Matisse-Rodin par Dominique Dupuis Labbé

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Matisse-Rodin par Dominique Dupuis Labbé
Matisse-Rodin par Dominique Dupuis Labbé
Rodin domine l’art de la sculpture tandis que, Matisse durant les dix-sept premières années du XXème siècle, où il est le
contemporain de Rodin, introduit dans la peinture des révolutions décisives.
« Devant le modèle, je travaille avec autant de volonté de reproduire la vérité que si je faisais un portrait ; je ne corrige pas la nature ; je
m’incorpore en elle ; elle me conduit. Je ne puis travailler qu’avec un modèle. La vue des formes humaines m’alimente et me réconforte. » Rodin,
1912, in Dujardin-Beaumetz, Entretiens avec Rodin, Paris, imprimerie Paul Dupont, 1913.
« Mes modèles, figures humaines, ne sont jamais des figurantes dans un intérieur. Elles sont le thème principal de mon travail. Je dépends
absolument de mon modèle que j’observe en liberté, et c’est ensuite que je me décide pour lui fixer la pose qui correspond le plus à son naturel »
Matisse, « Notes d’un peintre sur son dessin », in Le Point, 1939.
Rodin jeune en 1862-ph par Ch. Aubry-Paris, MR - Matisse dans son atelier - STEICHEN-Rodin à côté du penseur-1902 - STEICHEN-Matisse, Issy les Moulineaux.1909
Matisse porte son choix (et achète) en peinture sur Cézanne et en sculpture sur Rodin. Si Cézanne est la référence absolue, le
père, la figure de Rodin reste plus complexe et à méditer. En 1899 Matisse auprès acquiert auprès d’Ambroise Vollard un
petit tableau de Cézanne, Les Trois baigneuses, un plâtre de Rodin, le Buste d’Henri Rochefort et d’une Tête de jeune
garçon de Gauguin échangée, à l’occasion de cet achat, avec l’un de ses propres tableaux. Lors de cette même transaction, le
peintre acquiert également un dessin de Van Gogh (CEZANNE- Trois baigneuses -(1879-1882) - Paris, M du Petit Palais-RODIN-Buste d'Henri Rochefort-1884)
Sa capacité d’observation lui permet la schématisation. L’Etude de trois-quarts, au fusain, raidit et géométrise le visage et la
chevelure d’Henri Rochefort. Il en tire un dessin où 3 volumes sont prééminents (MATISSE-Portrait d'Henri Rochefort-vers1899). La
sculpture de Matisse représente 80 pièces environ (Picasso > 300). Elle l’accompagne tout au long de sa vie.
Le travail est exigent et demande réflexion et concentration (plus que la peinture). De plus, Matisse a pris des cours de
dessin, puis a intégré des ateliers pour la peinture. Avec sa 3ème sculpture, il s’inspire de Barye, et est sensible à la force, la
puissance de l’animal, comme au rendu de la souplesse du dos MATISSE-Jaguar dévorant un lièvre d'après Barye-1899-1901
Il rencontre Rodin qui ne va pas l’adouber… Quand Matisse et Rodin se rencontrent pour la première fois, en 1899, l’un a
trente ans, l’autre soixante. Matisse vient montrer ses dessins au sculpteur et fait bien plus tard le récit de cette rencontre, et
de sa déception devant la réaction du sculpteur, lui conseillant de faire des dessins plus léchés, plus "pignochés". Il ne
reviendra jamais le consulter! Rodin dans son atelier, rue de l'université, et la main de Dieu, ap 1902-Ph anonyme. En 1900 s’ouvre l’exposition du
pavillon de l’Alma consacrée à l’œuvre de Rodin. Matisse a certainement visiter l’exposition, il est a ce moment là inscrit à
l’académie di Camillo et a comme correcteur, Eugène Carrière, le peintre ami de Rodin. M.BAUCHE- Rodin à l'exposition de L'Alma
RODIN - L'homme au nez cassé-1872 y est présenté. Picasso en sera ébloui et en tirera une 1 ère sculpture (PICASSO-Le Picador-1903). Dans la
relation Matisse Rodin, il faut introduire également Picasso. Matisse verra l’œuvre la plus connue du maître RODIN-Saint Jean baptiste
prêchant-1878 et le plâtre avec ses cassures. Il reproche à Rodin de travailler par le détail (marcottage) Rodin-St Jean Baptiste-1878
