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1 Devoir de type bac OE : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVI° siècle à nos jours. Corpus : TEXTE A : Jean de La Bruyère, Les Caractères (1688) TEXTE B : Montesquieu, Lettres persanes, lettre 74, (1721) TEXTE C : Voltaire, Lettres philosophiques, 10 ° lettre sur le commerce, (1734) TEXTE D : Diderot, L’Encyclopédie, (1751-1780) TEXTE A : Jean de La Bruyère, Les Caractères (1688) La Bruyère propose une galerie de portraits. Un Pamphile est plein de lui-même, ne se perd pas de vue, ne sort point de l'idée de sa grandeur, de ses alliances, de sa charge, de sa dignité ; il ramasse, pour ainsi dire, toutes ses pièces1, s'en enveloppe pour se faire valoir ; il dit : Mon ordre, mon cordon bleu1 ; il l'étale ou il le cache par ostentation2. Un Pamphile en un mot veut être grand, il croit l'être ; il ne l'est pas, il est d'après un grand. Si quelquefois il sourit à un homme du dernier ordre, à un homme d'esprit, il choisit son temps si juste, qu'il n'est jamais pris sur le fait : aussi la rougeur lui monterait-elle au visage s'il était malheureusement surpris dans la moindre familiarité avec quelqu'un qui n'est ni opulent3, ni puissant, ni ami d'un ministre, ni son allié, ni son domestique. Il est sévère et inexorable à qui n'a point encore fait sa fortune. Il vous aperçoit un jour dans une galerie, et il vous fuit ; et le lendemain, s'il vous trouve en un endroit moins public, ou s'il est public, en la compagnie d'un grand, il prend courage, il vient à vous, et il vous dit : Vous ne faisiez pas hier semblant de nous voir. Tantôt il vous quitte brusquement pour joindre un seigneur ou un premier commis ; et tantôt s'il les trouve avec vous en conversation, il vous coupe et vous les enlève. Vous l'abordez une autre fois, et il ne s'arrête pas ; il se fait suivre, vous parle si haut que c'est une scène pour ceux qui passent. Aussi les Pamphiles sont-ils toujours comme sur un théâtre : gens nourris dans le faux, et qui ne haïssent rien tant que d'être naturels ; vrais personnages de comédie, des Floridors, des Mondoris. 1. Ses pièces, mon ordre, mon cordon bleu : il s’agit des titres du personnage 2. Il l’étale ou le cache par ostentation : il l’étale ou le cache, pour se faire remarquer 3. Opulent : très riche TEXTE B : Montesquieu, Lettres persanes, lettre 74, (1721) Usbek à Rica, à **** ll y a quelques jours qu'un homme de ma connaissance me dit : « Je vous ai promis de vous produire1 dans les bonnes maisons de Paris ; je vous mène à présent chez un grand seigneur qui est un des hommes du royaume qui représentent le mieux2. » « Que cela veut-il dire, monsieur ? est-ce qu'il est plus poli, plus affable qu'un autre ? » -Non, me dit-il. - Ah ! J'entends ; il fait sentir à tous les instants la supériorité qu'il a sur tous ceux qui l'approchent ; si cela est, je n'ai faire d'y aller ; et je la lui passe tout entière et je prends déjà condamnation,. Il fallut pourtant marcher ; et je vis un petit homme si fier, il prit une prise de tabac avec tant de hauteur, il se moucha si impitoyablement, il cracha avec tant de flegme, il caressa ses chiens d'une manière si offensante pour les hommes, que je ne pouvais me laisser de l'admirer. « Ah ! bon Dieu ! dis-je en moi-même, si lorsque j'étais à la course de la Perse, je représentais ainsi, je représentais un grand sot ! » Il aurait fallu, Rica, que nous eussions eu un bien mauvais naturel pour aller faire cent petites insultes à des gens qui venaient tous les jours chez nous nous témoigner leur bienveillance ; ils savaient bien que nous étions au-dessus d'eux ; et s'ils l'avaient ignoré, nos bienfaits le leur auraient appris chaque jour. N'ayant rien à faire pour nous faire respecter, nous faisions tout pour nous rendre aimables : nous nous communiquions3 aux plus petits ; au milieu des grandeurs, qui endurcissent toujours, ils nous trouvaient sensibles ; ils ne voyaient que notre coeur4 au-dessus d'eux ; nous descendions jusqu'à leurs besoins. Mais lorsqu'il fallait soutenir la majesté du Prince dans les cérémonies publiques ; lorsqu'il fallait faire respecter la Nation aux étrangers ; lorsque enfin, dans les occasions périlleuses, il fallait animer les soldats, nous remontions cent fois plus haut que nous n'étions descendus ; nous ramenions la fierté sur notre visage ; et l'on trouvait quelquefois que nous représentions assez bien. De Paris, le 10 de la lune de Saphar, 1715 1. 2. 3. 