. En ce
qui concerne le taux horaire qui
permet la rémunération du savoirfaire du réparateur, le montant est,
en principe, libre. Néanmoins, la
durée de la réparation est encadrée
par les constructeurs, qui publient
des barèmes établissant un temps par
type de réparation. Experts et assu­
reurs se tiennent le plus souvent à ce temps constructeur.
La remise de pied de facture
La convention d’agrément entre
l’assureur et le réparateur porte sur
ces paramètres et influe sur les moda­
lités selon lesquelles le réparateur
établira son coût et sa facture. Il est
d’abord établi un taux horaire entre le
carrossier agréé et l’assureur, lequel
est inférieur au « prix public ». De surcroît, il a été constaté qu’il est
pratiqué une remise consentie par le carrossier, dite sur « pied de jurisprudence automobile • N°829 • mai 2011 • jurisprudence-automobile.fr
facture », qui se justifie par un commissionnement de l’assureur, en général de 5 %. Cette remise peut
prendre deux formes : son montant
apparaît sur chaque facture, ou bien
l’assureur prélève sa commission au
moment du règlement au réparateur,
émettant alors une facture de com­
missionnement. Quand l’assureur a
recours à une plate-forme de gestion
de sinistres extérieure à son entre­
prise, il a été constaté que cette
plate-forme demandait également
une « remise sur pied de facture », à titre de commissionnement.
Enfin, des services sont demandés
par les assureurs aux réparateurs
agréés, comme la mise à disposition
d’un véhicule de remplacement (5). Souvent, ces services ne font l’objet
d’aucune facturation aux assureurs, ces derniers considérant que le taux horaire négocié en tient compte.
D’autres prestations non facturées se développent, comme la prise en
charge et la restitution du véhicule à
réparer au domicile ou au lieu de travail de l’assuré. La même prestation est demandée pour le
véhicule de courtoisie.
n La recherche
d’une autorégulation
La pression exercée sur les prix et les difficultés structurelles des répa­
rateurs les ont conduits à tenter de
réduire les tensions par une auto­
régulation. La baisse du nombre des
collisions, le coût du renouvellement
des matériels et le contrôle strict, par les assureurs, des prix pratiqués
par leurs réparateurs agréés ont pro­
voqué des tensions entre ces derniers
et les assureurs. En outre, les répara­
teurs présentent une structuration très
disparate. On trouve, d’une part, des
entreprises de quelques salariés ayant
une grande difficulté à mettre en
place une gestion de leurs coûts et
pour lesquelles les nouveaux inves­
Dossier
tissements sont impossibles. Elles
coexistent avec de grandes entre­
prises très bien gérées, pour les­quelles
la carrosserie ne constitue qu’une
activité associée à la vente de véhi­
cules au travers d’une concession. Les assureurs, quant à eux, ont connu
des rapprochements qui leur ont
donné un plus grand poids dans les
discussions avec les réparateurs.
Travaux un peu trop dirigés
Dans les relations entre réparateurs
et assureurs, l’un des premiers points
de tension réside dans l’orientation
des assurés vers le réseau des répa­
rateurs agréés (6). Il semble que la
dissuasion de l’assuré de faire effec­
tuer sa réparation par un non-agréé
soit réalisée avec plus ou moins de
mesure selon les assureurs. Cette
volonté d’orientation semble encore
plus forte lorsque la gestion de sinistre est confiée à un prestataire
extérieur, qui, lui aussi, est commis­
sionné. En outre, les assureurs semblent réticents à mettre en place
la cession de créance au profit des réparateurs non agréés, laquelle
permettrait à leurs clients d’éviter
l’avance du paiement. Or, l’orienta­
tion de l’assuré vers un réparateur
agréé en tenant un discours péjoratif
sur le réparateur habituel de l’assuré
est constitutive de concurrence déloyale. Une pression trop systé­
matique sur les assurés pour les
orienter vers les réparateurs agréés
est susceptible de constituer une
atteinte à la libre concurrence.
