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Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE CHATTERTON, D’ALFRED DE VIGNY GUIDE PEDAGOGIQUE par Sophie Vanden Abeele-Marchal POURQUOI CHATTERTON? 3 Que propose cette édition ? 3 Compléments bibliographiques 4 TABLEAU DE LA SEQUENCE 5 GUIDE DES SEANCES 7 Séance 1. Entrer dans la pièce 7 Séance 2. Comprendre le contexte 7 Séance 3. Découvrir les enjeux de la pièce à partir de l’exposition 7 Séance 4.5 Analyser la structure du drame 7 Séance 6. Etudier le système des personnages 8 Séance 7. La critique de la société bourgeoise 8 Séance 8. Le sacerdoce poétique 8 Séance 9. Le registre romantique 9 Séance 10. Le héros romantique 9 1 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE LES CORRIGES DES EXERCICES ET DES SUJETS DE TYPE BAC Corrigés des exercices 10 ■ Vers la question d’écriture ■ Vers la dissertation ■ Vers le commentaire composé 10 13 14 Corrigés des sujets d’écrit 16 ■ Sujet d’écrit 1 : le monologue dans le drame romantique ■ Sujet d’écrit 2 : l’évolution de l’emploi de confident 16 17 Corrigés des sujets d’oral ■ Sujet d’oral 1 : La scène d’exposition ■ Sujet d’oral 2 : Une querelle d’époux ■ Sujet d’oral 3 : Une scène de confession romantique ■ Sujet d’oral 4 : Une scène d’amour et de mort 20 20 22 23 2 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE POURQUOI CHATTERTON ? Que propose cette edition ? ■ Les objets d’étude à traiter Etudier le drame romantique qu’est Chatterton en classe de seconde ou de première offre la possibilité de traiter un certain nombre d’objets d’étude correspondant aux programmes. Parce qu’elle fut conçue et créée à un moment clef de refonte radicale de la dramaturgie et de ses enjeux, cette pièce de théâtre ouvre de riches perspectives : – sur le plan de l’analyse d’un « mouvement littéraire et culturel » : le romantisme et ses enjeux esthétiques, éthiques et socio-politiques ; – du point de vue de l’analyse des « genres et registres » dramatiques : à partir de l’étude de la structure de la pièce et de la typologie des personnages, la distinction entre le classique et le romantique ; les notions de tragique et de pathétique dans chacun de ces genres ; – du point de vue de l’analyse du rapport entre « texte et représentation » : la fonction du décor et des didascalies ; – du point de vue des possibilités de « réécriture » : possibles groupements de textes très différents à partir, entre autres, du thème du poète maudit autorisant un passage du genre théâtral au genre poétique ; ou encore du procédé de réécriture utilisé par Vigny du roman, Stello, au théâtre. ■ Ouverture sur des enjeux contemporains Œuvre d’un auteur soucieux d’analyser la rupture au XIXe siècle entre deux mondes et l’entrée dans la modernité et l’ère du progrès, Chatterton est un texte, fondamentalement politique, qui pose des questions essentielles et offre matière à débats : – sur la question éthique de l’opposition entre matérialisme et idéalisme dans une société de consommation comme la nôtre ; – sur la question de la fonction de l’art et des artistes dans la société moderne ; – sur la question de la marginalité ; – sur la question du pouvoir politique : de sa légitimité et de son étendue, autrement dit sur la question de la liberté de pensée. 3 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE Compléments bibliographiques ■ Sur Vigny FLOTTES PIERRE, La Pensée politique et sociale d’Alfred de Vigny, Les Belles Lettres, 1927 LASSALLE JEAN-PIERRE, Alfred de Vigny, Fayard, 2010 THELOT JEROME, BONNEFOY YVES, Vigny : romantisme et vérité, éd. Jérôme Thélot, Université de Montpellier, Éditions InterUniversitaires, 1997 VIALLANEIX PAUL, Vigny par lui-même, Seuil, coll. Écrivains de toujours, 1964 Revue Europe, n° 588 entièrement consacré à Vigny, mai 1978 Revue d’histoire littéraire de la France, « Vigny connu, méconnu, inconnu », PUF, n°3, maijuin 1998 ■ Sur Chatterton et le théâtre de Vigny BASSAN FERNANDE avec la collaboration de SYLVIE CHEVALLEY, Alfred de Vigny et la Comédie-Française, Gunter Narr Verlag - J.-M. Place, Tübingen-Paris, coll. Études littéraire françaises, 1984 BERTHIER PATRICK, « L’action dans Chatterton », La Licorne, Poitiers, Hors Série, coll. Colloques, 1995 CHOTARD LOÏC, « Vigny lecteur de Corneille », Approches du XIXe siècle, éd. André Guyaux et Sophie [Vanden Abeele-]Marchal, PUPS, 2000, p. 285-297 LEGRAND YOLANDE, Alfred de Vigny : un souffle dramatique, Eidolon, Cahiers du LAPRIL, Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3, juillet 1998 MARCHAL [VANDEN ABEELE] SOPHIE, « Le poète, la presse et le pouvoir : l’accueil de Chatterton en 1835 », Bulletin de l’Association des amis d’Alfred de Vigny, n°24, 1995, p. 577 MARCHAL [VANDEN ABEELE] SOPHIE, « La maladie dans la Correspondance d’Alfred de Vigny. Du tædium vitae et du suicide dans la correspondance avec Alexandre Brierre de Boismont », L’Écriture de la maladie dans les correspondances, Cahiers d’études des correspondances, éd. Marie-France de Palacio, n°4, 2004, p. 43-70 REY PIERRE-LOUIS, Préface, Chatterton, Gallimard, coll. Folio théâtre, 2001 SAKELLARIDES EMMA, Alfred de Vigny auteur dramatique, Éditions de la Plume, 1902 T. DENOMME ROBERT, « Chatterton ou le dilemme du héros dans un monde non-héroïque », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, 1983, n°35, p. 141-154 Dépouillement des études parues dans les bulletins de l’Association des amis d’Alfred de Vigny sur le site : http://pagesperso-orange.fr/aaav.site ■ Sur le drame romantique CORVIN MICHEL (dir.), Dictionnaire encyclopédique du théâtre, 4e édition, Bordas, 2008 LAPLACE-CLAVERIE HELENE, LEDDA SYLVAIN, NAUGRETTE FLORENCE (DIR.), Le Théâtre français au XIXe siècle, Avant-Scène théâtre, 2008 NAUGRETTE FLORENCE, Le Drame romantique. Histoire, écriture, mise en scène, Le Seuil, coll. Points/Essais, 2001 UBERSFELD ANNE, Le Drame romantique, Belin, 1993 ■ Sur le thème du poète maudit BRISSETTE PASCAL, La Malédiction littéraire. Du poète crotté au génie malheureux, Montréal, Presses de l’université de Montréal, coll. Socius, 2005 DIAZ JOSE-LUIS, L’Écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique, Champion, 2007 STEINMETZ JEAN-LUC, « Du poète malheureux au poète maudit (réflexion sur la constitution d’un mythe) », Œuvres & critiques, vol. 7, n°2, 1982, p. 75-86 4 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE TABLEAU DE LA SEQUENCE N° Support(s) d’étude Objectif général Travail proposé Axe d’étude 1 : Contextualisation 1 2 Entrer dans la pièce Comprendre le contexte • Page de titre. • Catalogue général de la BnF, entrée : « Thomas Chatterton » (http://www.bnf.fr/fr/collections_et_servi ces/catalogues.html). • « Repères biographiques et culturels » • Page de présentation des « caractères et costumes des rôles principaux » (p. 26- 30). • Formulation de l’horizon d’attente du lecteur/spectateur • Recherche documentaire sur la révolution industrielle en Angleterre et en France. • Recherche documentaire sur la monarchie de Juillet et l’avènement de la bourgeoisie. Axe d’étude 2 : Composition de la pièce 3 4-5 6 Découvrir les enjeux de la pièce à partir de l’exposition • Piste de lecture 1. • Texte du sujet d’oral 1 (I, 1). • Lecture de l’acte I •Lecture analytique d’oral 1 (I, 1) Analyser la structure du drame • Piste de lecture 3 • I, 2 ; I, 5 ; II, 1 ; II, 5 ; III, 2, III, 3 • Document D du sujet d’écrit 2 (III, 2). • Lecture des actes II et III • Travail collectif de repérage des scènes parallèles • Lecture analytique de l’extrait document D du sujet d’écrit 2 (III, 2) • Sujet d’écrit 2 : écriture d’invention, p. 149. Étudier le système des personnages • Piste de lecture 2 • I, 1 ; II, 3 ; III, 4 • Extrait III, 9 : vers le commentaire du • Analyse collective du rythme d’apparition des types de personnages • Travail collectif sur le décor et les didascalies • Lecture analytique de l’extrait proposé comme sujet de commentaire III, 9 5 © Éditions Hatier, 2010 sujet Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE Axe d’étude 3 : Étude de thèmes 7 8 La critique de la société bourgeoise • Texte du sujet d’oral 2. • Le personnage de John Bell. • Les lords. Le sacerdoce poétique • Lecture de la « Dernière nuit de travail ». • Lecture de la préface d’Olivier Rohe. • Extraits 1 et 2 du sujet vers la question d’écriture • Travail collectif de synthèse sur les personnages représentant la société. • Lecture analytique du sujet d’oral 2. • Lecture analytique du sujet d’oral 4 Axe d’étude 4 : L’écriture 9 Le registre romantique • Texte du sujet d’oral 3 • Sujet d’écrit 1 • Lecture analytique de l’extrait du sujet d’oral 3 Bilan de l’étude 10 Le héros romantique • Corpus du sujet d’écrit 1 • Vers la dissertation 6 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE GUIDE DES SEANCES Séance 1. Entrer dans la pièce Il s’agit dans une première séance d’élucider le sens du titre en identifiant le personnage éponyme, dont on notera que Vigny ne donne pas immédiatement le prénom pour distinguer peut-être son personnage de son modèle. Les notices du catalogue général de la BnF, à l’entrée « Thomas Chatterton », permettent de dessiner une première image du poète dont s’est inspiré Vigny. Pour les aider à formuler l’horizon d’attente ouvert par le titre de la pièce, on demandera aux élèves de s’interroger sur les éléments susceptibles, dans la vie de ce jeune Anglais, de faire la matière d’un drame : jeune poète suicidé, mystificateur. Ce sera également l’occasion de poser un certain nombre d’éléments relatifs à Vigny, pour qui « soumettre le monde à la domination sans bornes des esprits supérieurs en qui réside la plus grande partie de l’intelligence divine [devait] être [s]on but1 » : défenseur inlassable de la cause des poètes aussi bien dans Stello, que dans ses interventions à la Chambre des députés sur le droit d’auteur ou à l’Académie française. Séance 2. Comprendre le contexte En présentant le contexte économique et social de l’époque à laquelle Vigny écrit et de celle, quasi concomitante, qu’il décrit, on cherchera, dans la deuxième séance, à faire comprendre aux élèves les véritables fondements du romantisme Ŕ bien loin du sens édulcoré qu’ils donnent probablement au terme Ŕ comme conscience tragique de la modernité et de ses enjeux (voir Repères biographiques et culturels, p. 108-110). Cela permettra d’approfondir les questions formulées lors de la séance précédente : se dessinera ainsi la fonction du personnage éponyme pour poser la notion de type. L’étude de la caractérisation des personnages et de leur répartition implicite en deux groupes, socialement et idéologiquement définis, ouvrira dans le même ordre d’idées sur une première approche interprétative du système de personnages. Séance 3. Découvrir les enjeux de la pièce La lecture du premier acte confirmera toutes ces hypothèses Ŕ un questionnaire vérifiera que l’identité de chacun des personnages mentionnés est bien saisie. On attirera en particulier l’attention des élèves sur la façon dont ce premier acte permet au dramaturge d’introduire de manière progressive et variée les personnages de victimes. Ce premier aperçu de la rigueur de construction de la pièce servira d’introduction à l’étude de la scène d’exposition, dont le canon aura été au préalable défini (présentation de l’intrigue, du cadre spatio-temporel, des personnages et enfin, sur le plan du langage dramatique, du genre et du registre), afin de bien mettre en évidence la particularité de celle-ci (annonce de l’issue fatale, charge émotionnelle). Séances 4 et 5. Analyser la structure du drame La lecture intégrale des deux actes suivants doit permettre de mener à bien l’analyse de la structure de la pièce. Celle-ci pourra être menée en deux temps complémentaires : l’un centré sur la nature de l’action, l’autre sur la construction de celle-ci. 1. Journal d’un poète, 28 décembre 1830, Œuvres complètes, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, t. 2, 1948, p. 930. 7 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE • Pour mettre en évidence l’extrême simplicité d’une action dont l’issue, comme on l’aura vu en étudiant la scène d’exposition, est d’emblée donnée, on s’attachera à faire repérer aux élèves les étapes qui y conduisent : on pourra leur demander de formuler ce qui se passe dans les actes successifs en attirant l’attention sur le personnage qui en est à chaque fois le centre et en donnant un titre à chacun, à partir de leurs remarques sur ce point. • Pour permettre aux élèves de comprendre la façon dont Vigny construit le drame autour de cette action, on partira des interventions du Quaker qu’ils repèreront pour analyser la fonction de ce personnage. Ils pourront ainsi prendre conscience de l’alternance subtile de différents types de scènes, qui entretiennent conjointement l’espoir et le désespoir, celui-ci étant de plus en plus accentué cependant ; ils repèreront les jeux de symétries entre les scènes, qui, en créant des effets de miroir, soulignent le caractère inéluctable de l’issue. • En conclusion, on soulignera l’efficacité et la liberté, toute romantique, de la dramaturgie mise en œuvre par Vigny réinterprétant des règles et des emplois venus de la tradition classique pour donner un rythme original à son drame. On attirera enfin l’attention des élèves sur la nature et l’évolution de l’émotion dramatique ainsi créée. Séance 6. Étudier le système de personnages Poursuivant l’analyse de l’apparition des personnages sur scène, il s’agira de rendre les élèves sensibles au rapport entre le rythme de celle-ci et le type de personnages convoqués au fil des scènes. L’analyse du décor devrait permettre, à ce moment-là de l’étude du drame, de souligner combien Vigny l’inclut dans un système très élaboré de signification. En effet, il s’agira ici de leur faire découvrir l’extrême efficacité de la simplicité de ce système de personnages rigoureusement binaire Ŕ comme l’organisation de l’espace : non seulement cette binarité confère toute sa force à l’exposé de la thèse économique et sociale que défend le dramaturge, mais, plus sûrement que tout autre procédé, elle place le couple formé par le poète et la jeune femme au cœur de la problématique morale, comme le soulignera la lecture analytique de l’extrait de la scène III, 9. Séance 7. La critique de la société bourgeoise On en arrivera ainsi naturellement à l’étude du premier des deux thèmes proposés pour laquelle seront a priori, en guise d’introduction, reformulées les conclusions des séances 2 et 6. Des études de personnage pourront être proposées aux élèves sous la forme de portraits par exemple : de John Bell, des Lords ou pourquoi pas du propriétaire Skirner. La lecture analytique de l’extrait proposé comme sujet d’oral 2 soulignera la façon dont Vigny utilise, en les adaptant au drame, les codes d’un théâtre bourgeois pour montrer l’irréductible opposition entre deux personnages, entre deux mondes, entre deux formes d’idéaux. Séance 8. Le sacerdoce poétique De l’une à l’autre de ces deux séances, le personnage de Kitty Bell pourra servir de fil conducteur. On reviendra ici au texte liminaire de la « Dernière nuit de travail », qui pourra être complété par la préface d’Olivier Rohe Ŕ dont certaines affirmations sur le couple central pourront à ce moment-là être discutées Ŕ afin d’entrer dans la lecture des extraits proposés dans le cadre du sujet « vers la question d’écriture ». Il sera sans doute utile à ce moment de 8 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE rappeler combien le XIXe siècle, pour des raisons que les élèves seront dorénavant à même de comprendre, a été le moment essentiel du « sacre de l’écrivain » (voir l’incontournable ouvrage de Paul Bénichou, Le Sacre de l’écrivain 1750-1830. Essai sur l’avènement d’un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne1) : on évoquera la façon dont Chateaubriand, Lamartine, Vigny, Hugo et toute cette génération, née aux confluents de deux mondes, marquée par le traumatisme de la révolution, a alors ressenti le besoin d’affirmer l’autorité de la littérature, faisant de l’écrivain un héros destiné à jouer en tant quel un rôle public et politique de premier plan, véritable oracle, gardien de la vitalité des croyances et des institutions, dont les pensées, qui traduisent l’ordre divin avec lequel il entretient un lien ineffable, annoncent les destinées de l’humanité. Pour bien faire comprendre pourquoi naît à cette époque ce type littéraire de créateur, on reviendra là encore à la définition même du romantisme (voir Repères biographiques et culturels, p. 108110). Séance 9. Le registre romantique Cette dernière séance, avant le bilan, permettra d’étudier les caractéristiques de l’esthétique romantique en menant une réflexion sur l’écriture romantique en tant que telle. Elle pourra être menée à partir de deux types de sujet : le sujet d’écrit 1 et le sujet d’oral 3, qui en présentent toutes les caractéristiques. Séance 10. Le héros romantique À tout seigneur tout honneur… Le bilan de cette séquence sera centré sur la figure éponyme du drame de Vigny grâce au travail de dissertation. 1. Corti, 1973 ; rééd. Gallimard, coll. Quarto, Romantismes français, t. 1, 2004. 