Automne malade - moncoursdelettres

Transcription

Automne malade - moncoursdelettres
Automne malade
Introduction
Apollinaire qualifie ainsi l’automne dans « Signe » : « Mon Automne éternelle ô ma saison mentale ». C’est
dire l’importance qu’il attache à cette saison, évoquée dans de nombreux titres du recueil. Ainsi Apollinaire
a-t-il toujours uni sa sensibilité, son esthétique, son paysage intérieur à cette saison dont les romantiques ont
célébré la mélancolie, la complicité avec l’âme de l’homme.
Le poème « Automne malade » est extrait du recueil Alcools, publié en 1913 par G. Apollinaire. Ce poème
est écrit en vers libres et sans ponctuation, selon une technique commune à tous les poèmes d’Alcools. Il
évoque le thème traditionnel de l’automne, saison liée à la nostalgie, la souffrance ou la séparation. Dans ce
poème, Apollinaire s’adresse directement à l’automne, sa « saison mentale » qu’il aime et qui correspond à
ses sentiments. Son poème est donc lyrique et ressemble à une déclaration amoureuse. Pour autant, cette
déclaration n’est pas dépourvue de nostalgie, l’automne étant associé à une mort prochaine et au temps qui
passe.
Problématique : Comment G. Apollinaire renouvelle-t-il l’expression de la nostalgie liée à l’automne ?
Structure du poème :
Première strophe :
Sur les beautés de l’automne pèse la menace prochaine de la destruction.
Deuxième strophe :
A la mort de l’automne semble associée, d’une manière symbolique, la disparition de cruelles et
énigmatiques figures féminines.
Troisième strophe :
Les bruits et les espaces de l’automne
Quatrième strophe :
La voix du poète intervient pour se mettre à l’unisson de la chanson de l’automne. La mort et la fuite du
temps l’emportent dans les dernières images.
Plan détaillé :
Un poème, paysage de l’automne
Ce poème propose une représentation suggestive de l’automne.
→ évocation d’un paysage riche et varié, composé des éléments familiers à la saison : « roseraies »
délicates, « vergers » prometteurs.
→ lente agonie ensuite à la fin du texte des arbres et des fruits avec cette double image de chute exprimée
par « les fruits tombants sans qu’on les cueille » et « feuille à feuille ».
Les références aux lieux et à l’atmosphère servent aussi à la peinture de l’automne : l’espace forestier est
suggéré par les « lisières lointaines » puis par le terme « forêt » au vers 16 : c’est l’automne tel que la poésie
romantique l’a institué.
Quant à la proximité de l’hiver, elle se lit à travers les termes « ouragan », « neige », « neigé ».
Dès le début du texte, l’automne est personnifié par les adjectifs « malade et adoré ». C’est une étonnante
déclaration d’amour à une saison, à laquelle il s’adresse comme une personne douée de vie, que produit ici
le poète. On sent qu’il a de la compassion pour l’automne ; il est « malade », il mourra bientôt, vaincu par
des éléments naturels plus forts que lui (« l’ouragan », « la neige »). Cette impression se confirme au vers 5 :
« Pauvre automne ». On comprend alors que le poète est en empathie avec l’automne, qu’il éprouve de la
compassion pour cette saison qui va vite disparaître sans qu’on se rende forcément compte de sa richesse
(les fruits, évoqués deux fois vers 7 et 15, tombent « sans qu’on les cueille »).
L’opposition automne/hiver : Cette disparition est le fait de l’hiver, qui s’oppose terme à terme à
l’automne tout au long du poème. On voit que l’automne est associé à des éléments positifs (mélioratifs :
« richesse », « fruits mûrs », tandis que l’hiver à des éléments plus menaçants. Ainsi la neige, à laquelle il
est aussi fait allusion deux fois aux vers 3 et 7, s’oppose par sa blancheur aux fruits colorés de l’automne.
Elle est signe de deuil (« tu mourras… Quand il aura neigé ») et évoque alors, par sa blancheur, le linceul
qui enveloppe les morts. Ainsi la splendeur de l’automne est menacée par la mort et l’hiver. L’automne est
malade et le terme de sa maladie est déjà fixé.
Donc les termes qui fixent l’image du décor et rendent l’atmosphère, fondent un paysage qui allie splendeur
et prémonition de la mort.
Apollinaire a également choisi de mettre en scène l’automne en faisant de l’organisation musicale de
ses vers les échos mélodiques de la saison.
→ Le dernier vers du poème imite dans la disposition de ses mots la chute des feuilles qu’il suggère, et que
l’harmonie phonétique, introduite par la reprise de « roule, foule, s’écoule » renchérit l’impression de la
flétrissure et de la mort.