Par ailleurs, le contenu de certaines
conventions d’agrément n’est pas
toujours conforme à l’article L. 442-6
du code de commerce. Ainsi, un
commissionnement de l’assureur fixé par un pourcentage unique ne
tient pas compte de l’apport réel de clientèle au carrossier.
Au cours de la vie de l’agrément, si l’assureur et le réparateur ne tombent pas d’accord sur un nouveau
tarif, soit l’agrément est résilié par
l’assureur, soit l’ancien tarif continue
d’être appliqué. Notons que la pra­
tique du préavis en cas de rupture
est très disparate. Enfin, quand la
mise à disposition de véhicule ou tout autre service demandé au réparateur (par exemple la prise en
charge du véhicule au domicile ou au travail de l’assuré) ne fait pas
l’objet d’une mention sur la facture,
cette pratique n’est pas conforme aux exigences de l’article L. 441-3 du code de commerce.
n Une charte pour garantir
une réparation durable
Afin de remédier à ces tensions et au risque du prononcé de sanctions
liées à l’application des dispositions
des articles L. 442-6 et L. 441-3 du
code de commerce, les syndicats
représentant les réparateurs, la FFSA
et le Gema pour les assureurs, sous
les auspices de la Commission d’exa­
men des pratiques commerciales
(CEPC), ont adopté une charte en
mai 2008 (lire p. 26).
Dans son préambule, la charte Relation réparateur d’automobileassureur rappelle que le choix du
réparateur est libre, mais que l’assu­
reur peut en proposer un à son assuré
(article 1.3), toutes les parties ayant
pour objectif de réaliser une répara­
tion durable (article 1.4). L’assureur
choisit librement de conclure une
convention d’agrément avec un répa­rateur sur des critères préala­
blement établis (article 2.1), cette
convention ayant pour objet de Il semble que la dissuasion
de l’assuré de faire effectuer
sa réparation par un non-agréé
soit réalisée avec plus ou moins
de mesure selon les assureurs.
jurisprudence automobile • N°829 • mai 2011 • jurisprudence-automobile.fr
garantir une qualité du matériel et
des services (article 2.2).
Toutes les prestations font l’objet
d ’une facturation (article 3.1). La remise ou ristourne consentie par le réparateur à l’assureur tient
compte de l’importance de la relation
contractuelle (article 3.2). Le répa­
rateur et l’assureur se communiquent
réciproquement les données chif­
frées se rapportant à leur relation
d’affaires (article 3.3).
Il est prévu que pour la révision de
la convention, en cas de désaccord
persistant, l’assureur désigne une
personne habilitée pour réexaminer
la demande d’augmentation formulée
par le réparateur (article 3.5). En cas de non-renouvellement de
l’agrément, un préavis est dû, qui tient
compte de la durée et de l’importance
de la relation (article 4.1).
Les représentants des professions
peuvent faire évoluer la charte au fil
du temps et ont prévu de se ren­
contrer régulièrement pour faire le
point sur son application.
n Des engagements entre
experts et réparateurs
Dans le même esprit, un accord de relations professionnelles entre les experts d’un acteur majeur du
domaine, BCA expertise, et les syn­
dicats représentant les réparateurs a
été conclu le 10 mars 2010. Il porte
sur le processus de réalisation des
expertises et d’échange d’informa­
tions entre le réparateur et l’expert.
Outre la clause de révision de l’accord (engagement n° 8), similaire
à la charte évoquée plus haut, on
obser­vera une avancée intéressante
grâce à la création d’une procédure
de conciliation entre réparateur et expert (engagement n° 7).
Sur le fond, le caractère contra­
dictoire de l’expertise est mis en
avant (engagement n° 1) et l’exper­
tise à distance est aménagée
...
