Théorie de l`oligopole et oligopoles non coopératifs
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Théorie de l`oligopole et oligopoles non coopératifs
Théorie de l’oligopole et oligopoles non coopératifs Dans un marché oligopolistique, le nombre de firmes est limité I - Cadre général Le nombre limité de firmes dans un oligopole peut s’expliquer par des coûts d’entrée élevés : les barrières à l’entrée. Ces dernières permettent aux oligopoleurs d’espérer gagner des bénéfices importants à long terme. Les situations de non-coopération s’appliquent généralement bien aux situations oligopolistiques. A - 2 types d’approche : Cournot : approche en quantités Bertrand : approche en prix B - L’équilibre du marché oligopolistique Chacune des entreprises a un poids sur le marché (différent de la situation de la concurrence parfaite). Chacune cherche à maximiser son profit mais devra le faire en tenant compte des actions des autres firmes. II - La concurrence par les quantités : l’oligopole selon Cournot et Stackelberg A - Deux cas de figure : • soit les firmes sont interchangeables, et elles ont un rôle symétrique ; et elles acceptent d’avoir le même poids sur le marché ; • soit elles ont un rôle asymétrique, et l’une va avoir un rôle dominant. © B. Quélin – Groupe HEC 1 Par simplification (souvent abusive) les analyses retiennent le cas d’un oligopole formé par deux entreprises : c’est-à-dire un duopole ! B - Rôle symétrique des firmes : le duopole de Cournot Deux exemples de marchés oligopolistiques : B1 - Le secteur des boissons : Parts de marché - Etats-Unis en 1998 Coca-Cola Pepsi-Cola Cadbury Schweppes 44, 5% 31,4% 14,4% B2 - Le secteur de la musique : Marché des albums Etats-Unis en 1997-98 Universal/Polygram Warner Music Sony Music EMI Group Plc BMG Entertainment 24,5% 18,2% 16,6% 12,9% 12,2% C - Description du modèle Soit deux entreprises produisant un bien homogène en quantités q1 et q2 et qui ont des fonctions de coût identiques : Ci(qi) La production totale s’élève ainsi à Q = q1 + q2 D - Les hypothèses H1 : la demande n’est pas concentrée La fonction de demande est monotone et décroissante et connue à l’avance : Q= Q(P) Donc, la distribution des prix que sont prêts à payer les demandeurs est connue pour chaque quantité totale offerte sur le marché. La fonction de demande inverse est donc : © B. Quélin – Groupe HEC 2 P = P(Q) = P (q1 + q2) H2 : la variable stratégique de chacune des firmes sur le marché est la quantité produite et non pas les prix. Ceci signifie que : • ce sont principalement des marchés arrivés à maturité sur lesquels un producteur ne peut suivre une politique de prix différente de celle de ses concurrents ; • les consommateurs sont habitués à des gammes de prix existantes. H3 : le bien produit est homogène et donc parfaitement substituable H4 : chaque firme a pour objectif la maximisation de son profit en s’adaptant aux conditions de marché L’objectif de chaque firme est de maximiser son profit en fonction de la quantité qu’elle choisit de mettre sur le marché. Les deux firmes choisissent leurs quantités vendues de façon non coopérative. Le programme de maximisation de la firme 1 est : Max Π1(q1, q2) = P(Q).q1 – C1(q1) = P(q1 + q2).q1 – C(q1) (1) Le profit de la firme 1 dépend de la quantité produite par la firme 2. La recette totale, qui est le produit du prix sur le marché, dépend de la demande totale et de la quantité offerte individuellement par chaque entreprise. Pour prendre la bonne décision, la firme 1 doit prévoir la décision de production de la firme 2. Le programme de maximisation de la firme 2 est: Max Π2(q1, q2) = P(Q).q2 – C2(q2) = P(q1 + q2).q2 – C(q2) © B. Quélin – Groupe HEC 3 (2) E - L’équilibre de Cournot Pour déterminer l’équilibre, chaque entreprise va maximiser son profit pour un niveau de production donné du concurrent. Donc l’équilibre va vérifier les deux conditions du premier ordre suivantes : δΠ1(q1, q2) /δq1 = [δP(q1 + q2)/ δq1].q1 + P(q1 + q2) – δC(q1)/ δq1 = 0 δΠ2(q1, q2) /δq2 = [δP(q1 + q2)/ δq2].q2 + P(q1 + q2) – δC(q2)/ δq2 = 0 Nous avons aussi des conditions du second ordre pour chaque firme : δ2Π/δq21 ≤ 0 F - Fonction de réaction et conjectures La condition du premier ordre pour la firme 1 exprime sa production optimale en fonction des anticipations sur le choix de la firme 2. C’est ce que l’on appelle la fonction de réaction de la firme 1. Elle fait état des réactions de la firme 1 