Mémoire L`enseignement instrumental à l`épreuve des différences

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Mémoire L`enseignement instrumental à l`épreuve des différences
CEFEDEM Bretagne - Pays de la Loire
Mémoire
L’enseignement instrumental
à l’épreuve des différences
Nom : MARC-RIGAL
Prénom : Emilie
Diplôme d’Etat
Professeur de Musique
Spécialité : Flûte traversière
Formation Initiale
Promotion 2010-2012
Session Juin 2012
Référent : Agnès Gallier
Qualité : Enseignante
1
Sommaire
Introduction………………………………………………………………………..3
I : Le cours instrumental individuel : lieu privilégié de différenciation…………..4
a : Qu’est-ce que la différenciation ?..............................................................5
b : Le principe d’éducabilité : base de la différenciation…………………...7
c : Une particularité de l’enseignement instrumental : le cours individuel....8
II: Une pédagogie qui n’est pas sans écueils……………………………………..11
a : Un défi : la gestion des différences……………………………………..11
b : Un risque : l’enfermement……………………………………………...14
c : Un dangers : les représentations sociales……………………………….16
III : Vers une différenciation contrôlée…………………………………..………20
a : L’abstraction des informations : un idéal….…………………………...20
b : L’évaluation : un outil pédagogique…………..………………………..23
c : La pédagogie de groupe : une alternative………………………...…….25
Conclusion………………………………………………………….....................27
Bibliographie…………………………………………………………………….28
2
Introduction :
Dire que chaque personne est différente est inutile, nul ne viendra contredire
cette idée. Il existe même un courant pédagogique qui se base sur cette
affirmation : la différenciation pédagogique. Prendre en compte dans son
enseignement les différences de chaque élève. Cette idée vient se heurter à la
complexité de mise en œuvre dans la réalité d'une classe scolaire où un enseignant
fait face à vingt-cinq élèves. Mais elle paraît plus réaliste dans une situation de
cours individuel, comme on en trouve dans l'enseignement instrumental en école
de musique et au conservatoire.
Il s'agit ici d'aborder une situation pédagogique particulière qu'est le cours
individuel sous l'angle de la différenciation pédagogique. Transposer les
problématiques de la différenciation dans l'enseignement instrumental en cours
individuel. S'interroger sur les limites reconnues de ces pédagogies différenciées
dans un contexte particulier que représente le cours instrumental individuel. Car si
un cours individuel facilite la différenciation, en est-il de même pour les risques
qu'elle comporte?
Comment éviter alors que les différences entre les élèves ne se transforment en
inégalités de réussite?
Après avoir fait le lien entre différenciation pédagogique et enseignement
instrumental individuel, nous confronterons les risques de la différenciation à
cette situation pédagogique, pour tenter de proposer divers moyens permettant de
la réguler.
3
I : Le cours instrumental individuel : lieu privilégié de
différenciation pédagogique
Cette notion de différenciation est issue de l'enseignement scolaire. Si on
compare la situation d'un enseignant face à une classe et celle d'un enseignant face
à un seul élève, il apparaît légitime de croire qu'il sera plus évident de tenir
compte des différences de chacun lors d'un cours individuel.
a : Qu'est-ce que la différenciation pédagogique ?
« Différencier son enseignement, c'est faire en sorte que chaque apprenant
se trouve, aussi souvent que possible, dans des situations d'apprentissage fécondes
pour lui »1.
Les pédagogies différenciées relèvent d'un souci d'ajuster l'enseignement
aux caractéristiques de l'individu et se présentent comme une réponse à
l'hétérogénéité des classes et un moyen de lutter contre l'échec scolaire et les
inégalités sociales. Elles portent une exigence d'égalité. Comme l'a dit Pierre
Bourdieu, « l'indifférence aux différences »2 transforme les inégalités initiales en
inégalités d'apprentissage puis en inégalités de réussite scolaire.
Les inégalités initiales sont de deux types. Il y a les inégalités sur le plan
cognitif et celles sur le plan sociologique.
D'un point de vue cognitif, les élèves n'ont pas les mêmes profils pédagogiques,
les mêmes besoins de guidage, ni les mêmes rythmes d'apprentissage.
D'un point de vue sociologique, les élèves n'évoluent pas dans le même milieu.
1 PERRENOUD Philippe, Pédagogie différenciée : des intentions à l’action.
2 BOURDIEU Pierre, L’école conservatrice.
4
Mettre en œuvre une pédagogie différenciée, c'est prendre en compte ces
différences dans son enseignement. Il est donc important de varier les situations
d'apprentissages ainsi que les paramètres de mise en œuvre de ces situations.
On utilise l’expression pédagogies différenciées au pluriel car il existe deux
modes de différenciation.
La différenciation successive, que l'on appelle pédagogie variée ou
diversifiée.
Dans ce cas, toute la classe est en même temps dans la même
situation et ce sont les situations d'apprentissages qui changent, qui se succèdent
dans le temps.
La différenciation simultanée, implique elle que les enfants ne travaillent
pas de la même façon en même temps. Différentes situations d’apprentissage sont
présentes en même temps.
L’utilisation de l’expression différenciation pédagogique au singulier est très
générale, elle englobe tous les modes de différenciation.
La différenciation peut porter sur beaucoup de points :
Sur les outils d'apprentissage, les supports de travail, visuels ou auditifs,
l'utilisation du geste.
Sur les démarches d'apprentissage, construire des séquences basées sur la
déduction (découvrir par soi-même après un exercice par exemple) ou
d’induction.
Sur les situations d'apprentissage, les élèves peuvent être dans une situation
de recherche, d'écoute, d'expérimentation.
Sur les degrés de guidage, on peut plus ou moins encadrer les élèves, laisser
des temps où les élèves travaillent seuls.
Sur la place du relationnel, on peut privilégier un certain lien affectif avec le
savoir ou présenter les choses d'une manière plus détachée du vécu de l'élève.