23
Dossier z
Les pratiques commerciales dans la réparation automobile
(engagement n° 2). Concernant les
prix, l’enga­gement n° 4 mentionne
que la factu­ration s’établit selon les tarifs du réparateur, sauf « accord
particulier ».
Ce texte vise à maintenir la liberté de détermination du prix par le pres­
tataire. Toutefois, quand ce dernier
inter vient dans le cadre d ’un agrément conclu avec l’assureur, le
prix sera déterminé en fonction de
cet agrément, et l’expert missionné par le même assureur pourra le
contrôler. Les questions soulevées
par l’agrément restent donc entières.
Le non-respect des chartes et ou d’un engagement professionnel ne pourra
que susciter le contentieux.
n Les fondements
d’un éventuel contentieux
Les engagements professionnels
présentent le mérite de fixer les bonnes pratiques du secteur. Ils obligent les acteurs à échanger sur les difficultés rencontrées dans
leurs relations et à mettre en avant
les aspects positifs de leur parte­
nariat. Toutefois, la pression constante
sur les coûts, notamment afin de
dégager des profits, d’assurer la pérennité de l’entreprise et de rému­
nérer ses actionnaires, conduit à ce
que ces engagements professionnels
ne soient pas toujours respectés.
On observera que la violation de ces
engagements, qui ne sont pas direc­
tement contraignants sur le plan juridique pour les professionnels, ne reste pas pour autant sans consé­
quences. C’est ainsi que la Cour de
cassation a condamné, sur le fon­
dement de la responsabilité contrac­
tuelle, une banque au profit de l’un
de ses clients pour ne pas avoir res­
pecté l’obligation de couverture (7),
laquelle constituait une règle de nature déontologique adoptée par la profession et qu’aucun texte législa­
tif ou réglementaire n’avait instaurée.
24
Un réparateur qui demanderait une indemnité
de rupture à un assureur qui l’aurait agréé
pourrait invoquer la charte, dont la violation
constitue une faute contractuelle ou délictuelle.
De la même manière, au soutien de
toute demande d’un réparateur qui
demanderait indemnisation pour
une rupture de sa relation avec l’assureur qui l’avait agréé, il peut
donc être invoqué la charte dont la
violation constitue une faute contrac­
tuelle (si le contrat est en cours ou se termine) ou délictuelle.
En outre, et surtout, il a été déve­
loppé, à l’article L. 442-6 du code de commerce, des dispositions rela­
tives à la rupture brutale de relations
commerciales établies et aux clauses
abusives entre professionnels. On observera que depuis le décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009,
ce sont des juridictions spécialisées
qui sont compétentes pour ces questions et que la juridiction d’appel
est la cour d’appel de Paris (8).
Rupture d’une relation établie
Les actions en rupture d’une rela­
tion contractuelle établie se sont
développées sur le fondement de
l’article L. 442-6, I, 5° du code de
commerce (9). Dès lors qu’une rela­
tion commerciale s’est nouée entre
deux entités, la rupture de cette
dernière sans préavis suffisant entraîne une réparation sur le fon­
dement d’une responsabilité délic­
tuelle (10). Cela signifie que les clauses du contrat qui encadrent le
montant des sommes dues et la
durée de ce préavis sont écartées,
quand bien même il s’agirait d’un
contrat type homologué par le pouvoir réglementaire (11).
Toute fin de relation commerciale
n’entraîne pas pour autant une indemnisation. Il faut que la rupture
jurisprudence automobile • N°829 • mai 2011 • jurisprudence-automobile.fr
soit brutale (12). Évidemment, la faute
du demandeur constitue une cause
légitime de rupture sans indemni­
sation (13). Cela signifie que le respect
d’un préavis raisonnable, au regard
de la durée et de l’importance de la relation entre les deux parties,
empêche l’octroi d’une indemnisa­
tion au titre de l’article L. 442-6, 5°,
du code de commerce.
