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Introduction
Comment savoir que l’on fait ce que l’on veut ? Désirer quelque chose puis
l’atteindre semble témoigner de notre liberté. Or n’avons-nous pas déjà
succombé à un désir que nous avons regretté par la suite ? N’est-ce pas la
preuve que contrairement à ce que l’on croyait, nous ne faisons pas toujours
ce que nous voulons ? Diverses situations illustrent les déterminismes,
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mêmes inconscients, auxquels sont soumis les hommes. L’illusion du
libre arbitre résulte ainsi selon Spinoza d’un double phénomène : nous
sommes conscients de nos actions, mais ignorants des causes qui nous
déterminent.
1. Contrôlant difficilement leurs désirs, les hommes
ne se croient libres que lorsque ceux-ci sont faibles
L’auteur commence son texte par un présupposé : l’impuissance des
hommes à contrôler leurs désirs. Le désir peut se définir comme un
manque, le fait de tendre vers un objet que l’on ne possède pas. Aussi
lorsque cette tension vers l’objet manquant est faible, l’homme se croit plus
libre que lorsqu’elle est forte. Lorsque le désir n’est pas trop fort, il peut se
contrôler, se maîtriser. On pourra par exemple se retenir d’une envie passagère. L’homme croit alors agir librement.
On peut resituer le propos de l’auteur dans une opposition entre passion et
raison. Lorsqu’on désire quelque chose très fortement, le souvenir d’autre
chose ne suffit pas à contraindre. Par exemple celui qui désire boire de
l’alcool, mais qui se souvient qu’il ne le supporte pas, sera libre, si et seulement si, il est capable de s’abstenir, de dominer sa passion par une
conduite raisonnable. Si le souvenir désagréable de sa dernière « cuite » ne
suffit pas à le retenir de boire, il sentira bien qu’il n’est plus libre de ses
actions. On parle ainsi de dépendance. Mais comment cet être qui a perdu
sa liberté peut-il rester un sujet moral et juridique ? dans quelle mesure la
responsabilité de l’alcoolique est engagée en cas d’accident par exemple ?
Comment savoir si l’on est libre ou non ?
2. C’est l’expérience qui apprend aux hommes qu’ils
ne sont pas toujours libres
L’auteur ne nous dit pas ici quand nous sommes libres, mais il détecte le
moment où, à tort, on se croit libre. Cette prise de conscience ne peut se faire
que rétrospectivement. Il faut une distance nécessaire pour comprendre que
son sentiment de liberté n’était qu’une illusion. Il ne suffit pas de se croire
libre pour l’être.
Il donne alors un exemple de ce type d’expérience : le regret. En effet, ce
sentiment moral nous amène à reconsidérer la valeur d’une action passée.
Dans le regret, on prend conscience d’avoir mal agi, d’avoir fait quelque
chose qu’on n’aurait pas dû faire, bref quelque chose que l’on ne veut pas.
Ainsi, faire ce qu’on veut selon son désir (de l’ordre de l’affect, de la
passion subie), ne correspond pas nécessairement à faire ce qu’on veut
selon sa volonté (de l’ordre de la raison). L’auteur souligne un paradoxe :
nous pouvons agir passivement, en subissant nos passions.
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C’est ainsi, selon Ovide, que « nous voyons le meilleur et faisons le pire »,
parce que nous n’agissons pas volontairement, librement, mais sous la contrainte interne que le désir exerce sur nous. Nous sommes donc
doublement des êtres de contradiction : à la fois parce que nous avons des
désirs contradictoires entre eux, et à la fois parce que nous sommes des
êtres de sensibilité et de raison en même temps.
L’expérience est bien ce qui nous permet d’accumuler des souvenirs et de
tirer des leçons de nos actions, et donc d’acquérir une forme de sagesse
qui permet de se « libérer » de ses désirs. Mais les situations de la vie ne
sont-elles pas toujours nouvelles ? ne sommes-nous pas condamnés à
subir ces nouveaux désirs ?
3. Aussi les êtres de peu d’expérience se croient
toujours libres alors qu’ils sont déterminés
L’auteur présente toute une série de cas « d’individus de même farine » que
les êtres dépourvus d’expérience ou de raison, car il n’y a que la réflexion à
partir de l’expérience qui permet de prendre conscience d’une erreur
fondamentale : croire qu’on est libre alors que ce n’est pas le cas.
