La véritable histoire de Saint-Jean de Braye

Transcription

La véritable histoire de Saint-Jean de Braye
La véritable histoire de
Saint-Jean de Braye !
Ateliers d’écriture mené par Yves Javault et « Tu Connais la
nouvelle » en novembre-décembre 2011 auprès de jeunes (élèves de
CM2 de l’école Paul Langevin), d’adultes (Théâtre Clin d’œil) et de
seniors (Foyer Pablo Picasso) de la commune .
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« Et si les travaux du tram nous révélaient les traces d’un passé
jusqu’alors inconnu ? Et si sous l’apparente banalité du quotidien de
cette commune se cachait une histoire fantastique ?
Quelle légende explique le nom de ce lieu-dit ? Quel personnage
se dissimule derrière ce nom de rue ? Quelle chanson se chantait sur
cette place ? »
Voici les témoignages de jeunes (élèves de CM2 de l’école Paul
Langevin), d’adultes et de seniors (Foyer Pablo Picasso) de la
commune issus d’atelier d’écriture menés par Yves Javault et « Tu
Connais la Nouvelle ? »
Des histoires inédites et insolites nées de l’imaginaire de trois
générations, une mosaïque de souvenirs et d’inventions, nous font redécouvrir notre ville.
Un grand merci à Chantal Leraître, Françoise Hennegrave, Guy
Viennot, Eliane Tessier-Lemasson pour les corrections de ce recueil,
sous le regard expert et attentif de Jack Foucher.
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PORTR AIT CHINO IS ............................................................................................................... 4
LA CH ANSON DE SAINT -J EAN DE B RA YE .............................................................................. 9
J’AI ME B IEN L A RU E... ......................................................................................................... 15
SOUVENI RS D’ UNE RU E ....................................................................................................... 16
LES RUES ET RU ME URS DE S AINT -JE AN DE B RAY E ............................................................. 19
LA RU E DES TROIS CL ES ...................................................................................................... 47
LES T ROIS MONDES ............................................................................................................. 85
CONSEILS A UN VO YA GEU R D ECO UV RAN T SAIN T -JE AN D E BR AYE .................................... 96
LA M ACHIN E A VOY A GER D ANS LE TE MPS - DES T INATION : S AINT- JE AN D E BR AYE ...... 114
LES H ABIT ANTS D E S AINT- JE AN D E BR AYE ...................................................................... 122
JAN US BR AYUS : LA FET E ! ................................................................................................. 138
3
Portrait chinois
Si Saint-Jean de Braye était…
PAR CLEMENCE ..........................................................................................................................................................
PAR MANON ..................................................................................................................................................................
PAR MATHIS..................................................................................................................................................................
PAR MATTHIEU ...........................................................................................................................................................
PAR ROMEO ..................................................................................................................................................................
PAR TOM ........................................................................................................................................................................
PAR GERARD COTTIGNY.........................................................................................................................................
PAR CHANTAL RICHER ............................................................................................................................................
PAR JEAN-JACQUES RICHER .................................................................................................................................
PAR FRANÇOISE RUBINSTENN..............................................................................................................................
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Par Clémence
Si Saint-Jean de Braye était une couleur, ce serait jaune et vert pour les
couleurs de la SMOC Canoë-Kayak
Si Saint-Jean de Braye était une musique, ce serait Jean Ferrat, pour son
passage en voiture.
Si Saint-Jean de Braye était un plat, ce serait une pizza pour le nombre de
vendeurs
Si Saint-Jean de Braye était une danse, ce serait la bourrée pour ceux qui ont
trop bu
Si Saint-Jean de Braye était un animal, ce serait une vache pour rappeler la
montagne, mon lieu préféré
Si Saint-Jean de Braye était une plante, ce serait le cactus de ma voisine.
Par Manon
Si Saint-Jean de Braye était une couleur, ce serait le rouge car c’est la
couleur de l’ABC.
Si Saint-Jean de Braye était une musique, ce serait du Hip-Hop car ça
bouge
Si Saint-Jean de Braye était un plat, ce serait des pâtes car il y a un
restaurant italien
Si Saint-Jean de Braye était une danse, ce serait de la salsa car ça bouge
Si Saint-Jean de Braye était un animal, ce serait un dauphin
Si Saint-Jean de Braye était une plante, ce serait des tulipes car c’est joli.
Par Mathis
Si Saint-Jean de Braye était une couleur, ce serait jaune comme la plage
avec des palmiers
Si Saint-Jean de Braye était une musique, ce serait du Hip-Hop par ce qu’il y
a une salle de danse
Si Saint-Jean de Braye était un plat, ce serait des lasagnes par ce qu’il y a un
restaurant
Si Saint-Jean de Braye était une danse, ce serait une danse de Mickael
Jackson par ce qu’il y a une salle de rap
Si Saint-Jean de Braye était un animal, ce serait un lapin par ce qu’il est noir
et ça me fait penser à l’école
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Si Saint-Jean de Braye était une plante, ce serait un arbre par ce qu’il y a la
forêt de Charbonnière.
Par Matthieu
Si Saint-Jean de Braye était une couleur, ce serait le rouge car ça me fait
penser à la couleur de l’ABC
Si Saint-Jean de Braye était un animal, ce serait un crocodile par ce que ça
me fait penser à la jungle
Si Saint-Jean de Braye était une plante, ce serait le géranium.
Par Roméo
Si Saint-Jean de Braye était une couleur, ce serait le bleu pour compléter le
ciel
Si Saint-Jean de Braye était une musique, ce serait du Mickael Jackson pour
lui faire honneur
Si Saint-Jean de Braye était un plat, ce serait des moules frites pour se
rappeler de la mer et qu’elle est loin de Saint-Jean de Braye
Si Saint-Jean de Braye était une danse, ce serait la valse pour que tout le
monde danse, même les personnes âgées.
Si Saint-Jean de Braye était un animal, ce serait chien pour compléter le son
des oiseaux
Si Saint-Jean de Braye était une plante, ce serait une rose par ce que ma
grand-mère en a dans son jardin.
Par Tom
Si Saint-Jean de Braye était une couleur, ce serait le rouge par ce que je fais
du basket et les maillots sont rouges.
Si Saint-Jean de Braye était une musique, ce serait du Mickael Jackson par
ce que ça bouge et Saint-Jean de Braye bouge aussi.
Si Saint-Jean de Braye était un plat, ce serait des pizzas car il y a des
vendeurs de pizza dans le centre
Si Saint-Jean de Braye était une danse, ce serait du Hip-Hop par ce que le
copain de mon père en fait à Saint-Jean de Braye
Si Saint-Jean de Braye était un animal, ce serait un lion par ce qu’il y a des
cirques sans lions.
Si Saint-Jean de Braye était une plante, ce serait des tulipes par ce qu’il y en
a sur les ronds-points.
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Par Gérard Cottigny
Si Saint Jean de Braye était une couleur, ce serait le vert, vert des forêts qui
ornent la campagne. Vert camaïeu qui devient orange et brun à l’automne.
Si Saint Jean de Braye était une musique, ce serait une musique douce,
paisible, image de la Loire, avec des « forti » comme le bruit du fleuve qui gronde,
des « pianissimi » comme le fleuve aux basses eaux. Des musiques comme la
« moldau », « le beau danube bleu », musiques contrastées qui élèvent le fleuve
dans sa partie septentrionale à Saint Jean de Braye .
Si Saint Jean de Braye était un plat, ce serait la châtaigne aux champignons
accompagnant agréablement un gibier des forêts proches.
Si Saint Jean de Braye était une danse, ce serait la « danse du feu », car il
fait bon vivre ici.
Si Saint Jean de Braye était un animal, ce serait un chat, libre mais attachant.
Si Saint Jean de Braye était une plante, ce serait le lierre dont la signification
« je meurs ou je m’attache » pourrait en être l’emblème
Par Chantal Richer
Si Saint Jean de Braye était une couleur, ce serait moins agréable
qu’actuellement ! Saint Jean de Braye, c’est aujourd’hui deux couleurs : le bleu et le
vert. Le logo de la ville en témoigne « Saint Jean de Braye, entre Loire et Forêt ».
Si Saint Jean de Braye était une musique, ce serait un concert de carillons,
pour valoriser le carillon de la place de la Commune.
Si Saint Jean de Braye était un plat, ce serait la tarte aux pommes, pour
utiliser les pommes de nos vergers abandonnés.
Si Saint Jean de Braye était une danse, ce serait la country pour rappeler le
dynamisme de la ville et de ses associations.
Si Saint Jean de Braye était un animal, ce serait les petits poissons de la
friture de Loire.
Si Saint Jean de Braye était une plante, ce serait le cyclamen qui envahit et
embellit le parc de Coquille et les Armenault.
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Par Jean-Jacques Richer
Si Saint Jean de Braye était une couleur, ce serait le blanc de la neige qui
métamorphose notre parc en paradis pour les enfants.
Si Saint Jean de Braye était une musique, ce serait celle de l’harmonie
municipale.
Si Saint Jean de Braye était un plat, ce serait « la corne de cerf » arrosé de
gris meunier.
Si Saint Jean de Braye était une danse, ce serait pour moi aujourd’hui, la
danse du ventre !
Si Saint Jean de Braye était un animal, ce serait le renard qui, un soir de ce
mois d’août, est venu s’inviter à partager notre dîner et depuis s’est installé dans le
quartier.
Si Saint Jean de Braye était une plante, ce serait sans nul doute le
chrysanthème.
Par Françoise Rubinstenn
Si Saint Jean de Braye était une couleur, ce serait l'argent fondu du ciel et de
la Loire
Si Saint Jean de Braye était une musique, ce serait Les couleurs du temps et
la douceur de vivre.
Si Saint Jean de Braye était un plat, ce serait la soupe à l'oseille et la ruralité
d'hier.
Si Saint Jean de Braye était un animal, ce serait les chats endormis au soleil
des fenêtres et des toits du Bourg
Si Saint Jean de Braye était une plante, ce serait les acacias des bords de
Loire bordant le chemin de halage.
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Les chansons de Saint-Jean de Braye
Sur l’air de chansons connues, jeunes et séniors écrivent
l’hymne de la ville
PAR CLEMENCE ..........................................................................................................................................................
PAR GARANCE .............................................................................................................................................................
PAR MANON ..................................................................................................................................................................
PAR MARIE ....................................................................................................................................................................
PAR MATHIS..................................................................................................................................................................
PAR MATHIEU ..............................................................................................................................................................
PAR ROMEO ..................................................................................................................................................................
PAR TOM ........................................................................................................................................................................
A SAINT-JEAN DE BRAYE PAR MARIE-EDITH BASILLE..............................................................................
PAR GERARD COTTIGNY .........................................................................................................
L'ETANG DES MEPRISES PAR JACK FOUCHER ..............................................................................................
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(sur la musique d’ « Au Clair de la lune »)
Par Clémence
A Saint-Jean de Braye
Y’a de la verdure
Pas beaucoup de forêt
Mais beaucoup de verdure.
J’aime bien cette ville
Car elle est jolie
Avec sa p’tite île
Et sa belle mairie
Par Garance
A Saint-Jean de Braye
Dans les flaques d’eau
Je m’y baignerai
C’est très rigolo.
J’aime bien cette ville
J’fais d’l’équitation
Sur mon poney Bill
Sa robe est marron
Par Manon
A Saint-Jean de Braye
Il y a du lait
J’en achèterai
Oh oui sans regret !
J’aime bien cette ville
On peut faire du sport
J’y suis très habile
On est les plus forts.
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Par Marie
À Saint-Jean de Braye
Il y a plein de chèvres
Elles font du bon lait
Et moi j’en boirai
J’aime bien cette ville
Il y le tramway
Qui s’ra bientôt prêt
Ce s’ra bien utile
Par Mathis
A Saint-Jean de Braye
Il y a des forêts
Avec des chalets
Aussi des marais.
J’aime bien cette ville
Au bord de la Loire
Je vais à la foire
Cueillir des jonquilles.
Par Mathieu
A Saint-Jean de Braye
J’irai à l’école
Et j’éviterai
Toutes les heures de colle.
J’aime bien cette ville
Car elle est très belle
Et dans ses hôtels
On peut jouer aux billes
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Par Roméo
A Saint-Jean de Braye
On trouve tout près
Des petites baies
Et aussi des craies.
J’aime bien cette ville
Car il y a une île
Avec des fossiles
Et c’est très utile
Par Tom
A Saint-Jean de Braye
Il y a de l’eau
Pour les roseraies,
J’irai à vélo.
J’aime bien cette ville
J’y fais du basket
C’est comme une grande île
Où l’on roule en skate
(sur la musique de "Le temps des cerises")
A Saint-Jean de Braye
Par Marie-Edith Basille
Si vous visitez le vieux saint Jean d'Braye
Vous découvrirez mille et un secrets
Aux coins des ruelles.
Du bord de la Loire, traversez les treilles,
Montez doucement jusqu'à la mairie,
Quittez le vieux bourg et tendez l'oreille :
C'est le carillon qui sonne midi.
Sur le tabouret d'un estaminet
Un homme en béret trace le portrait
d'une belle abraysienne.
Mais un coup de vent fait voler sa coiffe
Qui disparaît là ... près de la forêt.
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Le peintre distrait en oublie sa craie
Et barre d'un trait la belle au rouet.
Sur l'emplacement des anciens marais
On voit maintenant grandir à regret
Maisons et immeubles.
Que restera-t-il des vergers, des roses,
Des petits cours d'eau et des vaches au pré ?
Gardez-nous un peu, s'il vous plaît messieurs,
Quelques vieux quartiers de Saint de Braye !
Par Gérard Cottigny
•
Un jour arrivant à Saint Jean de Braye,
J’y ai découvert un endroit charmant
Où il fait bon être.
Les belles forêts seront de bois d’hêtre
Et les champs semés aux couleurs d’argent.
Un jour arrivant à Saint Jean de Braye,
Oui je serai fier d’y être habitant.
Comment peut-on vivre à Saint Jean de Braye,
De Loire à forêt tant de choses à voir
A pied sans problème.
Les beaux monuments, les jardins que j’aime
Et les Armenault tout près du pressoir.
Comment peut-on vivre à Saint Jean de Braye,
Alors que la nuit empêche de voir.
Que le temps passe vite à Saint Jean de Braye,
Les joies, les passions tant de choses à faire
Eviter l’ennui.
Moi qui ne crains pas les journées de pluie
Je ne pourrai pas vivre sans rien faire.
Que le temps passe vite à Saint Jean de Braye,
J’y resterai si c’était à refaire.
Que de gens célèbres à Saint Jean de Braye,
Maryse Bastié et puis Gallouédec
Et d’autres encore,
Ont signé leur nom sur le livre d’or.
Je n’oublierai pas les oies et leur bec
Que de beaux oiseaux à Saint Jean de Braye,
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Qui sont tous partis au son d’un bruit sec.
L'étang des méprises
Par Jack Foucher
Si nous allons voir à Saint Jean de Braye
L'étang si tué impasse des Aubraies
Nous y mangerons
Belles grenouilles et beaux et gras poissons
Et nous y boirons force gris meunier
Après dormirons sous les châtaigniers
Oui nous irons à l'étang nous baigner
Non nous n'irons plus à Saint Jean de Braye
Et même l'oublierons sans un regret
Nous y laisserons
Sans nous retourner l'étang des méprises
Où nous avons beaucoup souffert cet été
Car la belle que nous avons tant aimé
S'est fait la malle avec un vieux con
Quand vous penserez à ma bell' chanson
Que j'ai pour vous pondu mes doux agneaux
Fermez les yeux
Moi je serai déjà très loin d'ici
J'aurai quitté Saint Jean de Braye pardi
L'exil me sera doux à vous ne plaise
Vous n'aurez eu que le temps d'une méprise
Le temps d'un clin d'oeil l'espace d'un moment
La compagnie d'un bon vieux copain
Certes un peu follet
Qui a prétendu forcer l'destin
Pour écrire en verve ce texte à chanter
Sur la très très bonn' vill de Saint Jean d'Braye
Et tant mieux si je vous ai amusé
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J’aime bien la rue...
Les jeunes se jouent des rues avec des rimes !
Clémence
Je n’aime pas la rue des Trois Clés par ce que ça me refait penser à ma chute car
j’avais les lacets emmêlés.
J’aime bien la rue de la Bissonnerie car ça sent mon légume préféré le céleri.
Manon
J’aime bien la rue des Bons Enfants par ce qu’il y a des éléphants.
J’aime bien la rue du Gris Meunier par ce qu’on peut gagner.
J’aime bien la rue des Bons Enfants par ce qu’il y a un cirque et plein d’enfants.
J’aime bien la rue du Gris Meunier par ce qu’on peut y faire des matchs de basket
avec l’ABC et les gagner.
Mathieu
J’aime bien la rue Jules Ferry par ce que ça me fait penser à Paris.
J’aime bien la rue Victor Hugo par ce qu’il y a des gogos.
J’aime bien la rue Victor Hugo par ce qu’il y a une salle de spectacles où on peut voir
des danseurs gogos.
J’aime bien la rue Jules Ferry car il y a une grande tour et ça me fait penser à Paris.
Mathis
J’aime bien la rue de la Godde par ce qu’il y a une pagode.
J’aime bien la rue de la Godde par ce que je suis Chinois et il y a une pagode.
Je n’aime pas la rue des Longues Allées par ce qu’elle est salée.
Je n’aime pas la rue des Longues Allées par ce qu’il y avait des marais salants et
qu’elle est encore salée.
Roméo
J’aime bien la rue de la Grenouillère par ce qu’on y mange du gruyère.
J’aime bien la rue de la Grenouillère car il y a un marchand de gruyère.
Je n’aime pas la rue du Moulin Pinault car on y fait du piano.
Je n’aime pas la rue du Moulin Pinault car on entend tout le temps du piano.
Tom
J’aime bien la rue Guillaume Apollinaire par ce que je suis un pêcheur et il y a
beaucoup de vers de terre.
Je n’aime pas la rue Juliette Drouet et je ne suis pas tout seul car les maisons sont
toutes à louer.
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Souvenirs d’une rue
Les seniors se souviennent d’une rue en particulier. Pourquoi ?
UNE VILLE EN CHANTIER PAR JACK FOUCHER ..........................................................................................
RUE DU PUITS DE VILLE PAR CHANTAL RICHER .........................................................................................
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Une ville en chantier
par Jack Foucher
S'il est une vérité indubitable et connue de toutes et tous, c'est que ne suis
devenu abraysien que sur le tard, exactement le 14 septembre 1987. Auparavant, je
demeurais à Orléans dans un quartier fort sympathique, populaire que je connaissais
comme l'intérieur de ma poche, à savoir les Acacias. Ce quartier était implanté au
cœur du nœud ferroviaire qui relie Orléans à Paris, Orléans à Bordeaux et Orléans à
Vierzon. C'est d'ailleurs un vieux quartier cheminot orléanais. Bombardé pendant la
guerre, en 1944, par les Américains qui y ont déversé un tapis de bombes de 250 kg,
il était couvert de cratères et servait de terrain de moto cross.
En 1955, grâce au 1% patronal ou ce qui en faisait office à l'époque, on y a
construit plusieurs immeubles : trois de onze étages et deux de quatre. S'y
côtoyaient des ouvriers de Michelin, de Renault, de la manufacture des Tabacs et de
bien d'autres usines d'Orléans et de ses environs. Pour nous, qui venions de La
Chapelle Saint Mesmin et qui avions vécu dans un taudis, c'était le grand luxe. J'ai
habité le quartier de 1957 à 1966 et de 1982 au 14 septembre 1987. En 1986, il a été
décidé de détruire de fond en comble ce quartier, à la dynamite pour les plus grands
immeubles, à la pelleteuse et à la boule pour les plus petits. Je n'ai pas assisté à la
destruction du quartier. Ce n'était pas un spectacle pour moi.
Donc, je suis arrivé à Saint Jean de Braye, à l'âge de 35 ans passés. Mes
souvenirs abraysiens sont forcément des souvenirs d'adulte, aux occupations
professionnelle et associatives chargées. Mon quartier est celui du Centre ville. Il est
de facture récente et a été construit à l'emplacement de terrains à vocation agricole.
Il est composite, avec des immeubles en propriété, des immeubles en locatif, des
maisons individuelles. Quand j'y suis arrivé, les travaux de la médiathèque étaient
commencés. Et à chaque fois que je prenais le chemin de la supérette dont le nom a
changé plusieurs fois et qui maintenant porte le nom de Carrefour Market, je pouvais
découvrir les dernières informations relatives à la sécurité du chantier. Un panneau
indiquait à qui voulait bien le lire qu'il n'y avait pas eu d'accident en ce lieu précis
depuis un certain temps, et par conséquent que l'on n'y déplorait aucun blessé et à
plus forte raison aucun décès.
En même temps, ou peu après, fut édifié le lycée Jacques Monod où mes
deux filles ont fait leurs études dites secondaires, après avoir fait leurs études dites
primaires à l'école Louis Michel, sise non loin de la place de la Commune, la bien
nommée. Je n'ai pas de mauvais souvenirs à vous narrer, mes chers petits, et il est
encore trop tôt pour que j'écrive mes mémoires. Je n'ai pas beaucoup de temps à
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consacrer à ce genre d'exercice. Et ma modestie légendaire et connue aussi de tous
m'interdit de pratiquer cette nouvelle religion réservée à des midinettes de 20 ans,
ayant participé au Loft ou à la Star ac'.
