Henri Cartier-Bresson, l`œil du siècle

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Henri Cartier-Bresson, l`œil du siècle
Henri Cartier-Bresson, l’œil du siècle
Écrit par Marie-Laure Castelnau
Lundi, 01 Juin 2009 00:00
Sans jamais renoncer ni à l’art ni au reportage, cet homme d’images a apporté une nouvelle définition de la
photographie. Cent ans après sa naissance, expositions et livres rendent hommage à Henri
Cartier-Bresson, figure mythique de la photographie de notre siècle.
« Photographier, c’est une attitude, une façon d’être. C’est mettre sur une même ligne de mire
la tête, l’œil et le cœur. » Ainsi par- lait Henri Cartier-Bresson, celui dont le poète Henri Michaux
affirmait qu’il était « un œil », « l’œil du siècle », précisera Pierre Assouline, l’un de ses
biographes. Figure légendaire de la photographie du XXe siècle, sa longévité (1908-2004) lui a
permis de le traverser en pointant son objectif sur les événements majeurs qui en ont jalonné
l’histoire.
Il aurait eu cent ans en 2008. Pour célébrer – avec un peu de retard certes –, cet anniversaire,
deux livres publiés chez Gallimard et deux expositions, l’une à la Maison européenne de la
photographie, l’autre au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, lui rendent hommage.
La Maison européenne de la photographie a exploré les 340 clichés signés Henri Cartier-Bresson qui composent son fonds. Elle en a extrait 120, pour les accrocher sur ses murs, en deux
sections : « Paris », avec des images en noir et blanc qui saisissent la vie au vol, racontent une
ville pauvre, sale, encore blessée par la guerre, « mais heureuse de vivre et d’aimer » : ici,
place de l’Europe, un homme enjambe une flaque ; plus loin, rue Mouffetard, un gamin arbore
deux énormes bouteilles de vin. Une deuxième salle fait défiler « les Européens » saisis dans
son objectif : le passant de Sienne, les mendiants de Varsovie, les chauffeurs de taxi de Berlin,
la vieille dame de Londres ou les trois « grâces » d’Alicante… Beaucoup de photos cultes, pas
de grande découverte, mais l’inlassable beauté des images. Et une magistrale leçon de
photographie offerte par ce virtuose du Leica qui compose ses clichés avec rigueur et fantaisie,
humour et gravité, intelligence et sensibilité.
De son côté, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris présente la reconstitution d’une
exposition réalisée par l’artiste lui-même en 1978 et qui a tourné pendant plusieurs années
dans toute l’Europe : Quarante ans de photographie. Composée d’environ 70 photos grands
formats (70 x 90 cm) sans cadre, dont l’artiste a fait don au musée en 1975, « cette exposition
est une sorte de “best-of ” de l’œuvre du photographe », précise Emmanuelle de l’Ecotais,
commissaire de l’exposition. Son œuvre est ici résumée en quatre parties : ses débuts, de 1929
à la guerre, forment un ensemble à part ; puis trois niveaux d’approche de son travail sont
illustrés : le reporter engagé ; le photographe humaniste ; enfin, le portraitiste passionné. « Sa
sélection constitue un exemple très intéressant du regard que peut poser un artiste sur son
propre travail », commente Emmanuelle de l’Ecotais. Elle intervient à une période charnière de
sa vie où, précisément, il décide d’arrêter la photographie pour se consacrer au dessin. Retour
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Écrit par Marie-Laure Castelnau
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sur une vie sans clichés.
Né à Chanteloup, le 22 août 1908, Henri Cartier-Bresson, fils d’un industriel, est l’aîné de cinq
enfants. Après deux années d’études de peinture (de 1926 à 1928) à l’académie du peintre
cubiste André Lhotte, à Montparnasse, et une fréquentation des cercles surréalistes parisiens,
réunis autour d’André Breton, il décide – sur les conseils du romancier Paul Morand – de partir
un an en Afrique. « Je suis un enfant de bonne famille qui a mal tourné », se plaisait-il à dire.
A vingt-trois ans, en Côte d’Ivoire, il prend ses premiers clichés et, en 1931, publie son premier
reportage. Il décide alors de se consacrer à la photographie et, l’année suivante, à Marseille,
achète son premier Leica, l’appareil qui ne le quittera plus et deviendra le « prolongement de
son œil ». Après une nouvelle année d’absence passée au Mexique, il devient, de 1936 à 1939,
l’assistant de Jean Renoir sur les tournages de La vie est à nous, Une partie de campagne et la
Règle du jeu, apprenant à manier le support audiovisuel.
Fait prisonnier par les Allemands en 1940, il réussit, après deux tentatives ratées, à s’évader en
1943, juste à temps pour photographier la libération de Paris.
Avec l’aide de photographes aguerris comme Robert Capa et David Seymour, William
Vandivert et George Rodger, il fonde à New York, en 1947, la célèbre agence Magnum, la plus
prestigieuse des agences de photo. Considéré comme un photographe humaniste, il refuse
toute mise en scène pour la réalisation de ses clichés, prônant la simple reproduction de la
réalité prise sur le vif et l’usage du noir et blanc.
Avec un talent bien particulier, il fixe les traits de ses contemporains, portraits d’artistes et
d’écrivains tels que Bonnard, Matisse, Braque, Camus, Calder, Claudel, Prévert, Colette,
Giacometti sous la pluie, Sartre sur le pont des Arts, Mauriac en lévitation mystique, et tant
d’autres, saisis à l’instant décisif. « Autant de portraits pour l’éternité », commente Assouline.
