Notre réponse à la consultation

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Notre réponse à la consultation
CONFEDERATION SUISSE
Office fédéral de la justice
Unité Droit civil et procédure civile
3003 BERNE
Paudex, le 19 novembre 2010
SB/ra
Consultation fédérale
Révision partielle du Code des obligations – Intérêt moratoire
Madame, Monsieur,
Nous avons pris connaissance du projet cité en référence et, comme nous le faisons
habituellement lors d’une procédure de consultation, nous prenons la liberté de vous
communiquer ci-après notre position.
I.
Généralités
Par la motion parlementaire intitulée « Sanctionner les mauvais payeurs » déposée le 20 mars 2008 (n° 08.3168), le Parlement a de mandé au Conseil fédéral de
réviser l’art. 104 du Code des obligations (CO). La réforme, maintenant mise en
consultation par le Département fédéral de justice et police (DFJP), consiste
principalement en un relèvement à 10% du taux de l’intérêt moratoire pour les
commerçants (nouvel alinéa 2 de l’art. 104 CO), contre 5% actuellement.
Le débiteur privé, qui est mis en demeure pour le paiement d’une somme
d’argent, continue, en revanche, à être soumis à un intérêt moratoire de 5%, l’art.
104 al. 1 CO restant inchangé dans le projet de réforme.
Nous relevons encore que la révision de l’art. 104 CO biffe, sans remplacement,
l’actuel alinéa 3 qui énonce qu’entre commerçants, l’intérêt moratoire peut être
calculé aux taux de l’escompte tant que l’escompte dans le lieu du paiement est
d’un taux supérieur à 5%. Le DFJP justifie la disparition de cette disposition par
le fait qu’elle n’a été que très rarement utilisée en pratique.
II.
Appréciation des motifs avancés pour la révision partielle du CO
1)
Un taux d’intérêt moratoire de 10% entre commerçants
L’art. 104 al. 1 CO en vigueur prévoit que « le débiteur qui est en demeure
pour le paiement d’une somme d’argent doit l’intérêt moratoire à 5% l’an,
même si un taux inférieur avait été fixé pour l’intérêt conventionnel ».
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Il mérite d’être souligné d’emblée qu’un autre taux d’intérêt, supérieur ou inférieur, peut être convenu par accord contractuel (ATF 117 V 349). Le CO
se fonde en effet généralement sur le principe de la liberté contractuelle
(voir notamment art. 1, 11 et 19 CO). A l’instar de l’art. 104 CO actuel, la
réforme proposée préserve la liberté des parties de convenir d’un intérêt
moratoire plus ou moins élevé, voire de l’indexer sur un taux directeur.
Cette liberté est opportune en ce qu’elle laisse à l’entrepreneur la faculté de
fixer un intérêt moratoire en fonction de la qualité de la relation qu’il entretient avec son client.
Néanmoins, la ratio legis de l’art. 104 CO consiste à indemniser le créancier sous la forme d’un intérêt moratoire parce qu’il a été privé d’une
somme d’argent qui lui était due (ATF 130 II 591, 596). En effet, cette disposition repose sur l’idée qu’en cas de demeure du débiteur dans le paiement d’une somme d’argent, le créancier subit une perte et le débiteur en
tire un avantage indu, raison pour laquelle celui-ci doit lui payer davantage
que le capital dû. En outre, le créancier peut obtenir que le débiteur lui paie
l’intérêt moratoire sans avoir à prouver une perte ou une faute du débiteur.
En conséquence, l’intérêt moratoire consiste principalement en une indemnisation forfaitaire (voir La défaillance de paiement, Bénédict Foëx (s. la
dir.), Editions Universitaires de Fribourg, Fribourg, 2002, p. 31-33 ainsi que
ATF 130 III 591, 599).
Or, depuis quelques années, on constate une dégradation sensible des
pratiques de paiement des entreprises. D’après le rapport explicatif du
DFJP, ce sont surtout les grandes entreprises et les autorités publiques –
donc plutôt de puissants acteurs économiques – qui ont tendance à payer
leurs factures avec du retard, tandis que les petites et moyennes entreprises (PME) sont plus souvent parmi les victimes de ce phénomène. Renseignements pris, les PME envoient fréquemment des rappels de factures à
leurs clients sans pour autant faire courir les intérêts moratoires ou ils vont
jusqu’à renoncer à des démarches de recouvrement ou de poursuites de
crainte de perdre de futurs mandats. Enfin, la demande d’un intérêt moratoire génère parfois des frais administratifs qui, vu la faible somme de
l’intérêt exigible, ne valent pas la peine d’être engagés.