Rue du Puits de Ville
Par Chantal Richer
Je me souviens du kiné qui se trouvait dans cette rue. Je suis allée chez lui
deux fois par semaine pendant plus d’un an, suite à une chute sur un parpaing à
Olivet.
J’avais très mal au genou. Il me faisait faire de la rééducation et me faisait
aussi des massages. Quand je sortais de chez lui, j’allais beaucoup mieux, mais çà
ne durait pas ! Mon médecin a cessé de prescrire des séances, depuis plusieurs
années. Le kiné a fermé son cabinet et j’ai toujours mal au genou ! A chaque fois que
je passe rue du puits de ville, je pense à ce kiné fort sympathique.
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Les rues et rumeurs de Saint-Jean de Braye
Choisissez un nom de rue et écrivez quelques lignes sur des
rumeurs la concernant.
Apportez un élément fantastique, subjectif au sujet de cette rue.
Confirmer en partie les rumeurs par des faits.
L’ALLEE DES MARTINETS PAR ALINE BAUDU...............................................................................................
RUE MONDESIR PAR MARYVONNE BRINON
RUE DE LA GUEULE NOIRE PAR GERARD COTTIGNY................................................................................
RUE DE LA BURELLE PAR ALAIN CROSNIER ................................................................................................
RUE DU GRIS MEUNIER PAR CHRISTIAN FER ...............................................................................................
RUE DE LA PETITE NOUE PAR JACK FOUCHER ...........................................................................................
RUE VERVILLE PAR SOPHIE GONZALBES .......................................................................................................
LA PLACE SAINT-LOUP PAR LILIANE GRECOURT .......................................................................................
ALLEE DU SAUMON DE LOIRE PAR FRANÇOISE HENNEGRAVE...........................................................
L’ALLEE DU GRAND COQUILLE PAR CHRISTOPHE HUGUET ................................................................
RUE DU COIN-BUFFET PAR HARRY L.................................................................................................................
ALLEE DU GRAND COQUILLE PAR HARRY L .................................................................................................
RUE DU VOMIMBERT PAR CHANTAL LERAITRE.........................................................................................
RUE MONDESIR PAR ROSE MICHEL..................................................................................................................
RUE DE LA MAISON PLATE PAR CHRISTIANE NOISETTE ........................................................................
RUE DE LA GUEULE NOIRE PAR REGINE PAQUET......................................................................................
RUE DE LA GUEULE NOIRE : QUELQU’UN M’A DIT PAR JEAN-JACQUES RICHER .........................
IMPASSE DES FRAMBOISIERS PAR CHARLOTTE TALEC .........................................................................
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L’allée des Martinets
Par Aline Baudu
Dans cette allée aujourd’hui fleurie, il paraîtrait qu’en des temps anciens la
punition était reine. Nos vieux en ont quelques souvenirs « Vous savez, avant, tous
les soirs, les gamins turbulents, on les réunissait tous dans cette venelle et shlack,
un coup de trique ! »
On dit que la nuit venue, on entend encore les cris des enfants…
Je n’y croyais guère. Pensez donc ! Et puis… Et puis il y a eu cette balade,
avec Maman et Bernard. Avec l’âge, Maman perd un peu la tête. Aussi, je lui ai
trouvé une place dans cette charmante maison. Elle y est bien, je crois. Elle a des
amis comme elle et a même rencontré l’amour... Bernard.
Dimanche, je suis allée la voir. Comme il faisait encore doux par ce jour de
décembre, nous sommes partis nous promener après le goûter. Oh, pas très loin.
Les jambes sont comme le cerveau : elles hésitent.
Nous marchions quand tout à coup Bernard est tombé à genoux, les mains
sur les oreilles et a crié « Non ! Non ! Arrêtez !!! ». Il était à terre, recroquevillé, tout
tremblant. J’ai crié à Maman « Qu’est-ce qui se passe ? J’entends rien et toi ? Nnnon – Aide moi à le relever. »
Mais Maman était comme paralysée, blême, les larmes aux yeux. Je ne me
souviens plus comment je me suis débrouillée pour les ramener aux Bleuets. Ils
étaient dans un tel état de panique ! Les aides soignantes m’ont engueulée, y’a pas
d’autres mots.
- Qu’est-ce que vous leur avez fait ? Vous étiez où ?
- Rien ! Je n’ai rien fait. On s’est juste promené vers l’allée des Martinets
Quelques jours après, j’ai appelé Maman. Je voulais avoir de ses nouvelles et
reparler de ce dimanche.
« Tu sais, m'a-t-elle dit, les gens ici racontent des choses sur l’allée des
Martinets.
- Maman, arrête. Vous êtes tous un peu… un peu…
- Un peu cinglés, tu veux dire ? N’empêche que je n’ai peut-être rien entendu
dimanche, mais j’ai vu !
- T’as vu quoi Maman ?
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- J’ai vu…les fesses de Bernard ! J’avais déjà remarqué qu’elles étaient marquées,
comme lézardées. Il n’a jamais voulu m’en parler. Eh bien, tu sais quoi ? Après la
balade, quand on s’est couché avec Bernard, eh bien ses fesses elles suintaient de
sang ! »
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Rue de Mondésir
Par Maryvonne Brinon
Dans la rue de Mondésir, dit-on, il aurait suffit d’exprimer à haute et intelligible
voix, l’amorce d’un désir survenu ou suspendu, pour que celui-ci, dans la huitaine de
jours suivant, si ce n’était dans l’heure ou la minute même, se voit manifestement
exaucé, parfois au grand dam de son émetteur étonné.
La légende circula et s’amplifia, le jour où, au 1er décembre de l’année 1863,
une coquette caquetant médisances sans retenue, lâcha façon boutade « Que le
diamant de ma bague se ternisse si je mens ! ». Sitôt dit, sitôt fait. Sa commère
complice – du moins d’oreille consentante, je dirais même, aux aguets – vit de ses
yeux aussitôt la précieuse pierre s’opacifier et prendre couleur de cieux chargés
d’orages sombres. Cette dernière, pensez-vous, ne manqua pas de colporter les faits
dont elle avait été témoin. A cela elle prit un plaisir très certain. Pendant ce temps, la
malheureuse dont les paroles s’étaient concrétisées se terrait chez elle. Une
maligne, tirant conclusion de l’aventure dont elle avait eut vent, proféra pour voir,
sans poser condition « Que l’écaille de ma cuillère se fasse ivoire !». Et ainsi fut fait,
devant les passants ébaubis qui n’osèrent cependant à leur tour le diable tenter.
Dans les archives de la ville de Saint-Jean de Braye, une assistante de
conservation minutieuse et de zèle ne manquant pas, retrouva récemment un
manuscrit datant du 2 décembre 1863, relatant les micros événements dont je viens
de vous faire part sans véritable conviction, les comptant pour contes et fariboles.
Ayant ce jour pris connaissance du document écrit qui visait assurément à
pérenniser la légende en lui donnant en terre racines, je me retire sur la pointe des
pieds, car il n’est point de vérité plus ancrée que celle que l’on veut, noir sur blanc,
sillonnant les ans, sur le papier verger, véhiculer.
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Rue de la Gueule Noire
Par Gérard Cottigny
La rumeur
Il se dit qu’à Saint Jean de Braye, il y a bien longtemps, un homme, tout de
noir vêtu, hantait les rues du village. Sa démarche était lente comme si un lourd
fardeau pesait sur ses épaules. Il parcourait les rues et ruelles toujours la nuit. On ne
voyait que sa silhouette massive qui faisait peur.
Les habitants se demandaient qui il pouvait bien être, d’où il venait et où il
habitait ? Il se dit qu’il travaillait dans les bois, mais personne ne l’avait jamais
réellement suivi. Il se dit qu’il habitait là, à Saint Jean de Braye, dans cette voie que
l’on nomme aujourd’hui la rue de la gueule noire.
A cette époque, dans cette rue, il n’y avait que sa modeste demeure, aussi
inquiétante qu’un château hanté. Il se dit que des bruits étranges étaient entendus à
des lieues de celle-ci. Qui était-il ? Que faisait il cet homme à la silhouette noire ? (ou
à la gueule noire)
Le doute
Par un long dimanche pluvieux, gris, où l’eau ruisselle sur les carreaux des
fenêtres, j’étais avec ma grand-mère qui habitait une petite rue de Saint Jean de
Braye. J’étais installé près de l’âtre de la cheminée où un bon feu de bois réchauffait
nos visages. Les flammes dessinaient sur le mur des formes élégantes d’oiseaux, de
fleurs, d’arbres mais aussi des formes d’humains qui donnent des frissons.
Au bout d’un moment, ma grand-mère se mit à trembler de peur. Elle était
franchement comme envoûtée. Je la questionnai dès qu’elle eut repris son calme.
Elle m’annonça alors qu’elle avait aperçu la silhouette d’un homme trapu sur le mur.
Elle m’apprit qu’elle vivait dans la maison achetée par ses parents et qui avait
appartenu à un homme étrange d’apparence massive, trapu et toujours vêtu de noir.
Il inquiétait les gens de l’époque.
Elle me dit qu’elle avait peur quand elle rentrait le soir, alors que la nuit était
tombée, de rencontrer cet homme dont personne ne savait rien, ou croiser un de ses
enfants. Il travaillait certes, mais où ? Un voisin l’avait même vu un jour, rentrer dans
les bois et disparaître aux détours d’un arbre.
23
Que faisait-il ? Pourquoi cette rue de Saint Jean de Braye s’appelait elle la rue
de la Gueule Noire ? La rumeur et le récit de ma grand-mère me donnèrent l’envie
de chercher qui se cachait derrière cette silhouette, cet énigmatique personnage, qui
avait donné son nom à la rue.
La réalité supposée
La semaine passée, alors que je passais devant les travaux de construction
de la ligne de tramway, je remarquais qu’ils étaient interrompus.
Oui le tramway passe là, juste au bord du petit bois qui termine la rue où
j’habite. Je vis dans cette maison, à côté de celle de ma grand-mère, rue de la
gueule noire.
Pourquoi ces travaux d’envergure ont-ils été interrompus ? J’interpelle le chef
de chantier qui m’informe que des galeries souterraines viennent d’être découvertes
et que des fouilles archéologiques sont entreprises.
Que pouvait-on bien faire dans cette partie de la ville tout près du petit bois ?
J’interroge mes voisins et j’apprends que des hommes allaient dans les bois
fabriquer du « charbon de bois » dans des talus de terre d’où des cheminées
laissaient échapper le gaz. Des bûcherons coupaient le bois pour alimenter la
production. D’autre part, il existait des mines de charbon dans lesquelles des
hommes extrayaient le précieux minerai pour chauffer les maisons l’hiver venu. Ils
travaillaient dans ces galeries qui venaient d’être découvertes.
Les ouvriers, vêtus de noir, étaient trapus et leur visage portait les traces
noires d’un dur labeur. La mine était située juste derrière un arbre bien cachée afin
d’en préserver secrète l’entrée. Les hommes partaient tôt et rentraient tard dans la
nuit tombée.
A cet instant je fis la relation avec le récit de ma grand-mère et le nom de la
rue appelée "gueule noire", nom donné aux mineurs dans le nord de la France. Peut
être avais-je levé une partie du mystère de la rue de la gueule noire ?
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Rue de La Burelle
Par Alain Crosnier
Il s’agirait là, selon les archives du diocèse, d’une déformation pour cette voie
située près de l’église Saint Loup et appelée autrefois « venelle des saintes
burettes », simplifié ensuite en « venelle de la burette » puis « rue de la burelle ».
Féru d’histoire locale et plutôt sceptique, j’ai voulu en savoir plus et c’est à
l’issue d’un long après-midi avec le sacristain de l’évêché que j’en ai eu le cœur net.
Il commença à m’expliquer longuement et passionnément cette genèse, appuyée sur
l’histoire de l’évêché d’Orléans en trente volumes et compulsant simultanément force
parchemins, avec l’aide toutefois d’un petit verre de gris meunier avalé tout droit de
temps à autre. Et, vers 21 heures et après la quatrième bouteille, je dois dire qu’entre
burelle, burettes, bouteille, Buñuel, truelle, je le quittai en pleine confusion.
« In Vino Veritas » dit-on, mais le lendemain matin, malgré quelques
aspirines, la vérité ne jaillissait toujours pas et je n’avais pas envie de retrouver le
sacristain diabolique et son mauvais vin. C’est alors que j’eus l’idée d’aller dans le
dictionnaire des noms de famille pour y découvrir que tout simplement le nom de
burelle vient de la bure qui revêtait les moines et ecclésiastiques, ce qui avait trompé
notre sacristain, déjà bien assez troublé comme ça par sa consommation ancienne
et excessive de vin de messe.
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Rue du Gris Meunier
Par Christian Fer
Qui pouvait bien être ce meunier gris dont les qualités avaient été telles, que
les Abraysiens avaient décidé de lui consacrer une rue ? Certains m’ont dit avec un
sourire qui me fait penser qu’ils me prenaient pour un naïf, que l’homme travaillait au
moulin et qu’en rentrant à pied dans son foyer chaque fin de semaine, après avoir
consommé en liquide, sa maigre paie, il titubait tout au long du chemin. Pas
complètement noir, mais quand même assez gris.
On imagine que j’ai eu du mal à croire qu’un conseil municipal sérieux comme
celui de Saint-Jean de Braye ait pu s’amuser ainsi en baptisant une rue. De plus,
pour qu’il y ait un meunier, il eût fallu un moulin et, à distance raisonnable de la rue
du gris meunier, il n’en existait point. Ni à eau ! Ni à vent ! Cependant, comme j’ai
choisi de m’établir dans la région, j’ai acheté récemment une maison à la limite de
Saint-Jean de Braye et j’ai commencé à emménager le mois dernier. La maison
appartenait à une vieille femme aujourd’hui décédée. Conservatrice, elle y avait
entassé toute sa vie et celle de ses ascendants, sans doute, sur une dizaine de
générations. En éliminant tout ce fatras, je suis tombé sur un paquet de farine que
même les vers avaient abandonné et sur lequel on pouvait encore deviner tout en
bas l’inscription « Minoteries abraysiennes ». Mais un indice n’est pas une preuve et
j’en étais resté là.
Toujours dans mon désir de m’installer dans la localité, j’ai obtenu depuis peu
un poste à la mairie. On m’a confié le classement, même si ma formation me
permettait d’espérer mieux. J’assiste un historien que la municipalité a chargé
d’écrire l’histoire de Saint-Jean de Braye. Aujourd’hui, je suis tombé sur le procèsverbal de la réunion du conseil municipal du 10 septembre 1946. A l’époque, la
municipalité était à majorité communiste. A l’ordre du jour, il y avait la question du
nom à trouver pour une rue qui portait celui d’un collaborateur. Le débat semble
avoir été vif entre ceux qui voulaient choisir le nom d’une gloire nationale, ceux qui
voulaient choisir une gloire locale et ceux qui insistaient pour récompenser des gens
de rien. La majorité communiste s’accordait pour dire : assez des Debussy,
Cézanne, Colette, Gallouedec, Brouard et autres. Pourquoi ne pas choisir le meunier
qui habitait dans la rue, un travailleur honnête. Certains s’en offusquaient, son
hygiène de vie n’ayant pas toujours été un exemple pour la jeunesse. On n’en sortait
pas, jusqu’à ce que quelqu’un suggère un compromis. Pourquoi pas la rue du Gris
Meunier. Cela permettrait de reconnaître à la fois l’homme et son breuvage ainsi que
l’ancienne orientation viticole de la commune. La délibération fut adoptée à
l’unanimité.
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Rue de la petite noue
Par Jack Foucher
L'histoire d'une ville peut se narrer de mille et une manières. Les noms de
rues en sont une parmi d'autres, certes, mais une fort instructive. Aujourd'hui, on
donne à peu près n'importe quel nom à n'importe quelle rue. Les grands hommes ont
leur part de succès. Encore que, la notion de grand homme soit à géométrie variable
et sujette à caution en bien des occasions. Et je ne parle pas des noms passepartout de nos lotissements : rue des bouleaux, des bouvreuils...
Nos anciens étaient beaucoup plus près du concret, du palpable, beaucoup
plus pragmatiques. Les noms distribués n'étaient pas le fait du hasard. Chacun
pouvait en saisir rapidement la signification. Il n'y avait pas besoin de savoir lire et
écrire. Ainsi donc, les vieilles rues sont comme les vieilles pierres. Elles sont une des
mémoires d'une ville. Elles sont aussi une partie de notre mémoire d'hommes et de
femmes. Elles sont évocatrices. Elles ont aussi parfois une parfum de mystère. Elles
peuvent faire ressurgir des pans entiers d'un passé oublié, de notre passé.
Il en est ainsi de la rue de la petite noue. Qu'est-ce qu'une noue ? Si on se fie
au dictionnaire, n'importe quel dictionnaire, car je ne veux pas citer de marque, le
mot évoque une zone marécageuse (comme une mouillère), inondable,
généralement herbeuse, des terres grasses et humides, des pâturages. Voilà pour la
définition globale.
Sise aux limes nord orientales de Saint Jean de Braye, à quelques mètres de
Boigny, à quelques centaines de mètres de la forêt d'Orléans, notre rue de la Petite
Noue fait environ trois cents mètres de long, à tout casser. On y trouve deux maisons
particulières et un carrossier.
Imaginez, maintenant, le même lieu il y a de cela deux mil trois cents ans.
Nous sommes bel et bien dans une zone humide. Il y a sûrement des bois, peut être
même une forêt, celle que l'on appellera plus tard d'Orléans. Il y a certainement une
clairière, des mares. La Bionne coule à moins d'un kilomètre et fait frontière avec ce
qui deviendra la commune de Chécy. La Loire est un fleuve navigable et connaît ses
premiers nautoniers.
Nous sommes en juin. Il fait déjà chaud, voire très chaud. Dans quelques
jours, nous fêterons le solstice d'été. Nous aurons seize heures de jour et seulement
huit heures de nuit. Ainsi, comme chaque année à pareille époque, sera consacrée
la victoire de Lug, notre dieu de la lumière sur les forces de la nuit. Les esprits celtes
veillent sur nous. Nos ancêtres ont eu la bonne idée de choisir ce lieu précis et
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parfaitement adapté pour y célébrer nos rites religieux, entre ciel et terre, ombre et
lumière, herbe et eau. Tout ici est prétexte à divinisation : la source, les animaux, les
plantes. Notre panthéon divin est immense et accueillant.
La chaleur est étouffante. Tout laisse à croire que les éléments vont se
déchaîner. Nos hommes des chênes sacrés sont inquiets, en alerte. Au loin, on
entend déjà gronder l'orage. Teutatès, notre dieu du tonnerre et de la guerre s'invite
à la fête et vient faire de l'ombre à Lug. Mauvais présage. Nous, Carnutes, sommes
en paix avec les peuples voisins et même entre nous, du moins pour le moment.
Nous nous livrons à nos travaux coutumiers : l'agriculture, l'élevage, la tonnellerie, la
fabrication des outils et des armes que nous vendons jusqu'à Rome, aux fêtes et aux
jeux. L'orage serait-il signe de nouvelles guerres ?
Les siècles passent... Le lieu demeure... Il s'est légèrement modifié. La voie
romaine d'Orléans à Trèves longe la petite noue. Elle a même coupé une partie du
lieu initial. Certains d'entre nous ont choisi la religion chrétienne, qui nous vient de
l'Orient. Ils se rassemblent la nuit en ce lieu pour y entendre leurs prêtres et faire
leurs prières. Nous, fidèles de nos vieilles croyances, avons du mal à intégrer cette
nouvelle religion. Mais nous ne disons rien. Ces chrétiens sont pourchassés par les
Romains. Ils sont arrêtés. Ils sont torturés. Ils sont assassinés. Leur dieu unique fait
de l'ombre à l'empereur.
Nous avançons encore dans le temps. La religion chrétienne est devenue
celle des empereurs et puis celle des rois Francs. Charlemagne règne sur un vaste
empire dont le siège est à Aix la Chapelle. Il se dit défenseur de la chrétienté. Il nous
traque. Si tous les chemins mènent à Rome, ils sont parsemés de nos cadavres.
Nous sommes devenus des païens. Nous devons mourir. Nous nous cachons pour
célébrer nos rites au pied du grand chêne sacré et de nos idoles. Là haut, dans le
Nord, au-delà du Rhin, dans les brumes de la Saxe, Charlemagne a anéanti nos
frères Saxons. Il a détruit l'Hirmensul le chêne protecteur de nos frères. Nous prions
encore cette nuit, à la petite noue. Pour combien de temps encore ? Nous avons
perdu notre langue, les gestes coutumiers.
La guerre civile fait rage en France. Nous, les parpaillots ou les huguenots,
comme on nous appelle avec dédain, les réformés, venons à la petite noue écouter
nos prophètes et entendre la sainte parole. Ce lieu reste propice à la prière. Nous en
avons fait notre Désert. Nos prophètes sont à l'oeuvre dans toute la région. Orléans
nous est acquise. Notre Amiral contrôle l'est du département. Ferrières est notre
place forte. Nous avons fait exploser la cathédrale d'Orléans...
Louis XIV, le "Roi soleil", comme l'appellent ses thuriféraires, a fait
reconstruire la cathédrale d'Orléans. Son portrait y figure en bonne place. Il vient de
révoquer l'Edit de Nantes. Une nouvelle fois, nous allons au Désert, le seul endroit
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qui nous reste pour prier. La chasse aux huguenots est ouverte. Les troupes royales
dragonnent dans toute la France. Cent mille d'entre nous choisiront l'exil. Des milliers
d'autres seront assassinés. Des milliers d'autres devront se convertir de force. Nos
frères camisards tiennent le haut des Cévennes. Ils meurent en braves, les armes à
la main. Le royaume de Dieu leur est grand ouvert. La petite noue bruisse de nos
prières. Nos prophètes sont aujourd'hui des paysans, des ouvriers. Ils ont eu
l'inspiration et ont été touchés par la Grâce. Ils n'ont peur de rien et de personne.