compte tenu de ses différentes conjectures sur le choix possible de la firme 2. On a donc une fonction de réaction pour chacune des deux firmes. Par conséquent, il nous faut isoler les quantités de chaque firme. Des fonctions dérivées premières du profit, il vient donc : [δP(q1 + q2)/ δq1].q1 + P(q1 + q2) = δC (q1)/ δq1 => q1 = R1(q2) (3) [δP(q1 + q2)/ δq2].q2 + P(q1 + q2) = δC (q2)/ δq2 => q2 = R2(q1) (4) Les fonctions de réaction des deux firmes R1(q2) et R2(q1) sont ainsi obtenues. Nous cherchons à déterminer les quantités optimales pour chacune. © B. Quélin – Groupe HEC 4 Ces deux fonctions de réaction sont des fonctions de « meilleure réponse » à la quantité offerte par l’autre firme. L’équilibre est un cas particulier de ces fonctions de réaction. Ainsi, la première firme, en fonction de ses coûts, va déterminer la quantité qui maximisera ses profits. La seconde firme, connaissant la demande, déterminera sur la base de sa fonction de réaction la quantité à offrir en fonction de la quantité offerte par la première. Celle-ci aura un impact sur la fonction de réaction de la première firme qui devra elle aussi ajuster alors sa quantité offerte. Pour trouver l’équilibre, dans l’expression de la fonction de réaction de la firme 1, il faut donc remplacer q2 par la fonction de réaction de la firme 2 qui dépend de q1 : q1 = R1(R2(q1)) ==> q1* puis on remplace q1* dans la fonction de réaction de la firme 2 et on trouve q2*. L’équilibre (q1* , q2*) est un équilibre de Cournot-Nash. On représente souvent le couple (Q*, P*) avec Q* = q1* + q2* et P* = (q1* + q2*) © B. Quélin – Groupe HEC 5 G - Représentation graphique Supposons que la courbe de demande inverse soit concave, alors les courbes de réaction auront des pentes négatives. L’équilibre de Cournot se situe à l’intersection des deux courbes de réaction. q2 R1 C q2* R2 q1 q1* Le modèle classique de Cournot permet d’expliquer l’existence de cet équilibre à partir d’un processus d’ajustement. Faisons l’hypothèse qu’il n’existe qu’une seule firme sur le marché. Elle choisit ce qu’elle considère le niveau de production qui maximise son profit. Ensuite, la seconde firme entre sur le marché. On suppose que le choix de la quantité produite par la firme 1 est connu et que la seconde firme va s’adapter à cette situation et fixer sa propre quantité qui maximise son profit. La première firme réagira à son tour au choix de la seconde. Ce processus d’ajustement s’étend sur plusieurs étapes, faites d’actions et de réactions jusqu’à ce que les deux firmes atteignent un équilibre et n’aient plus le moindre intérêt à modifier leurs quantités produites. Ainsi, chaque firme affine ses conjectures sur le comportement de l’autre par l’observation de ses choix réels de production. © B. Quélin – Groupe HEC 6 Cette interprétation dynamique montre que c’est un processus d’apprentissage qui permet de faire converger vers l’équilibre. Toutefois, selon la pente des courbes de réaction, on peut aboutir à des résultats différents. Ainsi, si la courbe de réaction de l’entreprise 1 a une pente plus forte que celle de l’entreprise 2, on va converger vers un équilibre de Cournot-Nash : l’équilibre en donc stable. q2 R1 C q2* R2 q1 q1 q1* Equilibre stable Dans le cas inverse, l’équilibre sera instable. © B. Quélin – Groupe HEC 7 q2 R1 C q2* R2 q1 q1* q1 Equilibre instable Toutefois, cette interprétation dynamique a été contestée car rien, a priori, ne permet d’affirmer que le processus d’apprentissage va faire converger vers l’équilibre. III - La relecture du modèle de Cournot par la théorie des jeux Un équilibre de Cournot-Nash en stratégie pure est alors un ensemble de quantités (q1*, q2*), tel que chaque entreprise choisit la quantité qui maximise son profit compte tenu de ses conjectures sur le choix de l’autre entreprise et tel que les suppositions sur le choix de l’autre entreprise soient effectivement correctes. A - Un exemple de représentation matricielle Produire (q2) 1 = 10 Produire (q2) 2 = 5 Produire (q1) 1 = 10 0, 0 4, 3* Produire (q1) 2 = 5 *3, 4 *5, 5* © B. Quélin – Groupe HEC 8 Dans le modèle de Cournot, la quantité, le prix et les profits à l’équilibre auront des valeurs intermédiaires entre celles qui interviennent sur un marché de concurrence pure et parfaite. La théorie des jeux amène à la conclusion que l’équilibre de Cournot est le seul envisageable dans un jeu à une seule période. IV - Rôle asymétrique des