La Birmanie en Asie : un voisin pas si gênant
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La Birmanie en Asie : un voisin pas si gênant
Si la Birmanie / Myanmar est associée en Europe et plus largement dans le monde occidental à une dictature abominable qui asphyxie et réprime les aspirations démocratiques de son peuple, il en est autrement en Asie où la junte au pouvoir trouve des partenaires à la fois compréhensifs et désireux de nouer des relations « d’intérêt mutuel ». Ce qui signifie que depuis 1988 au moins (après des manifestations estudiantines réclamant la démocratie et achevées dans le sang, le général Ne Win est déposé et le SLORC instauré), les malentendus s’accumulent, laissant au final les pays occidentaux dans un dilemme inconfortable dont ils ne parviennent pas à sortir. 71 boulevard Raspail 75006 Paris - France Tel : +33 1 75 43 63 20 Fax : +33 9 74 77 01 45 www.centreasia.org [email protected] siret 484236641.00029 A chaque nouvelle crise, et les événements en 2007 et 2008 ont fourni de multiples opportunités, les pays européens, sur une base nationale ou à partir de l’Union européenne, tentent de reprendre la main pour renouer un dialogue sans lâcher sur l’essentiel de leurs principes : à chaque fois, ils se voient opposés un refus, plus ou moins virulent selon les circonstances : refus irrévocable en août/septembre 2007 et refus sous condition lors du drame humain provoqué par le cyclone Nargis en mai 2008. Si le cas de la Birmanie est à ce point sensible en Occident, c’est qu’il nous renvoie à une double question. La première concerne le bien-fondé de nos Asia Centre Conference series Sophie Boisseau du Rocher, Chercheur Asia Centre à Sciences Po Janvier 2009 étude La Birmanie en Asie : un voisin pas si gênant méthodes : comment expliquer que les messages que nous diffusons se heurtent à un mur d’indifférence qui se retourne contre ses promoteurs ? La seconde a trait au fondement même du message : car c’est bien l’universalité des droits de l’Homme que les pays asiatiques prétendent contester. La Birmanie est le terrain test le plus exposé, voire le plus anodin : à ce titre, son ancrage en Asie est révélateur d’une contestation plus diffuse qui relativise proportionnellement l’influence occidentale dans cette partie du monde. Ce qui est clairement lisible, c’est que la Birmanie / Myanmar est de plus en plus ancrée en Asie (I) et qu’elle devient même un enjeu pour ses voisins (II). Dans ce contexte de connivence implicite, la question est objectivement posée : faut-il « abandonner » la Birmanie à l’Asie ? et si la réponse est négative, quelle politique adopter ? I. La Birmanie / Myanmar : un pays ancré en Asie Peuplée de 54 millions d’habitants et composée de plus d’une centaine d’ethnies (bamar à 68 % mais aussi shan, karen, môn, rakhine, chin, naga…), la Birmanie (678 000 km2 soit une superficie 20 % supérieure à la France) partage ses frontières avec le Bangladesh et l’Inde à l’ouest, la Chine, le Laos et la Thaïlande au nord et à l’est. Cette proximité avec les grands pays d’Asie et son positionnement géo-stratégique à l’entrée du détroit de Malacca (1930 kms de côtes sur le golfe du Bengale) donne à ce pays une valeur incontestable. Mais ce n’est pas le seul car la Birmanie est aussi un pays richement doté en ressources naturelles (bois, hydrocarbures, or, pierres précieuses), autant de matières premières qui intéressent directement ses voisins et dont, nous le verrons, elle tire de grands profits. Dans un contexte économique très consommateur de ressources (notamment énergétiques), l’argument de l’offre / demande prime sur toute autre considération. Que la Birmanie, au nom de ce double intérêt, se rapproche de ses voisins, n’est pas la seule raison. Il y a, dans la xénophobie birmane, des relents historiques mal assimilés et que la junte au pouvoir instrumentalise à bon compte. A. Une relation compliquée à l’Occident Pour comprendre la valeur symbolique (et habilement instrumentalisée) des rapprochements avec ses voisins asiatiques, un détour par l’histoire n’est pas inutile car ces rapprochements ne se font ni sur un terrain, ni sur une histoire neutres. La Birmanie entretient une relation difficile, heurtée, avec l’Occident, qui n’est pas sans rappeler celle du « traumatisme initial » de la Chine avec ces mêmes puissances occidentales. Quand les Anglais s’intéressent à la Birmanie au début du 19ième siècle, c’est d’abord pour protéger leur conquête indienne face aux « velléités d’expansion » birmanes en direction du Bengale. Ils s’allient alors avec les Siamois pour mener la première guerre (1824 – 1826) qui aboutira à la perte des territoires de l’Assam, de l’Arakan, du Manipur et du Tenasserim (traité de Yandabo). Premier ressentiment donc avec cette annexion de territoires. Londres convoite ensuite les ressources naturelles et le positionnement géo-stratégique du royaume, formidable relais entre l’empire d’Inde et l’entrepôt de Singapour (deuxième guerre en 1852). Deuxième ressentiment avec cette annexion fonctionnelle qui cassera les dynamiques de modernisation endogènes en prétendant introduire la modernité occidentale. La tactique utilisée est celle de l’affaiblissement politique via la monarchie : en trente ans et trois rois (de 1852 à 1885), les Britanniques modifient profondément les équilibres politiques traditionnels et touchent, maladroitement et avec arrogance, au cœur même de l’identité birmane (le roi étant le dispensateur sacré de l’ordre bouddhique) : le souverain seul avait l’autorité religieuse, morale et politique de représenter la nation. Au terme de la troisième guerre anglo-birmane (1885), et après avoir semé la confusion au sein de la famille royale (le dernier roi fera assassiner 80 membres de sa propre famille), l’annexion est proclamée et la monarchie, fondement d’une unité nationale composite et implexe, est abolie. Londres « propose » au dernier monarque (Thibaw Min) refuge en Inde. D’ailleurs, la Birmanie devient une province de l’empire des Indes. Le sentiment anti-colonial trouve ses racines dans cette annexion à trois ricochets, humiliante et douloureuse : rien d’étonnant à ce que les premiers nationalistes se réclament du bouddhisme, accusant les Britanniques d’avoir « encouragé son déclin ». La Birmanie ne s’est toujours pas remise de cette perte de repères et ce n’est pas un hasard si les moines occupent aujourd’hui une influence importante, mais difficilement quantifiable, sur l’échiquier politique. Reprenant la tactique de la division, les Anglais affaiblissent les forces nationalistes, entaillant un peu plus profondément la construction stato-nationale. Les Anglais accordent l’indépendance (janvier 1948) en laissant le jeune Etat dans une crise d’identité durable. La mise en place d’un schéma démocratique (régime parlementaire et fédéral) ne traite pas des problèmes de fond, notamment la question de l’irrédentisme et de l’hétérogénéité du pays. A la mort d’Aung San, dirigeant doué d’un charisme unificateur et assassiné par un rival le 19 juillet 1947, les contestations internes reprennent. Le constat est amer : en favorisant la segmentation, ni les Britanniques, ni le mode démocratique n’ont défendu l’unité nationale et le processus de construction étatique. Le ressentiment est à ce point virulent que la Birmanie refuse de rejoindre le Commonwealth. L’armée se fera l’écho de cette fierté nationale en « reposant l’assise nationale » et en réactivant une fierté nationale bafouée ; le changement de nom décrété en 1989, voire le changement de capitale (Naypyidaw ou « ville royale » a remplacé Rangoon, création britannique en 2005), s’inscrit dans cette démarche. L’opposition et la résistance à l’Occident (incarné en l’occurrence par la Grande-Bretagne