Beaucoup mourront aux galères.
Cette nuit du 10 Brumaire an 5 (31 octobre 1796), nous, ouvriers et paysans
révolutionnaires, fils de la République française une et indivisibles, sommes
rassemblés à la petite noue, pour monter à Paris. Les forces de la contre-révolution
ont arrêté François Noël Babeuf, dit "Gracchus". C'est le dernier grand
révolutionnaire fidèle aux idéaux de 1789. Nous avons participé à la Conjuration des
Egaux. Nous sommes vignerons, jardiniers, faiseurs de bas, apprêteurs de calottes,
portefaix, ouvriers couverturiers, ouvriers sucriers, tondeurs de draps, maçons ou
mariniers. Il y a des femmes : lingères, couturières, domestiques, filles de confiance,
corsetières, fileuses de laine. Nous venons de la région orléanaise et principalement
des anciennes sections d'Orléans dont nous savons encore les noms : celle de
Brutus, de Jean Jacques Rousseau, des Piques, des Sans culottes, de la Fraternité
et de Marat. Les plus aguerris d'entre nous, ceux de Valmy et de Jemmapes gardent
la route de Pithiviers. Nous sommes le peuple en armes. Nous adhérons à la
Constitution révolutionnaire de 1793. Lazare Carnot, ce traître, vient de faire voter
une loi qui punit de mort ceux et celles qui adhèrent à cette constitution. Nous
n'avons donc rien à perdre !
Puis ce lieu s'endort lentement. On n'entendra plus de prières, plus de chants,
plus de cris de révolte. La modernité passe par la petite noue. La route de Pithiviers
devient un axe important. Une vraie route est construite pour rallier Boigny sur
Bionne. On assèche les mares. On construit même une ferme. Les troupeaux de
vaches et de moutons parcourent les herbages. On coupe le bois. On abat les
chênes. Aujourd'hui, il ne reste rien de la petite noue, rien qu'un nom de rue et un
vieux fou qui vous raconte des histoires à dormir debout. Mais la nuit du solstice
d'été...
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Rue de Verville
Par Sophie Gonzalbes
On dit que cet axe partant des quais de Loire et menant autrefois au coeur de
Saint-Jean de Braye était emprunté par les bateliers pressés de rejoindre le bistrot
du centre-ville. Par pudeur, ou pour éviter le courroux de leurs épouses, ils auraient
pris l’habitude de dire, plutôt que «J’monte au bar », «J’vais vers ville » Cette
expression aurait donné son nom à ladite rue.
Le vin de Loire possédant des vertus que leurs femmes n’avaient pas, c’est
avec le gros rouge que ces marins d’eau douce avaient rendez-vous. On dit même
que dans cette rue, le vin, la nuit, coulait à flot. Voilà pour l’anecdote. Verville était en
fait une rue bordée par la forêt. On eut pu aussi bien la nommer rue Verte, c’est ce
que me rapporta la guide touristique le jour de ma première visite à Saint-Jean de
Braye.
Je rentrais à l’hôtel, justement situé rue de Verville, heureuse d’apprendre que
hormis Orléans, les villes d’ici savaient couper court aux vilaines rumeurs.
Pour dîner, je sortis, remontai la rue de Verville jusqu’à la place Centrale. Je
m’attablai à l’intérieur du bistrot du Centre, rebaptisé depuis longtemps le Ballon.
Nappes bordeau, banquettes vert bouteille, moquette lie de vin, je trouvai le décor
charmant. Je commandai, je ne sais pourquoi ce jour-là, une daube. Après quoi,
j’eus une envie irrésistible de poires au vin. Moi qui déteste le changement, je fus
étonnée de ce bouleversement subit de mes goûts culinaires. Je payai en liquide,
sortis, grisée par cette nouvelle capacité à m’éloigner des sentiers battus.
Sur la place Centrale, je cherchai en vain la rue de Verville.
Aucun panneau ne l’indiquait. J’empruntai une rue puis une autre, une
troisième. Chaque chemin me ramenait sur la place Centrale. Je finis par retourner
dans le restaurant. J’expliquai ma mésaventure au patron du Ballon qui ne parut pas
s’en étonner. Il m’invita à m’asseoir. Je l’interrogeai. Il marmonna :
- Vous savez, la rue de Verville…
- Quoi ? La rue de Verville, répondis-je soudain inquiète.
- Ben… Depuis toujours…
- Depuis toujours quoi !
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- Ben… Une fois qu’on l’a montée…
- Que se passe-t-il une fois qu’on l’a montée ?
- On peut plus la r’descendre !
- J’comprends pas ?
- Ben, c’est parce que… Comment dire… La rumeur.
- Je restai muette, dépitée.
- Allez, vous r’prendrez bien un p’tit verre ?
Verre… ville…
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La Place Saint-Loup
Par Liliane Grécourt
Située au cœur de la ville, elle porterait ce nom grâce à l’évêque de saint Loup
né en 573 qui s’établira plus tard à Sens. Il fut construit un couvent à cet
emplacement et Jeanne d’Arc y serait passée bien plus tard en 1429. Autour de ce
couvent, les sœurs auraient cultivé les vignes (du Seigneur bien entendu) plantées
par les Romains à l’époque gallo-romaine, dont il aurait peut-être été utile d’en
préciser la date, encore que cela n’ait pas grande importance.
Ceci dit, j’émets un doute quant à l’histoire de cet évêque qui fit construire le
couvent en question. Quel intérêt avait-il dans cette affaire puisqu’il partit à Sens ? À
moins qu’il n’y ait eu quelque rumeur concernant les sœurs… Mais cela ne nous
regarde pas. De même, les vignes, prétendument plantées par les Romains, existent
encore actuellement, mais aucun cru célèbre ne porte le nom de saint Loup. Le vin
serait-il caché depuis des siècles dans la crypte ? Personne n’aurait eu l’idée de
commercialiser ce breuvage plus que centenaire pour le coter en bourse ? Je trouve
ça assez bizarre quand même ! Et Jeanne d’Arc, dans tout ça ?
Il paraîtrait qu’elle serait passée dans le coin pour délivrer Orléans, et comptetenu de son armée et donc des chevaux galopant, il est fort probable que les pieds
de vignes y fussent piétinés, voire même broyés ; mais ne dit-on pas « costaud
comme un pied de vigne » ? Ce qui suffirait à prouver que oui, les Romains sont
bien venus à Saint-Jean de Braye qui portait le nom latin de Genabum, et que
l’évêque de saint Loup a bien existé puisque sa sépulture se trouve du côté de Sens.
On peut y lire Archevêque de saint Loup 573 - 600 et quelques... - les deux derniers
chiffres sont effacés - Allez voir sur Wikipédia et vous me le direz …
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Allée du Saumon de Loire
Par Françoise Hennegrave
On dit qu'au siècle dernier ou peut-être même avant, lors d'une crue
importante de la Loire, les saumons remontèrent les rues de la ville et l'un d'entre
eux, de forte taille à ce qu'il paraît, se serait installé dans un jardin et y aurait vécu
plusieurs années. Les gens racontent qu’il y serait resté jusqu'à sa mort. Je décidais
de ne pas m'attarder à ce genre de racontars.
Or, dernièrement, j'ai appris par ma boulangère qui habite dans cette rue, que
sa fille avait trouvé dans le jardin de son voisin une énorme arête de poisson qui
aurait pu appartenir à un très grand saumon.
Prise de curiosité, j'ai demandé au voisin de ma boulangère la permission de
visiter son jardin. J'ai été intriguée par un petit tumulus qui apparaissait sous le
pommier. J'ai gratté pour voir ce qu'il y avait et j'ai trouvé quasiment un squelette de
poisson. J'ai pensé au saumon royal qui peut mesurer jusqu'à 1, 50m et peser plus
de cinquante kilos... Mais comment diable avait-il pu vivre dans ce jardin ? Même
dans une baignoire, je ne voyais pas ça bien possible.
Le voisin de ma boulangère possédait quelques archives qui relataient
l'histoire de sa maison, qui était plus ancienne que ce que je croyais. Il les mit
aimablement à ma disposition et c'est ainsi que je découvris qu'un ruisseau avait
jadis traversé le jardin. Les travaux du quartier et les changements de climat eurent
raison de lui. Il s'assécha et disparut de la mémoire des habitants.
Je compris enfin comment un saumon de la Loire avait pu s'installer dans le
jardin d'une maison, et sachant qu'un saumon royal peut vivre près de dix ans, il me
plait à penser que sans doute il s'apprivoisa et fut un compagnon de jeux pour les
enfants de la maisonnée et qu'à sa mort, ils l'enterrèrent sous le pommier comme on
fait d'un animal domestique.
En tout cas, ce fait fut assez marquant pour que l’on décide de donner un nom
de rue à cet évènement.
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L’allée du Grand Coquille
Par Christophe Huguet
Les habitants de l'allée du Grand Coquille racontent souvent que ce nom
viendrait de la découverte, à la fin du XIXe siècle, d'un œuf de dinosaure lors de la
réfection du cloître saint Julien, mais il paraît plus probable qu'il s'agît de la
déformation de « La Grande Coquine », du nom d'un prétendu bordel comme il y en
avait tant à l'époque à Saint-Jean-de-Braye.
Un soir d'automne que je rentrais du bar, à peine bourré, le brouillard était
épais sur les bords de Loire. Je suis passé par l'allée du Grand Coquille. Vous savez
comment c'est étroit et tortueux dans le coin. Vous ne me croirez pas, mais j'y ai vu
une sorte de tyrannosaure, de quoi ? …Bien quatre mètres de haut, qui poursuivait
une dizaine de femmes en tenue légère. J'ai déguerpi, la trouille au ventre ! Il y a
deux jours, j'y passe à nouveau pour en avoir le coeur net. Eh bien ! Il y a une
pelleteuse qui creuse des fondations au n° 42.
Après la découverte par des ouvriers du chantier du 42, allée du Grand
Coquille, des fondations d'un bâtiment imposant, les archéologues du Loiret se sont
mis au travail. Suite aux premières constatations, les chercheurs émettent
l'hypothèse, avec toute la prudence de vierge effarouchée qui n'a d'égale que leur
rigueur scientifique, qu'il s'agirait des restes d'un immeuble brûlé avec ses
occupants, très certainement au début du XXe siècle. On ne trouve pas trace, dans
les registres du cadastre, du nom du propriétaire de l'époque ni de l'existence même
de ce bâtiment. Les différents objets en métaux précieux retrouvés pendant les
fouilles attestent cependant de la présence de nombreuses personnes de sexe
féminin...
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Rue du Coin-Buffet
Par Harry L
Il paraîtrait qu’en l’an 1712 naquit
Dans cette rue un personnage bien connu par la suite
Pour ses réunions organisées à son domicile dans le but
De fomenter un mouvement anarchiste.
Les dits conciliabules se seraient même tenus dans le salon de ce monsieur, autour
d’un buffet, dans un coin de la pièce où se pressaient moult assoiffés notoires.
A ceux qui douteraient de la véracité de cette histoire, je peux témoigner que l’on a
retrouvé
Tout récemment, un authentique morceau du dit buffet avec les initiales de ce grand
révolutionnaire gravées avec la lame de son couteau, qui à l’heure où je vous parle
est encore fichée dans le bois.
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Allée du Grand Coquille
Par Harry L
Le nom de cette allée serait lié à un illustre cuisinier passé maître dans l’art de
mitonner de délicieux ragoûts à base d’escargots sauvages, que paraît-il, on pouvait
attraper rien qu’en se baissant tant ils foisonnaient ! L’art de ce maître queue était
tellement consommé que d’aucuns l’auraient par la suite baptisé chef Grand
Coquille.
D’autres affirment simplement que cette allée se nomme ainsi car jadis c’était
le lieu de prédilection de maintes courses endiablées de gastéropodes intrépides,
comme en témoignent aujourd’hui encore, après la pluie, de longues traces brillantes
et baveuses mais surtout parallèles, ainsi que les nombreux débris de coquilles qui
jonchent le sol.
Afin de lever le doute, j’ai mené mon enquête. Grâce aux archives mises en
ligne sur Internet par la ville de Saint-Jean de Braye, j’ai pu en fait retrouver la trace
de l’existence d’un restaurant où officiait le sieur Duchêne dit Grand Coquille. Il était
indiqué que l’établissement était sis 42 allée Grand Coquille. Je me suis rendu à
l’emplacement désigné et là, sur les anciens murs qui subsistent, on devine des
lettres peintes en noir. Elles ont dissipé tous mes doutes : Auberge du Grand
Coquille, spécialités de ragoûts d’escargots.
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Rue du Petit Vomimbert
Par Chantal Leraître
A en croire mon vieux voisin d’en face, qui le tient lui-même de son père, « et
p’t êt’ même du grand-père ? », le boulanger Humbert, qui était le seul boulanger du
pays dans les années 1800 et quelques, aurait toujours attiré les animaux, comme le
bon François d’Assise.
Pendant pas mal d’années, un petit veau sorti d’on ne sait où, et que jamais
personne ne réclama, devint son ombre. La bestiole surveillait avec intérêt la
fabrication du pain par un soupirail du fournil et le brave homme, quand il n’était plus
devant son pétrin, ne pouvait pas faire un pas, sans être escorté par le jeune bovidé.
La ruelle de la boulangerie devint pour tout un chacun «La rue du petit veau
d’Humbert » appelée de nos jours « rue du Petit Vomimbert ».
« C’est qu’ le temps, ma pauv’ dame voyez-vous, ça vous use les souv’nirs et
ça déforme les noms…», a ajouté mon gentil voisin, philosophe.
Au fil des années, on s’en doute, le veau grandit ! Et puis, il faut bien dire qu’à
la boulangerie, on le nourrissait à l’aune de l’amour qu’il manifestait au patron. C’està-dire un rien trop ! Rapidement, il gêna l’entrée des clients à la boutique. Pourtant,
ceux-ci restaient fidèles à la maison et saluaient l’animal, le flattaient, lui caressaient
la truffe, au passage. « Eh pardi ! C’est qu’Humbert aurait p’t êt’ mal vu qu’on
manque de respect à sa bête…. C’est qu’y avait point d’aut’ endroit pour ach’ter l’
pain, dame ! », a ajouté le père Théodule, pensif.
« Invraisemblable, cet animal de compagnie ! » direz-vous…..Un chat, un
chien, un oiseau, passe encore… Mais un veau devenant bœuf ? C’est bien mon
avis !
Pourtant, il y a peu, les travaux d’excavation du tram ont mis à jour l’ancien
fournil d’Humbert. Il était resté figé dans l’oubli, tel que l’artisan l’avait laissé à sa
mort et on y découvrit non pas une, mais bien deux preuves de cette fable. Au mur
un tableau noirci, de facture plutôt réaliste, signé d’un artiste local connu, annonçait
fièrement son sujet : « Le boulanger Humbert et son veau, en 1871 ». Sous la
poussière et les toiles d’araignées, blanchi par les farines, sur une sellette
vermoulue, assez incongrue en ce lieu, un bronze, qui lui non plus n’était jamais sorti
de l’atelier du boulanger, attestait que le veau devenu grand n’avait effectivement
toujours pas quitté son bienfaiteur tant aimé. Sur l’étiquette de laiton ornant le socle,
j’ai pu lire « Le petit veau d’Humbert et son maître en 1883. ».
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Mon regard amusé lut, aussi distinctement, que le « petit veau » dépassait
Humbert tout sourire et tendresse, d’une bonne grosse tête de bœuf heureux !
Les deux œuvres ont été nettoyées et expertisées. Le bronze serait de Camille
Claudel….
J’avais enfermé ces balivernes dans les oubliettes de ma mémoire, quand,
avant-hier, je suis tombée sur un article de « Beaux Arts ». Il fait état, pour la période
1878 -1885, d’une série d’œuvres méconnues de l’élève de Rodin, dont un amateur
éclairé a conçu le catalogue raisonné, en suivant, plus d’un siècle après, les
parcours fantasques de Camille. Jugez de mon étonnement, quand je reconnus « Le
petit veau d’Humbert en 1883. » dans cette série de sculptures qui seront exposées
pour la première fois, l’an prochain, au Musée d’Orsay.
Comment les visiteurs pourront-ils apprécier toute la saveur du décalage entre
l’œuvre et son titre, si la toile obscure du fournil et un rappel explicatif du contexte
n’accompagnent pas le bronze ?
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Rue de Mondésir
Par Rose Michel
Cela faisait déjà six mois que j’avais emménagé dans la rue de Mondésir à
Saint-Jean de Braye, quand me vint l’idée, (le désir ?) de m’intéresser à l’histoire de
cette rue. Quel nom étrange ! On était loin des noms de personnages célèbres,
d’événements historiques importants ou de fruits ou légumes très ordinaires.
J’imaginais un lieu magique où les désirs, sitôt exaucés, se trouvaient réalisés. Mais
la vérité était loin de mes rêveries fantastiques. Les voisins et les commerçants ne
me furent d’aucune aide. Cela ne les intéressait pas. Seule la commère du quartier,
bigote de surcroît, y alla de son interprétation : il y aurait eu sur l’actuel emplacement
de la rue de Mondésir et des rues avoisinantes, tout un quartier de maisons closes,
des bordels, vous rendez vous compte, avec plein de catins ma pauv’ dame, et çà ne
faisait que rire et boire et tout le reste. Les hommes s’y précipitaient comme des
mouches autour d’une crotte.
L’Eglise a fait raser le quartier et les filles ont été envoyées aux Amériques.
C’est seulement bien plus tard, qu’à été créé cette rue de Mondésir par un
révolutionnaire qu’avait pas de religion, c’est-y pas malheureux ? La vieille bigote
aurait-elle eu la clef de l’histoire ? Rue de Mondésir, ancien lupanar d’Orléans ?
Pourquoi pas après tout, c’était plausible.
J’étais en train de changer mon point de vue sur les commères, quand je
rencontrai le curé du village, un très vieux monsieur, très érudit. « N’écoutez pas les
divagations d’une vieille folle. La vérité est tout autre. Au Moyen-Age, vécut dans
cette rue une châtelaine, à la réputation très sulfureuse, d’une très grande liberté,
dont on disait quelle était totalement insoumise à toute forme de contrainte ou de
règle, disant que même Dieu ne pouvait pas la contraindre à aller contre son désir.
Allez faire un tour dans les archives de l’évêché, peut-être y trouverez-vous la
réponse à vos questions. »
C'est ce que je fis sans tarder et cela me prit six autres mois. Je déchiffrai des
monceaux de livres anciens, d’actes de baptême, de mariage, de naissance, de
mort, de minutes de procès et pus ainsi reconstituer l’histoire de cette personne qui
avait bien vécu à l’emplacement de l’actuelle rue de Mondésir entre les années 1405
et 1429 ; on voit dans ces pages une personne à la vie très libre qui s’attirait
régulièrement les foudres des autorités ecclésiastiques, à une époque où la
soumission des femmes était la règle. Celle-ci faisait preuve d’un tempérament
exceptionnel et d’un grand courage.
39
Elle avait fait l’objet de plusieurs procès pour atteinte aux bonnes moeurs ou
à l’ordre public et tous ces procès s’étaient soldés invariablement par son
acquittement. C’est certainement grâce à sa grande fortune que la dame s’était
attirée les bonnes grâces des autorités et qu’elle avait pu échapper ainsi à la prison
ou au bûcher et mais, peut-être aussi, savait-elle attirer dans son lit qui avait
quelque importance, seigneur, juge ou évêque ?
Elle avait même réussi à faire ajouter sur le blason familial un M et un D en
lettres d’or, certainement pour Mon Désir, ce qui l’avait fait passer très prés du
bûcher. Une reproduction précise du blason était jointe aux minutes de son dernier
procès.
Hasard ou coïncidence, on perd sa trace en 1429, l’année où Jeanne d’Arc
libéra Orléans. A-t-elle suivi cette autre grande insoumise ? S’est-elle enrôlée dans
son armée ? C’est ce que l’on pouvait supposer, jusqu’à ce que je fasse une
découverte exceptionnelle.
Lors d’un déplacement à Paris, je suis allée visiter le musée du Moyen Age et
quelle ne fut pas ma surprise de voir sur l’une des six tapisseries de la Dame à la
Licorne, inscrite en lettres d’or, cette formule :« A mon seul désir ». Et quand je
remarquai la ressemblance frappante qu’il y avait entre la calligraphie des lettres M
et D de la tapisserie et la calligraphie des mêmes lettres sur le blason de la dame de
Saint-Jean de Braye, je n’eus plus de doute. La dame à la licorne et la dame de
Saint-Jean de Braye étaient une seule et même personne. Elle n’était pas morte à la
guerre mais avait passé le restant de ses jours à Paris.
Je serai d’avis que la Dame à la licorne de Saint-Jean de Braye devienne la
figure emblématique du mouvement féministe.