entreprises : le duopole de Stackelberg Cet auteur allemand propose le concept de leader-follower pour des marchés duopolistiques. Le modèle du duopole de Stackelberg est une extension du modèle de Cournot mais tient compte du comportement asymétrique de la part des deux firmes sur un marché duopolistique. A - Le modèle de Stackelberg Comme chez Cournot, considérons deux firmes (i=1, 2) produisant des quantités q1 et q2 avec Q = q1+q2 et des fonctions de coût identiques : Ci(qi) B - Les hypothèses H1 : la demande est de type concurrentiel pure et parfaite. La fonction de demande est supposée monotone décroissante et connue à l’avance, Q = Q(P). Par conséquent, la distribution des prix que sont prêts à payer les demandeurs est connue pour chaque quantité totale offerte sur le marché. La fonction de demande inverse est P= P(Q). H2 : la variable stratégique de chaque firme sur le marché est la quantité produite. © B. Quélin – Groupe HEC 9 H3 : le bien produit dans la branche est parfaitement homogène (et donc parfaitement substituable). H4 : chaque firme a pour objectif la maximisation de son profit. H5 : la firme ‘leader’ a une information complète sur la courbe de réaction de l’autre firme. La firme ‘follower’ cherchera à maximiser son profit compte tenu de la situation qui a été créée par la firme ‘leader’. Le modèle de Stackelberg suppose qu’une firme joue un rôle actif sur le marché (le ‘meneur’ ou ‘leader’) et que l’autre firme a un rôle passif (de ‘suiveur’ ou de ‘follower’). Le ‘leader’ choisira en premier son niveau de production. Il fixera une quantité qui maximise le profit en prenant en considération la quantité qu’il escompte que le ‘follower’ fixera en réaction à son propre choix. Le ‘leader’ suppose que le ‘follower’ voudra aussi maximiser son profit mais qu’il acceptera le choix de production du ‘leader’ comme une donnée. Cette supposition permet au ‘leader’ de prévoir le choix de production du ‘follower’ et de le prendre en compte quand il choisira son propre niveau de production. L’objectif de chaque firme est de maximiser son profit en fonction de la quantité qu’elle choisit de mettre sur le marché. Les deux firmes choisissent leurs quantités vendues de façon non coopérative. Les programmes de maximisation sont donc : Max Π1(q1, q2) = P(Q).q1 – C1(q1) = P(q1 + q2).q1 – C1(q1) (5) Max Π2(q1, q2) = P(Q).q2 – C2(q2) = P(q1 + q2).q2 – C2(q2) (6) © B. Quélin – Groupe HEC 10 C - Calcul de l’équilibre Pour déterminer l’équilibre, on doit calculer la fonction de réaction de la firme ‘follower’ et maximiser le profit de la firme ‘leader’ sachant comment la firme ‘follower’ va réagir. D - Fonction de réaction de la firme ‘follower’ : δΠ(q1, q2)/ δq2 = 0 d’où il vient : [δP(q1 + q2)/ δq2].q2 + P(q1 + q2) = δC2 (q2)/ δq2 On a donc une fonction de réaction pour la firme ‘follower’ : q2 = R2(q1) E - Maximisation du profit de la firme ‘leader’ : détermination de (q1)* Maintenant que nous connaissons la fonction de réaction de la firme ‘follower’, il faut maximiser le profit de la firme ‘leader’ : Π1(q1, q2) = P(Q).q1 – C1(q1) = P(q1 + R2(q1)).q1 – C1(q1) D’où pour la maximisation : δΠ1 (q1, R2(q1))/ δq1 = 0 [δP(q1 + R2(q1))/ δq1].[1 + (δR2(q1)/ δq1)].q1 + P(q1 + R2(q1)) - δC1 (q1)/ δq1 = 0 d’où : [δP(q1 + R2(q1))/ δq1].[1 + (δR2(q1)/ δq1)].q1 + P(q1 + R2(q1)) = δC1 (q1)/ δq1 © B. Quélin – Groupe HEC 11 On obtient ainsi directement q1*. F - Réponse de la firme ‘follower’ En reportant cette valeur dans la fonction de réaction de la firme ‘follower’, on obtient q2*. L’équilibre sur le marché est un équilibre de Stackelberg et il sera représenté par (Q*, P*) avec Q* = q1* + q2* et P* = P(q1* + q2*). G - Représentation graphique Pour chaque niveau de production fixé par la firme 2, la firme 1 peut choisir son propre niveau de production de façon à maximiser son profit (condition de tangence). q2 R1 R2 q1 R1 est la fonction de réaction de l’entreprise 1, idem pour R2 La courbe d’isoprofit la plus basse représente le maximum de production de la firme 1 sachant la production de la firme 2. q2 R1 Leader q2(C) © B. Quélin – Groupe HEC 12 R2 Follower q2(S) q1 q1(C) q1(S) Equilibre de Stackelberg lorsque l’entreprise 1 est ‘leader’ L’équilibre de Stackelberg [q1(S), q2(S)] n’est généralement pas le même que l’équilibre de Cournot [q1(C), q2(C)] Le modèle de Stackelberg illustre l’avantage du leader, car il prend sa décision en premier. © B. Quélin – Groupe HEC 13