Ces dispositions ont été appliquées
à une affaire opposant un répara­
teur à deux mutuelles d’assurances
qui avaient résilié le contrat d’agré­
ment (14). Le réparateur soutenait
que l’expert avait commis des fautes
qui avaient conduit à cette résilia­
tion. La Cour de cassation a censuré
l’arrêt d’appel, qui déboutait le demandeur au motif que les disposi­
tions du code de commerce sur la
rupture de relations commerciales
établies ne pouvaient pas s’appliquer
à des sociétés d’assurances mutuelles.
Au contraire, la Cour de cassation a
estimé que « le régime juridique des
sociétés d’assurances mutuelles,
comme le caractère non lucratif de
leur activité, ne sont pas de nature
à les exclure du champ d’application
des dispositions relatives aux pra­
tiques restrictives de concurrence,
dès lors qu’elles procèdent à une
activité de services » (15). Les dispo­
sitions sur la rupture brutale de relations commerciales ont donc
vocation à s’appliquer à l’égard de
tout assureur, dès lors que la sortie
du contrat se réalise sans préavis ou
avec un préavis insuffisant.
Par ailleurs, les réparateurs disposent
désormais, comme tous les profes­
sionnels, d’un moyen de contester
Dossier
certaines clauses des contrats d’agré­
ment, en démontrant leur caractère
abusif. En effet, l’article L. 442-6 I, 2°,
du code de commerce dispose
qu’« engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le
préjudice causé le fait, par tout
producteur, commerçant, industriel
ou personne immatriculée au Répertoire des métiers […] de sou­
mettre ou de tenter de soumettre
un partenaire commercial à des
obligations créant un déséquilibre
significatif dans les droits et obli­
gations des parties ».
Le sort des clauses abusives
Le Conseil constitutionnel a eu à
connaître de la conformité à la
Constitution de ce texte, grâce à une saisine dans le cadre d’une
question prioritaire de constitution­
nalité (16). Le juge constitutionnel a
décidé que ce texte est conforme à
la Constitution, car les sanctions
qu’il prévoit ne portent pas atteinte
au principe de la légalité des peines.
En effet, le Conseil constitutionnel
a considéré que la notion juridique
de déséquilibre significatif entre les
droits et obligations des parties était
suffisamment claire et précise, et
qu’elle permettait au juge de se
prononcer d’une manière qui ne
peut pas être qualifiée d’arbitraire,
dans la mesure où elle figure à l’article L. 132-1 du code de la consom­
mation, reprenant les termes de
l’article 3 de la directive 93/13/CEE
du Conseil du 5 avril 1993, son
contenu étant déjà précisé par la jurisprudence. En outre, la juridic­
tion saisie peut consulter la Com­
mission d’examen des pratiques
commerciales, composée des représentants des secteurs éco­
nomiques intéressés (17).
Cette décision permet de com­
prendre que le caractère abusif d’une
clause dans un contrat entre profes­
sionnels sera apprécié de la même
façon qu’en droit de la consommation.
Le déséquilibre va ainsi être caracté­
risé quand une clause prévoit un
avantage pour l’une des parties sans
aucune contrepartie dans le contrat.
Cette approche a été adoptée dans un
jugement du tribunal de commerce
de Lille (18). On observera que l’action
en suppression des clauses dans tous
les contrats du professionnel concerné
peut être intentée par le ministre de
l’Économie (19). La suppression de
clauses peut également advenir dans un contrat déterminé à l’occasion d’un contentieux entre
deux professionnels (20).
En conclusion, on constate que la voie des accords entre profes­
sionnels représente une méthode
intéressa nte pour réduire les tensions dans un secteur profes­
sionnel, en rétablissant le dia­
logue et en dégageant les obliga­
tions essentielles.
