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L’analyse d’une photographie : Henri Cartier-Bresson
Le sujet :
Un homme est assis sur le trottoir à même le sol, seul face à un chat, dans
une ruelle sombre. Henri Cartier-Bresson a intitulé cette photographie « New
York City, Manhattan, Downtown 1947 », le centre de New York. Pour
réaliser cette analyse je me suis aidé du livre « Analyses d’images » de Régis
Dubois (The Book Edition, 2015) et du site « Le sens des images »
http://lesensdesimages.com/
Le photographe :
Henri Cartier-Bresson est un photographe français né en août 1908 à
Chanteloup-en-Brie. Après des études de peinture en 1927-1928 au cours
d'André Lhote, rue d'Odessa, dans le quartier du Montparnasse, et une
fréquentation des cercles surréalistes parisiens, il décide de se consacrer à la
photographie. C'est à 23 ans, en Côte d'Ivoire, qu'il prend ses premiers
clichés avec un Krauss d'occasion. Il vient de vivre une peine d'amour et de
frôler la mort. Il publie son reportage l'année suivante (1931). Il achète son
premier Leica à Marseille en 1932. Henri Cartier-Bresson est l'un des
photographes les plus réputés au niveau international.
Outre ses portraits d'artistes et d'écrivains, il a parcouru le monde dans un
esprit de témoignage. Assistant de Jean Renoir au cinéma, il apprend à
manier le support audiovisuel. Fait prisonnier par les Allemands en 1940, il
réussit à s'évader en 1943, après deux tentatives ratées. Cette expérience le
marque profondément.
New York City, Manhattan, Downtown 1947 © Henri Cartier-Bresson
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L’analyse d’une photographie : Henri Cartier-Bresson
Il intègre un mouvement clandestin d'aide aux prisonniers, multiplie les clichés durant la Libération et réalise « Le Retour », un
documentaire sur la réintégration à la vie civile des prisonniers de guerre.
Le contexte :
L’hégémonie économique américaine de l’après-guerre, époque à laquelle a été prise cette photo, coïncide avec une période durant laquelle
New York a connu un relatif déclin, (perte d’habitants, industries vieillissantes…) Plusieurs usines déménagèrent dans la première moitié
du siècle vers la ceinture proche, comme dans le New Jersey.
Dans le domaine de la culture, New York est de plus en plus concurrencée par d'autres pôles du pays, dès les années 50 par exemple,
Hollywood deviendra le coeur de la production cinématographique.
La presse new-yorkaise doit également faire face à de nouveaux concurrents comme le LA Times ou le Washington Post. Ainsi nous sommes
aux confins de changements radicaux pour cette cité qui oscille entre grandeur et décadence…
L’impression :
A travers l’évocation du gigantisme de la « grosse pomme » et la solitude d’un homme, Henri Cartier-Bresson dresse un portrait critique de
la société moderne des années 50 aux USA. Le photographe propose ici une vision subjective de New York, c’est son point de vue, son
analyse personnelle qu’il nous livre. N’est-ce pas lui qui disait : « Photographier, c'est une attitude, une façon d'être, une manière de vivre ».
Ainsi, loin des clichés habituels sur NYC, le photographe a choisi un titre, qui force celui qui découvre l’image, à voir dans cette scène une
évocation symbolique de cette ville.
L’autre impression ressentie par l’observateur de la photographie (en tout cas sur moi ça a fonctionné ainsi), c’est la sensation de tristesse
et de mélancolie. Les murs de briques, les barreaux aux fenêtres et ceux de l’échelle au centre évoquent des métaphores de prison et
d’enfermement.
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Format, angle et cadrage :
Dans « Voyage au bout de la nuit », Céline écrivait : « Absolument droite, New York, c'est une ville debout ». Le format, l’angle et le cadrage
retenus par HCB illustrent ce paysage urbain rectiligne et vertical qui fait retentir en nous cette phrase de Céline. Le photographe a choisi de
dresser un portrait de New York en montrant ce visage d’une cité droite.