Sur la gestion du temps, on peut alterner des séquences courtes, dynamiques
avec des séquences plus lentes.
Sur la manière de mobiliser les élèves, de les aider à se motiver. On peut
lancer des défis, valoriser l'activité.
Sur l'organisation de la classe,
Sur les formes de travail, il y a des moments d'expositions, de recherches,
d'applications, d'évaluations.
5
Sur les consignes données, elles peuvent être très explicites ou floues,
s'appuyer ou non sur des exemples.
Sur les formes d'évaluations.
Sur les contenus, pour un même objectif, des contenus différents peuvent
être abordés.
Les pédagogies différenciées s'appuient sur un constat anthropologique :
l'hétérogénéité entre les êtres humains. Elles trouvent leurs fondements dans deux
postulats démontrant que la différenciation est une réalité quotidienne. Philippe
Perrenoud rappelle que dans une classe, il n'existe pas deux élèves qui sont traités
de la même manière de la part d'un enseignant. Et Robert Burns se base sur les
postulats suivants :
« Il n’y a pas deux apprenants qui progressent à la même vitesse.
Il n’y a pas deux apprenants qui soient prêts à apprendre en même temps.
Il n’y a pas deux apprenants qui utilisent les mêmes techniques d’étude.
Il n’y a pas deux apprenants qui résolvent les problèmes exactement de la même
manière.
Il n’y a pas deux apprenants qui possèdent le même profil d’intérêts.
Il n’y a pas deux apprenants qui soient motivés pour atteindre les mêmes buts »3
Ces postulats soulignent qu'il n'existe pas deux élèves qui apprennent de la même
manière.
Dans cette réalité quotidienne qu'est la différenciation,
« Le problème n'est pas de nier ce fait mais de le contrôler et de le mettre au
service d'une meilleure réussite de tous »4.
A la base de toute action pédagogique et de la différenciation en particulier,
on trouve un postulat que Philippe Meirieu appelle « postulat de l'éducabilité ».
3 BURNS Robert, Methods for individualizing instruction.
4 MEIRIEU Pilippe, La pédagogoie différenciée : enfermement ou ouverture ?
6
b : le principe d'éducabilité : base de la différenciation
La pédagogie différenciée se base sur un principe fondamental que Philippe
Meirieu appelle le principe de l'éducabilité : tous les êtres que l'on veut éduquer
sont éducables. Cela peut sembler l'évidence même pour toute activité éducative,
mais il est important de le souligner et d'en avoir une conscience éclairée, cette
pédagogie ayant pour but de remédier à l'échec scolaire.
Ce principe d’éducabilité est à la fois une exigence éthique et une nécessité.
Il est à la base de la différenciation car il justifie son existence : pourquoi faire
l'effort de différencier sa pédagogie si on n'est pas intimement persuadé que tous
les élèves ont la capacité d'apprendre?
Ce postulat d'éducabilité est d'autant plus essentiel qu'il permet d'éviter que
l'enseignant attribue les échecs de ses élèves à des causes sur lesquelles il n'a pas
de pouvoir, il est le gage de l'inventivité pédagogique. Il permet aussi de ne pas
condamner l'avenir d'un élève mais de laisser la place à un changement, une
réussite. Ce principe vient s'opposer à l'apologie du « don », que l'on rencontre
souvent dans l'enseignement musical.
Différencier sa pédagogie, c'est accepter l'idée de la remettre en question, et
faire l'effort de l'adapter. C'est une démarche que l'enseignant va entreprendre
parce qu'il admet que si l'élève ne réussi pas dans une matière, ce n'est pas un fait
imputable aux capacités de l'élève mais que c'est à lui en tant qu'enseignant de
trouver comment permettre à l'élève de réussir.
Cette idée n'est pas nouvelle, on la retrouve aux Etats-Unis dans les années
1960. Benjamin Bloom, avec la pédagogie de maîtrise, part du postulat que tous
les élèves sont capables de maîtriser les notions enseignées à l'école pourvu que
les conditions d'enseignement soient optimales pour chacun d'eux. Si des élèves
échouent, c'est que ces conditions ne sont pas remplies. On touche ici à la notion
de différenciation même si pour Benjamin Bloom il ne s'agit en réalité que de
différence concernant la durée d'apprentissage de chaque élève.
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Mais ce principe d'éducabilité ne doit pas transformer la formation d'une
personne en fabrication d'un objet. Il ne faut pas tomber dans l'excès de vouloir
éduquer quoi qu'il en coûte. L'enseignement ne doit pas se transformer en une
sorte d'acharnement pédagogique au détriment de l'élève.
On touche ici à un autre principe, celui de liberté ou de non réciprocité : nul
ne peut contraindre quiconque à apprendre. Il ne faut pas confondre l'éducation
avec le dressage ou le conditionnement. Il ne faut pas non plus tourner le dos à ce
principe d'éducabilité quand les efforts ne sont pas récompensés par une
reconnaissance ou une réussite de l'élève.
La difficulté vient de l'association de l'éducabilité au principe de la nonréciprocité. L'enseignant doit tout faire pour que l'élève réussisse sans oublier que
c'est l'élève qui apprend. L'enseignant doit donc se préparer aux résultats quels
qu'ils soient. Dans le cas ou les résultats ne répondent pas à ses espérances, il faut
qu'il continue malgré tout d'exiger le meilleur de la part de l'élève.
Il faut admettre que le principe d'éducabilité soit constamment remis en question,
sans toute fois y renoncer.
c : une particularité de l'enseignement instrumental : le cours
individuel
Les pédagogies différenciées se placent dans l'enseignement scolaire, elles
ont lieu dans le contexte d'une classe. Toute la difficulté de ces pédagogies
résident bien là : autant d'élèves que de manières d'apprendre différentes.