Pour Rodin, l’homme est un temple en marche. Les qualités de dynamisme et d’autonomie sont primordiales. RODIN-Homme qui marche1907-Orsay, Sans bras et sans tête, c’est plus l’idée de la marche de l’homme qui est mis en scène. De là naitront les œuvres de
Boccioli, de Giacometti. L’homme doit avancer, sinon il recule. Les œuvres de Rodin sont difficiles à dater du fait de leur
reprise. L’expression du corps que l’on trouve dans RODIN-Torse de l'homme qui marche-v 1877-78-NY, Met met en avant le goût de l’Antiquité
de Rodin. La sculpture est encore soumise à ces exemples. Le passage à l‘art du XX è s’est produit plus rapidement en
peinture qu’en sculpture (Impressionnisme, fauvisme, cubisme). Rodin n’a pas opéré ce passage, il reste malgré son apport
de l’expressionnisme un artiste du XIXe. Expressionniste il l’est par sa traduction du sentiment, sa dramatisation qu’il traduit
par une surface non lisse, par le relief qui accroche. Impressionniste il œuvre en creux et en relief pour accrocher la lumière.
Le torse oscille ainsi entre modernité d’expression et de technique mais se fait référence à l’Antiquité. Matisse a-t-il vu le
plâtre ? Rodin- L'homme qui marche-av.1899
En 1900, l’institut Rodin s’ouvre avec des cours de Rodin, Bourdelle, Despiau. Matisse a fréquenté et travaillé avec
Bourdelle… Rodin est le premier artiste à donner officiellement à ses sculptures partielles un statut d’oeuvre à part entière.
La pratique de Rodin de supprimer de ses figures tout ce qui ne lui semble pas essentiel influence sans aucun doute Matisse.
En éliminant volontairement un bras, une jambe ou une tête, les deux sculpteurs ont souvent le même objectif qui est de
parvenir à une silhouette ou à une arabesque plus satisfaisante et plus expressive. MATISSE-LE Serf-1900-1903 a perdu ses bras. Si en
1904, au salon d’automne le plâtre présenté les possède encore, le bronze non. Il modifie, il donne de la légèreté. Les bras ne
son pas indispensables, c’est l’idée de l’homme qui est ainsi représenté par les 2 artistes. Mais chez Matisse, il est statique.
Quelle est la part d’influence ? Matisse met trois ans, de 1900 à 1903, à achever cette première sculpture importante qui est
loin d’être une ébauche rapidement modelée. C’est donc bien à dessein que sont préservés l’aspect brut et les traces laissées
dans la terre par les doigts de l’artiste. Chez Matisse comme chez Rodin, sont conservés, dans le plâtre ou le bronze, les
marques bien visibles des doigts, les astuces du modelage, les défauts de moulage et de fonte, tous les accidents de texture
dus au hasard. Dans la peinture L'homme nu-v1900-MOMA, la position est celle du bronze de Rodin. Il y a un abime entre ses œuvres
peintes (référence à Cézanne) et ses œuvres sculptées, où il analyse Rodin. Il fait poser pour cette sculpture, comme pour un
grand nombre de dessins et peintures, un modèle italien à la rude morphologie, nommé Bevilaqua qui, souvent, a été
confondu avec le modèle de Rodin, Pignatelli (qui posa en particulier pour Saint Jean- Baptiste. Il continue à chercher chez
Rodin ce qui lui convient : la sensualité et le regard érotique, audacieux porté sur la femme.
Le goût de la femme
Avec Rodin, elle surgit du bloc Rodin-Le Réveil-v.1887. Elle nait et se montre dans sa plénitude. Il y oppose rugueux et lisse. Picasso
sera redevable de cette confusion du lisse et du rugueux, de cette sensualité PICASSO-Femme se coiffant-1906. Matisse accompli un
grand pas en avant. Il schématise la figure humaine qui a perdu de son humanité C’est le début du cubisme et des attaques de
Picasso contre la représentation de la figure humaine. MATISSE-Nu accroupi, main droite à terre-1908
On retrouve cette schématisation des corps avec Rodin-Femme qui se peigne, avant1900. Scène fréquente dans la peinture ou la sculpture,
elle est une façon de montrer l’intimité de la femme, sa sensualité (Degas). Le corps nu et libre est restitué par Rodin.