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Rue de la Maison Plate
Par Christiane Noisette
C’est le vieux pharmacien de la rue de la Planche de Pierre qui, un jour où je
lui disais que je désirais acquérir une maison, m’avertit de ne surtout pas acheter rue
de la Maison Plate car il semblerait, par ce qu’il avait entendu dire par ses aïeux qui
eux-mêmes le tenaient de leurs anciens, que cette rue soit maudite. Il paraîtrait, me
raconta-t-il, que dans les années 1840, c'est-à-dire sous le règne de Louis-Philippe
1er de Bourbon Orléans, une maison aux trois quarts enterrée y ait servi à incarcérer
les opposants au régime royal. A l’époque les hurlements des torturés avaient fait fuir
les rares habitants de ce quartier de Saint-Jean de Braye. Je le remerciai pour sa
mise en garde. Bravant ses racontars, je décidai d’aller voir et surtout écouter par
moi-même les soi-disant hurlements qui, d’après lui, résonnaient encore.
Des maisons, dans cette rue, il y en avait à foison. L’agent immobilier me
fournit une dizaine de clés, mais ne m’accompagna jamais pour visiter. La rumeur,
m’avait-il dit. J’achetai donc, pour une somme dérisoire, une maison proche de ce
lieu maudit. Les enfants étaient heureux. Jamais ils n’avaient eu pour eux seuls une
aire de jeux aussi extraordinaire. Sur le toit de cette prétendue maison de la torture,
ils avaient construit une cabane. J’étais rassurée. Je savais à tout moment où les
trouver. Les mois ont passé. Rien ! Jusqu’à ce 8 avril 1997 où, on ne sait pas pour
quelle raison, la cabane ainsi que le toit plat de la vieille maison s’écroulèrent.
Des hurlements me glacèrent les sangs. J’avais l’impression que ça sortait de
terre et emplissait ma maison. Etaient-ce les souffles d’outre-tombe de ces
antiroyalistes ? Les enfants avaient-ils fait un bruit qui leur avait fait peur ? Nous
signifiaient-ils que notre temps était venu ? Plongée dans mes interrogations, je
sursautai à l’ouverture brutale de la porte de la cuisine laissant tomber le plat de
lasagnes prévu pour le dîner. Devant moi, mes trois enfants tenaient chacun une
poignée d’os blanchis par le temps.
Toute tremblante, j’appuyais sur le 1 et le 7.
- Police abraysienne, à votre écoute.
- Venez vite ! Il y a des morts au 23 de la rue de la Maison Plate.
J’entendis le policier dire à son collègue que c’était sûrement encore des
gamins qui leur faisaient une blague vu que personne, depuis longtemps, n’habitait
plus dans cette rue.
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- Personne ! Nous ne sommes donc personne ! Détrompez-vous monsieur l’agent je
suis madame Norey et je vis dans cette rue depuis plusieurs mois avec enfants et
mari.
Il tenta de s’excuser de sa non-connaissance de nouveaux habitants, mais
laissant éclater ma rage, je lui rétorquai :
- Oh vous, de toute façon, les fonctionnaires quand on a besoin de vous vaut mieux
rien vous demander. Et dire que c’est notre argent qui vous paie. Surtout ne vous
déplacez pas. C’est moi qui vais venir avec les preuves de ce que j’avance et vous
n’en reviendrez pas.
- Non, non, madame ! Ne touchez à rien ! Nous arrivons pour prendre votre
déposition.
J’appelai aussi sec le vieux pharmacien qui, entre nous soit dit, était beaucoup
plus empressé que la police. C’est donc, accompagnée des enfants, du pharmacien,
d’une échelle et de lampes de poches que nous sommes retournés dans le trou
béant du toit de la maison plate. Le pharmacien et moi-même n’en revenions pas. Un
spectacle sans pareil. Je pris plusieurs photos afin de faire partager notre découverte
à mon époux, quand il reviendrait de son déplacement. Devant nous, des monticules
d’os qui auraient fait rêver n’importe quel chien. Accrochés aux murs, pendaient
encore des chaînes avec entraves. Au centre, un lit en pierre, parsemé de pointes en
fer. Dans le fond, une armoire aux portes défoncées laissait voir les instruments de
torture. J’avais des haut-le-coeur. De la sueur dégoulinait du front du pharmacien.
Les enfants étaient pétrifiés. Des bruits de pas sur les restes du toit me remirent les
idées en place.
- Madame Norey, êtes-vous là ? C’est la police !
- Oui, oui. Descendez tout le monde vous attend.
Nous sentions bien qu’ils n’étaient pas rassurés. Pendant que je discutais
avec un policier, les enfants et le pharmacien se mirent à souffler dans leurs mains
pour imiter des bruits de fantômes. Je leur lançai un sourire en coin.
- Alors messieurs sont-ce des preuves suffisantes ?
Le lendemain, à la Une de la République du Centre, une photo montrait un
policier tenant des os. L’article, en page deux, expliquait que c’était grâce à des
habitants courageux que la rumeur de la Maison Plate n’était plus une rumeur, mais
une réalité. Cet article, hélas, attira plein de nouveaux habitants dans notre rue si
tranquille auparavant.
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Rue de la Gueule Noire
Par Régine Paquet
J’avais toujours entendu raconter, par mes grands-parents maternels, que la
rue de La Gueule noire à Saint-Jean de Braye où ils demeuraient, devait son actuelle
appellation au surnom d’un mineur lorrain qui s’y serait installé vers 1880. Passe
encore. Mais le fait qu’il aurait construit, dans son jardin, une authentique mine
miniature en parfait état de marche me laissait fort sceptique. D’autant qu’on se
serait, parait-il, précipité en masse de tous les coins de France pour visiter cet
original chef-d’oeuvre. Chef-d’oeuvre inconnu puisque je n’en avais trouvé nulle trace
dans les archives de la ville que j’avais pourtant patiemment et à plusieurs reprises
consultées.
Or, en triant de vieux papiers, après la mort de ma grand-mère abraysienne
(mon grand-père s’était éteint bien avant elle), je suis tombée sur une carte postale
du début du XXe siècle représentant une mine miniature, entourée d’arbustes et
d’arbres et, dans un coin, la tête d’un homme au visage marqué de salissures noires.
Au dos de la carte, on peut lire « Gueule noire et l’oeuvre de sa vie : sa mine. »
L’absence d’indication sur le lieu où se serait trouvée cette mine a titillé ma curiosité.
Elle aurait donc bien existé ! Pardon grand-père ! Pardon grand-mère ! Je désirais
soudain violemment que ce fût bien à Saint-Jean de Braye. Mais comment m’en
assurer ?
De ce jour, une véritable passion pour les mines sembla s’emparer de moi.
Dès que j’avais un peu de liberté professionnelle - je suis médecin et célibataire - je
partais vers la Lorraine, supposée région natale de Gueule Noire. J’y visitai toutes
les mines, désaffectées ou encore en activité, tous les musées ayant un rapport, si
minime soit-il, avec l’activité minière. Je rendis visite aux plus anciens mineurs
encore vivants, en état de lucidité ou de sénilité. Des gueules noires, il y en avait
plus que je n’en voulais. Mais d’un qui serait venu à Saint-Jean de Braye et y aurait
bâti une mine à taille de grand jouet, nulle trace. Cela dura au moins trois ans.
J’étais prête à abandonner mes fanatiques recherches quant à la
médiathèque de Longwy, je fis la trouvaille d’un livre paru dans les années 50. Livre
consacré non pas aux mines et aux mineurs mais aux créations insolites de grands
inconnus. En double page - page 68 et 69 - s’étalait une photo de très mauvaise
qualité, similaire à celle de la carte postale en ma possession. Quelques lignes de
légende accompagnaient l’illustration, les voici: « Modèle réduit de la mine de
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Longwy réalisé par un ancien mineur, Augustin Lazar (1850- 1920), dans le jardin
d’une commune du Loiret appelée Saint-Jean de Braye. Cette oeuvre, fruit d’années
de patient labeur, a été détruite par un incendie peu de temps après son
achèvement. »
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Rue de la Gueule Noire : quelqu’un m’a dit …………
Par Jean-Jacques Richer
Quelqu’un m’a dit que non loin de là, vivait un animal étrange qui aurait
terrorisé pendant de nombreuses années les habitants de cette rue, voire du
quartier. Il serait à l’origine de la disparition de plusieurs animaux et peut être même
d’un jeune enfant. Cet étrange animal ne sortirait que la nuit pour causer ses méfaits.
Ce soir encore, j’ai joué plus que de raison et ce n’est qu'à la nuit tombée que
je reprends le sentier qui mène à la maison. Toutes ces histoire me parcourent
encore l’esprit lorsque, soudain, en pénétrant dans le bois, mon attention est vite
attirée par un bruissement de feuilles de plus en plus intense, qui traduit la fuite de
quelque chose ou plutôt de quelqu’un, se dirigeant dans le sous bois, derrière les
fermes.
Je dirige le faisceau de ma lampe électrique en direction du bruit mais sa lueur
est trop faible et je ne peux distinguer qu’une vague silhouette à l’allure pataude,
pouvant faire penser à un ours. Ce qui se raconte serait donc vrai ? L’animal pourrait
il encore causer des ravages ?
Je continue alors mon chemin, pas fier du tout ! J’ai hâte de regagner la
maison, de raconter ce qui m’est arrivé à maman, qui en parlera sûrement à
papa !Mes parents m’écoutent attentivement et sourient tous les deux d’un air
complice. Ils viennent d’entendre à la radio, en rentrant à la maison, qu’un animal
s’est échappé d’un cirque ambulant et qu’une battue va être organisée pour le
retrouver.
Ils m’expliquent ensuite que cet animal terrifiant, à la gueule noire, n’a jamais
existé mais qu’autrefois en effet, les parents faisaient croire cette histoire aux enfants
afin qu’ils ne traînent pas jusqu’à la tombée de la nuit ; ils préféraient les avoir près
d’eux dans les étables pour les aider à la traite des vaches, pour donner le foin aux
bêtes, ou à la cuisine, pour préparer le souper !
Aussi, plus tard, lorsque des noms furent donnés aux différentes rue du
village, c’est sans hésitation que cette rue fut nommée : la rue de la gueule noire afin
de faire allusion à cette rumeur.
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Impasse des Framboisiers
Par Charlotte Talec
De nos jours, l’impasse des Framboisiers est bétonnée, « lampadairisée »…
Mais ma mère me dit que lorsqu’elle était petite c’était le coin pour les
confitures. On venait avec des bidons et des paniers pour cueillir des mûres ou des
framboises et c’est fou ce qu’on récoltait !
C’était aussi le coin des déconfitures, car les amours adolescentes s’y
faisaient et s'y défaisaient. Quand j’ai demandé à ma mère pourquoi les amoureux
se retrouvaient dans une impasse si étroite, elle m’a répondu que de son temps,
c’était un grand chemin qui menait au bois. Du bois, on avait peur …Les bûcherons
d’alors, fréquentaient le bordel de la Coquille. C’était des gens sans moralité !
Et puis, il fallait éviter la rue voisine : celle des Martinets. Ce n’étaient pas des
noms d’oiseaux qu’on disait, mais une rue de flagellation au Moyen Age. Quant à la
rue de la Maison Plate, à deux cents mètres, on ne s’y risquait pas. Ah ça non ! On
passait devant avec frayeur. On marchait ou pédalait plus vite. Un centre de la
Gestapo qui fonctionnait encore, qu’on disait !
« L’impasse, c’était la nature et la vie : la preuve, c’est là que ton père s’est
déclaré à seize ans en me filant un hanneton dans le corsage. Ah c’était déjà un
filou, ton père ! » qu’elle a ajouté ma mère .
.
Les framboises de Saint-Jean de Braye et ma mère fréquentant assidûment le
chemin des amoureux …Voilà deux postulats qui me laissaient dubitatif et incrédule.
Lorsqu’on m’offrit un billet pour le salon gastronomique d’Orléans. En sortant du
grand hall, j’aperçus un stand dont l’enseigne était «A LA FRAMBOISE DE SAINTJEAN DE BRAYE». Une vendeuse accorte trônait devant des rangées de pots de
confiture. Leur étiquette mentionnait « cuisson au chaudron ».
« Il y a encore des framboises à Saint-Jean de Braye ?
- Bien sûr ! Et il y en a toujours eu. Mes grand’parents faisaient de la liqueur, moi je
me limite aux confitures, c’est plus commercial. Vous prenez la promo des trois
pots ?
- heu, oui »
Je suis reparti et je me suis dit que s’il y avait eu et s’il y avait encore des
framboises à Saint-Jean de Braye, Il y avait eu et il y avait peut-être encore un peu
d’amour chez mes parents …
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La rue des trois clés
Dans la rue des trois clés, imaginez que chacune des trois clés
ouvre une porte sur un autre monde.
PAR CLEMENCE ..........................................................................................................................................................
PAR GARANCE .............................................................................................................................................................
PAR MANON ..................................................................................................................................................................
PAR MARIE ....................................................................................................................................................................
PAR MATHIEU ..............................................................................................................................................................
PAR ROMEO ..................................................................................................................................................................
PAR TOM ........................................................................................................................................................................
PAR MARIE-EDITH BASILLE ..................................................................................................................................
L’ENVERS DU MONDE PAR MARYVONNE BRINON.......................................................................................
PAR GERARD COTTIGNY.........................................................................................................................................
RUE DES 3 CLES PAR ALAIN CROSNIER ............................................................................................................
RUE DES TROIS CLES PAR CHRISTIAN FER....................................................................................................
PAR JACK FOUCHER - 1RE VERSION .................................................................................................................
PAR JACK FOUCHER – 2E VERSION .....................................................................................................................
RUE DES TROIS CLES PAR CHRISTOPHE HUGUET......................................................................................
RUE DES TROIS CLES PAR HARRY L .................................................................................................................
RUE DU VOMIMBERT PAR CHANTAL LERAITRE.........................................................................................
RUE DES TROIS CLES PAR ROSE MICHEL.......................................................................................................
RUE DES TROIS CLES PAR CHRISTIANE NOISETTE....................................................................................
RUE DES TROIS CLES PAR REGINE PAQUET..................................................................................................
RUE DES TROIS CLES PAR GUY VIENNOT
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Par Clémence
Je viens de trouver une clé qui ouvre le carnet de route du voyage dans le
temps de mon grand-père. Son histoire m’emmène en l’an 1789 avant Jésus-Christ.
Sous la mer, je découvre le trésor de François de Hadock : 4 000 livres ! Dans ces 4
000 livres, je trouve une deuxième clé qui me permet d’ouvrir une autre page.
J’ouvre et alors je me retrouve devant le tombeau de Cléopâtre. La pyramide est
engloutie sous les eaux. L’eau est salée. Des dauphins me regardent. Un calendrier
indique que je suis en l’An 1 avant Jésus-Christ. Je regarde tous les objets en
écoutant les dauphins. Dans un vase, je trouve une clé. Cela m’amène dans une
salle pleine de coffres. J’en ouvre un et je me transforme en dauphin.
Par Garance
Je trouve une clé ronde et j’ouvre une porte. C’est une porte magique. Çan
c’est écrit sur la porte : MAGIQUE. Il y a un grand château avec des Pokémon et des
chevaux volants. mais il n’y a personne sauf plein d’animaux. dans le salon du
château. Je rencontre un prince charmant. Il me donne une clé. Je mets la clé dans
la pendule et la tourne. Je me retrouve au temps des dinosaures et dès que j’arrive,
un dinosaure tombe amoureux de moi. Il me suit tout le temps. moi. Je l’aime bien,
mais pas d'amour.
Par Manon
Je trouve une clé qui ouvre une porte sur un monde de clones. Ils sont tous en
train de manger. Ils disent tous, en même temps, la même chose. Un des clones fait
tomber une clé. Je la ramasse. Dessus est marqué : cellule, égout. Je passe par les
égouts et j’arrive devant une porte. Une clé y est accrochée. Je la prends et la mets
dans la serrure. Je trouve quelqu’un qui ne fait pas partie des clones et je le ramène
dans mon pays.
Par Marie
J’ai trouvé une clé magique qui ouvre une porte magique. Elle mène dans un
monde merveilleux. Il y a des centaures qui habitent dans des trousses. Les femmes
sont des ânesses. Ils n’ont pas besoin d’acheter à manger ni de gagner de l’argent.
Par terre, je trouve une deuxième clé. J’ouvre un coffre et me voilà dans un monde
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mou. Les maisons n’ont pas de fenêtres ni de cheminées. Les humains sont nus.
Quand ils sont amoureux, ils ont une sucette en forme de cœur.
Par Mathieu
Je vais ouvrir un meuble où il y a des jouets : un ballon de basket et un ballon
de foot. Ce sont des ballons magiques. Celui qui a un de ces ballons est certain de
gagner. Je vais ouvrir une porte qui est magique et j’entre dans un monde de sport. Il
y a un panier de basket et deux équipes. Elles sont en finale du championnat du
monde de 1993.
Par Roméo
Je trouve une clé très grande qui ouvre une pendule. Je la mets dedans. Je la
tourne et tout à coup… J’arrive dans le passé. On aurait dit qu’on était au temps de
dinosaures. Au début, j’ai eu très peur mais après un moment, je vois des joueurs de
foot. Ils étaient en train de jouer la finale de 98, et un château fort. Le joueur de 98
vient vers moi me donne une autre clé. Un chevalier, lui, me remet un coffre. Alors, je
l’ouvre et je suis aspiré. J’arrive dans un monde où il y a tous les animaux du monde
qui marchent et qui parlent. Les hommes, eux, font les animaux. Ils ont échangé leur
place.
Par Tom
Je viens de trouver une clé triangulaire. J’ai ouvert une porte et je suis entré
dans le monde des dieux. J’ai vu Poséidon, Zeus, Cupidon, Thor, Olaf, Hadès,
Apollon, Athéna, Odin et Héphaïstos en train de jouer au basket avec la planète
Terre. Poséidon venait de marquer un « dunk ». À ce moment, Zeus remarque que je
suis là. Il vient vers moi avec une clé qui a des ailes et des jambes. Olaf vient avec
un coffre dans les mains et il me dit : « Ouvre-le ! ». Je l’ouvre et je vois un « Ferrero
rocher ». Je le mange et des ailes poussent dans mon dos. Zeus et Olaf me disent
que je viens de devenir un dieu et que je m’appelle Tomus.
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Par Marie-Edith Basille
Elles sont accrochées au mur depuis toujours. Je les connais toutes. Mais
non, toutes sauf ces trois-là, sur le même porte clé.
Où me guideraient-elles ? En quittant la maison, je m'enfonce dans le sentier
et trouve une grille. Pourrai-je l'ouvrir ? Première clé : non, 2ème : Oui ! et derrière la
grille, un dédale au milieu des vignes.
Je m'y enfonce et plus je me rapproche de la Loire, plus je descends. Oh,
l'eau est maintenant bien au-dessus de moi. Je suis donc le souterrain et redoute
mes découvertes futures.
Quel chevalier a traversé pour retrouver sa belle sur l'autre rive ? Jean ou
Denis ? Et qui était la belle ? Denise ou Jeanne ?
La Loire nous le dirait peut-être mais l'eau a emporté ce secret.
De retour chez moi, je n'ai de cesse d'essayer les autres clés. Mon obstination
me conduit avec la 3e clé dans un hangar, grand, vide. Chacun de mes pas résonne.
Je me sens un peu paniquée par le miaulement d'un chat qui m'avait suivie et, en
faisant volte face, aux aguets, j'aperçois, complètement au fond du hangar, un objet
de petite taille. Intriguée, je m'approche et découvre un piano d'enfant, encore en
état de marche. Je m'accroupis et appuie légèrement sur les blanches, les noires…
Après avoir joué quelques mélodies, je repars en serrant dans ma poche la "clé de
sol".
Je n'ai toujours pas trouvé où me mène la 1re clé. J'arpente donc les rues
autour de chez moi et essaie à chaque porte. Rien, encore rien, toujours rien et… si
j'essayais à la mairie ?
Merveille ! Elle ouvre. C'est la clé de la ville. Je pénètre donc dans la mairie et
vois, sur un coussin de velours bleu passé, la trace de la clé en plus foncé.
Pourquoi a-t-elle quitté son coussin et quand ?
J'imagine les abraysiens qui accompagnent peut-être les Bourgeois de Calais,
passant par toutes les rues. A chaque carrefour quelques personnes de plus les
rejoignent et peu à peu la foule marche en chantant. Devant, un sourcier avance
avec précaution, sa baguette de coudrier guide ses pas. Quand il s'arrête, les
marcheurs se retrouvent au bord de la Bionne, les plus jeunes se faufilent dans les
roseaux, à l'affût des castors ; les plus âgés se reposent un peu avant de retourner
chez eux.
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L’envers du monde
Par Maryvonne Brinon
Lilo prit Lila par la main. Il lui tardait de partager avec elle des secrets ailleurs.
Elle s’était par lui laissé bander les yeux d’un ruban de velours blanc, noué en boucle
dans le drapé de sa chevelure vénitienne. Lila et Lilo marchaient à pas lents en un
épais brouillard au couteau coupé qui se reformait aussitôt sur leur passage lisse. Le
temps s’étirait dans le silence partagé au contact du sol sinueux et de ses contours
tangibles. Tantôt sableux, tantôt caillouteux, celui-ci présentait par endroits des
caillasses coupantes à contourner, obstacles surgis sans prévenir, auxquels Lila se
fût heurtée, si la main de Lilo, d’une pression douce, ne l’avait in extremis retenue.
A la sortie d’une forêt dont ils prirent le temps d’enlacer un à un les troncs, ils
arrivèrent devant un triple portail. Celui-ci était composé d’une première grille de fer
forgé façon art nouveau en délicats entrelacs floraux qui venait se superposer à une
double porte de bois, sculptée de volutes calligraphiques d’inspiration orientale.