Si on reprend la définition de Philippe Perrenoud, il s'agit de mettre l'élève
dans une situation d'apprentissage féconde pour lui. L'avantage d'un cours
individuel est qu'il devient alors plus simple de répondre à cette attente,
l'enseignant ayant en face de lui un seul élève. Sans avoir conscience de se placer
dans le courant de la différenciation pédagogique, c'est ce que chaque professeur
d'instrument recherche. Ou pour l'exprimer différemment, ce que l'on recherche en
tant qu'enseignant c'est de réduire, éviter les moments du cours où la situation ne
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serait pas « féconde » pour l'élève. Car quand on se retrouve face à un seul élève,
on ne peut pas atténuer les choses en se disant que la situation aura profité à
d'autres élèves.
Il semble plus évident aussi de pouvoir tenir compte des différences de
chaque élève quand on enseigne à un à la fois. Un professeur qui se retrouve face
à un seul élève peut ainsi adapter son enseignement en fonction de chacun.
Par exemple, on organise la séance en fonction des besoins de chaque élève.
Pour un élève ayant des problèmes de sonorité, on prend plus de temps au début
du cours pour installer la sonorité, on invente des exercices d'écoute. Pour un
autre ayant des difficultés rythmiques, on travaillera le rythmes à travers
différents exercices et situations : parlé, percussions corporelles, reconnaissance
d'erreurs... Pour un autre élève qui n'a pas ou peu l'occasion d'écouter une œuvre
chez lui, on la fait écouter pendant le cours.
On remarque qu'en réalité, cela se fait naturellement mais que cela n’est pas
toujours conscient.
Les postulats de Philippe Perrenoud et Robert Burns défendant l'idée d'une
différenciation présente à chaque instant, confortent cette idée de différenciation
présente dans l'enseignement instrumental et le cours individuel. Il apparaît que le
contexte particulier de ces types de cours, l'enseignant face à un seul apprenant,
est une situation propice à la différenciation.
Une question se pose alors. Cette facilité à différencier est-elle un avantage
ou un piège? Le piège étant de glisser dans une différenciation extrême qui n'aura
de cesse de creuser les écarts entre les élèves se transformant ensuite en inégalités
de réussite. Car la différenciation n'est pas toujours consciente dans l'esprit de
l'enseignant. C'est ce que Philippe Perrenoud appelle la différenciation
« sauvage ». Il défend l'idée que cette notion se retrouve dans chaque classe à
différents niveaux. Cette différenciation dont l'enseignant a faiblement conscience
et qu'il ne maitrise pas peut avoir des effets non désirés. Elle peut tendre à
l'accroissement des écarts entre les élèves.
Par exemple quand le maître interagit, se focalise d'avantage sur les élèves
qui se manifestent, au lieu de poser des questions à ceux qui ne participent pas car
qui il aurait alors des difficultés à créer une dynamique, il creuse l'écart entre eux.
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Il sollicite ceux qui participent d'eux-même et laisse de côté les autres.
Ainsi il va « favoriser les favorisés »5.
La différenciation doit être lucidement exercée car elle comporte certaines
limites qu'il est fondamental d'identifier.
Il apparaît alors légitime de se poser la question suivante : les risques liés à
la différenciation sont-ils plus grands dans un cours individuel, contexte qui
semble plus propice à la différenciation?
5 PERRENOUD Philippe, Pédagogie différenciée : des intentions à l'action.
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II : La différenciation : une pédagogie qui n'est pas sans
écueils
Les pédagogies différenciées doivent être lucidement différenciées et il est
important de savoir quels sont les enjeux de cette différenciation. Car elle laisse
apparaitre certaines limites qui, pour pouvoir être contrôlées, doivent d'abord être
identifiées.
a : un défi : la gestion des différences
Cette pédagogie se base sur les différences entre les individus. Il est
nécessaire de savoir quelles différences prendre en compte, comment le faire et
quels sont les enjeux qui en découlent.
Selon, Jean-Michel Zakhartchouk, les élèves sont différents sur plusieurs
plans :
« Ils n'ont pas tous les mêmes acquis scolaire ».
Certains savoirs ne sont pas maîtrisés de la même façon chez tous, ils
n'apprennent pas tous à la même vitesse.
« Ils n'ont pas les mêmes codes culturels ».
Certains élèves ont évolué dans un environnement culturel les préparant au monde
de l'école. Par exemple on observe une forte réussite des enfants d'enseignants
jusqu'au lycée. Pour d'autre le sens de l'école est à construire.
« Ils n'ont pas les mêmes expériences vécues ».
Les élèves n'ont pas tous vécus des expériences leur permettant de donner sens
aux activités scolaires.
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« Ils n'ont pas les mêmes habitudes éducatives ».
Une école qui favorisera le questionnement se heurtera à une famille conformiste.
De même l'absence de règle au sein de la famille sera un obstacle à la socialisation
scolaire.
« Ils n'ont pas tous le même style cognitif, les mêmes stratégies
d'apprentissage ».
Un des axes fort de la différenciation est de reconnaître que les élèves ne
fonctionnent pas tous de la même manière sans pour autant chercher à hiérarchiser
ces différentes manières.
« Ils ne sont pas tous du même sexe ».
Il existe des différences, notamment sur la confiance en soi (plus importante chez
les garçons), le soin et l'application au devoir, le respect des consignes (plus grand
chez les filles).
« Ils ne sont pas motivé de la même manière ».
Certains élèves seront plus motivés par le sens qu'ils donnent à l'école, aux
activités, d'autres seront plus sensible au climat favorable, ou à l'image donnée par
l'adulte par la valorisation de leur travail.
« Chaque élève a une histoire personnelle ».
Sans tomber dans une psychanalyse de l'élève, ou des interprétations
psychologiques. On peut toute fois être conscient des conséquences à un niveau
cognitif du parcours personnel de chaque élève.
« Chaque élève à un âge ».
Au sein d'une même classe, les élèves n'ont pas le même âge, et surtout ils ne
vivent pas leur âge de la même manière.