et son « idéologie démocratique dominatrice »), clairement manipulées de nos jours, s’expliquent aussi par cette histoire trop souvent négligée. Très vite, les malentendus se sont accumulés. Les maladresses à l’égard de la Birmanie, des pressions et sanctions mal ciblées, voire caricaturales (parce que destinées d’abord aux opinions publiques occidentales) aux déclarations intempestives pour « défendre les moines et toute la population avec eux !», ajoutent aux ressentiments et alimentent un certain dédain du côté du pouvoir, et de vraies frustrations du côté de la société civile. L’ostracisme et l’intransigeance de l’Occident, perçus comme l’avatar d’un comportement colonial déplacé, donnent un ton manichéen à une réalité déjà suffisamment lourde pour la population, l’enfermant du même coup dans un débat qui ne règle rien. Les cohérences sont plus naturelles, plus souples avec les voisins asiatiques, moins enclins au bras-de-fer. B. Des pays asiatiques pro-actifs Cette résistance et cette méfiance à l’égard d’un Occident donneur de leçon sont partagées ailleurs en Asie : la Birmanie n’est donc pas isolée dans cette configuration et trouve chez certains voisins une sympathie et une compréhension non feintes : on pourrait même soutenir l’idée que des Etats comme 2 la Chine, le Viêt Nam, voire la Malaisie ne sont pas mécontents de l’incapacité, voire de l’impuissance symbolique, de l’Occident dans cette affaire. On constate donc une entente tacite, voire une convergence d’intérêts, entre la Birmanie et ses voisins : au-delà du fait qu’ils ne croient pas complètement à la pertinence des valeurs universelles, les pays asiatiques n’ont pas intérêt à ce que les seules pressions occidentales y soient la cause de changements politiques majeurs ; les entraver pour les minorer fait partie d’un jeu plus global. En quelque sorte, la Birmanie fait fonction de micro-test qui a valeur d’avertissement sur la résistance régionale aux normes exogènes. Cette entente a toutefois d’autres fondements plus sérieux que la seule mobilisation anti-occidentale : une culture politique hiérarchique, le positionnement prégnant de l’Armée dans les rouages et systèmes décisionnels publics, une idéologie nationaliste entretenue par un parti dominant (voire monopolistique), une opposition muselée ; les points de similitude sont avérés. Sur le coup, le dialogue est facile, d’autant plus aisé d’ailleurs que le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures (principe mis en place par l’ASEAN dès sa création) a été élevé au rang de principe fondateur des dynamiques d’intégration en Asie orientale. relation « fraternelle » (Martin Stuart-Fox rappelle dans un article éclairant la perception birmane des « grands frères chinois », faite à la fois de respect hiérarchique mais aussi de méfiance contenue) et polymorphe (Pékin s’est donné les moyens de jouer sur plusieurs registres et de tenir plusieurs discours simultanément): les visites amicales succèdent aux rencontres « au plus haut niveau » (politique, militaire et technique) mais aussi au niveau local (maires, comités agricoles…). Deng Xiaoping est à Rangoon dès 1978 et évoque déjà la coopération à venir ; Wen Jiabao est en contact régulier avec son homologue Thien Sein. Toute la palette des arguments est mise en œuvre, conviction, intimidation, collusion, chantage (on notera qu’au veto opposé par la Chine au Conseil de Sécurité en janvier 2007 a suivi la signature d’un important contrat gazier) : aujourd’hui, la Chine est incontestablement le partenaire le plus chevronné et le plus proche des autorités birmanes. La Chine enserre la Birmanie dans une toile relationnelle à la fois très serrée et souple dont le maître mot est stabilité. Dans la pratique, aucune évolution déterminante ne se fera si elle menace les intérêts de Pékin (qui l’aura empêchée de façon préemptive). La conduite des Affaires étrangères de la junte birmane ne doit rien au hasard : elle est même très habilement orchestrée pour poursuivre les intérêts du régime en place et empêcher une déstabilisation extérieure. Le régime birman n’est pas un régime « aux abois ». On a évoqué le nationalisme ombrageux de la Birmanie. Coincée entre deux géants, ce nationalisme s’explique aisément par la volonté d’échapper aux ambitions piquantes de ces « cactus » (selon l’expression du Premier ministre U Nu). Il justifie, depuis plusieurs siècles, la recherche presque systématique de contrepoids équidistants entre l’un et l’autre. C’est donc naturellement que Rangoon a accepté la reprise de contacts initiée par New Delhi au début des années 1990 quand l’Inde eut compris que son soutien aux « représentants de la démocratie birmane » avait laissé le champ libre à Pékin et que précisément, cet « alignement dominant » pesait à Rangoon. Les généraux birmans, face à deux voisins demandeurs, jouent naturellement l’un contre l’autre pour « faire monter les enchères » : les liens avec l’Inde sont réactivés. Le premier Etat à avoir affiché son soutien à Rangoon après la période d’autarcie et d’isolationnisme calculé (1962 – 1988) a été, ce n’est pas une surprise, la Chine : la Birmanie de U Nu avait été le premier Etat en dehors du bloc communiste à reconnaître le nouveau régime à Pékin en 1949 et la Chine de Deng aura proposé la signature d’un accord commercial transfrontalier en août 2008. Plusieurs raisons incitent Pékin à normaliser cette relation après les spasmes et les froids diplomatiques post révolution culturelle. D’abord, valoriser une connivence politique, notamment après le printemps de Tien An Men, quand la Chine a été ostracisée par les pays occidentaux. Cette connivence a indubitablement donné aux généraux birmans l’aplomb pour refuser le résultat des élections de mai 1990. Ensuite, instrumentaliser l’opportunité maritime des côtes birmanes ouvertes à la fois sur l’océan Indien et sur le détroit de Malacca. L’enjeu dépasse clairement la seule relation avec la Birmanie et s’inscrit dans une relation de partenariat / rivalité avec l’Inde, voire de prise en tenaille de l’Asie du Sud-est. Enfin, donner au Yunnan et au Sichuan, régions chinoises enclavées, une sortie naturelle vers le Sud en valorisant les infrastructures birmanes. Tout est mis en place pour alimenter cette Soucieuse d’être crédible dans l’initiative de « Look East Policy » lancée par le Premier ministre Narashimha Rao et de rapprochement avec l’ASEAN, récemment rejointe par la Birmanie (1997) qui représente pour New Delhi la porte d’entrée de l’Asie du Sud-est, soucieuse aussi de limiter l’influence chinoise dans le golfe du Bengale (dès 1992, des informations sur les activités de renseignement chinoises dans les îles Coco, en face des Andaman indiennes, circulent), l’Inde envoie à Rangoon des personnalités bien en vue (dont les ministres des Affaires étrangères (2001,2002, 2005), les chefs d’Etat-major, le vice-Président (2003) et le Président (2006) de la République indienne) et accueille les principaux dirigeants birmans (le général Maung Aye en 2000, le général Than Shwe en 2004, le ministre de la Défense en 2006, le ministre des Affaires étrangères Nyan Win en janvier 2008). Lors des événements de 2007, New Delhi s’est contenté de déclarations bien accommodantes : « nous souhaitons que les parties en présence règlent leur différend par des moyens pacifiques. L’Inde a toujours cru que le Myanmar devait conduire son processus de réformes politiques sur une base élargie » a déclaré, sans risque, le 26 septembre, le porte-parole du gouvernement. Sur cette base explicite et non négociable, les rapprochements ont été réactivés depuis vingt ans au point de fournir à la Birmanie une alternative suffisante pour dédaigner les pressions occidentales : ses voisins ont même intérêt à vérifier sur ce terrain les contradictions occidentales pour mesurer leur propre marge de manœuvre. 