Terminaison d`emploi : le consentement d`un

Transcription

Terminaison d`emploi : le consentement d`un
Terminaison d’emploi : le consentement d’un employé donné dans le cadre
d’une transaction de fin d’emploi ou d’une démission
Résumé
Afin d’illustrer les règles applicables à la validité du consentement donné par un employé dans
le cadre d’une transaction de fin d’emploi ou d’une démission, l’auteur résume deux décisions
récentes, l’une de la Commission des relations du travail et l’autre de la Cour d’appel.
INTRODUCTION
Pour un employeur, il est bien important lors d’une terminaison d’emploi de pouvoir compter sur
le consentement qu’un salarié donne, soit pour sa démission ou pour les termes d’une transaction
qui règle tout litige à venir au sujet de la fin d’emploi.
Deux décisions récentes viennent apporter un éclairage intéressant sur les modalités de validité
d’un consentement donné dans le cadre d’une fin d’emploi.
I– DÉCISION INTERLOCUTOIRE DE LA COMMISSION DES RELATIONS DU
TRAVAIL
Bonadkar c. Groupe Marcelle inc.1
Mme Bonadkar a déposé deux plaintes en vertu des articles 122, al. 1o et 79.1 de la Loi sur les
normes du travail2. Elle allègue avoir été congédiée après s’être prévalue de son droit de prendre
un congé de maladie.
Cette décision porte sur l’objection préliminaire présentée par l’employeur, Groupe Marcelle
inc., en raison de l’existence d’une transaction survenue entre lui et Mme Bonadkar le jour même
du congédiement.
À cet égard, Mme Bonadkar soutient que le document intitulé « REÇU, QUITTANCE ET
TRANSACTION » (Reçu-quittance) doit être annulé car elle n’avait pas, à ce moment, la
capacité requise pour donner un consentement libre et éclairé. Quelques semaines avant cet
événement, elle a en effet eu des problèmes de santé et, deux jours seulement avant son
congédiement, son médecin traitant lui a prescrit un deuxième congé de maladie, cette fois pour
une période de deux semaines. C’est pendant ce congé de maladie que son employeur la
convoque à une rencontre en lui demandant d’apporter son certificat de maladie en personne.
* Me Antoine Aylwin, Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.
1
2
EYB 2007-125124 (C.R.T.).
L.R.Q., c. N-1.1.
-2Lors de cette rencontre de 15 minutes, Mme Bonadkar apprend, en présence de sa supérieure
immédiate et de la directrice des ressources humaines, qu’elle est congédiée. On lui présente une
lettre de démission ainsi que le Reçu-quittance qu’elle doit signer sur place. Mme Bonadkar signe
le Reçu-quittance sans le lire et part ensuite. Quelques heures plus tard, elle revient sur les lieux
pour remettre à son employeur une lettre par laquelle elle conteste la validité de son
consentement lors de la signature du Reçu-quittance.
Dans son analyse, la commissaire Susan Heap rappelle qu’en ce qui concerne les questions
relatives à la validité du consentement, il faut appliquer la décision Bérubé c. Campus NotreDame-de-Foy3. En vertu de cette décision, l’analyse de la contestation de la validité d’un
consentement se fait en deux temps :
1)
La partie qui invoque l’invalidité de son consentement doit faire une preuve prima facie
d’un doute sur sa capacité de consentir.
2)
Si cette preuve est faite, le fardeau de la preuve est transféré à l’autre partie, qui doit alors
prouver que la capacité était suffisante lors de l’expression du consentement.
La commissaire conclut que Mme Bonadkar s’est déchargée de son fardeau en raison des
éléments suivants :
-
Elle était sérieusement malade et son médecin traitant avait prescrit un arrêt de
travail;
-
Elle était dans un état de choc, lors de la rencontre avec son employeur, car elle
n’avait aucune raison de croire qu’elle serait congédiée;
-
Deux semaines après le congédiement, elle a été opérée d’urgence pour un abcès
cérébral, ce qui tend à confirmer que ses capacités étaient affectées au moment de
la rencontre avec son employeur.
En conséquence, la commissaire conclut que le fardeau de la preuve a été transféré à
l’employeur. Or, la commissaire considère que ce dernier n’a pas réussi à démontrer la capacité
de Mme Bonadkar lors de la signature du document. Pour ce faire, l’employeur aurait pu, par
exemple, demander une expertise de Mme Bonadkar dès qu’il a été avisé qu’elle contestait la
validité de son consentement.
En conséquence, l’objection préliminaire de l’employeur est rejetée et la transaction, invalidée.
II– ARRÊT DE LA COUR D’APPEL
Collège François-Xavier-Garneau c. Syndicat des professeurs et professeurs du Collège
François-Xavier-Garneau4
3
4
2005 QCCRT 0067.
EYB 2007-127072 (C.A.).
-3Le 6 décembre 2007, la Cour d’appel rend sa décision relativement au congédiement de Me
Pierre Montreuil survenu le 5 décembre 1997! Cette décision s’inscrit dans ce qu’on peut
qualifier de saga judiciaire5.
Dans cette affaire, Me Montreuil allègue qu’elle a été victime d’un congédiement déguisé. Quant
à son employeur, le Collège François-Xavier-Garneau, il plaide qu’elle a tout simplement
démissionné.