Jamais il ne cessera de « déambuler » à travers la planète, toujours dans un esprit de
témoignage. « Pour signifier le monde, disait-il, il faut se sentir impliqué dans ce que l’on
découpe à travers le viseur.» De Mexico à New York, de l’Inde de Gandhi au Cuba de Fidel
Castro, de la Chine devenue communiste à l’Union soviétique des années 1950 (il est le
premier photographe admis en URSS pour Paris Match), témoin des plus grands événements
du siècle, ce « promeneur au regard lucide » sera toujours là pour presser sur son déclencheur
au bon moment, quand l’émotion est juste, l’instant parfait. Et pourtant chez lui rien n’est
prémédité, composé ou prévu. « Comme en poésie, il faut que rien dans la photo ne pèse ni ne
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pose », précise-t-il.
Connu pour sa précision absolue, ses savantes lignes de fuite, ses jeux d’ombres et de
lumières, et le graphisme de ses compositions – jamais recadrées au tirage –, il s’est surtout
illustré dans le reportage de rue, la représentation des aspects pittoresques ou significatifs de la
vie quotidienne. Il est l’inventeur du concept de « l’instant décisif » qui est aussi le titre du
recueil, publié en 1952, où il expose sa définition de la photographie.
« Raconter sa vie, décrypter son œuvre, c’est d’abord écrire l’histoire d’un regard », souligne
Pierre Assouline. Jean Clair a croisé ce regard perçant : « La première fois que j’ai rencontré
Henri Cartier-Bresson, j’ai été frappé par ce regard bleu, transparent et vague qui flottait sans
pesanteur sur tout ce qui l’entourait, semblait ne rien privilégier, mais demeurait cependant
perpétuellement aux aguets. » C’est sans doute au prix de cette continue disponibilité du regard
qu’une complicité s’établira entre le monde et lui. Emmanuelle de l’Ecotais compare cet homme
grand et fin « à un chat qui se déplace discrètement et rase les murs pour prendre ses photos
sans être vu ». Ceux qui l’ont croisé se souviennent de son corps félin, de son espièglerie, de
son énergie, de ses conseils philosophiques (« Je te dis de lire l’anarchiste Elisée Reclus : tout
y est »), de ses colères blanches contre l’argent et la guerre, contre la politique de la Chine au
Tibet, ou contre « ce monde qui oublie l’homme ».
Celui que l’on surnomme volontiers HCB deviendra très vite l’un des photographes les plus
réputés au monde, tout comme Walker Evans, Brassaï, André Kertész, ou Man Ray. Pourtant,
dans les années 1970, il décide d’abandonner la photographie pour se consacrer au dessin. «
La photo est une action immédiate ; le dessin, une méditation », commentera-t-il. En 2003,
dans un bel immeuble du XIVe arrondissement construit au début des années 1910 par
l’architecte Emile Molinié, s’est ouverte, au 2, impasse Lebouis, la Fondation HCB. Son but :
préserver et valoriser l’œuvre du photographe, mais aussi soutenir et exposer les photographes
dont l’artiste se sentait proche. Pour Robert Delpire, ancien directeur de la Fondation Henri
Cartier-Bresson, « au-delà du mythe qui s’est créé autour d’un personnage – d’autant plus
difficile à cerner qu’il a été réticent à toute communication le concernant –, Henri-Cartier
Bresson a marqué d’une empreinte personnelle le monde d’une certaine photographie avec une
rigueur dans l’analyse, une si juste adéquation entre la forme et le fond qu’il semblait ne pas
exister d’autre alternative pour exprimer un fait, quotidien ou historique, décrire un paysage,
indiquer la psychologie d’un personnage. »
Le 3 août 2004, il s’éteint à l’âge de quatre-vingt-quinze ans dans sa maison de Montjustin, en
Provence. Plusieurs de ses amis photographes sont présents à ses obsèques. Ils ne prendront
pas de photos. Dans les semaines qui suivent, les journaux internationaux lui rendent un
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hommage unanime. L’un d’entre eux titre : « L’œil du siècle s’est refermé…»
A voir Henri Cartier-Bresson – A vue d’œil jusqu’au 30 août, Maison européenne de la photographie (MEP), 5-7, rue de Fourcy, 75004
Paris. Tél. : 01.44.78.75.00. ou www.mep-fr.org; Henri Cartier-Bresson – l’Imaginaire d’après nature du 18 juin au 13 septembre, musée
d’Art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, 75116 Paris. Tél. : 01.53.67.40.00. ou www.mam.paris.fr. A lire
Henri Cartier-Bresson, le tir photographique de Clément Chéroux, Gallimard Découvertes, 160 pages, 13,50 €; Henri Cartier-Bresson
et l le e M Mo on nd de e de Michel Guerrin, Gallimard, 300 pages, 29 €; Cartier-Bresson, l’œil du siècle de Pierre Assouline, Gallimard
Folio, 428 pages, 8,10 €; De qui s’agit-il ? Henri Cartier-Bresson Editions Gallimard/BnF, 430 pages, 45 €; Henri Cartier-Bresson,
préface de Jean Clair, collection Photo Poche, Actes Sud, 64 pages, 12,80 €; Des images et des mots, Henri Cartier-Bresson (avec un
DVD inclus), Delpire éditions, 141 pages, 30 €.
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