Vu que l’intérêt moratoire fixé par l’art. 104 CO pour les débiteurs en demeure est en général devenu inférieur à l’intérêt dû pour un découvert sur
un compte courant ou au taux usuel sur le marché pour un crédit bancaire,
le débiteur épargne, par le règlement en retard des factures impayées, les
coûts qu’il devrait supporter pour se procurer les liquidités nécessaires au
paiement de sa facture.
Tenant compte de ces considérations, le projet de révision de l’art. 104 al.
2 CO propose d’augmenter l’intérêt moratoire entre commerçants à un taux
tel qu’il poussera le débiteur à exécuter son obligation pécuniaire avant
d’être mis en demeure – ou au moins aussi rapidement que possible – car
ne pas s’acquitter de sa dette lui reviendra plus cher que de se procurer les
liquidités nécessaires sur le marché des capitaux.
Il faut enfin se souvenir que cet intérêt a d’autant plus de chance d’être efficace s’il comporte un élément de pénalisation. Il ne devrait donc pas suivre
l’évolution des taux usuels sur le marché financier mais être suffisamment
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élevé – donc supérieur au taux du marché – pour que le débiteur soit incité
à payer rapidement sa dette.
Même si le relèvement du taux d’intérêt moratoire ne peut s’avérer que
d’une utilité relative s’agissant des créances à recouvrer auprès d’un client
en cours de relation commerciale (étant donné que son application risquerait de mettre en danger la continuation de cette relation), la réforme a toutefois sa raison d’être lorsqu’une PME arrive à la fin d’une relation commerciale avec un client et qu’elle a besoin de moyens de pression efficaces
afin de recouvrer ses créances.
Enfin, puisqu’il ne doit généralement pas y avoir de prime pour le mauvais
payeur, nous considérons un taux d’intérêt moratoire de 10% entre commerçants comme adéquat, sachant que les parties contractantes restent libres d’y déroger conventionnellement.
2)
L’intérêt moratoire à payer par les autorités publiques
En principe, l’intérêt moratoire est également dû dans les transactions régies par le droit public fédéral ou cantonal. Soit son montant est régi par
une législation spéciale, soit par l’art. 104 CO, à titre subsidiaire. Cependant, en matière d’acquisition de biens et de services par la Confédération,
ni la loi fédérale sur les marchés publics ni son ordonnance d’exécution ne
contiennent de règles concernant l’intérêt moratoire qu’elle devrait payer en
cas de retard de paiement. Quant aux Conditions générales de la Confédération relatives à l’achat de biens, elles fixent généralement à l’adjudicateur
un délai de paiement dans les trente jours après réception des biens (art.
3.3). Mais elles ne contiennent pas de clause sur l’intérêt moratoire; en revanche, elles font un renvoi subsidiaire au CO (art. 10.1). Les Conditions
générales de la Confédération relatives à l’achat de services prévoient un
délai de paiement dans les 30 jours à compter de la date de réception de la
facture (art. 3.3). Mais, à nouveau, il n’y a pas de règle quant à un éventuel
retard de paiement de la part de la Confédération; mais une mention est
faite à l’application subsidiaire du CO (art. 12.1).
D’après le Conseil fédéral, l’application subsidiaire du CO lors d’un retard
de paiement par la Confédération signifie qu’elle doit payer l’intérêt moratoire de 5% selon l’art. 104 al.1 CO, soit parce qu’il n’est pas possible
d’apporter la preuve du taux d’escompte pertinent (suivant l’actuel art. 104
al. 3 CO), soit parce qu’il ne s’agit pas d’une vente commerciale (rapport
explicatif, p. 16). Etant donné que les ventes aux pouvoirs publics sont en
général non commerciales au sens strict du CO, car la Confédération, les
cantons et les communes ne font normalement pas de transactions dans
des buts de revente, le Conseil fédéral estime dans son rapport que
l’augmentation de l’intérêt moratoire à 10% « en matière de commerce »
(art. 104 al. 2 CO nouveau) ne s’appliquera pas aux pouvoirs publics.