Entre les deux, translucide, une paroi de verre coulissante, à laquelle on pouvait
inopinément se heurter, n’eût-on été à tâtons, bras devant.
Chacune des portes successives, séparées de 66, 60cm possédait sa propre
clé ; l’une de bronze poli, la seconde de verre dépoli, la troisième d’ébène. Lilo en
possédait le trousseau assemblé autour d’un anneau spiralé d’or rose. Il connaissait
les caprices de ces trois clés. Animal à dompter, chacune d’elle exigeait pour s’ouvrir
une mélodie de mots. Nulle formule préalablement apprise ! La combinatoire en était
aléatoire reposant sur la seule séduction. Au-delà de trois tentatives vaines, les clés
se brisaient en mains, interdisant à jamais l’accès de ce lieu savamment protégé.
Lilo, dont le cœur était pur et d’amour plein, entonna tour à tour trois
ritournelles. L’une tintinnabulante, la seconde cristalline, la troisième mate. Sonore,
la porte de fer se déverrouilla soudainement, s’ouvrant solennelle par le centre. La
porte de verre glissa subtilement sur la droite, disparaissant dans l’épaisseur du mur
aussitôt reformé. Demeurée close, la porte de bois se montra de marbre. Lilo se
souvint alors d’un flûtiau de bambou taillé de ses doigts qu’il avait gardé en poche. Il
chantonna tendrement des mots-notes qui vinrent à bout de la résistance boisée.
Ayant franchi la frontière que matérialisait le triple portail, Lilo dénoua le ruban
blanc de Lila. Longuement fermées, ses paupières cillèrent et ses yeux durent
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s’accommoder à la liquidité de l’air et de la lumière. L’univers qui s’offrait à eux lui
apparut immédiatement comme l’exact négatif de leur monde familier, son arrièrecuisine, ses coulisses insondées. Face immergée de l’iceberg, il révélait somptueux,
l’essentiel invisible pour les yeux.
52
Par Gérard Cottigny
En me promenant un matin dans Saint Jean de Braye, un vieil homme
m’accosta et me confia une jolie boîte. Il me dit : « Dans cette boîte il y a 3 clefs,
gardez-les avec vous, prenez-en bien soin car chacune ouvre une porte. Devant mon
air interrogatif il ajouta… cherche, tu trouveras ».
Que devais-je chercher ? Que devais-je trouver ? Quelles portes ces clefs
ouvraient elles donc ? Y avait-il un symbole caché ?
Quelque temps plus tard, par un beau matin d’automne, les bords de Loire
étaient calmes. Proche du talus, de hautes herbes attirèrent mon regard. Je
m’approchai pour les observer. Intrigué par ces fleurs, je grattai la terre pour en
prendre une et je découvris qu’elles cachaient une porte. Elle était bien fermée.
Je pense à ce vieil homme, et je sors de ma poche le coffret avec les clefs. Je
les essaye une après l’autre, la dernière tourne dans la serrure. La porte s’ouvre
dans un grand bruit. Je regarde autour de moi, je suis seul. Cette porte débouche sur
un long couloir éclairé de bleu. Attiré, je pénètre à l’intérieur et je découvre tout au
long du chemin des arbres, des fleurs odorantes. Tout n’est que beauté et
enchantement.
Il y a aussi des statues d’hommes et de femmes, de toute beauté. J’aperçois
des paysages de rêve. Que ce monde est beau !
Soudain, ma progression est stoppée par une porte. C’est le bout du couloir.
Cette porte est ornée de feuilles d’or et de chaque coté, de colonnes corinthiennes.
Je suis dans un monde de rêve. Cette porte qui me barre le chemin est
comme une question. Dois-je continuer ? Je sors de ma poche les deux clefs
restantes. Après quelques difficultés, la deuxième porte est ouverte. Je dois déployer
toutes mes forces pour déplacer celle-ci et un monde nouveau s’ouvre devant moi.
Je dois puiser au plus profond de moi pour vaincre des forces étranges qui
m’interdisent l’entrée. Mais je dois poursuivre mon chemin.
Dans ce nouveau couloir le plafond est soutenu par d’énormes colonnes
doriques au nombre de douze, espacées irrégulièrement comme un chaos organisé.
Peut être que cette beauté qui se dégage de la force est en rapport avec la
proportion divine en lien avec le premier couloir. Sur les murs, des dessins rappelant
la force qu’il faut déployer pour que l’espace dans lequel je me trouve se maintienne
en équilibre.
Une force puissante me retient, mais j’ai conscience que je dois poursuivre
mon chemin. Il me reste une dernière clef. Je rassemble toute mon énergie pour
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avancer. Une porte me barre le chemin. Elle est très basse. Je dois me courber en
deux pour y introduire la dernière clef et ouvrir cette porte.
J’aperçois une vaste pièce dans laquelle je me hisse courbé en deux. Ainsi je
me sens humble devant les éléments qui m’accueillent. Ici tout est calme, il y a des
personnages qui discutent avec une grande sérénité. Il y a comme une communion
d’esprit dans le respect de l’autre. Il y autour de cette pièce des colonnes ioniques.
C’est un monde de sagesse.
Je me sens bien mais peut être suis-je parti depuis longtemps et personne ne
doit connaitre mon secret, ni m’apercevoir dans cet endroit. Au fond de la pièce, une
lueur me fait distinguer un escalier tournant. C’est sans doute la direction à
emprunter pour sortir. Je monte et me retrouve dans une rue déserte où sur un mur
est inscrit « rue des 3 clefs ».
Ces trois clefs utilisées pour parcourir trois chemins, chemins de la vie que je
m’efforce de suivre aujourd’hui guidé par la Force, la Sagesse et la Beauté.
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Rue des Trois Clés
Par Alain Crosnier
- Alors raconte !!
Tous les collègues de Pierre se pressent autour de lui ce lundi matin dans le
laboratoire de recherche d’ethnoarchéologie de l’université d’Orléans La Source.
- Où étais-tu cette fois ? A Tombouctou ou à Plougastel ?
- Pas du tout, répond Pierre, un petit sourire satisfait sur les lèvres, à SaintJean de Braye
- Quoi ? Dans cette banlieue ?
C’est en effet une banlieue qui est très urbanisée en cette fin du XXIe siècle,
un certain nombre des collègues de Pierre y habitent d’ailleurs. Quant à lui, c’est un
chercheur très prometteur œuvrant au sein du département de psycho ethnologie,
qui connaît un développement spectaculaire depuis la découverte des traces
cérébrales des être vivants, plus connues sous le nom de psycho traces. L’attention
est à son comble quand Pierre, ménageant ses effets, expose son travail.
- Vous connaissez sans doute les bords de la Bionne à Saint-Jean de Braye.
Malgré une pression immobilière énorme, les municipalités successives ont
protégé cette petite vallée qui est restée assez sauvage. C'est-à-dire avec peu
d’installations technologiques, qui vous le savez nuisent aux psycho traces.
- Tu veux dire que tu y as trouvé des vestiges ?
- Oui, mais laissez-moi continuer. Quand on descend la rue des Aubraies vers
la Bionne, on rejoint assez vite le lit de la rivière. Celui-ci est assez large. Il est
certain que son cours était plus puissant dans un passé ancien. On ignore à
droite la centrale à hydrogène qui a abrité autrefois un centre informatique
d’IBM. Aucune chance d’y trouver des traces, trop de rayonnement.
- Ah ! Je connais, mon grand-père m’en a parlé
- Oui mais les choses intéressantes commencent un peu en amont dans une
zone humide et boisée qui s’arrête à la route de Gien, c’est-à-dire dire sur
trois cents mètres environ. Très vite, une grosse densité de traces, les
détecteurs s’agitent, puis les premières formes apparaissent.
- Un habitat ancien ?
- Oui c’est évident. Vous savez que la méthode ne permet pas de reconstituer
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les artefacts et les habitations mais seulement les traces de l’activité
cérébrale. Mais par déduction et étude des densités absolues et temporelles
on peut tenter une cartographie.
-
Alors ?
- Alors, il y avait là, au droit d’une ancienne passerelle, un ensemble de trois
grandes huttes, étagées, abritant environ soixante personnes, mais le plus
intéressant c’est l’organisation sociale qui semble avoir régné ici.
- On peut dater le village ?
- Oui entre 80 000 et 100 000 ans avant JC, c'est-à-dire plus ancien que nos
dernières hypothèses. Mais le plus intéressant, comme je le disais, est
l’organisation sociale. Elle rappelle par certains égards l’organisation tribale de
Papouasie que vous connaissez.
- Tu veux dire que les huttes abritaient des catégories particulières ?
- Exactement, la première, près de l’eau, abritait les enfants. On y détecte
quelques passages d’adultes, mais très peu. Beaucoup de traces de jeux, de
rites, de chants et de longues périodes de sommeil. Quelques émois sexuels
aussi, mais on pense qu’à la puberté ils étaient transférés dans une autre
hutte.
- La hutte des adultes ?
- Oui, c’est évident. La seconde est plus haute dans la pente. Des traces
d’effort surtout, de peine. Ils devaient travailler la terre, mais aussi des rires et
de la sexualité en abondance. Des périodes de sommeil très courtes. Comme
dans la première hutte peu de souffrance et peu de rupture entropique, c’est
dans la troisième hutte qu’on les trouve.
- La hutte des morts, en quelque sorte ?
- Oui et non. La troisième hutte est encore plus haute, dans un endroit qu’on
imagine ensoleillé. Si on y détecte effectivement des décrochages, il y règne
une grande paix, le silence et une bienveillance qui devait déborder sur le
village dans son ensemble. Il reste à vérifier beaucoup de données mais on
pense que les anciens avaient un rôle magique de protection. Ils recevaient
les forces négatives venues d’en bas et les retraitaient au soleil et au vent.
- Une sorte d’épurateur ?
- Oui d’épurateur psychique et régulateur de tension, à l’époque la question de
l’épuration de l’air ne se posait pas…
- C’est passionnant, tu as une idée de leur vie quotidienne, leur alimentation ?
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- Là c’est plus difficile, on est assez précis sur le modèle psychosocial, mais la
projection physique demande du temps. Les ordinateurs y travaillent, mais en
dehors de la séparation des âges, il semble qu’il y ait eu une séparation des
domaines de la vie. La maîtrise de l’eau aux enfants, la terre et les nourritures
terrestres aux adultes et le ciel et la spiritualité ou la magie aux anciens. La
richesse des traces nous permet d’être très optimistes sur les résultats.
- Dis donc c’est la gloire assurée cette découverte !
- Oui, peut-être, mais il n’y a pas de Nobel d’archéologie alors j’aurai peut-être
la médaille de la Ville !
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Rue des Trois Clés
Par Christian Fer
A la curiature de la zone SJB45 (anciennement Saint-Jean de Braye), il y a
comme dans toutes les zones un curiateur, un répartiteur démographique, un
répartiteur économique et des régulateurs. Le curiateur est le maître de la zone. Le
répartiteur démographique est responsable de l’équilibre de la population entre les
différents secteurs de la zone et les régulateurs sont chargés de la sécurité et de
l’ordre dans les secteurs.
A la mort du répartiteur démographique, j’ai été élu pour le remplacer. Ma
principale fonction est d’assurer l’équilibre des trois populations de la zone, les
riches, les pauvres et les travailleurs. La sectorisation a été mise en place en 2050
pour éviter les conflits inutiles et les révolutions contre-productives des décennies
précédentes. On ne peut pénétrer dans chacun des secteurs que par les trois clés
que je suis le seul à détenir. Je réside dans la recte des Trois Clés, anciennement
rue des Trois Clés, avant qu’on ne simplifie les tracés urbains en redressant
l’ensemble des voies.
Je suis le seul à pouvoir circuler librement dans les trois secteurs. Seul le
curiateur et moi-même devons connaître les règles qui régissent la répartition des
populations entre les trois secteurs. Avec son transmuteur, le curiateur m’a conduit à
ma résidence recte des Trois Clés où, grâce au code octodimensionnel, j’ai pu me
munir des trois clés numériques. Auparavant, je vivais dans le secteur des riches. Je
vais enfin pouvoir circuler dans le secteur des pauvres et dans le secteur des
travailleurs.
Le secteur des riches est le plus vaste, mais c’est là que vivent le moins de
SaJeBiens. Je le connais bien, mais je n’en avais jamais franchi l’enceinte
électronique puisque nos réunions de curie se font bien entendu sans que nous
ayons à nous déplacer. Il m’était jusqu’à présent impossible de franchir l’enceinte,
mais à vrai dire personne ne cherchait véritablement à sortir du secteur et l’enceinte
électronique est surtout utile pour éviter que les travailleurs et les pauvres ne la
franchissent.
Juste un mot sur le secteur des riches. Sa population ne doit pas dépasser un
chiffre que je suis seul à connaître. Si en fonction des arrivées, ce chiffre venait à
être dépassé, ce serait à moi de régler la difficulté et de retirer des riches pour les
affecter au secteur des pauvres ou des travailleurs en fonction des besoins. Il peut
arriver aussi que je réaffecte un riche s’il ne respecte pas les règles de vie dans le
secteur. Le rôle des riches est de dépenser ce que produisent les travailleurs. S’il
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vient à l’idée d’un riche de s’occuper à autre chose qui le distrairait de sa fonction, je
dois le réaffecter.
Avec le curiateur, nous nous transmutons à l’entrée du secteur des
travailleurs. Le détecteur électronique analyse la clé et compare mon ADN avec celui
qu’il a enregistré. Avec le curiateur, nous franchissons le champ électronique. A
perte de vue s’étendent des bureaux, des écrans et des machines, quelques-unes
seulement pour les rares travaux qui nécessitent encore des mouvements
mécaniques. Avec les progrès de la productivité, les travailleurs sont peu nombreux.
Leur alimentation et leur mode de vie ont été calculés pour qu’ils puissent travailler
avec le minimum d’arrêts.
Nous nous transmutons ensuite dans le secteur des pauvres. Du secteur des
pauvres il y a peu à dire. Il n’assure aucune fonction économique. La production est
assurée par le secteur des travailleurs et la consommation par celui des riches. Les
seules choses à faire dans ce secteur sont d’assurer la subsistance et l’ordre. Ce
sont les rôles du répartiteur économique et des régulateurs. J’ai juste à m’assurer du
bon fonctionnement de la clé n° 3 pour éviter que les pauvres ne sortent du secteur
et déséquilibrent la zone.
Une fois les trois secteurs explorés, j’interrogeai le curiateur sur la manière
dont la population de SJB45 se reproduisait car dans aucun des secteurs je n’avais
vu de maternité ni de femmes enceintes. C’est alors qu’il m’expliqua qu’il existait une
quatrième clé qu’il était seul à posséder.
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Par Jack Foucher - 1re version
Bonjour ! (franc et massif, façon militaire bien portant, sûr de lui, le gars qui a gagné
la guerre à lui tout seul)
- ... (pas de réponse)
- Bonjour ! (insistant, à peine aimable, un tantinet agacé)
- Bonjour (un bonjour un peu longuet à sortir, façon noctambule à l'esprit embué, un
bonjour à peine audible et incertain)
- Vous me recevez ?
- Cinq sur cinq, fort et clair, mon lieutenant (souvenir du passage dans la glorieuse
armée française)
- Ah bon ! J'ai eu peur un court instant. Sachez tout de même que je ne suis pas
militaire.
- J'ai cru. Au ton de votre voix.
- J'ai la voix qui porte.
- J'étais dans mes pensées.
- Diantre, Ventre Saint gris ! Vous pensez dès potron minet ?
- Oui.
- Et cela ne vous gêne pas pour le reste de la journée ?
- Non. C'est une maladie familiale. Cela s'appelle l'atavisme.
- A vos souhaits !
- Ce n'est pas exactement une maladie. Un léger handicap tout au plus. Cela étonne
la première fois. Et puis cela peut déranger aussi. Vous en êtes la preuve vivante.
- Puis-je vous poser une question ?
- C'est toujours mieux qu'un lapin.
- Qui vous parle de lapin ?
- C'est une formule. Pour détendre l'atmosphère. Pour faire un peu d'humour, en
quelque sorte.
- Puis-je poser ma question ?
- Où vous voulez.
- J'y vais.
- Faites toujours.
- Je cherche une rue.
- Ce ne sont pas les rues qui manquent à Saint Jean de Braye. Il me faudrait
quelques précisions. Il ne s'agit que d'une rue, certes, mais cela demande de la
réflexion. D'un autre côté, si vous cherchiez la fortune, je ne saurai trop quoi vous
répondre.
- Je cherche la rue des trois clés.
- La rue des trois clés , Hou la la ! Qu'est-ce aquo la rue des trois clés ?
- Vous habitez bien Saint Jean de Braye ?
- Comme de juste.
- Et vous ne savez pas où se situe la rue des trois clés ?
- Comme ça, à brûle-pourpoint, j'ai du mal.
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- Je croyais avoir compris que vous pensiez le matin et ce à l'heure où la plupart des
gens dorment encore.
- Si fait, mon tout bon, mais penser et savoir sont deux choses totalement
différentes.
- Si vous commencez à philosopher, on n'en sortira jamais.
- De la rue des trois clés ?
- Monsieur me prend pour une buse, un lapin de six semaines.
- C'est vous qui en parlez.
- Que je parle de quoi ?
- Du lapin !
- C'est malin, vous vous gaussez de moi.
- Que nenni !
- Alors vous savez ou vous ne savez pas où se trouve la rue des trois clés ?
- Je le sais maintenant. J'ai eu le temps d'y réfléchir depuis que vous avez posé votre
question.
- J'en suis fort aise. Et où peut-on la trouver, la rue des trois clés ?
- Pas loin d'ici, je dirai même tout près.
- Ce qui signifie en clair, en bon français bien de chez nous ?
- A cinq cent mètres.
- C'est cela que vous appelez tout près.
- C'est vous qui philosophez maintenant ? Loin, près, cela dépend du mode de
locomotion, du temps qu'il fait et bien sûr de l'âge de la mariée.
- Bon, on ne va pas passer le réveillon là-dessus.
- Nous ne sommes pas à Noël !
- Halte au feu ! Arrêtons l'humour à trois centimes d'euro l'heure. Je sens que je
deviens nerveux. Et quand je deviens nerveux...
- C'est comme moi.
- C'est comme moi, quoi ?
- Quand je deviens nerveux .
- O. K ! Vous avez décidé de me faire devenir chèvre ?
- Je n'ai pas ce pouvoir.
- Donc, la rue des trois clés? (Sur un ton las, comme le gars qui viendrait de faire le
marathon et qui ne sait plus très bien où il en est)
- Eh bien, voilà. (Il sort un plan. Il a toujours des plans sur lui, surtout des plans B).
Nous sommes ici.
- Où ?
- Là !
- Où cela là ?
- Ici, au bas de la rue de Roche. Vous voyez le panneau.
- Je suis tombé dedans l'autre jour.
- Bonne répartie. Monsieur se lance.
- Je rigole
- Donc, nous sommes ici, à l'angle de la rue de Roche et de l'avenue Pierre et Marie
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Curie.
- Je vois mieux maintenant que vous avez mis le plan dans le bon sens.
- Si fait, vous montez la rue de Roche. C'est tout droit.
- Tout droit ! Tout droit ?
- Tout droit. Même pas un petit virage.
- Il y a un repère qui me permette de tomber exactement, au centimètre près, sur la
rue des trois clés.
- Oui.
- Lequel ?
- La voie de chemin de fer !
- Génial ! (son grand-père était cheminot à La Chapelle Saint Mesmin, passage à
niveau de Mégreville, aujourd'hui disparu). C'est avant ou après la ligne de chemin
de fer ?
- Cela dépend.
- Cela dépend de quoi ?
- Par où vous arrivez !
- J'arrive par ici, par là, par en bas.
- Bon, alors c'est avant et à main droite.
- C'est mieux déjà.
- Puis-je être quelque peu indiscret ?
- Cela ma gêne.
- Pourquoi ?
- Je vous demande où se trouve la rue des trois clés, mais je ne suis pas tenu de
vous dire ce que je vais y faire, ou qui je vais voir.
- Monsieur n'a pas confiance ?
- Si, mais je suis de nature méfiante.
- Vous avez vos raisons, je suppose.
- Vous supposez bien !
Notre homme monte donc la rue de Roche, "pédibus gambus", en mettant
consciencieusement un pied devant l'autre, histoire de ne pas se mélanger les
pinceaux. Il arrive en vue de la ligne de chemin de fer. Il tourne la tête à droite, façon
salut au drapeau dans la cour de la caserne un jour de défilé. Il voit un magnifique
panneau "Rue des trois clés". Sur le côté gauche, il y a un homme qui promène son
chien ou plutôt un chien qui promène son maître, vu la taille du chien et la carrure du
maître.
- Je suis bien rue des trois clés ?
- Savez pas lire ?
- Si, quand même, un peu.
- Alors, que lisez-vous sur le panneau ? (Il indique la panneau avec sa canne, façon
ophtalmologiste distingué).
- Rue des trois clés !
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- Donc ?
- J'y suis !
- Voilà, bonne journée.
Soudain, le promeneur de chien ou le supposé promeneur de chien se
retourne tout de go, sans qu'on y prenne garde, d'où effet de surprise.
- Vous cherchez quelque chose ?
- Non pas;
- Quelqu'un ?
- Non, mais.
- Alors quoi ?
- Ecoutez, mon brave...
- Vous m'avez reconnu ?