Matisse est-il influencé par Rodin ou a-t-il acquis les poncifs de la sculpture classique ? Matisse-Nu debout, très cambré-1904 Berenson
lui dira en 1912 « Tachez de na pas vous Rodin-er ».
Rodin considérait une sculpture achevée malgré l’absence de bras et de tête. En cela il fait référence à Michel-Ange et non
finito. C’est l’artiste qui en décide et non les conventions. L’absence de bras et de visage permet de se concentrer sur le
corps, le mouvement, la jambe, le torse, la plastique. Le visage pose l’énigme du représenté.
La représentation du drame de Ugolin, permet à Rodin de s’exprimer réellement, ce qui sera important pour les artistes
belges et allemands. Il va jusqu’au trivial, en représentant la tension de l’homme et l’amour des enfants soumis à la voracité
du père. C’est l’expression moderne du corps qui est retenu par Matisse RODIN-Ugolin-(1881-1882)-Paris, M. Rodin Mais il laissera le
pathos de côté. Matisse-Nu assis, bras derrière le dos-1909 La cambrure exagérée, la cuisse « malhabile », le raccourci de la jambe mettent
en avant la sensualité de la zone comprise entre la naissance des seins et le ventre. Il retient ainsi la leçon de Rodin mise au
service de cette sensualité. Rodin évoque le corps, sans aller à son achèvement. Rodin-Torse féminin assis-avant1899 Matisse reprend
cela quelques années après Matisse-Vénus accroupi-1918-1919 Il faut aussi reprendre les yeux de l’époque, considéré ce qui est vu. Les
statues antiques sont fragmentaires (Venus de Milo). Le déhanchement féminin est aussi issu de là. Rodin le reprend et
Matisse l’accentue. Rodin-Nu féminin debout-v.1890-1900/ MATISSE-La Serpentine-1909 Le corps est réduit à son essentiel, à son essence en jouant
sur l’arabesque. Le pied important permet une attache solide au sol, mais les bras sont aériens, comme des rubans. C’est le
moment où matisse commence à être lui même. Il garde l’héritage de Rodin tout en évoluant et dialoguant avec Picasso. Il
réalise ainsi un amalgame des deux. Les diverses versions de Jeannette peuvent être comprises comme une série ou une
décantation du visage pour arriver à son essence
Matisse-Jeannette I, v.1910 le modelé est traditionnel, sensible au niveau du cou, des joues, des cheveux.
Matisse-Jeannette II, 1910 Il remonte les cheveux, dégage le visage. Le traitement est plus rude sur le nez, l’œil et l’arcade.
Matisse-Jeannette III, 1911 devenue très géométrique, il reprend l’idée développée dans le dessin d’Henri Rochefort.
Matisse-Jeannette IV-1911 l'influence du cubisme est net. On tend à la réduction du visage, proche de la caricature, le profil cesse
d’être délicat.
Matisse-Jeannette V, 1913 les yeux sont devenus énormes, différemment traités. Au niveau du crâne, le chignon devient protubérance.
On peut y voir également une référence à sa peinture. Matis-Nu bleu, souvenir de Biskra-1907 dans laquelle Matisse entame une phase
primitiviste. Il a découvert l’art africain. Sa sculpture devient un syncrétisme de l’expressionnisme de Rodin, de la
schématisation de Picasso, de la réduction africaine. On retrouve ce nu bleu dans Matisse-Nu couché II, bronze, 1927 qui accroche la
lumière, plus porche de Rodin que de l’art africain. Cette sculpture est issue de travaux antérieurs. MATISSE-Nu couché-1907-Zurich. Se
retrouve ainsi dans différentes peintures MATISSE-Poissons rouges, intérieur-1912-F° Barnes/MATISSE-Poissons rouges et sculpture-1911-MOMA. Plusieurs
artistes ont ainsi introduit la sculpture dans la peinture CEZANNE- L’amour en plâtre-v1895-Londres, Courtauld
Picasso de son côté entre dans une phase primitiviste. Picasso-Tête de femme-1906-1907/ Figure-1907/ Femme aux poires(Fernande) 1909-MoMA. /Tête de
femme-1909-MP. Son orientation dans la sculpture est issue de Rodin. Il essaie de faire s’interroger peinture et sculpture.