3 La relation indo-birmane n’est pas aussi simple que la relation sino-birmane : même évacué, le paramètre démocratique projette son ombre. Il s’agit plus d’une alliance opportune que d’un partenariat équivalent à celui développé avec les Chinois. Autre pole diplomatique de proximité auquel s’intéresse logiquement la Birmanie : l’Asie du Sud-est. Là aussi, les convergences sont concomitantes. Pendant les vingt premières années de son existence, l’ASEAN et les cinq pays fondateurs ne se sont pas beaucoup intéressés à la Birmanie : le régime autarcique et « la voie birmane vers le socialisme » mis en place par le général Ne Win n’incitaient pas, il est vrai, aux rapprochements et le règlement du conflit cambodgien constituait une priorité. Mais une fois les accords de Paris signés (1991) et la dynamique de réconciliation régionale en route, les pays d’Asie du Sud-est ont repris des liens diplomatiques qui n’avaient d’ailleurs jamais été rompus, seulement mis en sourdine. Le changement de régime à Rangoon avait également modifié la donne en mettant un terme à l’autarcie : ce n’était donc pas la nature « militaire » du régime birman (Ne Win à l’époque) qui constituait un frein diplomatique (à l’époque, Thaïlande, Indonésie, voire Philippines dans une moindre mesure, étaient aussi sous des régimes militaires) mais ses options isolationnistes, qui ont donc cessé avec l’arrivée du SLORC (State Law and Order Restoration Order) en septembre 1988. Comme l’Inde, les pays d’Asie du Sudest ont agité la menace d’une dépendance exclusive sur Pékin, piquant au vif un nationalisme que l’on a déjà caractérisé d’ombrageux. Ils ont aussi évoqué la menace d’encerclement qui effraie les généraux. En outre, l’Asie du Sud-est entend rappeler à l’Inde et à la Chine que la Birmanie est encore « sur son terrain » : une situation d’affaiblissement régional pourrait susciter une concurrence exacerbée entre l’Inde et la Chine dont l’Asie du Sud-est ferait directement les frais. Le pays le plus actif est évidemment le voisin thaïlandais, qui, outre une relation économique particulièrement dynamique (pour « développer les interdépendances » notamment dans un contexte de forte croissance qui nécessite des approvisionnements énergétiques sécurisés), a initié la diplomatie de « l’engagement constructif » dont un des objectifs était de montrer aux pays occidentaux qui exerçaient à cette période une pression en matière de démocratisation que l’ASEAN prônait d’autres méthodes, moins confrontationnelles. Le général Chavalit, alors chef d’Etat-major, est le premier dignitaire d’Asie du Sud-est à se rendre à Rangoon en 1988 pour négocier de juteux contrats. La relation entre les deux voisins (qui partagent 2 400 kms de frontière) est ancienne et complexe : elle ne se limite pas aux seuls intérêts des régimes en place mais lie des hommes, des cultures, une histoire faite de rapprochements mais aussi d’hostilité (par deux fois au 18ième siècle, les rois birmans ont détruit la capitale siamoise d’Ayudhya). Là aussi, les visites se succèdent pour gérer un large éventail de questions qui vont de la gestion des migrations et des drogues au respect des principes de base de l’ASEAN. Toutefois, la relation reste sensible comme l’ont montré les tensions frontalières en 1994 et 2001 qui ont failli dégénérer (Bangkok avait été accusée par Rangoon de soutenir des groupes ethniques irrédentistes, accusation aujourd’hui levée puisque les minorités ont déposé les armes en 2004). Le Myanmar est considéré comme une source d’insécurité à l’impact direct sur la stabilité thaïe. L’arrivée au pouvoir de Thaksin en 2001 a « renormalisé » les relations après l’intermède démocratique de Chuan Leek Pai (1997 – 2001) et le Premier ministre a eu à cœur de « construire une relation de confiance et d’amitié ». Sur le fond, les Thaïlandais souhaiteraient conseiller leurs voisins sur la mise en place d’une « feuille de route vers la réconciliation et la démocratie » : Thaksin s’était d’ailleurs personnellement impliqué dans ce processus (une façon aussi de désamorcer les critiques émanant des nombreuses ONG basées en Thaïlande). Ses successeurs au pouvoir n’ont pas remis en cause cette ligne de conduite : Samak s’est rendu à Naypyidaw en mars 2008, critiquant une opinion occidentale « qui ne comprend pas la religion bouddhiste ». Le général Thein Sein lui a rendu sa visite en avril de la même année. Singapour a une position ambivalente : entre les pressions occidentales (américaines) auxquelles les autorités sont sensibles, les intérêts économiques et financiers qui ne sont pas neutres (des rumeurs persistantes affirment que le centre financier de l’île-Etat servirait à blanchir des fonds douteux de quelques dirigeants corrompus qui viennent aussi se faire soigner dans l’île-Etat), et le souci d’accommodation avec le régime politique et ses parrains chinois, la marge de manœuvre est étroite. Lee Kuan Yew, Goh Chok Tong et le Premier ministre actuel Lee Hsien Loong se déplacent régulièrement à Rangoon pour maintenir des « relations cordiales » ; le ton de leurs discussions n’a certainement rien à voir avec les déclarations publiques, indignées mais impuissantes, du ministre des Affaires étrangères qui avait déclaré « avoir été choqué par la violence de la junte à l’égard des manifestants et demandé que cesse la violence » alors que Singapour occupait la présidence tournante de l’ASEAN (juillet 2007 – 2008) ; des déclarations que les medias occidentaux avaient trop hâtivement interprétées comme la « fin du principe de non-ingérence ». La Malaisie suit la même stratégie ambivalente : les délégations ministérielles se succèdent (la grande entreprise nationale Petronas a des intérêts bien compris), Kuala-Lumpur défend son partenaire dans différents forums internationaux (comme au BIT où Singapour et Malaisie ont tenté de reporter les sanctions sur la Birmanie) et simultanément, émet des déclarations outrées « sur les méthodes de la junte » ; là aussi, la motivation semble être d’ordre interne, l’opposition du DAP (le Parti de l’Action Démocratique) et celle du PKR (le Parti de la Justice du Peuple) réclamant plus de « respect des droits de l’Homme ». Son ancien représentant à l’ONU, Razali Ismail, a été, jusqu’en 2005, l’envoyé spécial de l’ONU en Birmanie. L’Indonésie enfin, et notamment l’Armée qui joue la carte de la « proximité amicale » avec son homologue birmane (à laquelle elle aurait inspiré la doctrine de la « double fonction », dwi fungsi), est soucieuse de donner sur le terrain un élan plus « concret »; on se souvient du voyage fort médiatisé du Président Suharto, escorté d’une cohorte de généraux et d’hommes d’affaires, à Rangoon en 1997 ; celui de Yudhoyono a été plus discret en mars 2007 quand il a rencontré les représentants du SPDC (le State Peace and Development Council qui a 4 remplacé le SLORC en 1997) après s’être abstenu lors de la résolution à l’ONU en janvier 2007. L’Indonésie souhaiterait retrouver sur ce dossier son rôle traditionnel de géant de l’ASEAN (rôle qui lui avait été enlevé après la crise de 1997 et la démission de Suharto en mai 1998 par la Thaïlande, depuis en difficulté). Lors des événements de 2007, le ministre indonésien des Affaires étrangères Hassan Wirajuda a mis en avant ses bons offices en tentant de « rapprocher les parties » « selon l’expérience de transition douce expérimentée en Indonésie » : dans le schéma de sortie de crise proposé par Jakarta, la Tatmadaw maintiendrait, pour un certain temps, sa fonction centrale « pour transmettre les rênes du pouvoir avant de s’esquisser de la scène politique » selon l’ancien ministre des Affaires étrangères Ali Alatas. Un