Nous relevons cependant que le Conseil fédéral constate lui-même dans le
rapport explicatif que « ce sont surtout les grandes entreprises et les autorités qui ont tendance à payer leurs factures avec un certain retard, tandis
que les PME sont plus souvent des victimes de ce phénomène » (rapport,
p. 3; c’est nous qui faisons la mise en évidence par italique). Les pouvoirs
publics ne sont à coup sûr pas des acquéreurs de biens et de services
comparables aux ménages privés; vu leur pouvoir d’achat, ils sont plutôt
comparables aux grandes entreprises même s’ils ne font pas d’acquisitions
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« commerciales » au sens étroit du terme. C’est pourquoi, un pan important
de la doctrine juridique estime « qu’en matière de créance de droit public,
les intérêts moratoires ne sont pas nécessairement arrêtés au taux de 5%
prévu par la loi civile, mais qu’ils doivent être fixés en tenant compte des
circonstances sur le marché de l’argent » (voir par Pierre Engel, Traité des
obligations en droit suisse, Dispositions générales du CO, Editions Staempfli, Berne, 1997, p. 692). En outre, les auteurs du Commentaire romand du
CO considèrent « qu’est aussi conclu ‘entre commerçants’ le contrat entre
un commerçant et une corporation ou un établissement de droit public dans
la mesure où ladite entité agit de la même manière que le ferait un particulier ou une entreprise commerciale (mandant, acheteur, etc.) » (Luc Thévenoz et Franz Werro (édit.), Code des obligations I, Commentaire, Editions
Helbing & Lichtenhahn, Bâle etc., 2003, p. 623).
En définitive, vu l’importance des marchés publics pour de nombreuses
petites et moyennes entreprises en Suisse et le rapport de force inégal entre elles et les pouvoirs publics lors d’un manque de discipline de paiement
par ces derniers, nous estimons que l’intérêt moratoire de 10%, qui vaudra
à l’avenir entre entreprises, devrait également s’appliquer aux pouvoirs publics lorsqu’ils acquièrent des biens et des services. En conséquence, il serait souhaitable que « la Confédération et les cantons prévoient une réglementation particulière de l’intérêt moratoire, soit en adaptant les lois et les
ordonnances de droit public, soit en établissant leurs conditions générales », comme le suggère le rapport explicatif du Conseil fédéral (voir p. 16),
soit en faisant subsidiairement référence au nouvel art. 104 al. 2 CO et non
plus à l’art. 104 al. 1 CO.
3)
La proposition d’un taux d’intérêt moratoire fixe et non variable
Le taux d’intérêt moratoire prévu actuellement aux alinéas 1 et 2 de l’art.
104 CO ne tient pas compte des fluctuations des taux d’intérêts liés au
marché (ATF 130 III 312).
Le projet de réforme de l’art. 104 CO continue à prévoir, tant pour les particuliers (al. 1) que pour les commerçants (al. 2), un taux d’intérêt moratoire
fixe.
Bien qu’un taux d’intérêt moratoire variable présente l’avantage de refléter
fidèlement l’évolution des taux directeurs, un taux d’intérêt moratoire fixe
annuel a le mérite d’être clair, facile à comprendre et à calculer – et générant donc peu de frais administratifs – lorsqu’il faut le facturer concrètement. De plus, les intérêts moratoires, de part leur nature, doivent souvent
être calculés rétroactivement. L’utilisation de plusieurs taux pour plusieurs
périodes rend le calcul d’un intérêt exigible compliqué et difficilement gérable pour les PME. L’introduction d’un système de taux d’intérêt variable impliquerait donc des démarches comptables supplémentaires non souhaitées par les entreprises, voire parfois complexes pour des entités ne disposant pas forcément de service de comptabilité étoffé.
En outre, un taux d’intérêt moratoire fixe répond, grâce à sa stabilité dans
le temps, mieux à l’exigence de la sécurité juridique qu’un taux variable, qui
par définition est évolutif.
Pour ces motifs de clarté, de simplicité pratique et de sécurité juridique,
nous considérons, de même que les acteurs économiques qui ont répondu
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à notre consultation interne, que la réglementation actuelle, soit un taux
d’intérêt moratoire fixe et non variable, doit rester inchangée.
4)
Le maintien d’un taux d’intérêt moratoire de 5% pour les non-commerçants
Finalement, il faut encore signaler que l’art. 104 al. 1 CO révisé sauvegarde
pour les transactions avec les personnes particulières le taux d’intérêt moratoire à 5%.
Nous relevons que l’art. 104 al. 1 CO reste également à l’avenir de nature
dispositive, et que les parties au contrat, dont l’une au moins est un noncommerçant, conservent l’entière liberté de prévoir un taux d’intérêt moratoire différent du minimum légal – en pratique il est d’ailleurs souvent supérieur – ou de recourir à d’autres solutions sous la forme de frais de rappel
ou de peines conventionnelles.
Par conséquent, le maintien dans le CO d’un intérêt moratoire à 5%, qui est
de droit dispositif, peut être admis pour les débiteurs non-commerçants.
Sous réserve des remarques et suggestions développées dans la présente, nous approuvons la révision partielle du Code des obligations telle que proposée par le Conseil
fédéral.
Nous vous remercions de l’attention que vous porterez à ce qui précède et vous prions
d’agréer, Madame, Monsieur, nos salutations distinguées.
CENTRE PATRONAL
Stéphane Bloetzer