Jeune ou vieux, homme ou femme, tous peuvent être victimes de cette illusion. C’est bien plus évident pour l’enfant qui ne connaît pas encore le
déterminisme biologique auquel il est soumis. Ainsi programmé pour
répondre à des besoins de calcium, il « croit librement désirer le lait ». Il en
est de même pour celui qui est dominé par des pulsions de mort (le jeune
garçon en colère veut la vengeance), ou de vie (le peureux veut la fuite).
Dans tous les cas, il ne s’agit pas d’un libre choix issu de la volonté,
faculté rationnelle, autrement dit « d’un libre décret de l’âme », mais d’une
réponse à un stimulus venu du corps.
Il en est de même pour celui qui s’est mis volontairement dans une situation
qu’il ne contrôle plus ensuite. Celui qui commence à boire agit librement
semble-t-il, or, à un certain moment, le degré d’alcool dans le sang devient
si élevé que l’homme soûl prononce des propos insensés. Mais l’ivrogne qui
jure croit lui aussi parler librement. Ce n’est que lorsqu’il sera à nouveau à
jeun qu’il prendra conscience de son illusion et regrettera ses mots. La
bavarde ou le délirant font de même un usage dévié de la parole : loin
d’exprimer une pensée de l’âme, c’est le résidu d’une impulsion du corps.
Ainsi, que le déterminisme soit biologique ou psychologique, externe ou
interne, il fait agir l’homme sans même qu’il s’en aperçoive et lui donne l’illusion d’agir librement. Plus tard des auteurs tels que Freud ou Marx
montreront également, avec la théorie de l’inconscient ou le déterminisme
social, que l’idée de libre arbitre ne va pas de soi, ce qui soulève le problème de la responsabilité de l’homme.
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4. Ainsi les hommes se croient libres car ils sont
conscients de leurs actions, mais en ignorent les causes
L’illusion selon son étymologie désigne ce qui se « joue » (du latin ludere) de
nous. L’illusion est plus forte que l’erreur. En effet, une erreur peut être rectifiée dès qu’on la voit, l’illusion non car elle répond à un désir. On préfère
se croire l’auteur de ses actes plutôt qu’une simple marionnette manipulée,
car sans cela nous ne serions pas des sujets mais de simples objets. Il est
donc très difficile de se détacher de cette illusion qui nous vient tout naturellement. Cela requiert une certaine expérience.
Celle-ci amène Spinoza à la conclusion suivante : « les hommes se croient
libres » selon une double condition, ils sont conscients de leurs actions
mais ignorants des causes qui les déterminent. La connaissance acquise
par l’expérience permet donc de réaliser combien notre action pouvait être
déterminée.
Mais dans sa conclusion Spinoza fait référence non seulement à l’expérience pour démasquer cette illusion, mais aussi à la raison. S’agit-il de la
réflexion engendrée par l’expérience ? ou bien fait-il référence à une
démonstration qu’il aurait tenue à un autre endroit du texte ? Dans une
« Lettre à Schuller », il tient le raisonnement suivant : imaginons qu’une
pierre lancée en l’air par une impulsion externe quelconque prenne conscience tout à coup lors de sa trajectoire dans les airs de son mouvement.
N’ayant pas connu l’impulsion donnée au départ, elle s’imaginera être ellemême la cause de son mouvement, qu’elle désire. Et Spinoza de conclure
qu’il en est de même pour les hommes qui se croient libres.
Ainsi Spinoza ne répond pas ici à la question de savoir si l’homme est libre
ou non, mais affirme qu’il ne suffit pas d’avoir le sentiment de sa liberté
pour l’être. Reste à savoir si en dépit du déterminisme qui nous régit nécessairement, l’homme peut trouver une forme de liberté.
Conclusion
Ainsi Spinoza nous montre dans ce texte qu’avec l’expérience on découvre
que notre sentiment de liberté, lorsqu’il est associé au désir, n’est qu’une
illusion. Ne pas connaître la cause de son action et du désir qui en est le
moteur, fait que l’on se prend soi-même pour la cause de son action. Agir
consciemment, mais sans savoir pourquoi, explique l’illusion du libre arbitre.
Seule l’expérience nous montre que les causes pouvaient être externes.
Spinoza nous montre bien qu’il y a des actions contraintes, déterminées,
mais y a-t-il une place pour une action libre ? Devrait-elle être différenciée
du désir ? ou bien faut-il changer la définition du désir comme manque ?
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