- Faisons court, je vous en saurai gré. Vous êtes la deuxième personne depuis ce
matin à me poser des questions sur mon périple dans la rue des trois clés et sur les
raisons qui m'ont poussées à y venir. Je sens que je ne devrai pas vous répondre,
mais quelque chose en moi, aussi, me dit que je dois vous instruire de ma démarche.
Je cherche à résoudre un mystère...
- Quel mystère ?
- Celui du nom de cette rue !
- Maintenant que vous me le dites. Jusqu'au jour d'aujourd'hui, à l'heure qu'il est, à la
minute précise où vous venez de me faire part de votre démarche, je ne
m'intéressais pas à la question. Vous m'intriguez ?
- Je ne voulais point.
- Maintenant c'est fait.
- Je suis confus.
- Ne vous en faites pas, je m'en remettrai. Bonne chasse !
Notre chasseur de mystères parcourt la rue dans tous les sens, ce qui est
assez aisé et vite fait, vu la longueur de la rue et sa largeur. La rue des trois clés, ce
n'est pas les Champs Elysées ou la rue de Vaugirard. Nous sommes en province
tout de même, sachons rester modestes. Par contre, je dis bien par contre, ce n'est
pas parce qu'une rue est petite qu'elle est insignifiante. Qu'elle ne cache pas de
secrets dignes d'attirer l'attention des historiens, des archéologues, voire même des
volcanologues ou des anthropologues ou des podologues ou des proctologues. Nous
voici donc, depuis peu, au coeur d'un des plus grands mystères qui soit !
Et notre chasseur sort de la poche intérieure de son manteau de pure laine
vierge (nous sommes en hiver), un parchemin, une vieille peau de Vélin, avec une
carte alambiquée à souhait, genre carte au trésor. Difficile de reconnaître
précisément les lieux après six cents ans passés dans un pot en grès enterré dans le
jardin de la propriété de la fosse Belaude. On y voit bel et bien trois clés disposées
en trois endroits différents, dans un rayon de cent quatre vingt quatorze pieds six
63
pouces de l'endroit où il se trouve précisément, à ce moment précis, sçavoir 09 h 17
a.m. Il se trouve donc à l'épicentre du cercle de grès qui casse bien. Passe un
quidam (pas une dame), en bicyclette (il a plus de six ans, sans cela il aurait une
tricyclette, ou davantage). Il voit notre chasseur avec sa belle peau de vélin de
qualité supérieure.
- Vous en avez une belle peau !
- Oui lavée chaque matin avec un savon dermatologique surgras.
- Je ne parle pas de cette peau-là.
- Excusez-moi ! J'ai cru, un instant, que j'avais attiré l'attention.
- Désolé. Je parlais de l'autre peau, de la peau en Vélin d'Angoulême que vous tenez
dans votre main dextre.
- Parce que c'est du Vélin d'Angoulême, et pas d'ailleurs ?
- Exactement, du Vélin d'Angoulême !
- Et comment savez-vous cela ?
- Je suis d'Angoulême.
- Cela me semble une raison valable et suffisante.
- Et je suis expert en peaux.
- En peaux de vaches
- Vous connaissez ma femme ?
- Non, c'est pour faire avancer le débat.
- Le Vélin, monsieur, le vrai, c'est de la peau de veau mort-né et point autre chose.
Notre chasseur montre donc la peau à notre quidam vélocipédiste.
- Magnifique !
- Je l'ai trouvée hier.
- Où cela ?
- Dans un jardin.
- Quel jardin ?
- Vous en posez des questions.
- Qui ne pose pas de questions n'aura jamais de réponses.
- Effectivement.
- Alors, dans quel jardin ?
- Dans le jardin de la propriété de la fosse Belaude, à Saint Jean de Braye. Elle était
dans un pot de grès.
- De quelle couleur, le pot ?
- Cela importe
- Cela précise
- Vert
- Vert, j'entends bien, mais quel vert ?
- Vert foncé
- XVIe siècle, fabriqué à Montbarrois, entre Boiscommun et Beaune la Rolande.
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- Fichtre, quelle science ?
- Mon père, mon grand-père et mon arrière grand-père étaient potiers de terre.
- Je comprends mieux
- Vous avez vu ?
- J'ai vu ! J'ai vu quoi ?
- Les clés ?
- Oui !
- Vous avez remarqué ?
- Que devrai-je avoir remarqué ?
- Le dessin des clés, leur forme.
- Je n'y ai pas attaché d'importance au prime abord.
- Vous auriez dû
- Et cela signifie
- Qu'il faut les superposer
- Il faut donc découper
- N'y pensez même pas une seconde
- Comment faire ?
- Les dessiner méticuleusement
- Je ne sais pas dessiner
- Moi, je sais
- Installons-nous
- Allons chez moi, en tout bien tout honneur. Nous boirons un bon café, fait par ma
grand-mère.
- Ah, si grand-mère sait faire un bon café ! Vous habitez loin ?
- A deux pas
- Dans cette rue ?
- Précisément.
- Où ?
- La maison avec les clés.
- Je vois. Cela me laisse perplexe, inquiet même. Vous savez tellement de choses
que j'ignore.
- Sachez que vous n'êtes pas arrivés ici par hasard
- J'angoisse
- Vous êtes l'élu, Vous avez été choisi. Vous avez été guidé.
- Par qui ? Par quoi ?
- Par nous, qui depuis ce matin, veillons à ce que vous ne vous perdiez pas et par le
pot et la peau. Pour venir ici, vous avez emprunté la rue de la fosse Belaude, la rue
Edouard Branly, la rue de charbonnière, la rue du pot vert, la rue de Vomimbert,
l'avenue du Général Leclerc, l'avenue Pierre Mendès France, l'avenue Pierre et
Marie Curie, la rue de Roche. Vous avez rencontré trois personnes, un penseur aux
rondins, un promeneur solitaire et son chien et moi-même. Nous savons tout de
vous, depuis le jour de votre naissance jusqu'à aujourd'hui.
- Je suis sidéré
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- C'est normal, la première fois
- Quelle première fois ?
- Celle de l'initiation
- Je suis initié maintenant
- C'est le début, c'est même un bon début
- Et après ?
- Demain est un autre jour. Nous verrons...
Par Jack Foucher – 2e version
S'il est une vérité qui ne saurait être mise en doute par quelque personne que
ce soit, sur cette planète et sur celle de MITRA 455, c'est qu'Ali Baba, Ali tout court
pour les intimes, a vécu à Saint Jean de Braye la plus grand partie de sa vie et non
pas dans la lointaine Arabie des Mille et une nuits. Sa vraie vie, il l'a passée dans un
quartier de l'est abraysien où l'on cultivait la vigne. Et là, il avait fait construire de
superbes caves voûtées dont s'est inspirée la maison Brouard pour faire les siennes
à la Pointe Saint Loup.
Ces caves se trouvaient non loin de la ligne de chemin de fer qui l'amena un
soir d'hiver, en provenance de Damas, à Saint Jean de Braye, par l'Orient Express
où il croisa Hercule Poirot. C'est là que la petite histoire rejoint la grande. Ali est bien
né à Damas, au temps des califes abbassydes. Et il y a vécu jusqu'au jour funeste où
il a été contraint de fuir son pays pour cause de consommation abusive de liqueur de
Bacchus. Son destin de vigneron était tout tracé. Les caves d'Ali (et non pas d'Aldi),
étaient sises et incises rue de Roche pour l'entrée principale, à dix mètres à peine de
la voie ferrée, à cent cinquante mètres de la gare de Saint Jean de Braye, qui, à
l'époque, s'étendait sur deux cent hectares. Des convois formidables y apportaient
les vins du monde entier.
L'entrée de ces caves était fermée par un énorme rocher, énorme n'est pas
encore assez énorme pour décrire l'énormité de ce rocher. Pour accéder aux caves,
Ali avait fait fabriquer un jeu de clés, au nombre de trois, dont le moule avait été
inventé à Troyes par les compagnons du Tour de France du Devoir, des
compagnons serruriers, des devoirants, enfants de Maître Jacques. C'est dire si
c'était de la belle ouvrage et du costaud de chez costaud.
Ces trois clés étaient imposantes, très lourdes et leur emploi nécessitait de
recourir à un appareillage fort compliqué et fort coûteux. Elles reposaient sur un
chariot à 20 roues jumelées, tiré par 12 paires de bœufs du Charolais élevés à Paris
dans l'enceinte de la gare du PLM. Donc, pour pénétrer dans les caves d'Ali, chacun
l'aura compris, il fallait bien sûr prononcer la formule magique : "Sésame, ouvre-toi".
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Mais cette formule n'était qu'une formule. C'était un artifice, de la poudre aux yeux.
On ne pouvait la prononcer qu'après avoir réussi à introduire chaque clé dans l'orifice
qui lui était assigné. Elles étaient quasiment identiques. Il fallait donc être expert et
assermenté à la confrérie des serruriers-sorciers (ou l'inverse), pour mettre chacune
d'elle là où il fallait. De temps en temps, au gré de ses escapades, Gargantua venait
prêter main forte à Ali.
Une fois la formule magique prononcée, il fallait retirer les trois clés avec la
plus grande minutie et la plus grande prudence. Il n'y avait pas de place pour la
moindre improvisation. Il fallait les faire reposer sur le chariot après les avoir fait
tremper dans un savant mélange de vinaigre d'Orléans et de miel du Gâtinais, ce,
afin de les rafraîchir car l'ouverture de la porte-rocher ou du rocher-porte, c'est selon,
entraînait une dépense d'énergie phénoménale, l'équivalent d'une bombe atomique
de type A. Notre "sésame, ouvre-toi" agissait comme catalyseur d'une opération
chimique dont la formule, si elle devait être un jour retrouvée, laisserait pantois et
rêveur le meilleur des Prix Nobel de la catégorie "chimistes professionnels SGDG".
Une fois franchi le seuil, il fallait emprunter un long, très long tunnel obscur et
piégeux. Seul, Ali en connaissait l'itinéraire, au micron près. Il faut que je vous dise
que son expérience de goûteur en aveugle du Grand vizir Iznogoud lui avait été
profitable. Parvenus à l'extrémité du tunnel, il fallait redoubler de vigilance pour
mettre un pied, puis deux, au premier sous-sol. Lequel sous-sol était empli de
foudres éclairés d'une lumière blafarde, provenant de bougies d'anniversaire au
nombre de cinquante six mille deux cent trente quatre, exactement, pas une de plus,
pas une de moins. Dans ce premier sous-sol, Ali entreposait les vins de Loire, légers,
à l'exception des vins rouges d'Anjou, fort astringents, comme leurs cousins du
Bordelais.
Continuons notre visite commentée en léger différé par Léon Zitrone et Mireille
Darc (la lointaine cousine de Jeanne). Il vous faut pour cela prêter une oreille
attentive qu'on ne vous rendra peut-être pas à la sortie. Nous entrons maintenant au
second sous-sol. Nous avons laissé la première clé sur la première porte. Si nous ne
l'avions pas fait, nous n'aurions pu continuer d'avancer. Dans ce second sous-sol,
Ali, notre bon Ali et toujours pas notre bon Aldi, entreposait les vins de Bordeaux et
de Bourgogne, rouges et blancs. Cette précieuse marchandise était gardée par vingt
des très célèbres et pitoyables voleurs qu'Ali avait mis aux fers après leur dernier
exploit qui avait consisté, ni plus ni moins, à saboter la construction des pièces de vin
destinées à recevoir le précieux liquide et ce à la grande scierie de Sennely, un soir
de pleine lune.
Pour atteindre le troisième et dernier sous-sol, il fallait de même et incontinent
(choisissez celui que vous voulez) laisser la seconde clé sur la seconde porte, à
peine d'enfermement définitif, un aller simple pour une mise en pierres. Dans ce
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troisième sous-sol, Ali y avait déposé son trésor personnel fait non pas d'espèces
sonnantes et trébuchantes, mais de bouteilles de vin jaune du Jura, de vin de paille
du même endroit, de vins d'Alsace et d'Anjou liquoreux, obtenus au prix d'une récolte
planifiée à long terme. Les grains sont cueillis un par un, en plusieurs fois. Ils sont
recouverts de botrytis blanc ou pourriture noble, ce qui en fait des vins d'exception. Il
y avait aussi des vins de Champagne millésimés. Pour ces derniers, les vingt autres
voleurs étaient chargés de tourner les bouteilles d'un huitième de tour chaque jour et
de toutes les autres opérations afférentes à la culture du liquide pétillant. Ils
travaillaient jour et nuit et n'avaient pas de RTT. Mais ils avaient le parfum de
l'ivresse !
Que sont devenues les caves d'Ali ? Elles existeraient toujours, selon des
sources bien informées. Mais il y a un hic ! On y accéderait via le coffre relais PTT
qui se trouve à l'entrée de la rue des Trois clés avec le passe PTT, bien sûr. Mais
cela ne suffit pas. Il faut prononcer une formule incantatoire, second hic ! Seul, je dis
bien seul, un vieux postier blanchi sous le harnois, et amnésique de surcroît, la
connaît. Il la détient dans le tréfonds de sa mémoire aujourd'hui disparue et si,
jamais, vous souhaitez la récupérer, je peux vous garantir que ce ne sera pas de la
tarte.
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Rue des Trois Clés
Par Christophe Huguet
En arrivant au rond-point qui finissait l'impasse au bout de la rue des Trois-Clefs,
Gérard se fit la réflexion en riant intérieurement que cette rue avait une forme de clef.
A son début, là où elle rencontrait perpendiculairement la rue du Clos de la
Herse, la rue des Trois-Clefs formait comme des dents. En effet, les groupes de
maisons accolées de part et d'autre étaient construites de biais et les trottoirs y
zigzaguaient, troués ici et là de quelques platanes. Quelques centaines de mètres
plus loin, les pavillons s'alignaient enfin et menaient en quelques centaines de
mètres supplémentaires à une placette ronde sans issue autour de laquelle les
voitures pouvaient circuler.
Gérard se plaça en son centre et regarda les façades en tournant sur lui-même.
La place était vide et sombre en cette soirée de novembre. De la lumière filtrait des
fenêtres de la moitié des maisons. En faisant un second tour, il pointa du doigt
certains édifices.
- Le 12, dit-il tout haut.
- Le 15, ajouta-t-il après s'être tourné un peu.
- Et le 21, termina-t-il comme s'il récitait une leçon apprise de longue date. Une
sorte de rituel.
- D'abord le 12. Il fit volte-face et s'avança vers le portillon où s'affichait le
numéro 12.
Il y avait de la lumière et sans doute des habitants au 12 rue des Trois-Clefs.
Mais cela ne sembla pas inquiéter Gérard. Il sortit de la poche intérieure droite de la
veste de son complet gris une clef métallique, assez quelconque. Il la regarda sous
toutes les coutures, cherchant un indice ou un défaut.
En lui confiant la clef, Loïc lui avait demandé d'acheter quelques accessoires
saugrenus. Il ouvrit donc sa mallette de comptable et en sortit un tuba, un masque,
des palmes et une torche. Il s'équipa avec tout le sérieux nécessaire mais en
ronchonnant.
Il jeta un coup d'oeil autour de lui. Personne. Bon. Avec l'allure d'un pingouin, il
s'approcha du portillon surmonté d'une arche en briques rouges. Il introduisit la clef
dans la serrure. La tourna.
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La place sombre disparut d'un coup et une masse d'eau froide s'abattit sur
Gérard. Elle s'infiltra dans son masque et son tuba. L'aveuglant et l'asphyxiant.
- Oh, grand benêt ! Enlève ton déguisement ridicule, l'apostropha une voix de
femme.
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Rue des Trois Clés
Par Harry L
Georges lui prit la main et l’incita à le suivre. Avec l’autre main, il tâta sa poche
pour vérifier qu’elle contenait toujours son trésor. Ludivine se laissa entraîner par son
guide. Ils parcoururent ensemble un méandre de venelles longeant les murs de
pierre de nombreuses bâtisses d’où émergeaient par endroit les plantes multicolores.
A leurs pieds, les herbes folles leur chatouillaient les mollets et les ronces
s’accrochaient à leurs vêtements, ralentissant leur progression. Puis Georges se
figea et désigna une pancarte à l’entrée d’une ruelle, la rue des Trois Clés.
« - C’est là » dit-il. Il s’avança doucement, toujours en tenant Ludivine par la main,
puis s’agenouilla, et Ludivine fit de même. Par terre, devant lui, on distinguait
nettement, dans une dalle plate de calcaire, une empreinte en creux. Georges sortit
une clé faite de la même matière que la dalle et la présenta dans le creux. Elle
s’emboîtait parfaitement. Il y eut un petit déclic et la dalle s’enfonça dans le sol. De la
terre monta un grondement sourd. Un monticule de terre s’élevait maintenant devant
eux progressivement. Ludivine n’était pas rassurée, mais Georges lui parla tout bas
et l’apaisa : « Tout va bien ».
Lorsque tout redevint silencieux, un escalier en pierre était apparu devant
eux, qui s’élevait vers le ciel. Ils le gravirent prudemment. Puis, alors qu’ils avaient
escaladé une dizaine de marches, une porte se présenta. Loin d’être décontenancé
par cet obstacle, Georges saisit une autre clé, métallique cette fois. Il l’introduisit
dans une serrure de la porte et la tourna. Il donna ensuite à Ludivine la troisième clé
qu’il possédait et lui fit signe de l’introduire à son tour dans la seconde serrure que
comportait la porte. Ils se regardèrent, Georges encourageant Ludivine du regard et,
de concert, pesèrent de tout leur poids sur le battant. La porte pivota. Leur première
sensation fut une odeur suave, mais agréable. Leur regard pouvait porter très loin,
mais ils ne pouvaient pas distinguer clairement les contours des formes qu’ils
devinaient au loin. Au sol, une brume dense et cotonneuse était suffisamment
compacte pour que l’on puisse marcher dessus tel un tapis, s’étendait à perte de
vue.
A droite et à gauche, des colonnes lumineuses éclairaient les abords. Ils
remarquaient que certains endroits de ce tapis étaient éclairés et délimitaient des
allées. « - Viens », lui dit Georges, « je vais te montrer où je viens habituellement
me reposer. C’est ici mon havre de paix ». Ludivine perçut une mélodie subtile de
carillons qui l’attirait. Ils prirent à droite et les couleurs qu’ils rencontraient dans ce
paysage diaphane étaient très apaisantes. Melocoton, tel était le nom de cet endroit,
était rassurant. Leur marche sur le tapis ne produisait aucun son. Ludivine se baissa
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pour effleurer ce tapis. Il était merveilleusement doux au toucher. Elle se voyait rester
là longtemps. Bien qu’aucune activité particulière ne soit perceptible, elle ne
s’ennuyait pas. Elle semblait flotter dans l’air. Georges était radieux. Ils se sourirent
et elle le suivit à nouveau à la découverte de son monde.
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Par Chantal Leraître
Gribouille n’est plus là…. Elle n’est pas arrivée quand j’ai servi le plateau des
chats. Elle a fugué ! C’est la première fois et je suis inquiète de la savoir dans cette
ville que nous ne connaissons ni l’une ni l’autre. Je renfile ma veste et descends,
bien décidée à la retrouver. Mais par où commencer ? Sans grande conviction, je me
dirige vers le centre-ville, par une rue peu fréquentée, à cette heure.
Si j’étais chatoune cette venelle à gauche m’intéresserait sans doute… Je m’y
engage et un parfum de fleurs m’y agresse presque… Curieux, dans ce coin où tout
le monde fleurit son jardin, ces exhalaisons soudain franchement excessives ? Les
hauts murs qui bordent le passage ne me permettent pas de préciser quels massifs
sont responsables de ces effluves. Ma petite curieuse aurait-elle pénétré dans l’un
de ces mystérieux domaines ?
Mes pas me mènent loin dans cette ruelle qui me semble interminable….
Soudain, deux petites portes se font face, de chaque côté. Entrées de services de
deux propriétés ? Au-dessus de celle de gauche, quelque peu vermoulue, un fronton
sculpté, inattendu à cet endroit et puis ma Gribichette qui me regarde, hiératique,
façon chat égyptien.
- Te voilà toi, lui dis-je, rassurée et surprise. Eh bien, tu as raté le dîner !
Pas franchement étonnée de me voir, elle ronronne, minaude, et d’un petit
coup de patte adroit, fait tomber, à mes pieds, une vieille clé, sans doute là dans
l‘attente d’une utilisation qui n’est assurément pas la mienne. J’hésite, compare la
serrure et ma trouvaille…. Après tout, si je jette un coup d’œil pour repérer quelles
fleurs ont cet arôme si entêtant, personne n’en sera lésé…. Je dois être rouge de
confusion quand la porte s’ouvre sans effort.
Ma Douce est déjà dans la propriété. Elle avance, décidée et tranquille, dans
une allée. Autour d’elle s’étend un jardin merveilleusement entretenu et touffu où
plantes, fleurs, arbres et objets d’ornement rivalisent de charme, de fraîcheur et
ravissent les oiseaux chanteurs.
- Gribouille ! Veux-tu venir ? Nous ne sommes pas chez nous !
- Détrompez-vous, Madame ! Elle est chez elle ! Et vous aussi ! Ne restez pas à
l’entrée ! Venez !
Un vieux monsieur avenant, au visage buriné et rieur s’avance vers mon
effrontée qui se frotte contre sa jambe, comme s’il s’agissait d’un ami.
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- Pardonnez-nous, Monsieur…. En fait, rien ne peut excuser notre intrusion… Je suis
confuse !