moindre mal à l’indonésienne ?? y ont vu la possibilité de contraindre indirectement Rangoon. Le résultat est décevant : les signataires s’engagent à « renforcer la démocratie et à protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales ». Un texte prudent et vague. La Birmanie n’est pas plus menacée de pression qu’elle ne l’est d’expulsion ! Philippines, Brunei, Viêt Nam, Laos, Cambodge qui entretiennent tous des relations diplomatiques avec Naypyidaw, restent, pour diverses raisons, des acteurs marginaux ; les Philippines à cause de son affichage démocratique et de son alliance avec les Etats-Unis, le Viêt Nam (et dans une moindre mesure le Laos et le Cambodge) parce qu’ils refusent de « s’ingérer dans les affaires intérieures » de leur partenaire. Yong Chanthalangsy, porte-parole du ministère laotien des affaires étrangères, a même déclaré lors du sommet de Singapour (novembre 2007) : «On constate des progrès réalisés par le Myanmar ; il faut laisser à ce pays la chance d’avancer vers la démocratie ». Tout est dit. L’ASEAN veut apparaître comme un facilitateur crédible avec un esprit de compromis. Cependant, les paysmembres ont besoin de stabilité dans le pays : des désordres importants ont d’immédiates conséquences sur les migrations, les trafics et leurs approvisionnements. Au fond, les Etats d’Asie du Sud-est ont des positions différentes sur le comportement à adopter à l’égard de la Birmanie en raison (i) de leur proximité (cas de la Thaïlande), (ii) de leur engagement à promouvoir les valeurs démocratiques (Philippines) et des obligations envers leurs opinions publiques (Malaisie, Indonésie, Thaïlande), (iii) en raison aussi de leurs intérêts économiques et financiers (Thaïlande, Malaisie, Singapour). Ces variations empêchent une « ligne de conduite » commune : l’ASEAN leur donne toutefois la possibilité d’un affichage collectif, affichage qui ne leur pèse pas trop puisqu’on connaît les « incapacités » et autres pesanteurs de l’Association. La division du travail est simple : aux Etats, la coopération « technique », discrète mais efficace, à l’ASEAN la diplomatie déclaratoire qui rassure les partenaires occidentaux sans contraindre, « sur la base du plus petit dénominateur commun ». Deux exemples : en septembre 2007, deux jours après les premiers morts à Rangoon, l’ASEAN a appelé la junte au pouvoir à « ne pas avoir recours à la violence ». Singapour a écrit au gouvernement birman pour exprimer le «dégoût» et la « désapprobation » de l’Association face à la violente répression des manifestants. De même, lors de leur réunion annuelle en juillet 2008, «les ministres des Affaires étrangères ont exprimé leur profonde déception après la prorogation par le gouvernement birman de l’assignation à résidence de Aung San Suu Kyi ». Rien de bien menaçant alors que certaines voix réclament une condamnation en bonne et due forme par l’Association… De même, quand l’ASEAN a évoqué son projet de Charte, certains observateurs Les tentatives d’évolution se font donc dans les instances ASEAN puisque les représentants birmans sont présents et participent aux réunions (plus de 350 par an) : une façon de les inclure dans une réflexion et une dynamique d’ensemble sans pression directe « pour que le régime ne perde pas la face » et que « nous réglions nos affaires en famille ». On notera d’ailleurs qu’aucun pays de la région ne fait état de ses liens avec Aung San Suu Kyi et la Ligue Nationale pour la Démocratie. Les autres partenaires asiatiques ne sont pas en reste, même si d’emblée leur influence est marginalisée par le poids prédominant des 3 principaux partenaires. Les liens avec le Japon sont anciens puisque Aung San et Ne Win ont été formés dans l’archipel avant la seconde guerre mondiale. Une fois au pouvoir, le général Ne Win a maintenu des liens étroits avec certains diplomates et responsables nippons (qui ont d’ailleurs facilité le versement de réparations de guerre très conséquentes) ; aujourd’hui encore, les Japonais entretiennent un remarquable réseau de sociabilité auprès de la Tatmadaw à qui ils proposent expertise et conseil. Même si, après 1988, les liens se sont distendus (Tokyo mettant en avant son appartenance au camp des démocraties occidentales qui condamnent la répression), le Japon n’a jamais exercé de pression publique : il intervient plutôt par des touches discrètes et récurrentes pour encourager la libéralisation de l’économie ou un régime moins strict pour Aung San Su Ki. Le montant de l’aide est réduit après septembre 2007 même si le Japon en fournit encore près de 80 %. Enfin, la Birmanie et la Corée du Nord ont officiellement rétabli leurs relations diplomatiques en octobre 2007 après la rupture de 1983 (des agents nordcoréens avaient tenté d’assassiner le Président sudcoréen, alors en déplacement à Rangoon). Pékin, évidemment, se réjouit de cette « réconciliation ». Deux pays proches de la Chine, sous blocus occidental, et ouvertement hostiles aux Etats-Unis et à l’Europe : une configuration « idéale » qui inquiète cependant les experts inquiets des risques de prolifération nucléaire. C. Des liens toujours plus étroits Enfin, des considérations beaucoup plus triviales expliquent les rapprochements depuis plus de vingt ans : les ressources, le commerce, les trafics et même les migrations. Tant que ces liens-là continueront à se développer, les généraux sont assurés de garantir « la stabilité du régime ». Avec une économie partiellement tétanisée par l’impéritie économique de la junte, le recours aux partenaires traditionnels qu’ont toujours 5 été ses grands voisins immédiats n’a d’ailleurs jamais été si important. Qui se déplace en Birmanie est frappé de constater à quel point les marchés locaux abondent de produits asiatiques, notamment chinois ; ce qui entretient à terme, le processus de sous-industrialisation. Sur le plan commercial, les cinq premiers partenaires de la Birmanie sont évidemment des pays asiatiques : 70% des exportations et 90% des importations de Birmanie vont vers/proviennent d’Asie. Trois pays de la zone, la Thaïlande, Singapour (à ce titre, 52 % du commerce du Myanmar se fait avec l’ASEAN) et la Chine représentent à eux seuls près des deux tiers des exportations birmanes. Le premier partenaire commercial de la Birmanie est (officiellement) la Thaïlande qui a vu le volume de ses échanges doubler sous l’effet de la hausse des exportations de gaz ; le volume des échanges commerciaux entre les deux pays (2007-2008) s’est élevé à 3,205 milliards de dollars, dont 2,823 milliards de dollars relèvent de l’exportation birmane vers la Thaïlande, et 382 millions de dollars de l’importation birmane depuis la Thaïlande (selon les statistiques officielles à lire avec précaution). La part de marché officielle de la Chine est estimée à près de 20% : chiffre vraisemblablement sous-évalué tant les échanges informels (licites et illicites) avec ce pays ont pris une importance considérable ces dernières années (encouragée par la mise en place depuis 2000 d’une Foire annuelle du commerce sino-birmane). Enfin, depuis 2002, la part de l’Inde monte en force au point, selon certains experts, de talonner celle de la Chine. Les principaux clients de la Birmanie sont la Thaïlande (43% des exportations birmanes), la Chine (18%) et l’Inde (14%). Singapour reste le quatrième client (7%) tandis que le Japon maintient sa cinquième position (3,6%). Les exportations sont axées essentiellement sur les matières premières (gaz) et les produits agricoles de base (légumineux, riz, produits de la pêche). La levée des barrières douanières entre les pays asiatiques de l’Asean d’ici à 2010 devrait encore accentuer cette tendance au recentrage régional de l’économie birmane. Sur le plan des investissements, on note en 