→ Plus subtilement le second vers construit une harmonie imitative : le terme central « ouragan » souffle et
disperse ses sonorités de chaque côté du vers, avec tu mourras quand » et « soufflera dans »
Donc la musique intérieure et la disposition des vers mettent la vie de l’automne dans la réalité de l’écriture
du poème.
Ce paysage d’automne est le poème d’une émotion intérieure
L’automne permet au poète d’exprimer son univers intérieur. Ainsi la correspondance entre le poète
et le paysage et explicite au vers 13 : « et que j’aime ô saison que j’aime tes rumeurs », mais elle se lit aussi
dans la complicité affective exprimée par l’apostrophe du vers 4 « Pauvre automne ».
.
La discrète présence de l’amour douloureux : Le lyrisme est certes très présent dans ce poème, mais c’est
de façon très discrète que le poète évoque sa propre blessure. En effet, si le poète est en empathie avec
l’automne, on comprend que lui aussi souffre. Ainsi la personnification de l’automne prend un tour différent
aux vers 16/17 ; le bruit du vent dans la forêt est comparé à des pleurs, tandis que les feuilles qui tombent
deviennent des « larmes ». C’est ici la douleur du poète qui est évoquée métaphoriquement. Aux « lisières
lointaines » semblent surgir des souvenirs douloureux : le poète est emporté loin de souvenirs qu’il vaut
mieux laisser mourir. Le temps éloigne : « Aux lisières lointaines », « Au fond du ciel ». Des éperviers,
rapaces menaçants, semblent être sur le point de s’en prendre à des sorcières (« des nixes ») un peu sottes et
qui n’ont jamais aimé. En plein accord avec cette sensibilité mentale, Apollinaire introduit au centre du texte
l’univers étranges des légendes pour dire l’amour et les souffrances qu’il entraîne. Les « nixes » sont les
femmes de cet automne fatal et ambigu, tant par leur écho étymologique qui fait d’elles comme les froides
figures de l’hiver, « nix » signifiant neige en latin, que par l’impression maléfique qu’elles suscitent, avec
leurs cheveux verts et la difformité de leur corps. Ce thème familier de la femme envoûtante et dangereuse,
l’étrangeté du vocabulaire qui la désigne sert à l’exprimer avec « nixes nicettes », et la menace s’amplifie de
l’image des « éperviers » qui tracent dans le texte le cercle des mauvais augures. Remarquons enfin que
l’évocation de la mort de l’amour est associée aux évocations de la mort de l’automne. Quelque souvenir
douloureux, lié à l’amour, semble mourir avec l’automne : « La vie s’écoule », les larmes ne sont plus que
des feuilles qu’on piétine. Le train qui roule, élément moderne par contraste avec les lisières lointaines et des
vergers où se déroulait le reste du poème, manifeste le retour à la réalité concrète, loin des « nixes » et des
cerfs qui brament au fond des bois.
Derrière cette unité de la strophe apparaît l’une des significations du poème : légende et évocation de la
nature sont les supports de la souffrance du poète.
Pour mieux le signifier, la description de la nature est prise en charge par un vocabulaire de
l’émotion. Notons que le chagrin du poète est signifié par le chagrin des arbres qui « pleurent/ toutes leurs
larmes ». D’ailleurs son cœur n’est-il pas à l’image de ces « feuilles /Qu’on foule ? ».
Cette émotion intérieure et lyrique sait être aussi une sensibilité universelle face à la vie.
Cet automne instable et menacé est, pour Apollinaire, une image de la vie. Effectivement, les images
en figurent les dimensions essentielles :
→fragilité de la vie qui apparaît à travers l’expression « tu mourras » et la certitude angoissante qui se dit à
travers l’emploi de l’indicatif futur.
→faillite de l’amour comme nous l’avons analysé avec les « nixes nicettes ».
→ dépossession des souvenirs, cours inexorable du temps derrière les images des « feuilles » qui tombent,
du « train » que rien ne semble pouvoir arrêter. C’est cette permanente fuite des choses et de la vie qu’avait
célébré « Le pont Mirabeau ».
→ Evolution de l’expression du lyrisme à travers le poème. Au début la saison de l’automne s’impose. Puis
le discours confidentiel du poète apparaît dans la seconde strophe. Cependant, après que le poète a célébré sa
complicité avec la saison, on remarque en fin de texte une ouverture à l’indéfini : « on », « un train », « la
vie ». Ainsi, dans les images simples, dans les bruits familiers de la réalité de l’automne, Apollinaire lit non
plus seulement les bruits de sa vie mais les lois du monde. La chute des feuilles et la chute des derniers vers
dessine l’image ultime de la vie : elle est un fleuve insaisissable.
Conclusion : « Automne malade « peut se lire comme un testament poétique : Apollinaire a privilégié
l’évocation de préférence à la description. Il orchestre des termes familiers qui font de la vie un passage, une
instabilité des sentiments.