La différenciation apparaît donc comme un défi en terme de gestion de ces
différences. Il existe deux façons de considérer, de prendre en compte les
différences, qui vont donner lieu à deux courants théoriques. Philippe Meirieu les
nomme : diagnostic a priori (ou gestion technocratique des différences) et
inventivité régulée.
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Le diagnostic a priori, considère les informations comme porteuses de la
remédiation. L'enseignant cherche à classer l'individu dans une catégorie pour
laquelle il dispose d'un ensemble de propositions. Le développement de l'élève est
tout tracé, sa catégorisation est définitive.
Dans le cas de l'inventivité pédagogique, l'information n'est qu’un indicateur
parmi d'autre permettant de faire des propositions. L'enseignant cherche des
indices qui vont lui permettre d'évaluer les besoins à un moment donné et de
proposer une solution particulière dont on ignore à l'avance les effets. Le
développement du sujet reste ouvert.
Dans les deux cas, il y a prise d'informations et propositions différenciées.
Philippe Meirieu privilégie sans ambiguïté la seconde approche. Il considère le
diagnostic a priori, comme une impasse pédagogique. Il résume son point de vue
ainsi :
«Au total, la gestion technocratique des différences participe de cette
négation de la place du sujet dans sa propre éducation, elle confond formation
des personnes et fabrication des objets, elle ignore que rien ne peut se faire dans
l’autre que ce ne soit l’autre qui le fasse. »6
Ces deux démarches, radicalement opposées, sont deux intentions
pédagogiques bien distinctes. Les différences ne sont pas prises en compte de la
même manière. Soit les différences sont définitives et les classifications se
retrouvent dans un système figé, soit les différences et les classifications ne sont
que de simples outils permettant de gérer ces différences.
En ce qui concerne l'enseignement musical, il faut faire attention à la
gestion de ces différences. Car si l'enseignant se base sur les différences de
chacun, les évaluations telles qu’elles sont actuellement dans certains
établissements, par exemple les examens de fin de cycle, ne tiennent pas compte
6 MEIRIEU Philippe, La pédagogie différenciée : enfermement ou ouverture ?
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de ces différences. Un jury extérieur ne connaît pas les élèves. Le risque est que
ces différences se transforment en inégalités de réussite lors de ces examens.
On remarque l'importance de savoir où se situe son enseignement. Il
faut avoir conscience des enjeux des différentes situations pédagogiques.
L'approche du diagnostic a priori doit être un choix conscient exercé de manière
contrôlée pour ne pas risquer d'enfermer, réduire l'élève à ses différences.
b : un risque : l'enfermement
A vouloir prendre en compte les différences de chacun, le risque est de
basculer dans une situation où l'élève se retrouve enfermé dans ses
caractéristiques sous prétexte du droit à la différence. Il ne faut pas emprisonner
l'enfant dans des déterminismes qui lui échappent.
Comme nous venons de le voir, le diagnostic a priori place l'élève dans une
catégorie de manière définitive, peut être un exemple d'enfermement.
Pour limiter ce risque, Philippe Meirieu dresse une liste « d'alertes »7.
« Alerte n°1 : Ignorer la personne à l'école, c'est, parfois, lui donner une
chance pour repartir à zéro et se dégager des déterminismes qui l'enserrent ».
Il est ici question d'ignorer méthodiquement les soucis ou problèmes d'un
élève. Cela peut dans une certaine mesure l'aider à s'en délivrer, car cela va lui
permettre de faire appel à sa capacité de distanciation dont beaucoup d'élève sont
capables.
« Alerte n°2 : Etre attentif à la personne, c'est parfois enfermer l'élève dans
des catégories psychologiques, chercher absolument à expliquer ses actes au lieu
d'interpeller sa liberté. »
Il faut se méfier des bonnes intentions qui poussent à vouloir interpréter la
personne, à tenir un discours de psychologue quand on ne l'est pas.
7 MEIRIEU Philippe, La pédagogie différenciée : enfermement ou ouverture ?
14
« Alerte n° 3 : Une pédagogie différenciée qui prétendrait donner
exactement à chacun, à chaque instant, ce dont il a besoin, en s'appuyant sur une
analyse exacte de sa personnalité serait plus proche du dressage que de
l'éducation. »
C'est justement dans les imperfections, les décalages entre besoins et
réponses que l'élève, à condition que se soient analysé, va pouvoir accéder à la
conscience de ses apprentissages, développer des méthodes diverses, développer
la capacité d'ajuster les moyens aux résultats qu'il souhaite obtenir et se
rapprocher peu à peu de l'autonomie.
« Alerte n°4 : Respecter la personne de l'élève, c'est d'abord être rigoureux
avec lui dans la présentation des savoirs et l'organisation des situations
d'apprentissage. »
Quand un élève est en difficulté, il peut alors apparaître une tentation de la
part de l'enseignant, d'équilibrer l'échec de la pédagogie grâce au relationnel. Cela
donnera par exemple, un enseignant qui reconnaît qu'un élève est en difficulté
mais qui compensera son discours en disant qu'il s'entend quand même très bien
avec lui. La dimension relationnelle entre le maître et l'élève ne peut venir
combler, rattraper une mauvaise pédagogie.
« Alerte n°5 : Une trop grande insistance sur la dimension interpersonnelle
en pédagogie peut dégénérer dans une relation duelle infernale de fascination /
répulsion. »
Le risque de cette situation est que l'enseignant à travers son comportement
reproduise celui de l'élève, qu'il mette en place une sorte de mimétisme malsain.
Par exemple, si l'élève ne manifeste pas le même intérêt pour son enseignant que
l'enseignant n'en manifeste pour lui, voire le rejette, le risque est ici que
l'enseignant fasse de même. Il est ici très important de se rappeler le principe de
non réciprocité.