A partir des années 20, Matisse a un modèle qu’il décline. Henriette. Dans Matisse-Grand nu assis-1922-1929, Henriette pose ans un
fauteuil, mais celui-ci a disparu au profit d’un socle. Il allonge le buste, réduit la poitrine, ovalise et neutralise le visage, étire
les bras en arrière. On la retrouve dans Matisse-Nu au coussin bleu-1924-cp. Si la peinture est plus « vraie », la sculpture obéit à des lois
différentes. Il lance la sculpture dans le vide et joue sur l’équilibre des formes et des masses. On retrouve ces détails réalistes
dans Matisse-Nu assis au tambourin-1926-MoMA. La partie gauche du corps est sculpté. Cette oscillation entre peinture et sculpture lui
permet de réfléchir et lui donne une véritable synergie. Cela se concrétisera avec les papiers gouachés découpée dans lequel
il « taille à vif ». Matisse-Nu bleu II-1952-MNAM
Les nus de dos sont peut être pour Matisse l’expression d’un intérêt pour l’humain et la nature (Pierre Schneider). La femme
est de dos, nulle figure ne vient déranger le regard et happer l’attention. Cette étude se fait en parallèle des bustes
d'Henriette. Tout au long de son œuvre Matisse travaille la sculpture afin de perfectionner son approche de la ligne. « Gustave
Moreau me disait : Vous allez simplifier la peinture » Avec la série des Nus de dos qui s'étend de 1909 à 1930, il affronte tour à tour
les problèmes picturaux qu'il rencontre: le tracé des figures monumentales (la réalisation de Nu de dos I, 1909, est
contemporaine de celle des grandes compositions La Musique et La Danse), le rapport forme et fond (les fresques destinées à
la Fondation Barnes sont réalisées en 1930 comme Nu de dos. IV). Toutefois, bien que la série ne semble pas avoir été
conçue pour être présentée en une seule entité (la fonte des pièces en bronze n'a été faite qu'après la mort de Matisse), ces
quatre sculptures constituent un ensemble plastique.
Les études s'accordent pour dire que Matisse a produit chaque nouvel état à partir du précédent, en retaillant successivement
les épreuves de plâtre. Ainsi, le sein, la main, la chevelure sont de plus en plus schématisés, le déhanché du corps se perd au
profit d'un axe central qui assimile la figure à une colonne engagée, le motif s'évanouit petit à petit pour ne faire qu'un avec
le fond. À travers cette série, Matisse s'achemine vers une figure de plus en plus indépendante de son modèle et de la
représentation. Chaque pièce est une étape vers une synthèse et une autonomie de la forme.
Matisse-Nu de dos, Ier état-plâtre-DOS I, 1909 la femme a un rendu sensible, quasi expressionniste. Le corps est dans un quasi-mouvement ;
Le « Nu de dos I » répond aux travaux du peintre sur les figures monumentales de La Danse et de La Musique et est
caractérisé par des déformations fortement expressives. En 1913 et 1917, le Nu de dos II et Nu de dos III s’éloignent de la
préoccupation d’expressivité pour privilégier une combinaison de formes simplifiées
Matisse-Nu de dos, 2ème état-plâtre-Dos II-1913 le cubisme est passé par là… le corps est géométrisé, il y a une perte des accents sensuels. Le
mouvement existe encore.
Matisse-Nu de dos, 3ème état-plâtre-DOS III-1916 les cheveux se sont allongés pour schématiser le corps et le séparer.
Matisse-Nu de dos, 4ème état-plâtre-DOS IV-1930 les formes sont réduites au minimum. Le Nu de dos IV, entièrement fondé sur des bandes
parallèles, aboutit à une forme synthétique, quasi-abstraite. L’hypothèse serait alors une végétalisation de la représentation.
La femme devient arbre. Hypothèse séduisante quand on sait l’importance de la nature pour Matisse, notamment après ses
découvertes à Collioure, au Maroc et en Polynésie française… Deux immenses créateurs qu’une génération sépare.

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