- Qui a trouvé la clé qui ouvre la petite porte ? demande, moqueur, le jardinier de cet
univers magique.
- C’est elle !…. Mais j’aurai dû refuser de la suivre.
- Pas du tout ! Nous sommes amis. Elle est déjà venue plusieurs fois et m’avait
prévenu qu’elle tenterait de vous amener ici. Je crois savoir que vous habitez un
appartement, en ville et que votre vie manque un peu de fantaisie….. La clé vous
attendait. D’ailleurs, à sa demande expresse, j’en tiens deux autres à votre
disposition. Tenez ! Voici la clé d’UT et la clé de FA. Suivez votre petite chatte. C’est
un excellent guide. Vous repasserez me voir après….
Et ma Ronronneuse de m’entraîner dans son sillage, vers une haie d’épais
arbustes dans laquelle est noyée une ouverture discrète, par laquelle nous entrons.
FA est un lieu clos, de verdure, que je n’aurai jamais pu imaginer. Sur un tapis
d’herbe, soigneusement entretenue, de FAbuleux œufs de pierre durs semblent
avoir été pondus au hasard. Ils sont énormes, de toutes les couleurs et auraient fait
rêver FAbergé et tous les tsars. Une pierre ovoïde retient tout particulièrement mon
attention. C’est le plus gros et le plus FAscinant des lapis-lazuli ! Celui que cherchent
désespérément les adorateurs de la pierre bleue, peut-être…. Cette seule idée me
fait frissonner. Suivant ma Minouchette, je sors et referme soigneusement cette
étonnante joaillerie, à ciel ouvert.
Par une allée de tilleuls, Gribouillette m’entraîne jusqu’à un petit pavillon, UT,
auquel mon dernier sésame me donne accès. Imaginez ma surprise quand je
pénètre dans une vaste et unique pièce blanche, à l’éclairage très sophistiqué,
habitée par des femmes, brunes, blondes, rousses, toutes figées dans une jeunesse
et une élégance éternelles. Un monde de l’UTopie, Une forêt de mannequins de
résine, si réalistes qu’on croirait voir bouger leurs visages et leurs corps parfaits.
Elles sont vêtues de modèles superbes et intemporels de grands faiseurs. C’est un
petit musée de la mode, de la sensualité et du temps qui passe, sans trouver prise,
qui aurait pu inspirer quelques toiles à UTamaro, s’il avait été sensible à la beauté
occidentale…..ou Klimt, peut-être. Je quitte cet étrange sanctuaire sur la pointe des
pieds, un rien mal à l’aise, toujours précédée de ma féline escorte. Je n’ai plus qu’à
remercier le propriétaire ou le jardinier des lieux et à lui rendre les clés. Il est là où nous
l’avions laissé.
- Alors qu’en pensez-vous ? Interroge-t-il.
Puis-je, sans le vexer, lui avouer que je suis plus sensible au charme de ses
plantations qu’à toutes les riches merveilles qu’il a patiemment mises en scène ?
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- Votre jardin est un enchantement…. Gribouille a bien fait de m’y amener. Des
bribes de poème s’échappent de ma mémoire et de ma bouche : « La nature est un
temple où de vivants piliers…. »…. « L’homme y passe à travers des forêts de
symboles… »… « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent,… »
- Ah oui ! Les correspondances baudelairiennes… murmure l’homme. C’est normal,
ajoute-t-il, vous y êtes entrée avec la clé de SOL….
- Clé de SOL, de FA, d’UT : vous écrivez une mélodie complexe !!! Ceci étant, dans
cette partie de la propriété, votre travail est magnifié par le SOLeil. Celui-ci, associé à
la lumière SOLidaire, habille le plus petit objet, le moindre brin d’herbe, le plus simple
élément vivant de teintes miroitantes et de nuances infinies. Le SOLeil est sans doute
le plus inspiré et le plus subtil des coloristes.
Je prends congé, remercie et accepte la carte que me tend mon interlocuteur,
en me suggérant de l’appeler si l’envie me prend de revenir. La fugueuse dans les
bras, je rentre, en me demandant comment elle a pu s’échapper à plusieurs reprises,
sans que je m’en sois aperçue, quand j’entends : « Il y a du jasmin, des fleurs
d’acacia et du chèvrefeuille, dans la propriété d’en face. C’est un bouquet de parfums
entêtant et moins subtil que celui de l’Eden d’où nous venons. »
- C’est très vrai, ce que tu dis là….
Je réalise soudain que j’ai dû perdre la tête, dans cet univers de beautés si
diverses… Je viens d’entendre mon chat résoudre, verbalement et dans ma langue,
l’énigme qui me revenait à l’esprit, alors que les fragrances florales trop vives
assaillaient de nouveau mes narines !
Et je lui ai répondu…
75
Rue des Trois Clés
Par Rose Michel
Ma famille a toujours eu pour vocation de préserver la paix et l’environnement
partout sur la planète. Chaque génération, depuis des siècles, y a consacré son
énergie, son argent, sa vie. On y a compté de nombreuses personnalités d’influence
et de pouvoir, ainsi que les plus brillants esprits scientifiques et littéraires.
L’honnêteté et surtout le désir constant de ma famille d’oeuvrer pour le bien de
l’humanité, d’améliorer le sort des plus pauvres ne lui attiraient que reconnaissance
de la part de tous dans le monde. Tout au plus se demandait-on comment une seule
famille pouvait engendrer depuis si longtemps tant de génies car il ne se passait pas
une génération sans que l’un de ses membres ne fasse faire au savoir humain un
bond très important. Ma famille avait un secret, un secret bien gardé depuis
longtemps et ce secret était celui des trois clefs.
Je savais qu’elles se trouvaient dans un coffre-fort caché au plus profond des
souterrains de notre château. Je ne les avais jamais vues. Seuls quelques adultes
pouvaient s’en approcher.
Dans la grande salle du château trônait une si grande cheminée que l’on
pouvait y embrocher, en même temps, trois cochons entiers. Une pièce secrète était
dissimulée derrière le fond de la cheminée. Dans cette pièce, plantée au milieu du
plancher, une porte en bois très ordinaire. Ce jour-là, ma famille et moi-même étions
réunis autour de la porte. Il se dégageait de celle-ci une impression d’extrême
vieillesse et d’inquiétante étrangeté. Seule la présence de ma famille me rassurait.
Les trois clefs étaient posées sur une petite table. L’une était faite d’un or très
fin orné de pierreries. Une autre avait été coulée dans un métal aux reflets
changeants et la troisième était d’un noir profond. Grand-père me dit avec solennité:
- « Aujourd’hui, nous sommes réunis ici, autour de toi, Rose, car tu viens de fêter tes
quinze ans. Tu sais que, comme tous les membres de la famille avant toi, tu vas
pouvoir ouvrir la porte et découvrir son secret. Nous ne savons rien de cette porte ni
de ceux qui l’ont mise là. Nous savons seulement qu’un jour, il y a fort longtemps,
elle est apparue dans cette pièce et qu’aucune force n’a pu la déloger de son
emplacement. A ses cotés se trouvaient les trois clefs et un bloc de granit sur lequel
était gravé cette phrase: « voici les trois clefs de l’avenir de l’humanité, faites-en bon
usage ». Depuis, notre famille en est devenue la gardienne et son existence a
toujours été tenue secrète. Nous avons acquis un savoir immense au-delà de cette
porte et nous nous en servons pour faire progresser l’humanité. Ce que tu vas
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découvrir va bouleverser ta vie à jamais, mais sache que tous les membres de la
famille se sont consacrés avec passion à la mission qui leur était impartie. »
Je jurais que je ne trahirais jamais le secret des trois clefs et grand-père me
tendit la clef d’or. Quand je l’introduisis dans la serrure, la porte scintilla et s’ouvrit
sur un paysage enchanteur. Une douce lumière dorée nimbait des collines
verdoyantes où s’ébattaient quelques chevaux. L’herbe tendre ondulait sous une
brise odorante. Des oiseaux aux coloris vifs chantaient sur les branches d’arbres
chargés de fruits appétissants. Au-loin, les tours transparentes d’une cité étincelaient
au soleil et s’élevaient jusqu’aux nuages. Des dirigeables, des planeurs se
déplaçaient sans bruit dans le ciel. Il se dégageait de ce monde une impression de
légèreté et de sérénité qui emplit mon coeur de bonheur. Le paradis était devant moi.
La clef de métal ouvrit la porte sur un monde d’acier et de béton, sans arbres,
sans herbe verte, sans oiseaux. Des bulles transparentes flottaient au-dessus d’une
ville abandonnée aux robots et aux machines. Dans chaque bulle dormait un être
humain bardé de fils et de câbles. Je sus plus tard que ces bulles étaient des
machines à régénérer le corps, le psychisme et le moral et que les humains en
étaient devenus si dépendants qu’ils n’en sortaient plus. Les hommes vivaient
solitaires dans un bonheur artificiel. Il se dégageait de ce monde une tristesse qui me
glaça les os.
J’avoue que c’est avec hésitation que j’introduisis la clef noire dans la serrure.
La porte s’ouvrit avec difficulté dans un grincement sinistre. Une vision d’horreur
s’offrit à moi. Des humains hagards, crasseux, squelettiques erraient dans les ruines
d’une ville dévastée. Des nuages verdâtres accrochés à un ciel rougeoyant,
déversaient sur la terre sèche, une pluie noire. Des carcasses de voitures rouillées,
des cadavres de chars d’assaut, des avions démantibulés encombraient des rues
défoncées. Pas de végétation, pas d’animaux, pas d’enfants. Je tremblais de tous
mes membres devant ce spectacle cauchemardesque mais le comble de l’horreur fut
atteint lorsque je vis un homme s’élancer sur un autre gisant à terre, lui fracasser le
crâne puis mordre dans sa chair, en poussant un cri rauque. Une immense nausée
me traversa le corps et je reculai précipitamment, tombant à la renverse sous les
regards graves des membres de ma famille.
Je connaissais le secret des trois clefs.
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Rue des Trois Clés
Par Christiane Noisette
Chaque année, à Saint-Jean de Braye, le 25 novembre, une énorme loterie
est organisée. Loterie on ne peut moins bizarre et strictement réservée à toutes
celles qui fêtent sainte Catherine. Il n’y est pas question de lot vertigineux mais plutôt
d’une loterie du bizarre. On peut y gagner une paire de bottes Drag-queen, un
chapeau de Merlin, un ticket-repas chez Mac Danold. L’étrange liste est chaque
année plus surprenante. Le soir venu, après tirage des numéros gagnants, vous
vous présentez, armé de votre titre et tournez la roue. Moi, Eurasthénie Lafoi, j’avais
un rêve. Je dirais même mieux, une obsession.
A l’appel du numéro 64, je me précipitai vers l’estrade. Le lot que je convoitais
tant n’avait pas encore été attribué. De toute ma force je tournai l’énorme roue sur
laquelle étaient dessinés tous les lots. Après plusieurs tours l’engrenage ralentit. Ce
que je désirais tant était à ma portée.
- Bravo Eurasthénie. Vous venez de gagner la clef des Trois Clefs.
Je remerciai, comme il se doit, les sponsors – Tuluscru, Eau de Javal et
Croûton de pain. Je serrai quelques mains et brandis devant les caméras l’énorme
clef. Mme Dufour, mon ancienne institutrice, me prévint.
- Attention à toi Eurasthénie. Moi aussi je l’ai gagnée un jour cette clef. Depuis…
Je ne lui laissai pas le temps de m’en dire plus. J’appelai mon ami Judéon et
fixai pour le soir même rendez-vous à 21 h sur la première marche de l’escalier
menant à la rue si bien nommée : la rue des Trois Clefs. Rares étaient les habitants
dans cette rue. On ne savait pas pourquoi, mais elle était devenue la rue des rendezvous de la jeunesse errante.
A la question qu’il m’avait posée quelques instants auparavant, je n’avais pu
lui répondre ne sachant pas du tout ce qu’il y avait derrière cette lourde porte en
chêne montée sur des gonds gros comme mes poings.
A 21 h pile, j’introduisis la clef, sous le regard effrayé de Judéon. L’énorme
porte se referma d’un coup sec dès notre passage. En face de nous, une autre porte.
Une fois la clef retirée, un couloir parsemé de portes roses et de torches allumées.
Sur chaque porte, une empreinte de main. J’en choisis une et y positionnais ma
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main. La porte s’ouvrit à notre plus grande surprise. A l'intérieur, une femme attachée
par une ceinture que je crus reconnaître, comme étant une ceinture de chasteté. Sur
son visage, un sac de toile l’empêchait de voir.
- Est-ce toi mon vaillant époux ? As-tu fini ta journée de travail ? Viens-tu enfin me
délivrer afin que, sans tentation aucune, je puisse regagner nos pénates et mettre en
cuisson ton repas ?
Judéon éclata de rire.
- Non gente dame je ne suis pas votre vaillant époux. Je ne suis qu’un jeunot qui ne
pense pas encore à prendre en noces demoiselle libre.
J’attirai Judéon hors de cette cellule dont nous refermâmes violemment la
porte. Je posai ma main sur une autre porte. Rien. Judéon essaya. La porte s’ouvrit
sur une autre donzelle attachée et cagoulée, mais allongée sur une paillasse.
- Je te promets, oh, mon tendre mari, de ne jamais plus t’offenser, en offrant mon
corps à un autre que toi ! Tu es mien et désormais, je serai tienne pour la vie ! Plus
soumise que moi tu ne pourras trouver ! Libère-moi de ses jougs qui me font souffrir !
Nous claquâmes une fois de plus la porte. Etant de loin une fervente
défenseuse de la liberté féminine, imaginez ma colère en entendant ses femmes, il
est vrai d’un autre temps, demander pitié à l’homme qu’on leur avait imposé. Homme
qui lui avait tous les droits. Mais bon ! Judéon connaît par coeur mon laïus de
féministe réac. Plus aucune porte ne voulut s’abandonner à notre main.
Au fond du couloir, un panneau en bois blanc. Je sortis la clef de ma poche.
Elle me sembla plus légère. En regardant de plus près, un morceau avait disparu. Je
la glissai quand même sans problème dans la serrure. A peine la porte entr'ouverte,
nos oreilles furent attaquées par des braillements-hurlements. Nos yeux firent mille
tours dans leurs orbites. Devant nous s’étalaient en nombres indéfinissables des
scalpels, des seringues, des micro-ciseaux pour capsulotomie ou irédectomie, des
pinces à dissection, des scies aux dents acérées, des litres d’alcool à 90° et d’autres
instruments dont le nom nous était inconnu. En entrant un peu plus dans la pièce aux
lumières immaculées, l’horreur. Un bébé, oui vous avez bien lu, un bébé allongé sur
une minuscule table d’opération subissait, comme à l’époque de Gilles de Rais, une
éviscération. Un homme en blouse blanche tachée de rouge hurla à son assistant de
bien vouloir noter :
- 3, 75m à deux mois. Rappelez-moi, Jekyll, les chiffres d’un intestin pour un bébé de
six mois.
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Nous n’entendîmes pas la réponse car d’autres cris attirèrent notre attention.
Un bébé sur une autre table était ferraillé aux quatre membres par des chaînes de
torsion. La blouse blanche nous tournait le dos, mais donnait aussi des instructions à
son faire-valoir :
- Elasticité maximum de 17cm pour un an. Ce qui donnera, si mes calculs sont
exacts, des membres supérieurs de 43, 2cm et des membres inférieurs de 76, 9cm à
l’âge adulte. Dixième essai correspondant à mes calculs. Je n’en reviens pas moimême de ce succès sans conteste. Un jour, j’en suis certain, on reconnaîtra mon
génie. Demain soyez en forme, on attaque les lobotomies. Rien n’arrête le progrès
n’est-ce pas ?
Toutes les équipes rirent à cette blague que nous trouvions de très mauvais
goût. Du goût nous, dans la bouche, n’avions que celui de nos hauts le coeur. Un tas
de vomis frais, à côté de plus anciens, légitimait notre présence. Des éclats d’os
parsemaient le tunnel qui partait vers la gauche. Fallait-il les suivre ou prendre à
droite l’escalier de pierres ? Quelle épreuve nous attendait ? Que pouvait-il y avoir de
plus sordide que ce que nous venions de voir ?
La clef avait encore diminué. Ne voulant pas tenter le diable, nous primes
l’escalier en faisant attention de ne pas glisser sur les pierres mousseuses. De loin
nous parvenait un clapotis. Mais plus nous nous rapprochions plus le bruit semblait
s’éloigner. Brusquement il n’y eut plus de marche, mais une porte bleue. Il fallait se
pencher presque à l’horizontal pour la toucher. Cruel dilemme. L’ouvrir au risque de
tomber et découvrir pire que l’inimaginable ou rebrousser chemin et emprunter la
voie de gauche. Décision fut prise de risquer le morceau de clef. Soudain, comme
sorti de nulle part, un homme surgit.
- Oh, excusez-moi ! Je pensais que c’était M. Landru. Vous ne l’auriez pas vu ? J’ai
besoin de savoir combien de corps il m’apporte aujourd’hui. Mais je vois que je fais
erreur. Qui êtes-vous ? Que faites-vous là jeunes étourdis ? Une promenade en
amoureux ? Le lieu est assez mal choisi. N’y a-t-il pas endroits plus plaisants à la
surface ? Mais si votre but est d’en finir, vous pouvez emprunter une de mes
barques.
J’attrapai Judéon par la manche et nous remontâmes quatre à quatre
l’escalier. Dans ma poche, il ne restait de la clef que l’anneau. Comment faire pour
sortir ?
Aujourd’hui, jour de sainte Catherine vous venez d’avoir un aperçu de ce que
à quoi vous échappez. Si vous étiez venu le jour de la saint Amour, vous n’auriez
pas hésité à vous passer la bague au doigt. En revanche, et c’est un conseil que je
vous donne, ne venez jamais le jour des morts. C’est horrible. Aucun vivant n’en
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ressort. Ah ! Ah ! Ah ! Nous eûmes beau regardé à droite et à gauche, Rien ! Judéon
me serra fort dans ses bras tremblants. La voix d’outre-tombe reprit.
- Fermez les yeux et comptez jusqu’à dix. Ayez confiance. Dans un instant vous
serez dehors.
Au point où nous en étions, nous n’avions plus rien à perdre. Main dans la
main et yeux fermés nous obéîmes aux conseils venus de nulle part. De l’air frais.
Nous étions libres. Rien n’avait changé. Les jeunes déphasés discutaient à la
terrasse du café Rockhard et sirotaient la boisson à la mode – un lait grenadine.
Avant de nous quitter Judéon me dit juste :
- La prochaine fois, choisis le jour de Pâques ou de Noël !!!
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Rue des Trois Clés
Par Régine Paquet
A cette époque, ma famille demeurait depuis des générations rue des Trois
Clés à Saint-Jean de Braye. Or, lors des travaux de restauration du château des
Longues Allées, dans cette même commune, je fis la découverte d’une petite pierre
carrée sur laquelle étaient gravées trois clés identiques, surmontées chacune d’une
initiale S. J. et B. Cela ne laissa pas de m’étonner et je dérobai sans scrupule la dite
pierre. Le soir, je la montrai à mon père qui pâlit et trembla à sa vue. Il m’abandonna,
interloqué, la pierre au creux de la main, et revint, portant lui, dans sa main, un
trousseau de trois clés rouillées. « C’est le signe que j’attendais. Tu es prête » me
dit-il et il m’enjoignit de le suivre sur-le-champ sans poser de questions.
J’obtempérai.
Dans la nuit qui s’épaississait, il m’emmena jusqu’au vieux bourg de la
commune, du côté de la Loire. Nous nous retrouvâmes devant l’ancienne église qu’il
contourna, moi sur ses talons. Il s’arrêta devant une porte dérobée dont j’ignorais
jusqu’alors l’existence. Elle était en bois et portait, sculpté en son centre, un agneau
couché. Au premier tour de clé, la porte nous livra passage. Un passage qui
débouchait sur un escalier en colimaçon, que nous gravîmes avec difficulté. Au
sommet de l’escalier, une petite plate-forme dominait le vide. Je fus prise d’un vertige
que je dominai en sentant la main de mon père agripper mon poignet. « Regarde,
sous tes pieds s’étale la ville de Saint qu’on disait soeur de Rome. » En effet, une
multitude de clochers, de dômes, de croix et de statues s’étendaient sous mes yeux.
Tous en marbre blanc.
L’unique tache de couleur provenait d’une sorte de grand plat circulaire, posé
au centre d’une place carrée et nue. Le fond du plat était rouge et dessus reposait, si
mes yeux ne m’ont pas trompée, la tête coupée d’un homme qui souriait. Une
couronne de fin marbre blanc ceignait son front. Le silence de ces lieux
m’étourdissait. J’allais glisser quand mon père me tira en arrière et m’invita à
nouveau à le suivre. Nous refîmes le chemin de l’aller en sens inverse mais, au lieu
de ressortir sur la place, nous bifurquâmes, au pied des escaliers, pour emprunter un
couloir qui s’élargissait au fil de nos pas. Lorsque nous nous arrêtâmes, nous étions
devant une lourde porte de bois, à double battant comme on en trouvait autrefois à
l’entrée fortifiée des villes. D’ailleurs cette porte était entourée de hauts murs de
pierres crénelés. Mon père prit la deuxième clé du trousseau et, grâce à elle, ouvrit
sans peine l’imposante serrure de fer.