« Alerte n°6 : A trop personnaliser la relation, le maître oublie qu'il n'est
qu'un médiateur et ne permet pas toujours à l'élève d'accéder à l'autonomie. »
Le phénomène à éviter est que l'enseignant soit identifié au savoir, car dans ce cas
quand l'enseignant n'est pas là, il n'y a plus de savoir.
15
Dans un contexte pédagogique où l'enseignant est seul face à un élève, il
semble plus facile de glisser sans en avoir conscience vers une situation de
différenciation extrême qui réduirait l'enfant à ses particularités.
Les « alertes » numéros 5 et 6 nous interpellent particulièrement en ce qui
concerne l'enseignement musical. Ce face à face individuel favorise de lui-même
une relation entre enseignant et apprenant. Le tout est d'avoir une vision claire de
cette relation et de savoir la contrôler. Dans ce contexte particulier, il n'y pas de
point de comparaison immédiat avec d'autres élève par exemple ou d'autres
enseignants et il est souvent difficile pour l’enseignant de prendre une distance
suffisante pour observer son comportement. Le risque de trop personnaliser une
relation est ici amplifié par le contexte particulier des cours individuels.
c : un danger : les représentations sociales
Nous avons déjà abordé la question de la gestion des différences et nous
allons voir ici lesquelles sont souvent prises en compte et quels en sont les
enjeux. La différenciation nécessite de connaître les élèves, l'enseignant va donc
rechercher certains renseignements. Cependant cela concerne d'une manière plus
large tous les enseignants, car un enseignant ne faisant pas la démarche de
différencier son enseignement à quand même connaissance de certaines
informations concernant ses élèves.
Cela peut parfois devenir un problème, car comme le dit Pierre Merle, le
professeur est inévitablement influencé par ces renseignements. Dans son livre
Evaluation des élèves, enquête sur le jugement professoral, il décrit l'existence de
plusieurs variables pouvant orienter le jugement.
Dans le quotidien de la classe, la notation d'élèves ayant le même niveau va
être différente selon la manière dont l'élève connaît le professeur personnellement
en dehors de la classe. Si l'élève est jugé sympathique par l'enseignant
bénéficiera d'un avantage que n'aura pas l'élève jugé antipathique.
16
il
Les informations concernant le projet d'étude ou le projet professionnel
peuvent entraîner une modification de la perception de l'enseignant, qui se traduit
pas une sorte de pré-jugement de l'élève.
Ces informations révèlent une plus ou moins grande proximité avec
l'enseignant ce qui va contribuer à la personnalisation d'une relation évaluative
spécifique.
De même que la recherche de l'enseignant de l'amour de l'élève pour sa
discipline mélange de façon confuse le registre scolaire et affectif. Le résultat est
dans ce cas une pré-évaluation de l'élève par l'enseignant.
La connaissance des performances scolaires amène le professeur à un
sentiment et une certitude. L'expérience a été faite de crée des faux dossiers de
bonnes notes et il est apparue que cela apporte un avantage dans l'évaluation. A
l'inverse un mauvais dossier se révèle être un handicap évaluatif.
« Pour les élèves pour lesquels les attentes professorales, en terme de
succès scolaire, sont faible, le bénéfice du doute leur est moins souvent accordé
lors d'une incertitude quant à l'exactitude de leurs réponses. »8
Toutes les informations recueillies par le professeur sont susceptibles de
donner naissance à différents stéréotypes évaluatifs, individuels ou collectifs.
« Alors même que l'orientation dépréciative des élèves reste hypothétique,
on remarque une certaine tendance à l'auto-validation des stéréotypes par les
enseignants. »8
De même, des attentes pessimistes contiennent l'attente imaginée de l'échec
et en partie l'échec lui même conformément à un processus d'anticipation-auto8 MERLE,Pierre. L'évaluation des élèves, enquête sur le jugement professoral. La découverte.
17
réalisation. Le comportement de l'enseignant ne va pas être le même pour tous les
élèves. Pour des élèves dont il n'attend pas de bons résultats, son comportement
va se modifier inconsciemment et ainsi participer au mauvais résultat de l'élève.
Par exemple, un enseignant n'interpelle pas un enfant sur un sujet sous prétexte
que cet élève ne maîtrise pas le sujet et préfère dialoguer avec d'autres élèves à
l'aise dans ce sujet. De cette manière, l'enseignant ne permet pas à l'élève en
difficulté d'évoluer, et en favorisant les autres, il va contribuer à placer l'élève en
situation d'échec.
Un autre type de renseignements entre en jeu, qui ne concerne pas l'élève lui
même mais les informations concernant ses parents. La profession des parents est
une indication de l'origine sociale des enfants. Avec ces informations, l'enseignant
adhère à une théorie de l'échec fondé sur le handicap familial. La connaissance de
la profession des parents peut avoir différentes répercussions. L'élève est crédité a
priori de certaines compétences en rapport avec les ressources dont il dispose en
fonction des compétences professionnelles reconnues à ses parents. Pour les
élèves en difficultés d'origine modeste, le statut d'aide paraît ambigu.
La connaissance de l'origine sociale d'un élève a les mêmes effets négatifs
sur l'évaluation qu'un mauvais dossier. L'incompétence supposée des parents a
aussi un effet sur l'évaluation de l'élève : elle favorise une sous-estimation de ses
compétences.
Par exemple, dans l'enseignement musical, l'enseignant sait qui de ses
élèves a des parents musiciens ou non. Pour les élèves dont les parents sont
musiciens, l'enseignant suppose alors qu'il bénéficie d'une aide dans leur travail et
il va avoir tendance à estimer d'avantage les compétences de ces élèves que les
compétences d'élèves issues de familles de non musicien.
Le danger est que le professeur, plein de bonnes intentions, veuille bien
faire en faisant attention aux différences de chaque élève. Voir trop bien faire, et
trop se focaliser sur ces informations.
Ce qui va pour certains se traduire par une baisse du niveau d'exigence,
tandis que d'autres vont être toujours plus sollicités et ainsi privilégiés.
