METHODE DE L`EXPLICATION PHILOSOPHIQUE

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METHODE DE L`EXPLICATION PHILOSOPHIQUE
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METHODE DE L’EXPLICATION PHILOSOPHIQUE
(Je ne reviendrais pas sur les principes "formels" (taille de la copie, orthographe...), exposés
dans la méthodologie de la dissertation ; il en va bien sûr de même avec l’explication)
Le but d’une explication philosophique n’est autre que d’éclairer la façon singulière dont un
penseur envisage un problème et l’affronte et tel que l’extrait proposé vous le dévoile. On attend donc
du candidat qu’il éclaire précisément la question que le penseur se pose et le problème auquel il fait
face, ainsi que chacun des arguments sur lesquels il s’appuie. Notez ici que j’insiste tout
particulièrement sur la précision de l’explication : trop de copies d’examen se contentent d’une vague
reprise lointaine du texte, parfois en moins de mots que le texte n’en contient ( ! ). Or, l’exercice de
l’explication (et c’est là ce qui fait sa rigueur et sa difficulté) engage l’analyse très précise et détaillée
de chacun des arguments du penseur.
Tout d'abord, voyons ce qu'il ne faut pas faire (ce qui nous découvre déjà ce qu'il nous est possible de
faire).
Les erreurs que l'on risque de commettre dans l'explication sont de deux types :
1/ L’explication en extériorité :
Cette erreur vient généralement du commentaire des textes littéraires : expliquer un
texte revient dans cette perspective à en qualifier chacune des phrases les unes à la suite des autres, ou
bien encore à faire des groupements thématiques : Dans la première phrase, l'auteur affirme...Le mot
de "liberté" semble préoccuper notre auteur puisqu'il le répète dix fois de suite...L'auteur développe
une métaphore dans laquelle la liberté est le terme comparé et la citrouille, le terme comparant...
Or, si vous procédez de cette façon, vous traiterez le texte en extériorité et perdrez son unité de sens :
si vous décomposez ainsi le texte, vous en perdez le mouvement, c'est-à-dire le sens ou la logique;
vous analyserez des phrases ou des mots, isolés abstraitement les uns des autres, supposant que les
mots ont en eux-mêmes un sens non équivoque ; or, si tel était le cas, l'auteur du texte aurait-il pris la
peine d'en interroger le sens ?
Isolant les mots du texte, vous serez alors entraînés à préjuger de leur définition, en vous rapportant au
sens commun, ou bien encore à un cours, ce faisant vous vous interdirez évidemment alors de
comprendre les questions que le texte engage.
De plus, en dépliant ainsi chronologiquement le texte, c'est-à-dire en l'expliquant
phrases après phrases suivant leur ordre de succession, vous vous préparez aux pires contresens :
imaginons un texte (et croyez-moi ce genre de texte est fréquent) où l'auteur commence par exposer
telle ou telle conception, opinion, thèse, préjugé..., pour mieux renverser par la suite une telle thèse, si
vous expliquez le texte phrases après phrases, en suivant l'ordre chronologique de succession, dans ce
cas, vous serez immanquablement entraînés à attribuer à l'auteur en question ces thèses qu'il expose
pour mieux pouvoir les renverser. Ce faisant, vous serez dans l'impossibilité de comprendre ce
renversement et vous essayerez tant bien que mal de fuir cette contradiction en l'escamotant.
2/ Second défaut : la paraphrase (ou le dilemne du miroir déformant)
Qu'entend-on sous ce petit mot si "cruel", qui, comme vous le savez déjà, est souvent
synonyme de mauvaise note ? On entend par là que votre commentaire n' a pas été fidèle au texte.
Mais, me direz-vous, n'est-ce pas paradoxal : paraphraser un texte, n'est-ce pas, au contraire, redire le
texte, et ,en ce sens, lui être trop fidèle ?