Toutefois, le maintien d’une pression
forte sur l’un des acteurs par un
autre (lui-même soumis à des
contraintes économiques) conduit
inéluctablement à l’application de
dispositions légales plus dures. Les dispositions sur la rupture brutale de relations commerciales
établies et sur les clauses abusives
entre professionnels offrent de nouveaux fondements juridiques
aux opérateurs déçus. Cela ne pré­
juge pas de la possibilité pour les
autorités de la concurrence de sanc­
tionner toute pratique qui porte
atteinte à la fluidité du marché. n
1. L’auteur de ces lignes avait été désigné
comme rapporteur par la Commission
d’examen des pratiques commerciales
(CEPC). Cette dernière a rendu un avis
(n° 08-02) « relatif aux pratiques suivies
dans les relations commerciales entre
assureurs et carrossiers réparateurs »,
accompagné d’une charte sur la relation
réparateur d’automobile-assureur adoptée
par les organismes représentatifs
de ces professions (lire page suivante).
jurisprudence automobile • N°829 • mai 2011 • jurisprudence-automobile.fr
2. Lionel Namin, « L’expertise automobile,
Aspects juridiques et pratiques de la profession »,
3e éd., L’Argus Éditions, 2009, p. 113.
3. C. route, art. L. 326-6 ; cf. Lionel Namin,
op. cit., p. 65 et s.
4. Rapport d’ information du Comité
économique et social européen sur
« La réparation automobile en cas
de collision : comment garantie la liberté
de choix et la sécurité du consommateur »,
par W. Robyns de Schneidauer,
6 septembre 2010, INT/501
– CESE 395/2010 fin, EN-LL/cc/gl.
5. Ou encore la pratique de l’expertise
à distance (envoi de photos à l’expert
par logiciel et Internet).
­6. Lire rapport du Comité économique
et social européen, ibid.
7. Com., 26 février 2008, n° 07-10.761,
publ. au Bull.
8. C. comm., art. D. 442-3 et D. 442-4.
9. C. comm. art. L. 442-6 :
« I. Engage la responsabilité de son auteur
et l’oblige à réparer le préjudice causé
le fait, par tout producteur, commerçant,
industriel ou personne immatriculée
au répertoire des métiers […]
5° de rompre brutalement, même
partiellement, une relation commerciale
établie, sans préavis écrit tenant compte
de la durée de la relation commerciale
et respectant la durée minimale
de préavis déterminée, en référence
aux usages du commerce,
par des accords interprofessionnels. »
10. Com., 18 janvier 2011, n° 10-11.885,
publ. au Bull.
11. Com., 21 septembre 2010, n° 09-15.716.
12. Com., 9 mars 2010, n° 08-21.055.
13. Com., 18 janvier 2011, n° 10-11.611.
14. Com., 14 septembre 2010, n° 09-14.322,
publ. au Bull.
15. Ibid.
16. Décision n° 2010-85, 13 janvier 2011,
Darty et fils, JO 14 janvier 2011, p. 813.
17. C. comm., art. L. 442-6, III, al. 6.
18. Tribunal de commerce de Lille,
6 janvier 2010, « Contrats, conc., consomm. »
2010, n° 3, p. 21, note N. Mathey ;
« Revue des contrats » 2010, p. 928,
note M. Behar-Touchais.
19. C. comm., art. L. 442-6 III :
« L’action est introduite devant la juridiction
civile ou commerciale compétente
par toute personne justifiant d’un intérêt,
par le ministère public, par le ministre
chargé de l’Économie ou par le président
de l’Autorité de la concurrence, lorsque ce
dernier constate, à l’occasion des affaires
qui relèvent de sa compétence, une pratique
mentionnée au présent article. »
20. Ibid.
25
Dossier z
Les pratiques commerciales dans la réparation automobile
Charte sur la relation
réparateur d’automobile-assureur (1)
n 1. Préambule
Art. 1.1 Afin d’apporter la meilleure
prise en charge à l’assuré dont le
véhicule a subi un accident, répa­
rateurs et assureurs organisent
leurs relations selon les principes
qui suivent.