2008 une augmentation très nette des investissements étrangers due probablement à la découverte en 2005, de nouveaux gisements de gaz et d’hydrocarbures (notamment dans le golfe du Bengale). Les autorités birmanes ont donc relancé depuis 2006 l’exploitation de leurs ressources énergétiques, en raison de la croissance très forte de la demande dans la région, et d’un prix du baril plus élevé. Et sans surprise, les entreprises asiatiques sont les premières sur les rangs : entreprises chinoises (SINOPEC, CNOOC et CNPC), entreprises indiennes (ONGC, GAIL), thaïlandaises (PTT, EGAT), malaisienne (PETRONAS) ou coréennes (KGC, DAEWOO), qui opèrent déjà et ou sont en négociation avancées pour de nouvelles concessions. Selon les chiffres officiels, les projets en matière d’extraction composeraient plus de 85 % de ces investissements et la Chine aurait assuré la majeure partie de ces investissements (plus de 800 millions de dollars sur 900) ; 69 entreprises chinoises sont implantées au Myanmar dans le secteur énergétique. Pourtant, toujours selon les statistiques officielles, la Thaïlande reste encore le premier investisseur étranger au Myanmar avec 7,3 milliards de dollars en 2008, soit 53% de l’ensemble des investissements étrangers dans le pays (la Thaïlande a investi dans de très gros barrages hydro-électriques, notamment sur le fleuve Salween). L’Inde annonce un montant de 230 millions en 2007 (dont 137 dans le secteur pétrolier et gazier). Le projet Shwe Gas prévoit la construction d’un pipeline pour acheminer le gaz naturel vers l’Inde et vers le Yunnan. Les coréens Daewoo (60% de participation) et Kogas (10% de participation) sont eux aussi très actifs sur ce projet. Les autres ressources ne sont pas négligées non plus ; en 2008, des investissements chinois d’un montant de 600 millions de dollars auraient été engagés par la Compagnie chinois des métaux non ferreux dans l’exploitation du gisement de nickel de Taguang Taung. Le bois (teck), les pierres et métaux précieux font également l’objet d’investissements conséquents. Dernier domaine d’investissements massifs : les infrastructures, qu’elles soient logistiques (routes…) ou touristiques (hôtels, restaurants) ; ceux-là sont réalisés à majorité par des capitaux chinois, puis thaïlandais et singapouriens. Enfin, l’Asie du Sud-est est un espace d’immigration naturel pour les Birmans, réfugiés ou travailleurs (légaux et illégaux) et la Thaïlande est naturellement le premier espace exposé. Les chiffres donnent le vertige : quelque 540.000 immigrés birmans travaillent légalement en Thaïlande, selon le ministère du Travail. Et, selon des associations de défense des droits de l’Homme, plus d’un million d’autres y séjournent sans papiers, souvent exploités par leurs employeurs (notamment dans le bâtiment). Là aussi, les drames humains liés à ces mouvements de population sont éprouvants : Birmans morts étouffés dans un camion, dans une embarcation de misère, laissés à l’abandon en pleine jungle par un passeur… A chaque vague de répression et d’opérations militaires, le flot de réfugiés (estimé en 2008 à 150 000, constituant la plus grande population de réfugiés de l’Asie du Sud-est) augmente dans des camps de fortune et des abris improvisés le long de la frontière. Mais la Thaïlande n’est pas le seul Etat à accueillir des migrants. Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés, la Malaisie reçoit des réfugiés rohingya, de religion musulmane, estimés à environ 20 000, des réfugiés chins (autour de 18 000), des Mons (12 000). Ils arrivent en Malaisie soit après avoir traversé la Thaïlande, soit directement par mer. Il y aurait 60 000 réfugiés à Singapour. En matière de flux migratoires, la relation s’inverse avec la Chine. Traditionnelle, l’émigration chinoise a connu une croissance importante depuis dix ans provoquée par les vagues de migrants économiques yunnanais, les kokang. On compte aujourd’hui plus d’un million de Chinois installés en Birmanie. Certaines villes comme Mandalay comptent autant de Chinois que de Birmans ; d’autres, proches de la frontière, véritables villes casinos, ont une population majoritairement chinoise. Enfin, l’activité entre la Birmanie / Myanmar et ses voisins asiatiques ont pour objet divers trafics, dont la drogue. La Birmanie est l’espace central du Triangle d’or, particulièrement actif le long de la frontière entre l’Etat shan et la Thaïlande ou plus au Nord, aux confins 6 de la Thaïlande, du Laos et de la Birmanie ou de l’Etat Wa et de la Chine : si la production a diminué de façon substantielle au Laos (qui a réduit de 90 % sa production depuis 10 ans) et en Thaïlande (où la culture du pavôt est devenue marginale), celle du Myanmar connaît une augmentation alarmante (+ 29 % entre 2006 et 2008) selon l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime. Les sommes en cause sont colossales. Second exportateur mondial d’opium après l’Afghanistan, la Birmanie a aussi diversifié ses produits illicites avec l’explosion de la méthamphétamine (ou yaa baa), plus lucrative, qui inonde le marché thaïlandais au début des années 1990. L’explosion du VIH/sida à la même époque (en Thaïlande comme en Chine du Sud (notamment au Yunnan) ou en Inde du Nord-est) a rendu la lutte contre ces trafics, ou au moins leur contrôle, indispensable et explique aussi la reprise des liens avec les autorités militaires birmanes : les trois voisins immédiats de la Birmanie sont ses trois premiers clients. Pendant longtemps, les groupes ethniques se sont servis du commerce de la drogue pour financer leur combat armé. Mais depuis les accords de cessez-le-feu de 1995, cette justification a perdu sa légitimité et on est aujourd’hui beaucoup plus dans une configuration mafieuse. Selon certains experts, le gouvernement est complice du trafic de drogue et aurait formé des partenariats actifs avec les groupes ethniques dominant le secteur. D’où l’appelation de « narco-dictature » : les trafiquants comme Khun Sa (aussi appelé le « Pablo Escobar de l’Asie du Sud-est » mort tranquillement à Rangoon en octobre 2007) se déplacent en toute impunité et le trafic continue à se développer à grande échelle « sous l’autorité militaire très intrusive ». Ces accusations sont fondées sur les liens étroits qu’entretiennent la société Asia World Co, de l’ex-roi de l’opium Lo Hsing Han, Olympic Construction Co, de M. U Aik Htun (qui contrôle aussi la Asia Wealth Bank) ou le conglomérat Hong Pang Co de Wei Shao Kang (qui a récupéré le contrôle des réseaux de drogue chinois de l’ex-Guomindang) et certains dirigeants de la junte qui possèdent (ou possédaient) des parts dans les entreprises : les contrats octroyés servent tout simplement à blanchir de l’argent (et la construction de la nouvelle capitale en a apporté de forts juteux). Comme d’ailleurs la construction de casinos dans le Nord de la Birmanie (à ce titre, certaines villes comme Mandalay ou Mong La ont été transformées en autant de « petits Macao », quotidiennement envahies par des joueurs chinois) ! Que ce soit par les flux humains, économiques, financiers ou mafieux, la Birmanie a fortement accru son insertion en Asie orientale ces dix dernières années (mais cette insertion, sélective, ne concerne que peu d’acteurs locaux). Cet ancrage va être, on l’a justifie par l’intérêt pour les contrôler ou de tirer parti voire des contradictions que vu, massif : il se pays asiatiques de des atouts locaux, la situation suscite. A. Le premier enjeu est d’abord un enjeu stratégique. On a insisté en début d’étude sur le positionnement géostratégique de la Birmanie / Myanmar. Carrefour stratégique entre l’Asie du Sud-est et l’Asie du Sud, entre l’Asie du Nord-est et l’Asie du Sud-est, à l’intersection des mondes chinois et indien, la Birmanie est à la