Cela représente une négation du principe d'éducabilité. Différencier c'est avoir la
même exigence pour tous mais avec des chemins différents.
18
Tout cela va ensuite se répercuter au moment des évaluations en terme
d'inégalités de réussite. Car dans l'enseignement musical, c'est un jury extérieur
qui évalue les élèves à l'examen de fin de cycle. Selon les établissements, la
décision du jury extérieur est prise en compte au même titre que celle de l'équipe
pédagogique et dans d'autre, le jury est le seul qui prendra une décision.
Le problème est simple, à de rare exceptions près, le jury extérieur ne
connait pas les élèves qu'il va évaluer donc il aura les mêmes exigences pour tous.
Le danger est donc d'autant plus grand qu’il est seul à évaluer. Et le décalage est
bien là, les élèves durant leur parcours vont faire face, le plus souvent sans en
avoir conscience, à des niveaux d'exigences différents pour devoir à la fin du
cycle faire face à un jury inconnu qui les évaluera avec les mêmes exigences pour
tous.
C'est donc au professeur de gérer avec lucidité les informations dont il
dispose. Il doit être conscient des dangers des représentations et connaître les
effets négatifs qu'elles peuvent avoir. Il sera alors plus facile pour lui de mettre
une distance nécessaire entre les informations connues et les capacités réelles de
l'élève.
Dans cette partie, nous avons souligné quels étaient les risques liés à la
différenciation et de quelle manière ils pouvaient se retrouver amplifiés par une
situation de face à face individuel entre l'enseignant et l'élève. La question qui se
pose maintenant est de savoir s'il n'existe pas des moyens permettant de réguler,
de contrôler cette différenciation pour en limiter les effets négatifs. Les
propositions que nous allons faire se place uniquement dans le contexte de
l'enseignement instrumental en cours individuel.
19
III : Vers une différenciation contrôlée
Les obstacles auxquels se heurte la différenciation peuvent être minimisés
en agissant sur plusieurs plans à la fois. On peut dans un premier temps avoir un
regard sur son enseignement et ses propres méthodes. On peut aussi chercher une
alternative au cours individuel et on peut également s'interroger sur les modes
d'évaluations mises en place dans les établissements.
a : l'abstraction des informations : un idéal
La pédagogie différenciée se base sur les différences entre les individus. Il
apparaît donc essentiel d'avoir connaissance de ces différences. Cependant comme
nous l'avons constaté précédemment, les informations dont nous disposons
peuvent être un frein au bon développement de l'élève. Il ne s'agit pas ici de renier
ces informations, il s'agit plutôt d'avoir une conscience claire des dangers qu'elles
représentent et de savoir les mettre de côté quand on le désire ou quand on le juge
nécessaire.
Une manière de réguler ces effets négatifs peut être une volonté de faire
abstraction de ces informations pour être alors capable de donner tous les outils
d'autonomie à l'élève. Faire abstraction pour ne pas risquer de stigmatiser les
élèves. On peut faire abstraction de tous les renseignements ou seulement une
partie.
Par exemple, tous les élève disposeraient alors d'une boite à outil
personnalisée en perpétuelle évolution. Régulièrement, il y aurait une mise en
commun. Les particularités de chaque élèves viendraient alors compléter, enrichir
chaque boite et profiter ainsi à tout les élèves. De cette manière, des outils que
l'on n'aurait pas pensé utiliser pour un élève sont quand même pris en compte.
Cela permet de personnaliser tout en diversifiant les outils grâce à la mise en
commun.
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Pour des jeunes élèves, cela permet d'expérimenter des choses auxquelles on
n'aurait pas pensé, de diversifier les méthodes. Jugeant un outil peu adapté à tel
élève pour telle raison nous pouvons alors nous rendre compte de notre erreur et
éviter ainsi de priver un élève d'une démarche féconde pour lui.
Par exemple, pour un élève manifestant des facilités en rythme dès la
première année, on pourrait juger inutile de faire avec lui tous les petits exercices
de percussions corporelles. Mais pourquoi le priver d'une méthode qui peut
contribuer à son évolution et son épanouissement instrumental et musical. Car on
ne peut pas prédire le parcours d'un élève, on ne peut pas prédire si les facilités
d'aujourd'hui le resteront dans les années à venir.
A l'inverse, un élève qui présente des problèmes pour stabiliser sa sonorité
ne doit pas être réduit à cette difficulté. Une partie du cours sera dédiée à ce
travail mais il faut faire attention à ne pas se focaliser sur cette difficulté au
détriment d'autres paramètres et ainsi créer et creuser des écarts avec les autres
élèves.
Pour des élèves plus grand cela leur donne une plus grande autonomie, la
possibilité d'expérimenter, de faire des choix sortant de leurs habitudes, leur
permettant d'évoluer dans leur pratiques artistiques et d'aller un peu plus loin
grâce à des outils encore inexploités. Cela leur permettra aussi de découvrir qu'un
outil se révélant inefficace à un moment donné dans une situation précise peut
devenir la solution dans un contexte différent. Il découvrira ainsi les diverses
facettes que peut avoir un outil.
Par exemple, prenons l'accordeur. La première chose qu'un élève va penser
à travailler avec cet outil est la justesse. Lors du travail d'un trait d'orchestre pour
la justesse il va prendre son accordeur. Il va alors réaliser que ce n'est peut être
pas la solution la plus efficace. L'important est que cela l'amène à réfléchir à
l'utilisation de cet outil. Il peut réaliser que si l'accordeur ne l'aide pas dans ce
travail ce sont pour des raisons musicales, il pourra tout aussi bien travailler avec
un piano qui lui donnera une justesse harmonique, ce qui est fondamental dans un
orchestre. Si ce même élève travaille sur le soutien et la vitesse d'air, il pourra
alors utiliser l'accordeur, non pas pour jouer juste, mais pour utiliser ces variations
de justesse comme indicateur de son soutien. S'il joue trop bas, c'est qu'il n'y a pas
assez de vitesse d'air.