Art. 1.2 Ces principes s’appliquent
pour la mise en œuvre de toutes les garanties du contrat d’assu­
rance automobile, notamment les
garanties responsabilité civile et
dommages.
Le champ d’application de cette
charte pourra être modifié confor­
mément à l’article 5.1.
Art. 1.3 Le libre choix du répara­
teur par l’assuré constitue un prin­
cipe essentiel de la relation entre les assureurs, les assurés et les répa­
rateurs. Ce principe est mis en
œuvre dans la relation entre l’assu­
reur et son assuré. Dans le cadre de
sa relation avec l’assuré, l’assureur
peut proposer des réparateurs.
Art. 1.4 La réalisation d’une répa­
ration durable du véhicule et le
service rendu à l’assuré consti­
tuant un objectif commun aux
réparateurs et aux assureurs, ces
derniers peuvent conclure des
conventions organisant leurs rela­
tions. Ces conventions sont sou­
mises aux principes énoncés dans
la présente charte.
Art. 1.5 Les relations des assureurs
et des réparateurs, dans le cadre
d’une convention ou à l’occasion du
règlement ponctuel d’une répara­
tion, se conforment aux dispositions
sur la concurrence et les bonnes
pratiques commerciales.
26
n 2. Conclusion
d’une convention entre
réparateur et assureur
Art. 2.1 L’assureur dispose du libre
choix du réparateur avec lequel il conclut une convention, confor­
mément à des critères préala­
blement établis.
Ces critères tiennent compte, notam­
ment, de la qualité des prestations
fournies par le réparateur et de la
nécessité de fournir un service de
proximité aux assurés.
Art. 2.2 Les réparateurs s’engagent
sur des conditions déterminées préa­
lablement avec l’assureur, qui portent,
notamment, sur les équipements, la
nature des services à fournir à l’as­
suré et la formation du personnel.
n 3. Vie de la convention
Art. 3.1 Toutes les prestations réali­
sées par le réparateur font l’objet
d’une facturation.
Art. 3.2 Lorsqu’une remise ou une
ristourne ou une rémunération dis­
tincte pour apport de clientèle est
prévue, elle prend en compte l’im­
portance de la relation entre le réparateur et l’assureur.
Art. 3.3 Afin d’éviter de créer une
situation de dépendance écono­
mique, le réparateur communique, à la demande de l’assureur parte­
naire, le pourcentage de son chiffre d’affaires de réparation collision
réalisé grâce aux véhicules des assurés de cet assureur.
L’assureur communique en retour les données qu’il détient sur la relation avec ce réparateur.
jurisprudence automobile • N°829 • mai 2011 • jurisprudence-automobile.fr
Art. 3.4 Les conventions entre assureurs et réparateurs prévoient
les conditions de leur modification.
Art. 3.5 En cas de désaccord persis­
tant et majeur sur l’évolution des
conditions prévues à la convention,
la position du réparateur est réexa­
minée par un autre interlocuteur
habilité par l’assureur à cet effet.
n 4. Sortie de la convention
Art. 4.1 Assureurs et réparateurs
peuvent mettre fin à la convention
en respectant un préavis effectif
dont la durée tient compte, notam­
ment, de l’importance et de la durée de la relation.
Ce préavis n’est pas dû en cas de
faute grave caractérisée de l’une des parties.
n 5. Révision de la charte
Art. 5.1 La présente charte peut être modifiée par accord des parties, notamment en cas de changement important des condi­
tions économiques.
Des représentants des parties se
rencontrent régulièrement afin
d’évoquer l’application de la charte
et son éventuelle modification.
Fait à Paris, le 14 mai 2008
Signataires : CNPA, FFSA, FNAA,
Gema, GNCR
1. Charte annexée à l’avis n° 08-02
de la Commission d’examen des pratiques
commerciales (CEPC) relatif aux pratiques
suivies dans les relations commerciales
entre assureurs et carrossiers réparateurs.