9 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE LES CORRIGES DES EXERCICES ET DES SUJETS DE TYPE BAC Corrigé des exercices ■ Vers la question d’écriture, p. 121 Le rapprochement des deux textes proposés est intéressant à double titre. D’une part sur le plan thématique, ils se révèlent complémentaires dans la définition qu’ils proposent, sous des formes différentes (exposé théorique, a priori distancié d’un côté ; monologue investi d’une charge émotionnelle forte de l’autre côté), de la fonction du poète romantique. D’autre part, ils permettent d’entrevoir l’un des principes de l’écriture selon Vigny. Que ce soit dans le roman, le théâtre, la poésie ou l’exposé préfaciel, il y a pour lui des idées fondamentales à exprimer sous la forme de récits à valeur symbolique qui sont autant de professions de foi, voire de prédications. Ainsi le génie solitaire et sacrifié est-il incarné dans différents types de textes, le roman Stello, le poème « Moïse » ou le drame de Chatterton pour n’en citer que quelques exemples : c’est là la fonction même de l’« imagination » qui « donne corps aux idées et leur crée des types et des symboles vivants qui sont comme la forme palpable et la preuve d’une vérité abstraite1 ». Le premier texte développe, à travers un discours préfaciel de justification très conventionnel, un panorama hiérarchisé des représentants de la pensée (voir Piste de lecture 2, p. 124 sqq.). L’extrait proposé en est le point culminant. Ce texte à fonction définitoire présente toutes les caractéristiques stylistiques du genre démonstratif : on relèvera l’emploi du présent dans sa valeur omnitemporelle de vérité générale, de pronoms et adjectifs démonstratifs, d’articles définis qui concourent à la typification notionnelle caractéristique de ce portrait du poète martyr. Or il s’agit en outre d’un portrait en action Ŕ on pourra en profiter pour rappeler quels sont les différents types de portrait possibles. En tant que tel il impose une mise en récit. Celle-ci complexifie la valeur du présent qui participe ainsi également d’une rhétorique d’actualisation : comme dans une sorte d’apologue Ŕ dont est friand Vigny Ŕ, on assiste aux étapes de la courte vie de ce jeune héros, de la naissance à la mort. Toute cette évocation est construite sur un rythme binaire : une série de champs lexicaux antithétiques différencie radicalement le registre divin du registre humain. Dans l’entre-deux circule le jeune poète, élu, continuateur d’une ancienne lignée de « vates » dans la tradition platonicienne, « appart[enant] complètement à cette race exquise et puissante qui fut celle des grands hommes inspirés » : être intermédiaire dont le balancement antinomique qui parcourt le texte (perfection/inadaptation, légèreté/poids, puissance/ faiblesse) souligne toute l’ambiguïté. Sa nature se trouve en effet définie selon trois polarités qui reprennent le sémantisme des champs lexicaux opposés : superlative, métaphorique et associée à une abstraction. Superlative est la caractérisation du poète comme le montre la variété de formes du haut degré employée. Il est un être du mouvement, et d’un mouvement qui s’amplifie à l’infini comme le soulignent à la fois le sémantisme des verbes et les jeux de répétition et surtout de polyptotes rythmant fortement le texte. L’air, voie de communication entre le haut et le bas, est son élément, avec le symbolisme traditionnellement associé aux schèmes afférents du souffle et de l’âme, principe de vie et surtout de vie invisible. Associé à un ballon, il se révèle fragile et dépendant des forces qui le meuvent. L’inspiration fait en effet de lui un être passif, dominé par la part divine qui, présentée comme inintelligible au profane, le définit, le domine tout en lui conférant identité et force. Aussi ce qui fait cette force est-il aussi sa faiblesse : la perfection devient excès jusqu’à la rupture et se retourne contre lui en inadaptation. 1. Journal d’un poète, éd. cit., p. 880. 10 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE Le second texte met en scène la douleur du poète transformée en sacerdoce, en un jeu de miroirs qui peut dans une perspective autobiographique renvoyer à Vigny lui-même : de la troisième personne on passe à la première, du portrait à l’autoportrait et à un mode d’expression aussi douloureux qu’orgueilleux. Cet autoportrait est une réponse, une justification à la réprobation voilée du Quaker qui pressent la tentation suicidaire du poète. On repèrera aisément toutes les formes du dialogue en s’attachant en particulier aux choix syntaxiques. En réaffirmant le contraste entre les autres hommes et le poète, Chatterton justifie en effet son martyre et, déjà, son choix du suicide (« on est sûr de quitter la partie quand la lassitude viendra ») : il développe ainsi la sentence qui a suscité l’inquiétude inquiète et désapprobatrice de son ami : « La bonté d’un homme ne le rend victime que jusqu’où il le veut bien, et l’affranchissement est dans sa main ». Le martyr, qui revendique un idéal inconnu de ceux qui le « trahissent », affirme avec une hauteur désespérée le sens de son sacrifice et sa paradoxale liberté : il en fait ici la démonstration Ŕ on relèvera donc dans un second temps les marques d’une rhétorique argumentative. Ce que Chatterton proclame en effet d’abord ici c’est la radicalité du choix de sa ligne de conduite : imposée par la nature exceptionnelle qui est la sienne, elle définit« sa loi1 » intérieure contre les lois et les modes de comportement humains, librement et sans concession consentie. Il montre dans un second temps la conscience qu’il a du statut de victime passive, à double titre, qui en découle : en toute connaissance de cause, comme il « se laisse aller à la pente [du] caractère » que par son élection au rang de poète il a reçu, il « se laisse tromper » par les hommes, qui ne sont ses bourreaux que parce qu’il a « résolu » d’accomplir cette mission qui lui a été assignée. Le martyre en tant que tel, il le justifie comme un sacerdoce au sens propre dans un troisième temps : s’il méprise les coups des hommes, il n’en va pas même pour ce qui lui est imposé d’en haut. En effet il y a une valeur supérieure incarnée par la Providence, ce Dieu juste qui « ne peut laisser aller longtemps les choses de la sorte » car il « voit » plus loin et plus haut que les hommes, y compris lui-même qui apparaît comme un voyant inspiré servant avec une fierté tragique des desseins mystérieux qui le dépassent. Ainsi peut-il s’« élever », presque jusqu’au dédoublement, au dessus de ceux qui, vivant dans le faux-semblant, l’« abaissent », libéré de toute contrainte et de tout préjugé humains. C’est donc un choix libre que de vivre jusqu’au bout son martyre : la certitude de sa mission, l’acceptation raisonnée de la marginalité qui en résulte et le sentiment de supériorité qu’il en tire sont autant de justifications. On voit donc comment montrer aux élèves la façon dont le personnage de Chatterton est bien un type à travers lequel Vigny illustre sa pensée en la mettant en scène, comme le montre la parenté entre les deux types de textes. La tirade, ils y seront sans doute sensibles, reprend le système sémantique binaire jouant sur les oppositions et les polyptotes de la préface. Pour aller plus loin, on leur montrera la subtilité sur le plan de la signification de cette reprise. On pourra par exemple analyser la façon dont Vigny fait varier les procédés construisant le sens du schème binaire d’un texte à l’autre. L’opposition centrale entre le registre céleste et le registre humain développe trois perspectives : elle signifie à la fois le chevauchement entre les deux mondes, le dédoublement et le retournement. Il y a, dans la tirade, un double rapport au temps que l’on pourra étudier : d’une part un temps historique, d’autre part un temps achronique qui est celui de la permanence divine. Pour montrer aux élèves comment le texte met en œuvre cet effet de sens, il suffit d’attirer leur attention sur l’emploi des temps, sur le rôle et la valeur des pronoms personnels et enfin sur la présence d’énoncés attributifs. Le système temporel souligne un chevauchement des valeurs du présent : d’un côté un présent vécu, qui renvoie à une histoire humaine au sein de laquelle toute action est connotée dysphoriquement par le champ lexical de la tromperie ou, lorsqu’elle est associée au futur, par l’annonce du suicide ; de l’autre un présent à valeur omnitemporelle qui renvoie à la fixité, à la permanence des valeurs relevant de l’idéal et du registre céleste. L’unique 1. Nous soulignons. 