Il ne faut pas oublier que chaque enfant est unique, qu’il y a toujours une
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part d'inconnue dans les réactions, dans l'évolution d'un élève qu'il ne faut pas
oublier.
Si on se réfère aux deux modes de différenciation abordées dans la première
partie du mémoire, on remarque que la différenciation successive peut être un bon
moyen de mettre en pratique cette abstraction des informations. Elle signifie que
tous les élèves travaillent la même chose de la même manière en même temps et
elle se base sur la diversité des situations. De cette manière, le temps de l'activité,
on laisse de côtés les informations, les différences de chacun.
La classe ne prend pas le même sens dans l'enseignement scolaire et dans
l'enseignement instrumental. Dans ce dernier, la classe représente l'ensemble des
élèves d'un professeur d'instrument, tous niveaux confondus, qui ont le plus
souvent des cours individuels.
Il faut donc transposer la notion de différenciation successive au contexte du
cours individuel. L'idée principale est que les élèves font la même chose en même
temps. On peut donc reprendre cette idée, et réfléchir à des exercices, des ateliers
pour des niveaux définis que l'on travaillera avec tous les élèves. Ainsi tous les
élèves, passeront par les mêmes exercices, ou les mêmes situations
d'apprentissages. Il y aura une sorte de tronc commun par niveau qui permettra de
laisser de côté un instant les informations que nous avons sur les élèves.
Par exemple dans le travail d'une œuvre avec des seconds cycles, on peut
imaginer un exercice où l'élève va identifier les phrases musicales et trouver les
sommets. Cet exercice va permettre de travailler le phrasé, même pour les élèves
n'ayant aucune difficulté dans ce domaine. Cela permettra peut être de révéler des
points à améliorer dans l'analyse musicale que l'on n'aurait peut être pas décelé.
Tous les élèves passeront par cet exercice à un moment donné.
L'abstraction des informations ou de certaines informations peut avoir un
autre avantage pour l'élève. Comme l'explique Philippe Meirieu, ne pas prendre
en compte la personne, ses caractéristiques et ses informations, est une chance
pour elle de repartir à zéro. Faire abstraction des problèmes que peut avoir un
élève est en réalité un moyen relativement efficace de l'en délivrer. Adopter une
telle attitude va permettre à l'élève de faire appel à sa capacité de distanciation,
capacité que bien des élèves possèdent.
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Cette recherche d'abstraction seule ne suffit pas à réguler la différenciation.
Il est nécessaire de s'interroger sur les modes d'évaluation mis en place.
b : l'évaluation : un outil pédagogique
Il existe deux types d'évaluation, l'évaluation normative et l'évaluation
formative.
Une évaluation normative fabrique une hiérarchie entre les élèves, elle
mesure les écarts entre eux. Elle est au service de la sélection. Elle compare les
élèves par rapport à une norme ou par rapport aux autres élèves de la classe.
L'évaluation dite formative est quant à elle au service des apprentissages.
Elle mesure l'écart par rapport à un objectif. Elle analyse les erreurs qui
deviennent ainsi des outils d'apprentissage. Dans ce cas, les critères de réussite
sont élaborés par l'enseignant et son explicités à l'élève. Une branche de
l'évaluation formative est l'évaluation formatrice où les critères sont élaborés par
les élèves eux-mêmes. Cette forme d'évaluation se base sur le principe
d'éducabilité ce qui vient constamment questionner l'action de l'enseignant. Elle
renvoie l'enseignant à une évaluation de ses propres pratiques, elle est une aide
pour la construction de sa pédagogie.
On constate un paradoxe dans l'enseignement musical de certains
établissements. La pédagogie, que cela soit conscientisé ou pas, est différenciée
dans les cours individuels. Quand on observe le type d'évaluation mis en place, on
s'aperçoit que ce n'est pas une évaluation formative, notion allant de pair avec la
différenciation, mais qu'il s'agit d'une évaluation normative. Comme l'exprime
Jean-Michel Zakhartchouk :
« La pédagogie différenciée ne peut fonctionner sans des régulateurs, sans
que l'évaluation soir mise au service des apprentissages. »9
9 ZAKHARTCHOUK,Jean-Michel. Au risque de la pédagogie différenciée.
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Il peut donc y avoir un décalage entre le type de pédagogie et le type
d'évaluation. Ce décalage transforme les différences entre les élèves, prises en
considération dans la pédagogie, en inégalités de réussite au moment des examens
où ces différences n'entrent plus en jeu. Dans ce cas, L'évaluation n'est pas
complètement adaptée à l'enseignement.
Une façon de réguler cette contradiction est de considérer l'évaluation
comme outil pédagogique et de mettre en place une évaluation qui soit à la fois
normative et formative. Le but n'est pas ici de remplacer une évaluation par une
autre mais de trouver un équilibre, un processus de régulation entre les deux.
Pour qu'une régulation soit possible, il faut mettre en place une évaluation
formative. Dans l'enseignement musical cela se situe généralement durant les
années d'un cycle n'ayant pas d'examens collectifs terminaux. Cette forme
d'évaluation doit être présente et exercée de manière consciente par l'enseignant.
Cela passe par des objectifs clairement explicités et donc compris par les élèves et
ce à chaque cours. Il y a les objectifs à court terme, par exemple dans la durée du
cours quand on travaille un exercice. Il y a des objectifs à moyen terme, par
exemple le travail d'une œuvre qui va prendre quelques séances. Et il y a des
objectifs à plus long terme qui peuvent porter sur un aspect technique comme par
exemple l'homogénéité du son dans les registres, la dextérité des doigts, la vitesse
du détaché. Ils peuvent aussi concerner des points musicaux, comme la maîtrise
d'un style.