C'est là le coeur de toutes les difficultés que vous éprouvez face au texte et à cet exercice de
l’explication : si votre pensée est sèche devant le texte, si loin d'être une provocation à la pensée, le
texte l'interdit au contraire, cela tient essentiellement à la fausse représentation que vous vous faites de
ce qu'est le sens. Le sens du texte n’est ni « caché » ni, pour autant, immédiatement donné.
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On attend de vous que vous mettiez en relief sa thèse, ses enjeux et ses arguments qui sont, certes,
apparents mais qu’il s’agit de déployer et de questionner dans le moindre de leurs détails. Ainsi, le
candidat qui tombe dans la paraphrase ne fait que reprendre platement les arguments sans en interroger
la signification.
Le travail préparatoire
En tout premier lieu, il faut bien sûr lire le texte. Cela semble être une lapalissade; mais lire est
à la fois l'exercice le plus facile et le plus difficile qui soit. Pourquoi ? parce que le texte qui est sous
vos yeux est un "à-plat", un ensemble encore indifférencié (et qui se refuse à la compréhension parce
qu'il "fait bloc", parce qu'il est justement encore indifférencié) : nul "relief", tout semble sur le même
plan.
L'effort d'analyse qu'on attend de vous dans l'explication va consister à faire apparaître la hiérarchie de
sens spécifique au texte.
Pour cela, il faut tout d'abord s'efforcer de dégager l'essentiel : la thèse qui motive tout le passage, puis
ressaisir toute la logique argumentative qui fonde cette thèse. Attention : à propos de "l'erreur" du
mot à mot, je vous signalais précédemment que l'ordre logique du texte ne se confond pas avec son
ordre chronologique : cela veut dire que la thèse n'est pas exposée nécessairement dans la première
phrase du texte, qu'elle peut-être exposée au cours ou à la fin du texte. Voire, dans la plupart des cas,
cette thèse n'est pas explicitée clairement : il s'agit toujours, de toute façon de la reformuler.
Comment donc, lors du travail préparatoire, ressaisir la thèse et la démonstration sur laquelle elle
s'appuie ? Voici un petit "guide" pour vous orienter :
Premier temps : cerner la thèse
Prenons pour exemple un passage du Gorgias de Platon : l’intervention du sophiste Calliclès :
« Selon la nature, tout ce qui est plus mauvais est aussi plus laid,
comme de souffrir l’injustice, tandis que, selon la loi, c’est de la
commettre. Ce n’est même pas le fait d’un homme de subir l’injustice,
c’est le fait d’un esclave, pour qui la mort est plus avantageuse à la vie,
et qui, lésé et bafoué, n’est pas en état de se défendre, ni de défendre
ceux auxquels il s’intéresse. Mais, selon moi, les lois sont faites pour
les faibles et par le grand nombre. C’est pour eux et dans leur intérêt
qu’ils les font et qu’ils distribuent les éloges et les blâmes ; et, pour
effrayer les plus forts, ceux qui sont capables d’avoir l’avantage sur
eux, pour les empêcher de l’obtenir, ils disent qu’il est honteux et
injuste d’ambitionner plus que sa part et que c’est en cela que consiste
l’injustice, à vouloir posséder plus que les autres ; quant à eux,
j’imagine qu’ils se contentent d’être sur le pied d’égalité avec ceux qui
valent mieux qu’eux.
Voilà pourquoi, dans l’ordre de la loi, on déclare injuste et laide
l’ambition d’avoir plus que le commun des hommes, et c’est ce qu’on
appelle injustice. Mais je voie que la nature elle-même proclame qu’il
est juste que le meilleur ait plus que le pire et le plus puissant que le
plus faible. »
Platon, Gorgias (intervention du sophiste Calliclès).
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1/Commencez par donner un titre au texte, afin de vous obliger à en avoir une vision
synthétique. Ce titre ne doit ni être un simple mot, ni une citation du texte même. Soit l'intervention de
Calliclès dans le Gorgias, exemple : La justice des hommes est contre-nature.