4. produire : introduire qui représente le mieux : qui est le plus représentatif nous nous communiquons : nous réservions un accueil aimable cœur : bonté 2 TEXTE C : Voltaire, Lettres philosophiques, 10 ° lettre sur le commerce, (1734) Dans les Lettres philosophiques, Voltaire fait l ‘éloge de la société anglaise. Aussi le cadet d’un pair du royaume1 ne dédaigne point le négoce. Milord Townshend, ministre d’État, a un frère qui se contente d’être marchand dans la Cité. Dans le temps que milord Orford gouvernait l’Angleterre, son cadet était facteur à Alep2, d’où il ne voulut pas revenir, et où il est mort. Cette coutume, qui pourtant commence trop à se passer, paraît monstrueuse à des Allemands entêtés de leurs quartiers3; ils ne sauraient concevoir que le fils d’un pair d’Angleterre ne soit qu’un riche et puissant bourgeois, au lieu qu’en Allemagne tout est prince; on a vu jusqu’à trente altesses du même nom n’ayant pour tout bien que des armoiries3 et une noble fierté. En France, est marquis qui veut; et quiconque arrive à Paris du fond d’une province avec de l’argent à dépenser, et un nom en ac ou en ille, peut dire: Un homme comme moi, un homme de ma qualité, et mépriser souverainement un négociant. Le négociant entend lui-même parler si souvent avec dédain de sa profession qu’il est assez sot pour en rougir; je ne sais pourtant lequel est le plus utile à un État, ou un seigneur bien poudré qui sait précisément à quelle heure le roi se lève, à quelle heure il se couche, et qui se donne des airs de grandeur en jouant le rôle d’esclave dans l’antichambre d’un ministre, ou un négociant qui enrichit son pays, donne de son cabinet des ordres à Surate4 et au Caire, et contribue au bonheur du monde. 1. Un pair du royaume : un noble anglais 2. Facteur à Alep : directeur du bureu d’une compagnie de commerce à l’étranger 3. Quartiers, armoiries : ensemble de signes attestant la noblesse d’une famille 4. Surate : port de l’Inde TEXTE D : Diderot, L’Encyclopédie, (1751-1780) COUR (Histoire moderne & anc.) c’est toujours le lieu qu’habite un souverain ; elle est composée des princes, des princesses, des ministres, des grands, & des principaux officiers. Il n’est donc pas étonnant que ce soit le centre de la politesse d’une nation. […] J’oserais presqu’assurer qu’il n’y a point d’endroit où la délicatesse dans les procédés soit mieux connue, plus rigoureusement observée par les honnêtes gens, et plus finement affectée par les courtisans. L’auteur de l’Esprit des Lois1 définit l’air de cour, l’échange de sa grandeur naturelle contre une grandeur empruntée2. Quoiqu’il en soit de cette définition, cet air, selon lui, est le vernis séduisant sous lequel se dérobent l’ambition dans l’oisiveté, la bassesse dans l’orgueil, le désir de s’enrichir sans travail, l’aversion pour la vérité, la flatterie, la trahison, la perfidie, l’abandon de tout engagement, le mépris des devoirs du citoyen, la crainte de la vertu du prince, l’espérance sur ses faiblesses, etc. , en un mot la malhonnêteté avec tout son cortège, sous les dehors de l’honnêteté la plus vraie ; la réalité du vice toujours derrière le fantôme de la vertu. Le défaut de succès fait seul dans ce pays donner aux actions le nom qu’elles méritent ; aussi n’y a-t-il que la maladresse qui y ait des remords. 1. L’auteur de L’Esprit des Lois : Montesquieu 2. Empruntée : artificielle I Vous répondrez à la question suivante (4 points) Quelle image de la noblesse est donnée dans les textes du corpus et comment ? II Travaux d’écriture (16 points) 1. Commentaire Vous ferez le commentaire du texte de La Bruyère (document A) 2. Dissertation Dans son introduction aux romans et aux contes de Voltaire, René Pommeau juge que ces textes sont à la fois « légers mais consistants » . En étendant cette remarque à toutes les formes d’apologue, vous expliciterez ce point de vue et vous lui apporterez des objections si vous le jugez nécessaire. Vous vous appuierez sur les textes du corpus, ceux étudiés en classe et sur vos lectures personnelles. 3. Ecriture d’invention Imaginez qu’un étranger, venu d’un pays lointain et ignorant notre civilisation, fasse un voyage dans notre pays. Composez la lettre qu’il envoie à un ami resté dans son pays (que vous préciserez). Il raconte quelques unes de ses aventures et dresse le portrait critique de certaines personnes « étranges » rencontrées. Vous aurez soin d’inclure dans votre texte du discours direct et de rendre sensible, par le pittoresque des remarques et descriptions, la naïveté dénonciatrice de l’auteur de la lettre.