fois un pays qui rapproche mais protège aussi, et un espace de transition qui permet les basculements. A ce seul titre, c’est un partenaire que ses voisins ne peuvent négliger : pas question donc d’en faire un Etat pariah ! Pour la Chine, elle présente un intérêt évident, irremplaçable dans la nouvelle géopolitique mondiale qui se dessine, au double plan terrestre et maritime. D’ailleurs, sa coopération dans la construction des infrastructures routières (les routes à grande circulation venant de Loije vers Bharno et de Tengchong vers Myitkyina permettront d’exploiter les potentialités du fleuve Irrawady dont le bassin devrait devenir à terme une artère fluviale importante pour les produits chinois) donne une mesure de son intérêt. La Birmanie permet d’accéder directement au Golfe du Bengale, et donc à l’Océan Indien. C’est par cet océan que passent 50% des conteneurs, 1/3 des produits bruts et 2/3 du pétrole du monde. C’est aussi dans cet espace que se croisent les axes maritimes importants qui relient l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Inde et l’ExtrêmeOrient d’une part à l’Europe et au continent américain d’autre part, sur une longue route parsemée de goulets d’étranglement, en particulier les détroits d’Ormuz à l’ouest et de Malacca à l’est. Un rapprochement stratégique avec la Birmanie permet(trait) à la Chine une projection de puissance démultipliée et une émancipation sensible des contraintes géographiques. La Birmanie est un corridor de connexion. On comprend que cet espace terrestre et maritime soit important non seulement pour la Chine, mais également pour d’autres puissances comme les Etats-Unis, l’Inde, le Japon et un certain nombre d’autres Etats. Ainsi, l’Inde aussi voudrait faire du Myanmar une voie de passage privilégiée de la coopération économique entre l’Asie du Sud et l’Asie du Sud-est, entre la South Asian Association for Regional Cooperation (SAARC) et l’Association for South East Asian Nations (ASEAN), à travers le Bay of Bengal Initiative for Multi Sectorial and Economic Cooperation (BIMSTEC), dont sont, entre autre, membres l’Inde, le Bangladesh, le Myanmar et la Thaïlande. II. La Birmanie / Myanmar : un enjeu pour ses voisins Les généraux birmans ont habilement joué. En mettant un terme, à partir de 1988, à la politique isolationniste de Ne Win et en engageant « l’ouverture du pays », ils suivent l’itinéraire de la Chine qui a engagé ce processus dix ans plus tôt. Mais ils savent aussi qu’ils s’exposent à des pressions internationales menaçantes pour la pérennité de leur pouvoir : dans une certaine mesure, les événements de 1990 leur donneront raison. A ce stade, « l’ennemi » sera clairement désigné. L’ancrage en Asie constitue leur réponse à cette menace. Le fait que la Chine porte une attention particulière à la Birmanie confère de facto à cette dernière une importance stratégique spéciale : les moyens que Pékin est prêt à y déployer nous renseignent aussi sur les intentions chinoises. 7 encablures des îles indiennes des Andaman ; après la construction de différents quais par les Chinois en 2002, les spéculations repartent à la hausse sur le La offre Birmanie, des 1) 2) 3) 4) ses ports et ses îles, avantages incomparables : un contournement de l’Inde ; une proximité avec les Etats d’Asie du Sud dont le stratégique Pakistan (où la Chine a déjà équipé le port de Gwadar, situé à 75 km de la frontière iranienne et à 400 km du détroit d’Ormuz) et le Sri Lanka avec lequel elle a conclu un accord important en 2007 pour équiper le port d’Hambantota. Les infrastructures de Hambantota (au Sud de l’île) devraient permettre d’accueillir des bâtiments dans cette région de l’Océan Indien, à mi-chemin entre le Golfe Persique et la mer de Chine méridionale ; un accès aux côtes africaines ; la possibilité de prendre en tenaille l’Asie du Sud-est et le détroit de Malacca en disposant de bâtiments à la fois en mer des Andaman et en mer de Chine du Sud. En outre, la très grande dépendance de la Chine (et du Japon) sur le passage du détroit (80 % de leurs importations en énergie transitent par ce couloir) l’incite à chercher des alternatives, rendues possibles grâce à des infrastructures alternatives qui passent par la Birmanie (cf C). En août 2008, le Times of India affirmait que la Chine construisait deux héliports, des bâtiments de stockage et des facilités de communication et d’écoute sur l’île de Grand Coco dans la mer des Adaman, à 250 kms au Sud des côtes birmanes mais à quelques contrat passé entre la Tatmadaw et la marine chinoise (notamment en matière de ravitaillement, ce qui permettrait une présence plus durable des bâtiments chinois dans la zone, au voisinage de l’Inde). Objet de rumeurs anciennes et récurrentes, ces informations n’ont pas été confirmées : que la coopération chinoise à l’amélioration des facilités birmanes soit active, aucun doute ; les interprétations d’une transformation des îles en « base chinoise » semble en revanche un peu hâtive. Ce que révèlent ces rumeurs concerne plutôt l’hyper-sensibilité indienne face aux prétentions chinoises : la Birmanie confère à la puissance chinoise une porte d’accès et un tremplin face à l’Inde. B. L’enjeu de l’équipement militaire A cet intérêt géo-stratégique s’ajoute une concurrence en matière de vente d’armes. Les connivences avec les partenaires asiatiques ressortent avec encore plus de visibilité. Même si Naypyidaw achète à plusieurs autres fournisseurs (Russie, Israël, Corée du Nord et Corée du Sud ont été priés par les Nations Unies « d’interrompre leur contrat »), elle en a deux attitrés : la Chine et l’Inde. Quand les forces armées reprennent le pouvoir politique en 1988, elles lancent un ambitieux programme d’expansion et de modernisation de l’armée. Depuis lors, le régime a continuellement dépensé une proportion plus grande du budget national à la défense que tout autre pays dans la région d’Asie du Sud-est. Les forces armées birmanes ont doublé en taille. De nouvelles structures de contrôle et de commandement ont été mises en place et les capacités dans des secteurs clefs, comme l’espionnage, les communications et la logistique ont été considérablement augmentées. L’infrastructure et l’équipement militaires ont aussi été 8 améliorés : l’armée birmane a acquis un grand choix de blindés, de l’artillerie, des armes de défense aériennes, des armes légères, d’équipement de transport, et de communications. L’armée de l’air a pris livraison de plus de 150 hélicoptères, d’avions de chasse, d’avions pour des offensives terrestres, d’avions de transport et d’avions pour la formation. La Marine s’est aussi sensiblement développée avec de nouvelles corvettes, des patrouilleurs lance-missiles, des patrouilleurs côtiers, des dragueurs de mine et des missiles anti-navires. La majeure partie de ces armes ont été vendues par Pékin pour des sommes estimées à plusieurs milliards de dollars depuis 1988 (selon Amnesty International). Cette nouvelle influence chinoise en Birmanie, complémentaire d’une présence humaine « pour l’entretien du matériel et la formation du personnel », a incité l’Inde à réagir. En mai 2003, le Ministère de la Défense Nationale indienne a confirmé qu’il avait vendu à la Tatmadaw des obusiers de 75mm, de l’artillerie, ainsi que des équipements de communication de pointe. En août 2007, des avions de surveillance maritime indiens ont été livrés. En 2008, on évoque une coopération en matière de lutte anti-insurrectionnelle. Autre secteur sensible : en 2004-2005, il a été question que Pyong Yang aide la Birmanie à construire un réacteur nucléaire, soulevant le spectre de la prolifération. Ces rumeurs ont été relancées en 2008 quand trois délégations dirigées par des officiers de la Tatmadaw se sont rendu à Pyongyang : le