2/Formulez, sous la forme d'une question, le problème qui fonde toute la réflexion du texte
(pas une question explicite du texte) . Exemple du Gorgias :
La justice, loin de poser l'égalité entre les individus, n'est-elle pas au contraire un rapport de
force illégitime, une contrainte arbitraire que les lois naturelles contredisent ?
3/Formulez en une phrase la thèse du texte (sans le citer). Ex :
Selon Calliclès, la justice de la Cité n'est que l'expression de la revanche des faibles sur les
forts et le principe sur lequel elle se fonde, l'égalité, est injuste et contre-nature, puisque la nature veut
que les hommes soient inégaux, c'est-à-dire que le fort l'emporte sur le faible.
Second temps : dégager l'argumentaire démonstratif.
A partir du moment où vous avez mis en évidence la thèse, il faut (on pourrait
presque dire, "naturellement") examiner quels sont les arguments qui appuient la thèse en question.
4/ Repérez les concepts du texte.
Faites attention au fait que les couples conceptuels sur lequel le texte repose, à partir desquels
la réflexion se développe, ne sont pas toujours explicités dans le texte. Il est impératif pour vous de les
dégager afin de comprendre les oppositions sur laquelle la réflexion prend appuie. Ainsi, dans le
Gorgias, Calliclès oppose la justice de la Cité et la justice naturelle, l'égalité dont se réclame la justice
des hommes comme son principe et les inégalités naturelles, le fort et le faible, etc... Ces oppositions
sont claires dans le dialogue de Platon (quoique jamais explicitement posées) mais il peut très bien
arriver que, dans un texte, ces oppositions demeurent implicites : vous devez les faire apparaître.
5/ Dégagez les articulations logiques du texte.
Il faut porter la plus grande attention aux mots de liaison entre les phrases : ainsi, or, mais,
donc, c'est pourquoi....Tous ces liens logiques nous permettent de dégager l'ordre des idées du texte
proposé. Par exemple, si l'auteur de ce texte emploie les mots "mais" ou "toutefois", c'est très
certainement parce qu'il va être amené à contredire ou bien à nuancer ce qui a été dit précédemment.
Si vous ne prenez pas garde à ces liens logiques, vous risquez de commettre des contresens.
Ce travail d'analyse du texte fait, efforcez-vous alors d'en ressaisir sur votre
"brouillon" la logique démonstrative, de façon synthétique. Vous éviterez ainsi, au cours de votre
commentaire, de perdre le fil de la démonstration, le sens de la réflexion.
Exemple pour le Gorgias :
Selon Calliclès, la justice de la Cité est contre-nature. Pourquoi ?
Parce que les lois humaines repose sur un principe d'égalité, tel que fort et le faible, le meilleur et le
pire, doivent être traiter de la même façon.
Or, un tel principe égalitaire contredit l'ordre naturel et les lois naturelles, qui veulent que le fort
l'emporte sur le faible, que le meilleur commande au pire. Les lois de la Cité considèrent tous les
individus selon la même règle, les plient tous à la même mesure, sans tenir des différences entre eux et
des mérites de chacun.
Par conséquent, les lois ne sont que des contraintes arbitraires, illégitimes : la justice
humaine est injuste si on la considère à l'aune des lois naturelles.
Si les lois ne sont que des contraintes, à qui profite cette contrainte ? Les lois ne sont que
l'expression de la revanche des faibles sur les forts, qui par l'entremise des lois, réduisent à l'égalité
ceux à qui, naturellement, il obéirait.
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Ainsi, force est de constater que les lois humaines ne respectent même pas le principe
d'égalité dont elles se réclament, puisque elles ne sont que le moyen par lequel les faibles étendent
leur empire sur les forts : par conséquent, elles ne font que retourner la loi naturelle qui veut que le
fort l'emporte sur le faible, ou, dans un certain sens, que poursuivre cette loi, puisque les faibles
assemblés sont toujours plus forts que les forts pris isolément (la force étant rare, la faiblesse et la
médiocrité étant le lot commun).