L'évaluation formative doit aussi être complétée par une évaluation
normative hors des périodes d'examens de fin de cycle. Pour une période
d'apprentissage donnée, il faut d'abord une évaluation formative et ensuite une
évaluation normative. L'élève doit comprendre les enjeux des ces deux types
d'évaluation.
Il y a des établissements où les deux types d'évaluation entrent en jeu. A la
fin d'un cycle, la décision est prise à la fois par le jury extérieur et par l'équipe
pédagogique.
Une autre façon de donner un sens pédagogique à l'évaluation et de prendre
en compte les différences de chaque élève est de laisser la possibilité de prendre
un an de plus pour finir le cycle. Ainsi, on prend en compte le rythme des élèves.
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Une autre manière de réguler la différenciation peut être de se questionner à
plus petite échelle sur son propre enseignement et sur l'organisation de la classe.
c : la pédagogie de groupe : une alternative
En abordant la problématique de la différenciation pédagogique dans le
contexte du cours individuel, il apparaît qu'une façon efficace de contrôler cette
différenciation serait de limiter, voire supprimer les cours individuels. Pour des
raisons pratiques d'organisation, de compatibilité d'emploi du temps des élèves, la
pédagogie de groupe peut se trouver mise à mal.
Le basculement d'un cours individuel en pédagogie de groupe se fait dès
qu'il y a deux élèves, mais l'idéal dans le contexte de la différenciation serait des
cours de trois ou quatre élèves. Cependant il n'est pas question ici de remplacer
tous les cours individuels par des cours de groupe, mais d'imaginer de manière
réaliste comment intégrer la pédagogie de groupe dans une classe fonctionnant
majoritairement sur des cours individuels.
On pourrait imaginer un cours de groupe par niveau ou par cycle, une fois
par mois, ou une fois tout les deux mois. Pour les premiers cycles l'organisation
peut prendre une forme différente que pour les élèves de troisième cycle. Le tout
étant que tous les élèves puissent avoir une pratique régulière de cette pédagogie.
La pédagogie de groupe peut apparaître comme un outil de régulation.
Il est évident que dans un cours de groupe où le professeur se retrouve face à, non
plus un, mais par exemple trois élèves, la pédagogie sera toujours différenciée.
Mais ayant à faire à trois individus différents, il semble y avoir moins de risque de
basculer dans une différenciation extrême.
Cela permet d'abord à l'enseignant de se rendre compte plus clairement de la
manière dont il interagit avec chaque élève. Il est plus facile de comparer son
attitude avec les enfants dans une situation où ils sont présents en même temps.
Plus facile de remarquer à quel moment on tombe dans une situation
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d'enfermement, ou à quel moment nos renseignements viennent influencer notre
enseignement.
Réunir plusieurs élèves dans un même cours d’instrument chacun ayant une
personnalité différente contribue à une pédagogie toujours mouvante où aucune
habitude ne risquerait de s'installer et d'enfermer un enfant dans ses
caractéristiques.
Une information donnée à un élève est aussi reçue par les autres et interprétée
différemment. On peut alors découvrir qu'une information qu'on ne pensait pas
donner à un élève la jugeant inadaptée, se révèle en réalité très utile pour lui. Les
élèves peuvent échanger entre eux, et ensemble apporter de nouveaux outils.
L'interaction entre les élèves est une source de grande richesse. Le groupe doit
être constitué d'enfants aux personnalités très différentes.
« En se côtoyant, ils découvrent peu à peu l'existence de ces différences,
apprennent à les utiliser et finissent par les accepter. »10
C'est une pédagogie destinée à un individu par l'intermédiaire du groupe. Le
groupe pouvant alors devenir un moyen de réguler la différenciation.
10 BIGET Arlette, Une pratique de la pédagogie de groupe dans l'enseignement instrumental.
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Conclusion :
Les pédagogies différenciées doivent l'être de manière consciente et lucide.
En tant qu'enseignant artistique confronté à la situation du cours individuel, il est
essentiel de connaître les enjeux, les limites de la différenciation. Le but étant
d'avoir un regard sur son enseignement pouvant permettre d'identifier les
moments où notre pédagogie bascule dans des situations néfastes pour les élèves
notamment en terme d'inégalité de réussite. Il n’est pas question ici de vouloir
instaurer une égalité de réussite, il s'agit en réalité de donner aux élèves toutes les
chances d'aller au bout de leur capacité.
Le cours instrumental s’inscrit dans l’enseignement musical des élèves. Il
est important de remarquer que même si le cours individuel est très présent, il ne
résume pas à lui seul l’enseignement musical. Dans leur parcours, les élèves ont
des cours de formations musicales et ont beaucoup de pratiques collectives,
d’orchestre et de musique de chambre.
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Bibliographie :
BIGET Arlette, Une pratique de la pédagogie de groupe dans l'enseignement
instrumental, Ed. Cité de la musique, 2005, Paris.
BURNS
Robert,
Methods
for
individualizing
instruction.
Educational
Technology, 11, p. 55-56, Ed. 1971.
MEIRIEU Philippe, Le choix d’éduquer, éthique et pédagogie, Ed. ESF, 1991,
Paris.
MERLE Pierre, L'évaluation des élèves, enquête sur le jugement professoral, Ed.
La découverte, 2002.
PERRENOUD Philippe, Pédagogie différenciée : des intentions à l'action, Ed.
ESF, 1997, Issy les Moulineaux.
ZAKHARTCHOUK Jean-Michel, Au risque de la pédagogie différenciée, Ed.
INRP, 2001, Paris.
Articles :
BOURDIEU Pierre.
« L'école conservatrice. Les inégalités devant l'école et
devant la culture. » Revue française de sociologie <P 8° 1783>. - (196607/09)vol.7:n°3, p.325-347.
MEIRIEU Phillipe, « Pédagogie différenciée, enfermement ou ouverture ? »
Sites internet :
http://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/personne.htm
MEIRIEU Phillipe, « Dictionnaire : Personne » Site de Philippe Meirieu.
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