11 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE emploi du passé composé, dont on rappellera la valeur aux élèves et qui renvoie bien à cette idée de chevauchement entre ces deux temps, évoque l’évolution du poète et en particulier, grâce au sémantisme du verbe (« j’ai résolu »), la rupture avec l’historicité humaine et l’adhésion radicale à la permanence de l’idéal céleste. Si l’on examine l’emploi des pronoms personnels, l’analyse ouvre sur le même type de signification. Il sera aisé de faire remarquer aux élèves l’emploi massif des deux pronoms personnels sujet « on » et « je » en soulignant la disparition progressive du premier au profit du second. L’auteur tire parti du large spectre sémantique du pronom « on » : d’abord inclus dans le groupe humain indéterminé que suggère la valeur générale de ce pronom, le « je » du poète est dissocié d’un groupe qui le regarde (« on verrait ») avant de l’exclure en le combattant. Son éloignement et le renversement de perspective (« je les vois ») lui permettent de reprendre le dessus pour « se regarder », en double position de sujet et d’objet. Tout se passe comme si, par un dédoublement de soi, la part céleste d’un « je » désormais en majesté (on notera la forme tonique « moi ») se dépouillait de la part humaine : ainsi, les « quelques hommes » disparaissant dans leur médiocrité, s’instaure une relation du poète avec une nouvelle entité, désignée par le pronom « elle », représentant la vraie puissance, créatrice de toutes choses, contre laquelle il n’est pas de révolte possible. De l’indétermination du « on » au nynégocentrisme du « je », entre historicité humaine et atemporalité céleste, il y a donc bien toutes les étapes du parcours du poète missionnaire : rupture, exclusion du groupe humain, jusqu’à une élévation aboutissant à l’affirmation d’un héroïsme tragique. On pourrait encore recommander aux élèves de s’interroger sur la présence d’énoncés attributifs et, à la fin de la tirade, le recours à des notions abstraites comme marqueurs de cette affirmation par le poète d’un monde atemporel auquel seul il a, certes tragiquement, accès. La victime affirme donc une force paradoxale qui la fait participer à un ordre des choses, immuable et mystérieux, dont seul Dieu a la clef : orgueil, solitude et foi tragiques du poète martyr qui peut affirmer la supériorité de la pensée créatrice née de la « rêverie » et nourrie du sentiment dans cet espace inédit qu’il habite. Il serait intéressant, pour conclure, de revenir sur l’analyse que propose Paul Bénichou de cette vision du poète selon Vigny : Il est clair que, dans la conception de Vigny, la mission du poète ne saurait être une mission active, qui le mêle directement aux luttes de son temps. Mais toute son œuvre, invention de formes ou profession de foi, atteste le souci de cette mission, et la foi en elle. Le monde qu’il décrit ne semble pas prêt à se conformer aux leçons de l’Esprit, mais il n’en résulte pas chez lui une désespérance ; la malédiction du monde n’a pas le dernier mot. C’est en quoi Vigny, en dépit de son pessimisme, appartient à la génération de Lamartine et Hugo. Il a seulement situé la mission du Poète penseur à plus grande distance qu’eux de la société réelle. Tout sacerdoce étant mêlé de ferveur agissante et de solitude, il a orienté plutôt le sien dans ce dernier sens mais sans rompre le lien avec les hommes. Le refus de l’espérance métaphysique [après Chatterton] et l’obsession d’appartenir à une classe socialement condamnée ont rendu d’autant plus nécessaire à ses yeux un sacerdoce de l’esprit parmi les hommes, restituant un ordre faute duquel rien n’aurait plus ni destination ni sens. Il s’agit du rétablissement héroïque d’une Valeur, la seule possible, également assurée d’être méconnue et de régner. […] Ainsi l’idée du sacerdoce poétique, qui devait osciller, à travers les crises du XIXe siècle, entre l’élan et le retrait, a trouvé chez Vigny, dès les premières années de sa carrière, une définition pour ainsi dire permanente et répondant par avance à toute vicissitude. Le gentilhomme amer, métamorphosé pour survivre en héraut pensant du progrès, a protégé mieux qu’un autre le type sacerdotal du Poète contre 12 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE l’entraînement des circonstances et leur reflux. Sa formule austère, un peu grise, a moins frappé que d’autres ; c’est pourtant celle qui défiait le mieux les conjonctures nécessairement variables de la société qui naissait alors. Il y a à la fois, dans Vigny, un poète agissant et un poète en exil, un Hugo et un Baudelaire, mais la rigueur de sa réflexion sur la condition poétique excluait qu’il eût l’éclat ni de l’un ni de l’autre1. ■ Vers la dissertation, p. 129 Le sujet de dissertation est proposé sous la forme d’une citation relativement longue qu’il conviendra d’apprendre aux élèves à lire méthodiquement. On les guidera tout d’abord pour en comprendre l’enjeu : une définition du héros romantique à travers laquelle se dessinent les enjeux politiques majeurs du drame de la première moitié du XIXe siècle, où la réforme théâtrale est indissolublement associée à une réflexion sur l’histoire et en particulier sur le progrès politique et social. On pourra partir du repérage de la structure de l’exposé de la thèse, puis travailler sur les champs lexicaux d’autant plus aisés à repérer qu’ils font écho, dans un même système binaire antinomique, à ceux qu’emploie Vigny pour brosser le portrait du poète. Enfin un relevé des mots-clés permettra en particulier de définir les notions essentielles de tragique et d’héroïsme. Dans le cadre d’un travail collectif on pourra leur donner à lire alors cet extrait d’Hernani pour enrichir la réflexion : Tout me quitte ; il est temps qu'à la fin ton tour vienne, Car je dois être seul. Fuis ma contagion. Ne te fais pas d'aimer une religion ! Oh ! par pitié pour toi, fuis !... Tu me crois peut-être, Un homme comme sont tous les autres, un être Intelligent, qui court droit au but qu'il rêva. Détrompe-toi. Je suis une force qui va ! Agent aveugle et sourd de mystères funèbres ! Une âme de malheur faite avec des ténèbres ! Où vais-je ? Je ne sais. Mais je me sens poussé D'un souffle impétueux, d'un destin insensé. Je descends, je descends et jamais ne m'arrête. Si, parfois, haletant, j'ose tourner la tête, Une voix me dit : "Marche !" et l'abîme est profond, Et de flamme ou de sang je le vois rouge au fond ! Cependant, à l'entour de ma course farouche, Tous se brise, tout meurt. Malheur à qui me touche ! Oh ! Fuis ! Détourne-toi de mon chemin fatal2 ! Hernani, III, 2 1. Paul Bénichou, Le Sacre de l’écrivain 1750-1830. Essai sur l’avènement d’un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Corti, 1973, p. 377-179. 2. Hernani, III, 2 13 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE Hernani et Chatterton sont des êtres condamnés à une révolte solitaire contre une société en proie à l’anarchie de volontés arbitraires et individualistes dans un monde que les dieux ont définitivement abandonné, leur interdisant désormais toute forme d’héroïsme. À bien lire la citation, le héros romantique est défini dans une double perspective qui illustre cette idée centrale. Il est, d’une part, caractérisé par le sens de sa « trajectoire », un mouvement horizontal contrarié, brisé, qui fait de lui la victime broyée par une force sanguinaire lancée dans un incontrôlable élan désespérément rectiligne, cette accélération de l’histoire qui commence avec 1789. D’autre part, il est un être de l’utopie, humaniste « voyant », réformateur soucieux du bien humain et de sa concrétisation politique. À partir de là, les pistes de réflexion, que les élèves étofferont à partir de leurs lectures, et en particulier du travail préalable sur le personnage du poète missionnaire, pourraient être les suivantes : Histoire et politique ; réalité et utopie Le caractère politique du drame romantique, en particulier de Chatterton, apparaît bien ici. L’idéalisme du héros le situe dans la double lignée de la réflexion de Platon dans La République Ŕ à laquelle, on le rappellera, Vigny emprunte l’importante métaphore du vaisseauŔ et dans la tradition d’un humanisme utopique à l’image de celui d’un Thomas More dans Utopia (1516) par exemple : il affirme en effet l’ambition de réaliser par des moyens humains, sans attendre l’entrée dans le royaume divin, une société régie par la notion de bien commun et organisée selon la meilleure forme de gouvernement. Mais l’échec même de ce héros manifeste bien la rupture aporétique que le XIXe siècle et la révolution de 1789 ont provoquée : lorsqu’elle sort à l’orée du XIXe siècle du domaine l’abstraction théorique et de la littérature, l’utopie, en investissant alors au nom de la liberté individuelle de chacun dans la cité le champ de la réalité politique et sociale, en entrant ainsi dans l’histoire, en devenant même ce vers quoi l’histoire, devient particulièrement complexe à mettre en œuvre concrètement. C’est en même temps l’immense foi que suscite cette promesse sécularisée d’une histoire, dorénavant conçue dans la perspective du progrès humain, et l’aporie qui surgit de la réalité que les romantiques vont mettre au premier plan pour la penser en la mettant en scène : car si elle donne à l’homme la possibilité de réaliser