Ainsi, non seulement le principe dont se réclame la justice des hommes est injuste au regard
des lois naturelles mais ce principe n'est même pas respecté, si l'on y regarde de plus près, puisque les
faibles ne cherchent pas tant à poser l'égalité au travers des lois mais surtout à contenir les forts et à
les réduire à l'impuissance. Telle est la véritable fin des lois, selon Calliclès.
Remarque d'importance : on retrouve ici des exigences que nous avions déjà
rencontrées avec l'exercice de la démonstration. Il s'agit ici de ressaisir un cheminement logique
(si....par conséquent....Or...ainsi....) et non de raconter "des histoires" à propos du texte en le décrivant
en extériorité (l'auteur dit....puis il affirme...et enfin il finit par raconter....). Si vous faites cela, vous
perdez le sens du texte, vous le décomposez en une juxtaposition de phrases, mises bout à bout, sans
rapport les unes avec les autres.
Points importants :
1/ il vous faut impérativement citer le texte en le commentant.
2/ le texte doit être intégralement commenté : cela ne veut pas dire qu'il faut s'arrêter sur chaque mot
ou sur chaque phrase, et les citer toute (surtout si le texte est long) mais que votre explication ne doit
pas faire l'impasse sur l'une des parties du texte.
L'introduction
Dans l'introduction, vous devez exposer la thèse du texte de façon synthétique, puis exposer
les questions qu'une telle thèse suscite :
Dans cet extrait du Gorgias, Calliclès entreprend une critique sans appel de la justice
et des lois humaines. En effet, selon le sophiste, les lois humaines sont contre-nature, le principe
d'égalité dont elles se réclament allant à l'encontre des lois naturelles qui veulent que le fort l'emporte
sur le faible; elles sont de plus une supercherie par laquelle les faibles étendent leur emprise sur les
forts.
Cependant, peut-on estimer, comme le fait Calliclès, que les lois sont des contraintes
arbitraires et qu'elles nient ainsi les différences et les inégalités naturelles ? Cette "loi du plus fort"
dont se réclame le sophiste pour critiquer la justice, est-elle naturelle ou bien sociale ? D'autre part,
le principe d'égalité, dont se réclame la justice, réduit-il indistinctement tous les individus à une
médiocrité indifférenciée ? L'expression des talents et des mérites n'est-elle pas, au contraire, rendue
possible par les lois, et uniquement par les lois ?
Dans un premier temps, nous verrons comment Calliclès critique la justice des
hommes en montrant qu’elle repose sur un principe contraire à la nature, l’égalité, puis nous mettrons
en évidence la contradiction de cette justice, celle-ci, selon Calliclès, ne respectant même pas le
principe d’égalité auquel elle prétend pourtant.
Remarque : Pas de bla-bla sur la vie de l'auteur, sur le siècle dans lequel il a échoué (sauf si
cela peut éclairer le texte) sur la date de sa première dent ou sur les états d'âme que lui prêtent le
dictionnaire... Cela vous évitera en plus des bévues qui font tâche le jour de l'examen, du type :
Husserl, philosophe du XIII ème siècle...Platon, notre illustre contemporain...
Seconde remarque : remarquez que, dès l'introduction, la thèse doit être exposée
précisément, même si cela doit demeurer synthétique.
Questions :
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- Combien de parties dans l’explication ?
Tou dépend du texte singulier auquel vous êtes confronté. Si vous repérez des unités, des parties
logiques dans le texte, vous pouvez découper votre explication selon les moments distincts que vous
avez ainsi dégagé dans le texte. Si ce n’est pas le cas, votre explication peut consister en une longue
partie où vous suivez pas à pas et exposez les arguments de l’auteur.
La conclusion ?
Mêmes exigences que pour la dissertation : vous ressaisissez clairement la thèse et la logique
argumentative du texte, puis remettez cette thèse en regard de la mise à l'épreuve, de
l'approfondissement de la seconde partie.