lieutenant-général Myint Hlaing, le chef de la défense aérienne en juillet, le lieutenant-général Tin Aye, chef du Bureau du Chef Defense Industries en août et le général de brigade Aung Thein à la mi-septembre. Les experts restent au stade actuel, partagés. C. L’enjeu des approvisionnements Dans un contexte de raréfaction et d’augmentation des coûts des approvisionnements énergétiques, la Birmanie représente évidemment un enjeu de premier ordre. Et à nouveau, la concurrence est vive entre la Chine, l’Inde et la Thaïlande. Les trois voisins, dépendants de l’étranger pour leurs besoins en gaz et en pétrole, sont entrés dans un processus de compétition exacerbée. Avec des moyens déséquilibrés. Le Myanmar est une puissance énergétique incontournable et la compétition entre l’Inde et la Chine sur son territoire illustre une lutte d’influence beaucoup plus large que se livre ces deux puissances émergentes majeures d’Asie. Le Myanmar est l’un des plus anciens pays producteurs de pétrole : dès 1853, l’Empire britannique importe du pétrole birman. La production de gaz est plus récente (1974). A partir de 1993, le SLORC autorise des entreprises étrangères à prospecter dans différentes concessions offshore. Plusieurs champs sont découverts entre 1995 et 2004, Yadana, Yetagun Shwe, alors que les pressions des Etats occidentaux obligent leurs compagnies pétrolières et gazières à se retirer. Ces retraits seront immédiatement compensés par l’arrivée de nouveaux investisseurs en provenance de Thaïlande, de Chine, de Corée du Sud, d’Inde ou de Malaisie. L’accès au gaz birman apparaît comme une priorité pour ces pays qui n’hésitent pas, en contrepartie, à renforcer les capacités militaires de la junte ou à lui assurer de leur soutien politique, en particulier au Conseil de Sécurité des Nations Unies, en cas de manœuvres susceptibles de conduire à des condamnations ou à des sanctions politiques ou/et économiques supplémentaires. La vente de gaz à la Thaïlande (dont 30 % des besoins énergétiques sont fournis par la Birmanie) représente une recette de l’ordre de un milliard de dollars pour la junte, soit deux fois plus que ce que pourrait représenter le montant annuel cumulé et sans sanctions des exportations birmanes vers les Etats-Unis et l’Union européenne. Par ailleurs, l’industrie gazière représente plus du tiers des investissements directs étrangers au Myanmar. Le seul site de Shwe, enjeu d’une compétition entre l’Inde et la Chine, est susceptible de générer des revenus de l’ordre de 800 millions à 3 milliards de dollars par an à partir de 2010 pour la junte. Le gaz birman devient un enjeu vital aussi bien pour la junte que pour les pays voisins. Pour la junte, il constitue sa principale source de revenus. Elle sait parfaitement la faire fructifier en jouant ses partenaires les uns contre les autres et en réduisant ainsi les effets des sanctions internationales qui s’imposent à elle. Pour ses voisins, il fait partie intégrante de leur stratégie de sécurité énergétique. L’intérêt de la Chine pour les ressources énergétiques birmanes n’est pas sans inquiéter l’Inde, car cette dernière n’est pas réellement en mesure de s’aligner sur les propositions chinoises lorsque les deux Etats sont concurrents sur un même projet. L’exemple birman, à cet égard, illustre parfaitement la complexité des relations énergétiques entre ces deux géants d’Asie. Au Myanmar, l’Inde et la République Populaire de Chine sont confrontées à un dilemme. Si la rationalité économique était respectée, les deux Etats devraient coopérer dans le domaine énergétique. Or, la rationalité politique prévaut. Elle se traduit par une rivalité pour l’accès au gaz birman qui s’inscrit dans le cadre d’une compétition plus globale. La découverte du champ de Shwe suscite rapidement des convoitises et devient vite une nouvelle source de contentieux ainsi qu’un obstacle supplémentaire à la coopération énergétique entre les deux pays. A l’origine, il était prévu que le gaz produit à partir du bloc A-1 soit exclusivement destiné au marché indien, via un gazoduc qui devait passer par le Bangladesh. Dhaka a posé des conditions de plus en plus exigeantes qui vont parasiter les discussions entre l’Inde et la Birmanie. La Chine profitera des retards et de l’impatience de la junte pour signer en décembre 2005 un Memorandum of Understanding pour l’exportation du gaz du bloc A-1via un pipeline Sittwe-Kunming. Les objectifs chinois sont multiples : réduire leur dépendance à l’égard du détroit de Malacca, maximiser l’importation des surplus de gaz birman, voire bangladais et garder l’avantage sur l’Inde dans le domaine de la sécurité énergétique. Alors que la Chine sécurise de nouveaux accords (juin 2007), cette situation conduit l’Inde à prendre quatre décisions majeures : (1) une renonciation au partenariat énergétique avec le Bangladesh, officiellement annoncée en mai 2006, 9 (2) une proposition de gazoduc alternative à partir de l’Etat de Rakhine, à travers les Etats du Nord-est indien, du Mizoram, du Tripura, de l’Assam et du Meghalaya puis vers le Bengale occidental jusqu’à Kolkota, (3) une proposition de coopération avec la Chine afin d’éviter une compétition bilatérale coûteuse (qui sera rejeté par Pékin), (4) une proposition d’achat du surplus de gaz extrait. Ces décisions sont accompagnées d’une proposition de développement du port de Sittwe pour en faire un point de contact commercial privilégié entre les Etats du Nord-est indiens et l’Asie du Sud-est. Ces contre manœuvres indiennes s’accompagnent de rencontres militaires de haut niveau à Naypyidaw en novembre et décembre 2006 au cours desquelles sont évoquées la vente d’armes indiennes (hélicoptères légers, matériel de surveillance aérienne et navale) au Myanmar et la coopération bilatérale dans la lutte contre insurrectionnelle. Cette concurrence s’inscrit dans un cadre beaucoup plus global où New Delhi et Pékin considèrent la Birmanie / Myanmar comme un enjeu aussi bien du fait de son potentiel énergétique que du fait de sa position géographique stratégique sur le théâtre asiatique. Grâce à son potentiel énergétique, la Birmanie a évolué du statut d’enjeu à celui d’acteur des équations énergétiques asiatiques, en particulier de l’équation indo-chinoise, dont elle a parfaitement su tirer profit du fait de la dépendance de chacun de ces deux géants. A ne pas négliger, Chinois et Thaïlandais sont très impliqués dans la construction de barrages hydro-électriques, notamment sur les territoires des minorités (Shan ou Kachin). D. Enjeu diplomatique Pour toutes les raisons citées, enjeux géostratégiques, enjeux militaires, enjeux énergétiques et résistance aux pressions occidentales, la Birmanie / Myanmar devient un enjeu sensible des relations internationales (et pas seulement en Asie), et un acteur qu’il n’est tout simplement pas possible d’ignorer. Pour asseoir son assise sur le pays, la junte a écarté toute menace sur son emprise (purges, arrestations arbitraires, neutralisation des groupes ethniques par des opérations de contre-guerilla, achats de chefs tribaux comme les Was, les Kachins …) : il suffit d’une nouvelle vague de répression pour que la presse occidentale détaille les excès et folies d’un régime sans scrupules. La question suivante est donc de savoir à quel positionnement international un tel régime peut prétendre. Selon les critères occidentaux, la Birmanie est un Etat pariah, participant d’après Washington à « l’axe du mal ». Suspension de la quasi-totalité des programmes d’aide au développement depuis 1988, blocus des exportations birmanes mis en place par Washington, sanctions : la communauté internationale a le sentiment d’actionner le maximum de leviers, sans beaucoup d’effets toutefois. L’Union européenne a mis en place