l’attente eschatologique judéo-chrétienne, elle met au jour également les aléas arbitraires et capricieux des circonstances et des événements dans le processus, toujours tragiquement incertain, enclenché pour se rapprocher de cet utopique règne de la liberté. De cette conscience découle le tragique moderne. Héroïsme de la révolte Ŕ héros tragique/héros romantique De là découle par conséquent la différence essentielle entre héros tragique et héros romantique. D’un côté la tragédie, de l’Antiquité au XVIIe siècle, pose dans un univers fermé, clos et hiérarchisé, façonné et ordonné par une Providence Ŕ qu’elle prenne la forme d’un oracle païen ou d’une volonté divine, un protagoniste qui reçoit de celle-ci la justification de son statut de héros et de son destin. De l’autre, le drame romantique montre un personnage perdu dans un univers sans ordre supérieur ni hiérarchie préalable, dans lequel aucun principe organisateur ne vient plus justifier d’action héroïque. Sa fonction est donc désormais d’imposer, d’imaginer et de trouver en lui-même, par un refus farouche du nouvel ordre trop humain, les conditions de son propre héroïsme et donc d’une nouvelle forme de transcendance ou de métaphysique : autrement dit, en incarnant le symbole neuf d’une vérité éternelle sans cesse battue en brèche par les actions des hommes, de chercher à transformer le monde par cette révolte contre un temps encore une fois trop humain. 14 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE ■ Vers le commentaire : III, 9 Il va de soi que pour étudier cette dernière scène du drame il faudra commencer par rappeler aux élèves ce qu’est un dénouement dans la tradition classique et évoquer de quelle façon ce morceau imposé a pu évoluer dans la dramaturgie moderne pour leur en faire comprendre les enjeux idéologiques. En effet, le dénouement traditionnel « dénoue » la crise qui a fait le « nœud » de l’intrigue présentée : ainsi offre-t-il à la fois un retour à l’ordre normal des choses en même temps qu’il règle le sort des personnages, que ce soit par l’action de l’un des personnages pris dans cette intrigue, par l’intervention imprévisible d’un personnage extérieur (le « deus ex machina ») ou d’un événement extérieur. Ce dénouement suppose l’adhésion à une image providentielle du monde, à partir de l’idée qu’il préexiste, immanent, un ordre des choses. Avec la modernité ce présupposé est de plus en plus souvent remis en cause et avec lui par conséquent ce moment final : le dénouement, chargé de ces doutes métaphysiques, peut alors ouvrir sur une autre histoire ; figurer un anéantissement total en n’offrant aux personnages aucune perspective pour l’avenir ou n’être, dans une conception désespérée des choses, que le moment d’un recommencement… Dans le cas de Chatterton, il sera important de délimiter précisément les étapes de ce dénouement dans le dernier acte. Car il se développe continûment sur trois scènes : la scène de la lettre et de l’empoisonnement (III, 7) ; la scène lyrique de l’adieu (III, 8) et enfin celle, tragique, de la double mort du poète et de Kitty Bell. Le sens ultime de ce long dénouement est donné par la toute dernière réplique, selon un procédé très caractéristique des dénouements romantiques. Celle-ci est significativement attribuée au personnage du Quaker sous la forme d’une prière qui dit la rédemption : « dans ton sein, Seigneur, reçois ces deux martyrs ! » Tout contribue à faire de cette scène paroxystique, dans laquelle la tension culmine avec la rapide succession des deux morts, une scène d’élévation en trois temps, scandés par une scénographie très précise, aussi bien du point de vue des entrées des personnages sur la scène que de leurs déplacements selon un axe vertical (montée et descente du Quaker qui revient aider, chercher Kitty Bell ; montée impossible de John Bell qui en reste à la troisième marche de l’escalier ; génuflexion du Quaker, « les yeux tournés vers le ciel »). Péripéties, intensité émotionnelle et effets scénographiques montrent comment Vigny met en œuvre l’esthétique romantique Ŕ à ce titre, on pourra faire lire les dénouements de Ruy Blas ou d’On ne badine pas avec l’amour pour le montrer aux élèves. Le duo d’amour ouvre sur la mise en scène d’une double mort, aussi shakespearienne Ŕ on rappellera que Vigny a adapté Roméo et Juliette Ŕ que contraire aux principes classiques. On notera la gradation : Chatterton, que le spectateur a vu la fiole d’opium en mains dans une scène au registre très mélodramatique, ne meurt pas sous les yeux du spectateur, seul le Quaker l’assiste ; quant à Kitty Bell, par une importante amplification, elle exhale son dernier soupir dans les bras du même Ŕ et le parallélisme n’est bien entendu pas fortuit Ŕ et sous les yeux de l’assistance complète. La mort les réunit accomplissant en quelque sorte l’aveu d’amour dans la scène précédente. Celle, publique, de Kitty Bell vient non pas seulement comme un redoublement de la première, qui peut n’être perçue avant cette ultime scène comme un aveu de faiblesse et en tant que tel un suicide condamnable, mais elle lui confère également un sens supérieur en l’élevant à la dimension tragique : de la scène précédente à celle-ci, on passe de l’effroi d’une damnation à l’annonce « sub specie aeternatis » d’une rédemption. Pour mettre en relief ce dénouement, le dramaturge lui confère une dimension spectaculaire. Il multiplie les effets tant sur le plan discursif (on étudiera la syntaxe et en particulier le choix des modes des temps verbaux dans les répliques) que sur le plan scénographique : on proposera aux élèves une étude précise des très nombreuses didascalies qui, dans un lexique relevant de la dramaturgie passionnelle, soulignent l’importance de la gestuelle et créent une dynamique qui suggère une accélération progressive du mouvement pour donner à voir très précisément l’évolution des sentiments de Kitty et même de son odieux époux. Il y a là sans aucun doute 15 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE une dimension mélodramatique à souligner quand on sait la méfiance de Vigny à l’égard de ce type d’effets Ŕ on rappellera comment Marie Dorval l’accentua ici en mettant au point secrètement un jeu de scène qui resta célèbre. Le mélange des genres est bien présent : la scène superpose plusieurs registres : coup de théâtre de mélodrame, tableau familial bourgeois et surtout, parce que le drame s’attache, selon la formule de Hugo dans sa préface de Cromwell, à montrer « l’âme sous le corps », recours au tragique dans une formulation classique du retour à l’ordre final. C’est là en effet que se laisse apprécier clairement le classicisme dont le romantisme porte l’empreinte. On repartira avec les élèves de la structure du drame, rigoureusement construit sur le plan d’une tragédie : exposition, nœud, péripéties, servant à « réanimer régulièrement l’illusion des personnages sur leur propre destin » pour permettre au spectateur de « jouir du désordre du monde avant la remise en ordre finale », dénouement à fonction cathartique au cours duquel les procédés qui donnent l’illusion de la précipitation émotionnelle suscitent « terreur » Ŕ c’est le sentiment de Kitty et par empathie celui que le spectateur est destiné à éprouver Ŕ et pitié pour les deux « martyrs ». Cette ultime scène est fondamentalement tragique : la mort de Kitty, annoncée dès la première scène, rétablit fermement la dimension causale de toutes les péripéties et introduit la transcendance. Elle apparaît ainsi comme l’accomplissement d’une volonté supérieure et donne ainsi, par contrecoup, tout son sens à celle du poète, sauvé de la damnation réservée à tout suicidé par cet ange de Charité qui transforme le désespoir (« je ne peux plus prier ») et l’aveu d’impuissance du héros face à la victoire du matérialisme athée en un sacerdoce imposé par Dieu. Ce coup de théâtre, qui est à interpréter comme un sursaut de l’Esprit qui reprend ses droits sur la matière, de l’âme sur le corps, est particulièrement bien mis en scène par Vigny. On fera remarquer aux élèves l’effet de parallélisme saisissant avec la scène initiale : mêmes entrées des personnages sur scène, même absence du poète. Pourtant le tableau bourgeois est désormais impossible et le tempo s’affole alors que tout se réorganise selon un autre logique, tragique : la voix et la volonté de John Bell ne dominent plus puisque l’« épouvante » Ŕ on reviendra au sens étymologique Ŕ le réduit progressivement au silence ; cette fois Kitty Bell n’a plus la force de demeurer l’épouse soumise à un ordre matérialiste qui n’est pas le sien. La fausse harmonie bourgeoise vole en éclats : la jeune femme s’élève, par la révélation du sens de la passion Ŕ vision sacrée très classiquement associée, la « terreur » Ŕ à