L’angle de prise de vue nécessite que l’on s’y arrête un peu pour affiner l’analyse. L’homme minuscule, assis et replié sur lui-même parait
écrasé sous l’immensité des constructions. L’impression est renforcée par le fait qu’il soit cadré en plongée, alors que les immeubles le
sont en contre-plongée, cela augmente leur démesure et étouffe un peu plus le personnage.
Profondeur et lumière :
Globalement, la lumière est peu présente, en tout cas sur l’ensemble de l’image, elle est par contre omniprésente sur certaines parties
minoritaires du cliché. A contrario la pénombre ou les parties sombres sont très présentes. Ces deux aspects essentiels de l‘art
photographique bien conjugués procurent un véritable couloir pour
l’oeil. Couloir au sens propre comme figuré en la présente. Ainsi le
peu de luminosité produit une sensation de profondeur l’oeil
traverse littéralement l’image jusqu’à se cogner sur une façade au
loin. La rue elle-même est bloquée par un camion de livraison en
stationnement qui coupe la dynamique de fuyante. Cela permet
également
de
matérialiser
visuellement
l’architecture
très
structurée de New York qui n’est faite, rappelons-le, que d’avenues
et de rues qui se croisent à angles droits et forment un quadrillage
gigantesque comme le montre cette carte.
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Composition :
Cartier Bresson a semble t-il voulu mettre en valeur les lignes verticales dans
sa composition qui coïncident avec ce format photographique vertical.
L’espace ainsi délimité est entièrement dominé par des lignes verticales, les
arrêtes des murs, l’échelle au centre, les bouts de buildings au fond…
Ces figures géométriques rectilignes occupent les deux-tiers de l’image.
Cette verticalité omniprésente évoque bien entendu la hauteur des
immeubles, symboles de cette mégapole moderne. Elle renforce aussi les
impressions de dynamisme, de grandeur, de virilité et de puissance.
Le positionnement du personnage dans la composition n’est pas non plus
anodin, c’est un élément de comparaison. L’homme précise l’échelle et
permet de prendre la mesure de la grandeur du décor. C’est également lui qui
accroche le regard de l’observateur, puisque habilement, toutes les lignes de
force de la composition convergent vers l’homme et le chat.
Les univers :
Ici on peut remarquer plusieurs univers hors champ, les buildings dépassent
du cadre de l’image, ce qui donne une sensation de hauteur infinie.
L’occupation des immeubles sur tous les plans laisse à penser qu’ils sont
partout. On revient sur la ville de New York qui représente un immense
quadrillage, ici il n’est pas visible, mais semble bien suggéré.
Lignes de force
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Connotations éventuelles :
On peut raisonnablement penser qu’Henri Cartier-Bresson a voulu montrer un autre visage de New-York que celui, maintes fois vu sur les
images classiques et abondantes des trente glorieuses. HCB nous dévoile ici l’envers du décor, celui des solitaires de l’Amérique qui vivent
pourtant dans une cité immense. Ville peut-être trop vaste pour qu’ils puissent y trouver leurs repères. On dirait que cet homme est perdu
au milieu d’une grande immensité. On peut y voir, bien sûr, la solitude d’un homme dans une ville moderne, celle d’un individu laissé-pourcompte dans la société contemporaine, celle d’une âme égarée dans l’immensité de ce labyrinthe urbain… Le personnage partie prenante à
l’impression que renvoie l’image, n’a trouvé qu’un chat errant comme unique compagnon…
Enfin je trouve que la photographie prise 16 ans plus tard par Bruce
Davidson ressemble étrangement à celle de HCB, mais cette fois
elle ne suggère pas l’isolement, elle le montre frontalement. On y
retrouve le lieu, le sujet, le noir et blanc, l’isolement de l’humain au
milieu de la ville et les immeubles...
100ème rue, New York, 1966-1968 © Bruce Davidson
Squal
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