une politique « qui s’est révélée, au final, contreproductive » selon certains observateurs. Depuis les élections et le coup de force de 1990, l’Union a multiplié les initiatives (sanctions, interdiction de visa pour les responsables, suspension des visites, embargo, pression pour la libération d’Aung San Suu Kyi…), les renforçant au fil des crises. La vraie difficulté s’est posée quand la Birmanie a intégré l’ASEAN et l’ASEM : quelle position alors tenir ? Le « cafouillage » a prévalu, l’Union européenne suspendant même ses réunions avec l’ASEAN en 2003 et 2004 ; sur le coup, elle a créé de durables ressentiments côté ASEAN, à un moment où celle-ci était chahutée. On n’en est pas sorti aujourd’hui car Bruxelles n’a pas élaboré (pas pu élaborer ?) de stratégie susceptible d’infléchir le monopole de la junte. Les promesses émises par les dirigeants européens en septembre – octobre 2007, « le monde n’oubliera pas le peuple birman » (Gordon Brown, 3 octobre 2007), les déclarations de Bruxelles « extrêmement préoccupée » demandant « la restauration de la démocratie, la continuation de la réconciliation nationale et la protection des droits de l’Homme » ou celles du Parlement à Strasbourg « applaudissant la courageuse action des moines birmans et des dizaines de milliers d’autres manifestants pacifistes contre le régime anti-démocratique et répressif du pouvoir en Birmanie » ne servent qu’à donner bonne conscience à une Communauté considérée comme victime de sa propre « bonne conscience » ! L’Onu est dans une situation d’impuissance comparable après la même liste de sanctions, déclarations non contraignantes, envoi d’un émissaire spécial… Sans succès ; la junte refuse la discussion. Et, sans le moindre doute, Pékin utilise son droit de veto pour bloquer les projets de résolutions présentés par Washington et les capitales européennes (cf. janvier 2007) ou tempérer leurs ardeurs diplomatiques. Les pays asiatiques prônent une autre politique, plus ouverte et plus souple on l’a vu. Les autorités birmanes savent qu’elles n’ont guère de souci à se faire en ce qui concerne les réactions de leurs partenaires asiatiques, tous opposés à l’adoption de sanctions internationales. La Chine, l’Inde et les pays de l’Asean ont opté pour un « engagement constructif » et soutiennent que les relations diplomatiques et commerciales qu’ils entretiennent avec le régime sont le meilleur moyen de promouvoir une transition et une réconciliation dans ce pays. Même si les efforts de l’ASEAN n’ont pas suscité les résultats escomptés alors que le dossier birman met en jeu sa crédibilité diplomatique, la question se pose aussi de savoir qui doit fixer le niveau d’attente et d’évaluation. En dépit du drame de Nargis, l’ASEAN a montré sa satisfaction quand, à l’issue des travaux de la convention, une nouvelle Constitution a été soumise à référendum le 10 mai 2008 : même si le texte défend de facto le positionnement et le contrôle politique de l’armée, il est considéré comme « une avancée positive ». Mais cette politique « indulgente » profite d’abord et presque exclusivement à une élite et, au vu de la distribution des ressources, ne contribue pas à une construction pérenne de l’Etat et du développement. Quelque soit d’ailleurs l’analyse que l’on fait de cette option diplomatique, les pays d’Asie sont pris en tenaille entre les pressions occidentales et une autre approche diplomatique mâtinée de real politik et d’intérêts bien 10 compris. Ils ont tranché comme l’illustre l’effet de vase communicant : au fur et à mesure que les Etats-Unis et l’Union Européenne ont resserré leur étreinte à l’égard de la Birmanie, l’influence chinoise et indienne a augmenté. En multipliant les coups de boutoirs à une junte en veine d’ennemis extérieurs, l’Occident ne l’amène pas seulement à se fermer à son influence ; il l’oblige d’une certaine manière à s’ouvrir à d’autres. L’ASEAN a réussi à faire pression sur le régime pour que la Birmanie n’exerce pas la présidence ASEAN en 2006. Mais au final, l’Association jette un voile de respectabilité sur un pays qui n’a jamais hésité à recourir à la violence contre sa propre population. Devant ses pairs asiatiques, la Birmanie est restée maîtresse du jeu. Les rapprochements observés entre la junte au pouvoir en Birmanie et ses partenaires asiatiques placent les pays occidentaux dans une situation d’impuissance paradoxale : non seulement la politique d’isolement de la junte au nom de principes « universels » ne donne aucun résultat mais ces mêmes principes, pourtant à la base de la déclaration universelle des droits de l’Homme de l’ONU, sont vertement tancés. La question birmane prend des proportions inattendues qui dépassent largement ses frontières. En outre, le dossier birman illustre la mise en place en Asie, d’une nouvelle carte géo-stratégique qui échappe à l’Occident. Implicitement, la Chine fait même de ses relations avec la junte une question de principe ; elle entraîne l’Inde et l’Asie du Sud-est dans une surenchère risquée. A ce stade, la situation n’évolue pas dans le sens d’une évolution ouverte et équilibrée. Le cyclone Nargis et ses dramatiques conséquences humaines ont montré (1) la proximité réactive avec ses 3 voisins qui ont immédiatement envoyé des médecins sur place alors que les équipes occidentales attendaient à Bangkok une autorisation qui a tardé, (2) la profondeur des méfiances (le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a du utiliser des précautions diplomatiques exceptionnelles lors de son déplacement en mai 2008), (3) le cynisme des dirigeants (qui ont maintenu le référendum en dépit du traumatisme), (4) l’opportunisme de l’Armée (qui s’est servie dans les stocks acheminés) et la très grande précarité d’une population impuissante, (5) l’étroite marge de manœuvre de l’ASEAN qui, en dépit des efforts déployés par son Secrétaire général Surin Pitsuwan, n’a pu que « coordonner la conférence des donateurs ». formats de dialogue innovants qui nous remettent dans le processus sans pour autant nous renier. Quelles que soient les options privilégiées, la situation en Birmanie et les liens avec ses partenaires auront des conséquences qui vont bien au-delà de la seule Birmanie. Surtout, son évolution nous renvoie à un questionnement de fond qui appelle à une prise en compte d’une multiplicité de facteurs. Bibliographie succinte Martin Stuart-Fox « Southeast Asia and China: the role of history and culture in shaping future relations » Contemporary Southeast Asia, vol. 26, n° 1, avril 2004, p. 129. Marie Lall “Indo-Myanmar Relations in the Era of Pipeline Diplomacy” Contemporary Southeast Asia - Volume 28, Number 3, December 2006, pp. 424-446. Andrew Selth Burma’s Coco Islands: rumors and realities in the Indian Ocean, Working Paper Series, n° 101, novembre 2008, SEARC, City University of Hong Kong. Renaud Egreteau “L’inde, la Chine et l’enjeu birman: la rivalité sino-indienne en Birmanie et ses limites depuis 1988 », thèse de doctorat dirigée par Christophe Jaffrelot, Institut d’Etudes Politiques de Paris, 2006. Dhrubajyoti Bhattacharjee “India and Myanmar: A Relation of Necessity” South Asia Politics, Vol. 3, Issue 12, April 2005. Ashild Kolas «Burma in the Balance: the Geopolitics of Gas», Strategic Analysis, vol. 31, n°4, July 2007. Plusieurs options sont avancées : faire pression sur la Chine et l’inde pour favoriser la transition et la réconciliation nationale, infiltrer l’Armée et les plus jeunes générations d’officiers pour inverser la courbe d’évolution ou lancer, comme le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, l’a proposé, un fonds d’aide international destiné à des micro-crédits en faveur de la population ? C’est-à-dire mettre en place des outils, des modes de coopération et des 11