son tragique destin de victime, pur don d’amour. Elle figure à la fin de la pièce une véritable « pietà », affaissée dans les bras du Quaker, au centre de la scène. Enfin la réconciliation est possible : le dénouement, dans toute la puissance émotionnelle de cette « tristesse majestueuse », est à ce titre une véritable résolution de l’intrigue par laquelle Vigny, cette fois, ne cède pas au pessimisme mais s’en remet à la Providence et à ses voies impénétrables… 16 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE Corrigé des sujets d’écrit ■ Sujets d’écrit 1 : le monologue dans le drame romantique Pure convention, le monologue est, on le montrera aux élèves, un élément essentiel de la dramaturgie au point qu’il n’a jamais été remis en cause. Les romantiques, dans leur refonte de la dramaturgie, y ont même très largement recours Ŕ on pourra rappeler que le quatrième acte de Lorenzaccio par exemple compte pas moins de trois monologues. Ils en font même un procédé essentiel, comme l’expose Hugo dans la préface de Cromwell : « le poète rempli[t] pleinement le but multiple de l’art qui est d’ouvrir au spectateur un double horizon, d’illuminer à la fois l’intérieur et de l’extérieur des hommes ; l’extérieur par leurs discours et leurs actions ; l’intérieur, par les apartés et les monologues ». Nouvel exemple donc de la façon dont le drame romantique s’approprie pour lui donner un sens et une fonction modernes un procédé classique. Le monologue, toujours en situation, marque un moment essentiel de l’action. Le personnage, seul sur scène à un moment clef, verbalise une pensée qui en souligne la gravité. Ainsi le monologue a-t-il une double fonction : psychologique et dramatique, puisqu’il doit conduire le personnage à prendre une décision et à agir. S’il peut prendre la forme d’un récit, permettant de raconter ce que la bienséance ou les règles d’unité d’action ne permettent pas de montrer, il se développe également sous la forme de confidences intimes s’inscrivant, en tant qu’expression d’une conscience, dans le registre lyrique ; enfin, le monologue est l’expression d’un débat, d’un dilemme et emprunte alors ses procédés au genre délibératif. Les quatre extraits proposés correspondent à des moments clefs de l’action de chacune des pièces : que ce soit l’exposition (A) ou le dénouement (B, C, D), ils constituent un moment fondamental de définition de soi par rapport au monde extérieur. Se dessine ainsi le dilemme tragique du héros romantique : en lutte contre une réalité dangereuse qui, imposant le crime et la corruption au nom de l’idéal, peut s’incarner dans un être à assassiner (A et C) ou un ensemble de circonstances aliénantes (B, D). À chacun de ces moments correspond un type de traitement du modèle délibératif traditionnel, qui souligne la façon dont les dramaturges romantiques adaptent cette convention classique qu’est le monologue à leur esthétique. On retrouve dans les textes A et C la fonction et la forme du monologue délibératif classique qui donne à entendre la réflexion, logiquement structurée, du personnage sur la manière de résoudre le problème qui se pose à lui : position de la question ; position des solutions sous forme d’avantages et/ou d’inconvénients et enfin conclusion qui entraîne le passage à l’action. On y repère sans difficulté un certain nombre des caractéristiques de la rhétorique de l’argumentation. En revanche, au terme de la mise en œuvre de cette action, les extraits B et D sont construits selon un procédé de déconstruction de la logique argumentative : le héros romantique y exprime son désarroi face à une réalité qui bat en brèche tous ses efforts et le fait entrer dans un désarroi profond. Le monologue devient une sorte de coulée verbale au fur et à mesure que la parole décentrée, dépourvue de maîtrise rationnelle : il traduit à la fois la démesure orgueilleuse et illusoire de celui a cru pouvoir se confronter à la réalité extérieure et de ce qu’il a entrepris ainsi que le désespoir, à la limite de la folie, qui accompagne cette prise de conscience de ce sujet qui cherche en vain à maîtriser un réel où tout éloigne de l’idéal, le transforme en criminel et tend à tragiquement le déposséder de luimême. Tous les procédés stylistiques traditionnels que l’on trouve convoqués dans un monologue, à commencer par les apostrophes, les marques de dialogue avec soi, sont ici 17 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE transposés et amplifiés pour dire le désespoir tragique confinant à la folie, la solitude radicale du héros dans un monde chaotique. Le second monologue de Lorenzo parmi les trois qui scandent le quatrième acte du drame de Musset est un exemple particulièrement probant de traitement relativement classique du monologue par un dramaturge romantique. On pourra ainsi y étudier : 1. La fonction délibérative et tous les procédés de mise ne place d’une rhétorique argumentative 2. La définition du destin tragique du héros romantique, en s’attachant en particulier à la représentation du destin dans le texte puis à celle, métaphorique, du héros 3. Le tableau de la réalité humaine à travers l’important réseau d’images traversant le texte, en particulier autour de la thématique de la corruption et de l’image de la dissolution de la matière dans un cloaque infernal, selon une image familière à Musset que l’on retrouve dans On ne badine pas avec l’amour où « tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange » (v, 2). ■ Sujets d’écrit 2 : le confident dans le drame romantique Ces sujets qui renvoient à la notion d’emploi du théâtre permettent d’aborder l’axe d’étude relevant du texte et de sa représentation. Pour faire comprendre ce qu’est ce personnage subalterne, caractéristique du système d’emplois tel qu’il s’est codifié vers la moitié du XVIIe siècle avant d’être fortement critique au siècle suivant, dont l’esthétique vériste ne pouvait s’accommoder de personnages codés en fonction du genre dramatique et non de la réalité mise en scène, on peut partir avec les élèves de cette définition très complète que donne Patrice Pavis dans son Dictionnaire du théâtre : Personnage secondaire qui reçoit les confidences du protagoniste, le conseille ou le guide. Surtout présent dans la dramaturgie du XVIe au XVIIIe siècle, il remplace le chœur, joue un rôle de narrateur indirect et contribue à l'exposition, puis à la compréhension de l'action. Parfois on lui laisse le soin d'accomplir les besognes dégradantes, indignes du héros Il s'élève rarement au niveau d'alter ego ou de partenaire à part entière du personnage principal, mais il le complète. On en n'a pas une image très précise et caractérisée puisqu'il n'est qu'un faire-valoir et un écho sonore n'ayant généralement pas de conflit tragique à assumer ou de décision à prendre. Étant du même sexe que son ami, il guide fréquemment celui-ci dans son projet amoureux. Par le biais des confidences se forment curieusement des couples. Une affinité de caractère ou, au contraire, pour un confident comique, un fort contraste caractérise leurs rapports. Du chœur, le confident a gardé la vision modérée et exemplaire des choses. Il représente l'opinion commune, l'humanité moyenne et met en valeur le héros par son comportement souvent timoré ou conformiste. C'est surtout dans le drame ou la tragédie que sa présence se présente comme médiation entre le mythe tragique du héros et la quotidienneté du spectateur. En ce sens, il guide la réception du spectateur et en dessine l'image dans la pièce. L'influence du confident varie considérablement au cours de l'évolution littéraire et sociale. Son pouvoir augmente à mesure que celui du héros s'effrite (fin du tragique, ironie sur les grands hommes, montée d'une classe nouvelle) Ainsi chez Beaumarchais les confidents Figaro et Suzanne contestent 18 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE sérieusement la suprématie et la gloire de leurs maîtres. Avec eux disparaîtront bientôt et du même coup la forme tragique et la prééminence aristocratique. Ses fonctions dramatiques sont aussi variables que sa véritable relation au personnage principal : il sera, tout à tour ou simultanément, messager apportant les nouvelles, faisant le récit d'événements tragiques ou violents, gouverneur du prince, ami de vieille date, précepteur ou nourrice. Il prête toujours une oreille attentive aux grands de ce monde théâtral : « écouteur passif » selon la définition de Schlegel, mais aussi écouteur irremplaçable d'un héros en perdition, « psychanalyste » avant la lettre qui sait provoquer la crise et percer l'abcès. Ses formes plus prosaïques en seront, pour les femmes : la nourrice, la suivante (chez Corneille), la soubrette (chez Marivaux) ou le chaperon pour les rendez-vous galants; pour les hommes : l'exécuteur des basses besognes, l'alter ego indélicat. Si son importance est variable, elle ne se limite pas à un simple rôle de remplaçant, d'instrument d'écoute pour les monologues (ceux-ci se maintiennent dans la dramaturgie classique et le confident ne cherche pas à s'y substituer). Type même du personnage « double » situé à la fois dans la fiction et hors d'elle), le confident devient parfois le substitut du public (pour lequel il règle la bonne circulation du sens) et le double de l'auteur ; il se voit souvent promu au rang d'intermédiaire entre les protagonistes et les créateurs1. Parmi les trois extraits proposés à la réflexion, le premier, issu du répertoire racinien, sera destiné à servir de point de référence, voire de contrepoint, aux deux autres. Il est bien connu : on repèrera aisément la fonction de la confidente dans l’évolution psychologique de sa maîtresse puisqu’elle fait advenir à la parole et donc à la conscience l’aveu central de l’acte. On en tirera les conclusions qui s’imposent sur la fonction de ce type de scène de confidence dans l’économie dramatique de la pièce. La lecture des deux extraits suivants vient confirmer au premier abord la façon dont les dramaturges romantiques ont travaillé à partir de la souplesse du système d’emplois classique pour inventer des personnages correspondant à leur esthétique. Si les personnages romantiques ont été, pour beaucoup de comédiens abordant les rôles au XIXe siècle, c’est sans aucun doute parce qu’ils avaient été pour le plus grand nombre imaginés et taillés à la mesure des acteurs vedettes de l’époque Ŕ on pensera à Kitty Bell pour Marie Dorval bien entendu, mais on pourra évoquer la figure de Bocage à qui Dumas destina le personnage d’Antony. C’est donc moins en termes de rupture que d’adaptation qu’il faut penser le système d’emplois dans le drame romantique. Florence Naugrette a bien montré, pour le théâtre de Hugo, que le schéma classique reste le fondement à partir duquel sont élaborées les situations dramatiques : « l’innovation consiste ensuite à brouiller les oppositions structurales sur lequel ce système d’emplois repose ; en somme, à faire entrer le mélange des genres dans la construction des personnages ». Qu’il s’agisse de Gubetta ou du Quaker, ils accomplissent, par le dialogue avec les personnages principaux, une évidente fonction psychologique comme tout confident classique. En revanche, ils apparaissent jouer un rôle différent dans l’économie générale du drame. S’ils sont encore utilisés, dans le cadre de la double énonciation, comme prétexte à récit éclairant le passé et les motivations du personnage, ces confidents, comme le Quaker en particulier, agissent sur ce dernier, sont dotés d’une identité et d’une autonomie qui produit un important effet de décalage par rapport à la dramaturgie classique. Issus de milieux différents, qu’ils soient religieux ou mercenaires, ils sont dotés d’une identité sociale qui donne à voir sur scène une réalité plurielle (le peuple dans ses bigarrures et ses contrastes chez Hugo), ce qui correspond à l’un des points importants de l’esthétique romantique, fondée sur l’idée de représentation de la totalité. Surtout, puisqu’ils agissent, ils sont dotés d’une psychologie complexe et évolutive, partageant avec le héros les doutes, les 1. Dunod, 1996, p. 64. 19 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE contradictions, les pulsions voire les passions qui se trouvent également répartis et distribués dans les hommes, quelle que soit leur place sur l’échelle sociale : le Quaker donne bien à voir la mise en œuvre de cette dramaturgie égalitaire romantique chargée de faire voir la nature humaine en tant que telle. La scène extraite de Lucrèce Borgia relève de l’exposition : s’y met en place, a priori très classiquement aussi bien sur le plan de la répartition des personnages dans l’économie générale du drame, que du point de vue des emplois utilisés par le dramaturge, un duo composé du personnage principal et de son confident. Mais cette scène, à tous les niveaux, est construite sur un principe binaire de contrastes qui crée un effet de surprise sur le plan dramatique Ŕ l’entrée en scène de Lucrèce contredit le portrait violent et quasi fantasmatique, brossé dans la scène précédente Ŕ et annonce qu’elle annonce une redistribution des fonctions et une évolution des emplois. On pourra étudier pour le montrer : 1. Les éléments d’une scène d’exposition : on pourra distinguer les éléments classiques (le type de personnages sur scène ; les procédés de présentation du personnage éponyme et du dilemme fondamental qui est le sien ; la mise en place de l’ancrage spatio-temporel et les effets de suspense) des éléments romantiques (« couleur locale » et Histoire ; système de contrastes opposant horreur et ironie…). 2. Le portrait de Lucrèce en personnage duel : le thème du masque ; le système de valeurs antinomiques qui la place paradoxalement dans le registre pathétique 3. Le portrait de Gubetta en âme damnée : le mercenaire incarnant l’effectuation du crime et de la mort incarnés par celle qui le « paye » ; le double cynique et inversé de Lucrèce qui annonce l’échec de celle-ci, l’impossible rachat. 20 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE Corrigés des sujets d’oral ■ Sujet d’oral 1 : la scène d’exposition (I, 1, l. 31- l. 51) Question L’exposition prend la forme d’un dialogue entre la jeune femme, Kitty Bell, et ses enfants, sous l’œil bienveillant du Quaker, présenté d’emblée comme une présence rassurante et une autorité spirituelle, dans un cadre marqué par la crainte d’une autorité associée à la violence et à l’interdiction. À travers ce dialogue sont révélées -la situation familiale et affective de la jeune femme -la position sociale et la situation affective du poète, dont l’entrée en scène, par un effet de suspense, est repoussée. Est ainsi créé un effet de parallélisme entre les deux personnages qui sont réunis par une communauté de sentiments associés à la souffrance dans un même registre pathétique. Celle-ci est associée à l’innocence par l’image des enfants. Cette exposition, très classique, a toutes les caractéristiques attendues : mise en place des personnages, ancrage spatiotemporel, création d’effets d’attente. Comme à l’entretien 1. À travers ce dialogue se met en place un réseau de significations qui passe par un jeu de parallélismes ou d’oppositions entre personnages (mère/poète ; épouse/mari) mais aussi entre sentiments qui est au fondement de la typologie régissant le système de personnages. La principale opposition victime/bourreau se dessine au sein du cadre familial. La présence du Quaker et la thématique du don annoncent le second plan sur lequel, en précisant la silhouette du poète, elle va se développer. 2. La Bible est un objet symbolique. D’une part il accentue, sur le plan de l’action, le lien entre la jeune femme et le poète : son sujet et les intermédiaires qui la font passer des mains de l’un à celles de l’autre confèrent à ce lien une dimension spirituelle. En effet, il met d’autre part en place le plan eschatologique : il affirme pour les victimes un espoir, celui d’une transcendance qui justifie la misère et les souffrances d’ici-bas. Enfin en tant que livre, il annonce également la fonction qui, pour le poète, doit être assignée à l’écriture : elle donne sens à l’expérience humaine. ■ Sujet d’oral 2 : une querelle d’époux (I, 6, l. 433- l. 472) Question Cette scène reflète l’esthétique du mélange des genres et souligne combien la structure dramatique, pour les romantiques, est fondée sur une liberté d’emprunts et d’adaptation aux nécessités de l’intrigue de genres distincts et inconciliables dans la tradition classique. Relevant ici au départ à la fois du registre comique de la comédie classique et de la thématique familiale du drame bourgeois, le sujet de cette scène est une querelle domestique entre époux autour de la très prosaïque question pécuniaire. Vigny travaille à partir de la figure comique de l’époux querelleur et avare, doté d’un discours monomaniaque, auquel sa femme résiste en lui renvoyant une image raisonnée de ses défauts. Mais il confisque la dimension comique par une évolution rapide du scénario implicitement attendu dans ce registre : le discours de Kitty Bell modifie le registre. Elle place le sujet sur le double plan affectif (c’est le discours de la mère dévouée) et moral (c’est le discours de la chrétienne accomplissant ses devoirs) pour imposer un autre système de références que 21 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE celui de son mari : il s’agit de retourner les reproches qui lui sont faits en une mise en accusation de ce dernier. La scène n’est donc pas le prétexte au portrait satirique de l’enfermement