En décembre 1997, le Collège indique à Me Montreuil qu’il désire mettre un terme à son emploi
à la suite de différentes circonstances impliquant son comportement et son jugement dans les
mois précédents. À ce moment, le Collège laisse à Me Montreuil l’opportunité de « pouvoir
préparer sa sortie » en lui permettant de négocier ses conditions de fin d’emploi et de convenir
d’une démission afin de lui éviter de subir un congédiement. Dans les deux jours qui suivent
cette annonce, Me Montreuil se charge de la négociation et, sur l’avis du syndicat, conclut avec
son employeur une transaction qui présente son départ comme une démission. Celle-ci est
d’ailleurs qualifiée de très avantageuse par le président du syndicat.
La Cour d’appel résume le grief de Me Montreuil comme suit [par. 10] :
Cette démission avait été obtenue sous la menace du congédiement
faite par les deux représentants du Collège qui n’ont pas donné au
plaignant le temps nécessaire pour procéder à une analyse
rationnelle de la situation et qui ont profité du fait que le plaignant
était l’objet d’un harcèlement méthodique de la part d’un collègue
et que le plaignant était engagé dans un processus de changement
de nom et de sexe, ce qui rendait le plaignant plus sensible à une
menace de congédiement.
Me Montreuil recherche donc l’annulation de l’entente et de sa lettre de démission. Elle demande
sa réintégration comme enseignante à compter de la fin de son congé d’invalidité, le 17 août
1998.
Dans son analyse, la Cour d’appel se base sur les articles 1398 et s. du Code civil du Québec,
lesquels prévoient les différentes circonstances dans lesquelles la validité du consentement peut
être remise en question (mensonge, crainte, erreur et lésion). La Cour prétend que la validité de
la démission dépend de celle du consentement à celle-ci.
La Cour retient qu’il revient au salarié qui plaide l’invalidité de son consentement d’en faire la
démonstration :
[41] Plus particulièrement, la validité d'une démission dépendra de
la validité du consentement du salarié qui la donne (art. 1398 à
1408 C.c.Q.). Le salarié doit être apte à s’obliger. Le consentement
doit être libre et éclairé et peut être vicié notamment par l’erreur ou
la crainte. La démission arrachée par subterfuge, menace,
5
Au cours de ce procès, Me Pierre Montreuil est devenu Me Micheline Montreuil. Pour la commodité du texte et à
l’instar de la Cour d’appel, nous utiliserons le féminin pour la désignation de Me Micheline Montreuil.
-4contrainte, ou celle provoquée par des tracasseries ou un
harcèlement pourra être assimilée à un congédiement déguisé. En
revanche, la démission sera tenue pour valide si la preuve révèle
l'absence de menaces ou de gestes de l'employeur susceptibles de
provoquer une crainte raisonnable. Il demeure donc que l'employé
ne pourra invalider une démission que s'il prouve l'existence d'un
vice de consentement.
[Les références ont été omises.]
Pour ce qui est du critère d’intervention, la Cour d’appel énonce ce qui suit :
[47] […] la qualification de la rupture du lien d’emploi comme
constituant un congédiement ou une démission ne peut donner lieu
à la révision judiciaire que si l’erreur commise est manifestement
déraisonnable.
La Cour reconnaît que les droits et les obligations en matière de droit de la personne sont
intégrés à la convention collective, comme l’a indiqué la Cour suprême dans Parry Sound6.
Toutefois, la Cour n’est pas prête à se pencher sur cette question en présence d’une démission et
d’une transaction si le consentement de l’employé n’est pas invalidé. Elle mentionne en effet ce
qui suit :
[63] En revanche, lorsque l’entente de départ est valide et ne peut
être assimilée à un congédiement, il n’est ni utile ni pertinent de
sonder la suffisance ou l’à-propos des motifs que possédait alors
l’employeur […]
Dans les circonstances, la Cour retient que Me Montreuil n’a pas démontré que l’arbitre a fait
erreur en concluant qu’elle était apte à consentir lors de sa démission : Me Montreuil a négocié
elle-même son entente de départ et obtenu des conditions généreuses, elle était assistée du
syndicat et a choisi la voie de l’entente négociée. Tous ces éléments confirment que l’argument
relatif au vice du consentement ne peut être retenu. La décision de l’arbitre est donc confirmée.
La démission de Me Montreuil est ainsi confirmée, 10 ans plus tard.
III– LE COMMENTAIRE DE L’AUTEUR
Ce qu’il faut retenir de ces deux récentes décisions, c’est que la question de la validité du
consentement doit être analysée en deux étapes.
En premier lieu, celui qui invoque l’invalidité d’un consentement à une transaction ou à une
démission a le fardeau d’établir l’incapacité à consentir pendant la période où ce consentement a
été donné. À défaut de faire cette démonstration, le consentement ne peut être écarté. Toutefois,
lorsque l’incapacité à consentir est démontrée, il revient à l’employeur de prouver la capacité de
l’employé au moment même de l’expression du consentement. Pour ce faire, l’employeur peut,
6
Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, REJB
2003-47356 (C.S.C.).
-5notamment, demander une expertise du salarié, et ce, dès le moment où ce dernier lui notifie que
son consentement n’est pas valide.
De plus, il faut noter que l’employé qui accepte de démissionner ne peut plus, par la suite, se
plaindre des « motifs de son congédiement », car il se trouve à avoir accepté sa terminaison
d’emploi.
CONCLUSION
Les règles générales relatives au consentement en droit des obligations s’appliquent au droit du
travail également. Ces décisions démontrent que des attentions particulières doivent être
apportées au consentement donné à une transaction de fin d’emploi ou à une démission.
L’employeur doit se protéger, notamment en vérifiant le consentement de l’employé dans ce
contexte ou en faisant effectuer une expertise dès que l’employé lui mentionne que son
consentement n’était pas éclairé, le tout afin de se prémunir contre un recours éventuel.