d’un personnage dans son obsession pécuniaire mais l’occasion de la confrontation Ŕ vaine Ŕ entre deux systèmes de valeurs dont l’incompatibilité scelle le destin de la jeune femme. La scène se développe sur un double registre pathétique (« sauver mes enfants », « pitié », « vous me tuez », « pauvres enfants », « cœur endurci »…) et tragique (« motif sacré », « bonne action », Dieu, « devoirs de chrétienne »…). Pour accomplir ce qu’elle juge bon, Kitty Bell est prête à endurer les reproches et courir le risque d’être sanctionnée : à travers sa résistance s’opposent les valeurs matérialistes bourgeoises et les valeurs spirituelles de la religion. Sur le plan stylistique les discours de chaque personnage sont d’ailleurs significativement opposés : d’un côté le niveau de langue élevé de celui de Kitty Bell (type de vocabulaire, syntaxe dominée par des phrases complexes) qui met en œuvre un discours argumentatif marquant sa détermination et sa foi ; de l’autre, un discours très succinct réduit au jeu sur les mots, à des phrases courtes et simples. Enfin, les didascalies permettent aux acteurs de marquer fortement l’opposition entre les deux personnages : d’un côté la position debout de Kitty Bell affirme sa détermination, voire son autorité spirituelle ; de l’autre, l’agitation de John Bell signifie l’agacement d’un mari peu habitué à la résistance et incapable de comprendre, « tournant en rond » d’une certaine manière. Comme à l’entretien 1. Cette scène est l’une des rares où Kitty Bell ose affronter son mari et cherche à lui faire comprendre ce que signifie sa foi, au-delà de la simples apparence de la bienséance bourgeoise. Elle affirme ici sa détermination et sa foi à travers une série d’énoncés impératifs - inédits chez elle - et de sentences, avant de conclure par une définition de son statut de femme et de chrétienne, qui prend la forme d’une fausse humilité par la négative. John Bell reste non seulement sourd à cette argumentation mais il refuse même toute discussion se contentant de rapides et coupantes pétitions de principes fondées sur un mode de pensée qu’il ne se donne pas la peine, comme il l’a fait pour ses ouvriers, de justifier. 2. L’incompréhension entre les deux époux met en évidence la critique d’un système de relations maritales qui impose à la femme la gestion de l’économie domestique et la prive de toute autre forme d’éducation ou d’élévation. 3. Si les mères sont peu nombreuses dans la comédie classique, en particulier chez Molière, la tyrannie masculine est souvent mise en scène à travers les figures de père abusant de leur autorité et serrant les cordons de la bourse : les scènes opposant les maîtres et leurs servantes, représentant les valeurs du cœur et des bons sentiments, abondent, que ce soit dans L’Avare, Tartuffe ou Le Bourgeois gentilhomme. 22 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE ■ Sujet d’oral 3 : une scène de confession romantique (II, 5, l. 435- l. 511) Question En quoi Kitty Bell est-elle une héroïne romantique ? Kitty Bell apparaît tragiquement la proie d’un dilemme entre sa foi et les actes qu’elle accomplit pour aider Chatterton. Elle est encore totalement aveuglée sur le véritable motif pour lequel elle les accomplit et qui la détourne de ses devoirs d’épouse bourgeoise : ce qu’elle prend pour de la pitié a donné naissance à un amour qu’elle n’ose encore s’avouer mais que la violence de son discours laisse transparaître. Ses répliques sont en effet construites sur la double modalité interrogative et exclamative ; à mesure que son émotion augmente lorsqu’elle entrevoit la vérité sur Chatterton et l’ambiguïté de leur relation, elles deviennent plus longues et tout aussi émotives. L’évolution de la construction syntaxique est révélatrice : raccourcissement des questions ; accélération du rythme et allitérations ; appositions paratactiques… Au lieu de trouver un solution au dilemme qui la torture, la jeune femme s’y enferme comme le souligne la circularité de ses propos : « ce que j’ai fait et ce que j’allais faire » ouvre sur un « je recommencerai »… Tout dit en effet, si l’on regarde la répartition antinomique des champs lexicaux (innocence/crime ; vérité/mensonge ; condamnation/rédemption ; biens matériels/spiritualité), l’enfermement dans une aporie que seul l’aveu d’amour final pourra résoudre. Comme à l’entretien 1. L’enchaînement régulier des répliques selon une succession de questions et de réponses conduit le Quaker, à travers un discours explicatif, à permettre à Kitty, dont il veut influencer le comportement à l’égard du poète, de comprendre la nature profonde du poète et son désespoir. Il cherche à lui faire comprendre l’ambiguïté inavouée des sentiments de Chatterton pour engager la jeune femme à s’unir à lui pour le protéger de lui-même, allant jusqu’à lui révéler la tentation suicidaire. Cette rhétorique qui consiste, de manière assez perverse somme toute, à susciter un sentiment de culpabilité chez la jeune femme, est un succès. À cet égard, le Quaker, personnage bien plus individualisé qu’un confident classique, révèle une véritable complexité psychologique. N’est-ce pas d’ailleurs lui qui précipitera le dénouement tragique ? 2. L’amour maternel est lui aussi complexe. S’il est un archétype de pureté et de dévouement Ŕ Chatterton le proclame « sans trouble et sans peur » (III, 8, l. 689) Ŕ, il peut, parce qu’il renvoie à une forme d’absolu féminin, nourrir une illusion dangereuse : sous la mère, il y a la femme ; sous la protectrice, il y a la séductrice… Chatterton et Kitty découvrent ainsi innocemment l’un des modes humains d’appréhension de l’idéal spirituel qui les unit : eros et agapè ne sont que des formes de cette valeur suprême de l’amour, que l’on appelle aussi Charité, Dévouement ou Pitié. 23 © Éditions Hatier, 2010 Classiques & Cie GUIDE PEDAGOGIQUE ■ Sujet d’oral 4 : une scène d’amour et de mort (III, 8, l. 703- l. 761) Question Pourquoi les deux personnages ne s’avouent-ils leur amour qu’au moment où Chatterton se suicide ? S’il peut paraître banal de rappeler le lien fondamental entre eros et thanatos, mais c’est aussi un fondement de l’esthétique romantique, aussi bien chez Vigny que chez Hugo, Musset ou Dumas. La mort qui lève les faux-semblants et les apparences permet ici l’avènement de la vérité et donc de la parole de vérité. Chatterton ne peut donc qu’avouer son amour lorsque Kitty Bell l’interroge. Même si elle commet un crime, trahissant ses devoirs de mère et d’épouse, mue par le Dévouement dont elle est une incarnation jusqu’au sacrifice, celle-ci avoue ses sentiments d’abord pour sauver Chatterton de lui-même. Ce double aveu prend place à un moment fatal : il n’est plus temps de rien puisque l’opium empoisonne lentement, sans recours possible, le corps du poète. Reste un temps qui est en « attente », comme suspendu, une sorte de temps poétique, celui de la vérité tragique de l’accomplissement du double destin : instant fatal, entre le temps humain, marquée par l’urgence tragique de la séparation qui rend tout futur irréel voire impossible, et l’atemporalité céleste, qui triomphe dans le présent de la prière : Chatterton ne revendique-t-il d’ailleurs pas cette « heure » ? Comme le temps se suspend dans cette tragique révélation, le mouvement se fige. La scène est construite en deux étapes qui le marquent bien : contre l’invocation à « rester » immobile, Kitty Bell commence par chercher à enjoindre le poète de « venir », lui faire rejoindre la vie en somme, quitte à la faire venir à elle en avouant son amour. Mais le poète, qui symboliquement cherche à rejoindre un « là haut » auquel sont promis tous les êtres bons, est dans l’immobilité de celui qui désormais demeure fixe, « reste là », immobilisé dans le présent éternel de la prière. Dans cette immobilité atemporelle seule est possible l’union de la jeune femme et du poète, unis dans la même foi en un Dieu que la terre a renié. Comme à l’entretien 1. Pour comprendre la notion de bonté, il faut revenir au sens étymologique du terme et l’envisager dans sa dimension morale : la bonté caractérise ce qui est conforme au bon, au bien. Elle est dans l’humain la manifestation de l’Esprit, la marque de l’âme dans le corps pour emprunter une terminologie romantique, ce qui sous-tend le Dévouement et la Pitié, ces valeurs fondamentales qui sont l’horizon de toute victime pour Vigny. Lorsque Chatterton la perçoit chez Kitty Bell, elle lui fait mal car l’empêchant de désespérer de tout être humain elle risque de lui faire regretter son geste de désespoir. 2. C’est par le sacrifice de soi, donc par le dévouement et la pitié, qui caractérisent les deux personnages principaux, que se fait l’association de l’amour et de la mort dans cette scène. 24 © Éditions Hatier, 2010