Et nous entrâmes dans la ville de Jean. « Jean ou Jehan ou peut-être
Jehanne, le masculin ayant sans doute, comme souvent, supplanté le féminin dans
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l’usage et l’histoire » me cria mon père. Il criait pour dominer le vacarme ambiant du
lieu. Des cris, des rires, des pleurs, des hurlements et des chansons formaient un
tapis sonore assourdissant. De même, les yeux étaient affolés par la multitude des
gens et des habitations. Ces dernières étaient de toutes sortes, de toutes tailles, de
toutes formes et de toutes couleurs. Cette ville semblait l’oeuvre d’un architecte fou
ou visionnaire, d’un dément ou d’un génie. Quelle imagination ! Quels délires ! Quelle
folie ! Et entre ces bâtiments, plus ou moins droits mais solides, une foule bigarrée
circulait. Au milieu des chemins, des rues, des boulevards et des places, de grands
feux étaient sans cesse alimentés. Certains, après avoir lancé au feu quelque chose
à dévorer, sautaient par dessus celui-ci en riant avec force. Nous tenant fermement
par la main, afin de ne pas être séparés et nous perdre, mon père et moi
traversâmes cette ville contrastée et si vivante.
Le terrain descendait doucement pour atteindre une plage de sable blanc.
Insolite, absurde et solitaire une porte se dressait sur cette plage. Quand nous
l’abordâmes, mon père sortit la troisième et dernière clé. Je n’eus pas le temps de
voir la porte s’ouvrir. Une vague puissante nous souleva et nous déposa au coeur de
Braye. La troisième ville comme me l’indiqua mon père. Celle du bas, celle du fleuve.
Le contraste avec la ville de Jean était saisissant.
La ville était en ruines mais de ces ruines ne se dégageaient nulle tristesse ou
désolation. . L’eau, tel un sculpteur patient, avait lentement érodé les pierres des
édifices, leur donnant des formes étranges et belles. Certaines faisaient penser à
des barques en attente de départ, d’autres à des sirènes, d’autres encore à
d’impossibles architectures aériennes tenant debout avec miracle. L’une; en
particulier, était semblable à une longue épée dont une main fine enserrait la
poignée. J’étais tout à la fois émerveillée et inquiète. Et si tout, soudain, s’effondrait
comme un château de cartes ? Des poissons d’eau douce glissaient
paresseusement entre les pierres, se lovaient dans leur trou puis reprenaient leur
indolent voyage. De longues chevelures d’algues mêlées de fleurs de lys s’inclinaient
au fil du courant. « C’est la ville la plus ancienne, murmura mon père, celle de toutes
les légendes. Elle est la plus indestructible car elle appartient au fleuve. Mais je
tremble pour elle à chaque période de longue sécheresse quand La Loire s’ensable
dangereusement. »
J’aurais voulu parcourir encore cette ville si envoûtante mais mon père saisit
vivement, ensemble, dans son poing fermé, les trois clés. Et nous nous retrouvâmes
dans la rue des Trois Clés devant la grande bâtisse familiale. Dans la main de mon
père, il n’y avait plus qu’une unique clé, minuscule et fragile. Il me la tendit. « Elle est
à toi désormais. Le jour où tu devras transmettre ses secrets, elle se divisera à
nouveau en trois. Ne la perds pas sinon l’histoire secrète de Saint Jean de Braye,
celle qui est trois en étant une, disparaîtrait à jamais de la mémoire des hommes. »
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Rue des Trois Clés
Par Guy Viennot
Ils montèrent dans un bateau plat amarré au quai. Durant le voyage, JeanMarie ne disait rien. Son père, Aldo, avait pris l’habitude d’emmener son fils
naviguer sur la Loire. Le petit bateau était garé à Combleux la plupart du temps.
Cette fois, la surprise fut grande pour Jean-Marie du fait de l’heure plutôt tardive,
il était dix-sept heures et surtout par ce que l’on était en novembre. Autre
nouveauté, on avait dépassé cette fois la cale de saint Loup où il était aisé de
récupérer le bateau. Aldo étendit une couverture sur les épaules de son fils pour
qu’il ne prenne pas froid.
Ils abordèrent près de la capitainerie du port d’Orléans et marchèrent en
silence pendant une centaine de mètres. Enfin, arrivés devant une grande porte
en métal, Aldo sortit une première clé. La porte grinça et ils commencèrent à
descendre les marches d’un grand escalier. Plus ils s’enfonçaient, plus les
clameurs montaient. En pénétrant dans la grande salle, Jean-Marie fut surpris de
l’ambiance qui y régnait. De jolies femmes souriantes lui souhaitaient la
bienvenue et lui retiraient la couverture qu’il avait gardée sur ses épaules. Aldo
avait disparu. Il n’était plus temps de faire demi-tour.
Très vite, il fut entraîné dans une farandole. On le considéra comme le héros
de la fête. Les femmes voulaient l’approcher, le garder près d’elles, le cajoler plus
longuement. Certaines l’embrassaient. D’autres lui servaient à boire. Jean-Marie,
subjugué, émoustillé ne savait comment répondre à tant de sollicitations. Il se
rassurait tant bien que mal en se disant que c’était son père qui l’avait conduit
dans ce lieu si joyeux et si insolite. La présence des deux clés dans sa poche
l’apaisait également.
Vers les sept heures du matin, quand le jour commença à poindre, Jean-Marie
s’éveilla dans un grand lit. Lui, qui la veille, avait fêté ses quinze ans, avait perdu
sa virginité. Mais qui s’en était chargé ? Leïla, Virginie ou Béatrice ? Il n’entendait
plus un bruit. Le lit était moelleux et bien chaud mais plus personne à ses côtés.
Avait-il rêvé ? Non, la présence des deux clés dans sa poche lui disait que non. Il
remit ses vêtements de la veille et s’apprêta à sortir.
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Les trois mondes
Imaginez les trois mondes disparus de Brayellide (l’actuel Saint
Jean de Braye.)
PAR ALAIN CROSNIER ..............................................................................................................................................
PAR CHRISTIAN FER .................................................................................................................................................
PAR EDWIGE GABA....................................................................................................................................................
PAR HARRY L ...............................................................................................................................................................
PAR CHANTAL LERAITRE.......................................................................................................................................
PAR REGINE PAQUET................................................................................................................................................
PAR MARINA RETAILLAUD ....................................................................................................................................
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Par Alain Crosnier
Quand la Contessa Zapatera de la Izquierda y la Derecha mourut dans sa
centième année, son petit-fils Felipe fut peut-être le seul à avoir du chagrin.
Autoritaire avec tout le monde, à commencer avec son fils le comte Mariano, le père
de Felipe, elle gardait toute son affection pour son unique petit-fils. Et elle ne l’oublia
pas dans son héritage. Il fut emmené près du corps de sa grand’mère, fit une
révérence et versa d’abondantes et inconvenantes larmes. On lui remit alors un petit
coffre et il s’enfuit à toutes jambes dans sa chambre en le serrant bien fort contre lui.
Il savait son contenu, sa grand-mère lui en avait souvent parlé, trois clés
magiques, qu’il lui tardait d’essayer. En tremblant il ouvrit le coffre, les trois clés
étaient là, brillant doucement dans la pénombre. Il les sortit. . La première était une
clé de sol, el sol, le soleil. Il la tourna doucement dans le vide et il lui sembla que la
lumière du dehors éclairait maintenant plus largement la pénombre de la petite
chambre sous les combles. La seconde clé était une clé de ré, el rey, le roi ; avec
toute sa grandeur et ses pouvoirs, celui dont le royaume ne voyait jamais le soleil se
coucher. Devant tant de puissance il reposa la clé, la réservant pour plus tard. Et la
troisième était une clé de si, le si qui rend tout possible, si j’étais libre, si mère me
prenait sur ses genoux, si grand’mère était encore là, si elle me donnait trois clés
magiques…
86
Par Christian Fer
En forant dans le sol de Saint-Jean de Braye pour aller à la recherche de
nouvelles sources d’énergie thermique, à une profondeur jusque-là inexplorée, les
techniciens ont remonté des éléments de formes vivantes inconnues et des objets
étranges dont un minuscule rectangle métallique. L’analyse de ces objets a laissé les
paléontologues et archéologues perplexes, mais un spécialiste des techniques
d’information a décelé que le minuscule rectangle contenait des données d’un type
ignoré. Pour l’instant les recherches sont en cours pour découvrir le sens de ces
données, si elles en ont un.
Les restes de formes vivantes ainsi que les objets découverts ont été
transférés en lieu sûr, mais des photos et une copie du rectangle mystérieux sont
exposés dans une salle de la mairie de Saint-Jean de Braye. J’y suis allé hier aprèsmidi.
J’ai été au départ un peu déçu de ce que j’ai vu, mais j’ignore pourquoi. En
demeurant quelques instants devant le minuscule rectangle, mon esprit m’a
complètement échappé et j’ai comme rêvé qu’il contenait les secrets d’un monde
disparu il y a très longtemps.
Je me trouvais dans une sorte de sous-marin à côté d’un professeur qui
m’expliquait que c’est de l’eau qu’est née la vie et qu’il a fallu à notre civilisation des
millions d’années en partant de la vie aquatique pour atteindre le stade actuel, mais
que ce n’est pas la première expérience de vie sur la terre et que, dès qu’elle s’est
formée et que l’eau est apparue, la vie s’est développée une première fois il y a très
longtemps, selon un processus différent de celui que nous connaissons maintenant.
Les cellules disposaient alors de leur propre intelligence et s’assemblaient pour
donner une multitude de formes vivantes. Ces formes pendant toute leur période de
maturation restaient dans l’eau. Au lieu où se trouve aujourd’hui Saint-Jean de
Braye, la Loire n’existait pas, il y avait là une vaste étendue lacustre entourée de
terres. A l’âge adulte, les espèces vivantes gagnaient leur milieu naturel, la terre,
après une mutation. Les assemblages aquatiques avaient produit des formes qui
ressemblaient par certains côtés aux hommes mais qui comportaient aussi des
différences importantes avec la forme humaine actuelle.
Alors que nous regagnions la terre ferme dans cette sorte de sous-marin, le
professeur m’expliquait que le processus de création de formes vivantes sous l’eau
avait abouti à la constitution de nombreuses espèces dotées d’intelligence et que
l’équivalent humain n’était pas le seul à en être doté.
87
Toutes les formes à une patte, deux, dix ou mille en étaient dotées comme
celles à dix têtes. Ce que vous appelez homme ou femme aujourd’hui, me disait le
professeur, existait plus ou moins, mais arborait dix têtes. L’avantage de cette
espèce était de pouvoir disposer ainsi de capacités de stockage bien plus étendues
que n’en possèdent les hommes aujourd’hui. Un second avantage était que lorsqu’un
cerveau processeur tombait en panne (l’équivalent de notre folie ou de notre perte de
mémoire), les autres étaient là pour pallier le dysfonctionnement.
Le seul inconvénient de ce nouveau processus de création était sa
productivité excessive en formes vivantes et sa perfection, car ces formes ne se
dégradaient pas avec le temps et on ne pouvait pas accueillir sur terre toutes ces
créatures sans leur fixer une limite d’existence terrestre. Si la place sur terre était
limitée, par contre l’Espace était immense et inoccupé. Un système permettait
d’éthériser toutes les formes vivantes au bout de cent ans. Elles continuaient à vivre
mais n’occupaient aucun espace. Le professeur m’expliquait qu’on pouvait peut être
trouver là l’origine de certaines de nos représentations actuelles du Paradis. Pour
éviter qu’il n’y ait des refus de la forme de vie éthérée parmi les différentes espèces
ou individus, un dispositif automatique d’éthérisation était implanté dans chaque
forme à son arrivée sur terre. C’était comme cela qu’était organisée la vie à SJB, à la
position occupée maintenant sur notre grosse sphère par Saint-Jean de Braye.
Dans le milieu aquatique, les espèces se développaient sans règle jusqu’à
l’âge de cinq ans, les plus fortes ou les mieux adaptées tiraient leur épingle du jeu.
Mais sur terre, un Conseil des espèces avait fini par être mis en place et il avait établi
des règles de gestion communes. Ceci n’avait pas permis d’éviter tous les conflits
inter espèces mais en avait limité les effets les plus catastrophiques.
Je sentis alors le professeur s’éloigner de moi, tandis que j’avais beaucoup de
questions à lui poser. Je restais perdu dans ce monde inconnu en me demandant
comment une telle société qui avait acquis autant de maîtrise scientifique et
technique avait pu disparaître pour laisser place à la nôtre dans laquelle l’intelligence
était réservée aux hommes qui l’utilisaient si mal. Est-ce qu’une guerre inter espèces
avait fini par les détruire ? Est-ce qu’un dysfonctionnement du système d’éthérisation
avait abouti à une sur densité insupportable pour la terre ? Est-ce qu’un défaut du
processus de multiplication cellulaire aurait abouti à l’extinction de la vie dans l’eau et
donc sur terre et dans l’air ?
Je sursautai en ressentant une tape sur mon épaule et en entendant,
« Monsieur, il est 18 heures et nous fermons la mairie ». Il me fallut un moment
après être sorti pour reprendre mes esprits en revenant chez moi par la rue des
Trois Clés.
88
Par Edwige Gaba
L’ILE MONTDESIR
*Un monde entouré d’eau/ ville/ Ile montdésir/ sur les vestiges d’un monde ancien
qu’une inondation a recouvert en 1856 ;
* les hommes, très terre à terre, y travaillent la terre /et les femmes plus enclines à
la création et à la réflexion gèrent les fruits des labours des hommes….
*les enfants pour plus de sécurité, car une inondation peut se reproduire tous les
deux cents ans, sont présentés à neuf mois à leur image dans l’eau, sont préparés
dès l’enfance à nager sous l’eau et peu à peu ils développent une capacité à respirer
et vivre sous l’eau aidés par la fleur Narcisse ; à trois ans ils peuvent être éduqués
sous l’eau par quelques adultes sages ou vieux confirmés. On leur apprend à travers
le monde aquatique le respect mais aussi les dangers de la nature humaine.
Jusqu’à quinze ans où ils acquièrent leur propre image corporelle définitive/
certaines axées sur le mode des poissons passifs ou des requins autoritaires ou des
dauphins joueurs joyeux. Ils seront amenés selon leur développement personnel à
gouverner, à travailler, à encourager les autres, voire à éduquer les enfants et
certains à accompagner les vieux.
Car à soixante ans les vieux non productifs sont envoyés dans les airs par le
ballon montgolfière qui se situe au bout de la ligne de tramway à la place du Paradis,
par l’adulte « baleine » responsable. La montgolfière vogue dans les cieux et les
vieux détachent ou non des ballons avec des idées plus ou moins lourdes ou légères
qui échouent ou coulent à pic dans la Loire ou sur l’île des adultes. Ils atteignent
ainsi différentes villes aériennes existantes, selon leur degré de sagesse atteint ou
non.
Tout rêve d’un adulte est d’atteindre le NIRVANA d’où il pourra contempler
son île, ses enfants, dans un lieu intemporel, dans un temps infini et d’où il pourra
aussi redescendre pour enseigner sa sagesse.
89
Par Harry L
Une fois passée la porte, il fallait suivre un étroit boyau qui s’enfonçait dans
les profondeurs de la terre. Il devenait de plus en plus difficile de progresser car le
sol constitué d’une boue argileuse était de plus en plus collant. Mais c’était l’essence
même du monde d’en bas. Une matière inépuisable façonnée par les enfants de
cette cité souterraine. De fait, toute la ville était faite de cette matière, car avant
d’atteindre l’âge adulte, il était impossible d’accéder au monde de la lumière, encore
moins à celui de l’espace. Les boueux œuvraient donc en bas à la construction de
leur ville troglodyte. Les tâches étaient réparties. Certains fabriquaient les briques qui
constituaient la structure des bâtiments. D’autres étaient les artistes qui sculptaient
des motifs dans les façades et constituaient des sortes de statues. Il y avait aussi les
démolisseurs, qui avaient comme étrange coutume de lancer des rochers ou tout
autre objet lourd contre certains bâtiments afin de briser la glaise friable qui était à
peine cuite. Il n’y avait pas d’architecture définie, encore moins de politique
d’urbanisme. Il s’agissait plutôt de maisons bulle. Le transport s’effectuait grâce à
des sortes de toboggans faits de terre constamment recouverts d’eau pour permettre
la glissade. Pour remonter, il suffisait d’emprunter des sortes d’ascenseurs
accrochés à des poulies, manœuvrées par des enfants presque adultes, qui étaient
suffisamment forts pour soutenir la masse des ascenseurs chargés.
Une fois l’âge adulte atteint, c'est-à-dire quand ces enfants étaient trop grands
pour se tenir debout dans le couloir qui menait à ce monde, ils pouvaient demander à
changer de monde. Il y avait alors un rite de passage qui consistait à s’enduire
entièrement de glaise et à avancer les yeux fermés jusqu’à la porte. Là, un gardien
complétait le cas échéant le maquillage, rajoutant ça et là des couches de terre
lorsqu’il en manquait. Aucune parcelle du corps ne devait être visible. Enfin, lorsque
la tenue était parfaite, le gardien ouvrait la porte et le futur adulte était poussé sans
ménagement dans une grande piscine dont l'eau le débarrassait de sa seconde
peau. Après cette mue artificielle, le nouvel adulte devait apprendre à sculpter des
palais translucides d’eau figée. Ce n’est que plus tard, à l’âge mature, que des ailes
lui pousseraient sur les côtés et lui permettrait de parvenir à un troisième monde,
suspendu au-dessus de la terre celui-là, et dans lequel il pourrait enfin se reposer
dans de vastes hamacs destinés tout exprès à le recevoir pour son repos éternel.
Les enfants vivaient en dessous, dans de vastes salles aménagées tout
spécialement pour leurs activités. Ils y vivaient protégés depuis que la surface avait
été polluée par la radioactivité. D’ailleurs, dès qu’il pleuvait, ils s’y réfugiaient.
Les adultes vivaient, le plus clair de leur temps, à la surface. Ils étaient atteints
de toutes sortes de maladies, mais tentaient néanmoins de reconstruire un monde
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habitable. Il n’y avait pas de plan et toutes les constructions s’enchevêtraient dans un
désordre pareil aux bidonvilles qui existaient jadis dans certains pays. Pour survivre,
ils se contentaient de cultiver quelques légumes qui empoisonnaient à petit feu les
adultes qui les consommaient.
La seule distraction consistait à grimper dans de hautes tours qui
surplombaient la ville et étaient réservées aux personnes les plus âgées, trop
atteintes pour vivre avec les adultes à cause des risques de contamination. Dans ce
lieu, elles attendaient la fin tranquillement et sereinement en regardant le monde d’en
bas s’agiter vainement. On avait tout le temps.
En ce temps-là, il y avait le monde d’en bas où on exploitait les nombreuses
carrières de Saint-Jean de Braye. C’était essentiellement les enfants qui, comptetenu de leur petite taille, pouvaient se faufiler dans les interstices, les boyaux ou les
couloirs et méandres des failles pour recueillir la précieuse poudre qui recouvrait
toutes les maisons du monde d’en haut. Ce deuxième monde était le règne des
adultes qui passaient leur vie à construire et peaufiner leurs maisons-vaisseaux.
Pourquoi faisaient-ils cela ? On ne sait pas vraiment. Tout ce que l’on peut dire, c’est
que la précieuse poudre ramassée dans les cavernes de Saint-Jean de Braye, était
la seule qui pouvait garantir dit-on un décollage imperceptible et sans soubresauts.
Mais c’était quand on était prêt, après une vie bien remplie à aménager sa future
montgolfière cosmique. Et de fait, chaque année, on pouvait voir s’élever d’ellesmêmes celles qui étaient équipées de suffisamment de poudre.
C’était cette poudre qui les rendait plus légères. Ou bien était-ce l’attraction
terrestre localement moins forte dans la localité de Saint-Jean de Braye ? En tous les
cas, c’étaient ces décollages extraordinaires qui attiraient une foule sans cesse
renouvelée de nouveaux habitants.
D’ailleurs, encore aujourd’hui, si la nuit on lève les yeux, on peut apercevoir
dans le ciel ces multitudes de maisons flottantes. Car en vérité je vous le dis, ce sont
elles, le soir venu, que l’on voit scintiller au-dessus de nos têtes, ultimes témoins de
ces ascensions inexorables vers l’infini.
91
Par Chantal Leraître
A Brayellide, nous a raconté Léopold, lors d’une de nos veillées, mon
quadrizailleul (si, si, il y met un z très ostensible, je vous assure !) y est arrivé, par La
Loire, dans son vieux sous-marin jaune. S’il s’y est attardé, c’est qu’à cet endroit du
fleuve, une ville, dans une immense bulle au fond de l’eau, l’a quelque peu intrigué.
Les habitants de la bulle avaient entre quelques jours et quinze ou seize ans.
C’était un monde, de cris, de jeux, de chants, où les enfants évoluaient en groupes
multicolores ou en petites bandes rieuses et affairées. Une partie de leur temps était
consacré à l’étude et les apprentissages s’y faisaient sans heurts, les grands aidant
les petits, dans une harmonie bienveillante et joyeuse…
C’est au moment où son sous-marin s’est retrouvé presque à sec que les
enfants ont disparu à sa vue. Ils étaient le fruit d’une sorte de parthénogenèse et il
comprit plus tard que d’autres spécimens renaîtraient, dès la prochaine crue.
Près de l’embarcadère où il s’était amarré, il remarqua alors une ville de gris
colorés, à la structure géométrique terriblement orthogonale, que peuplaient des
couples, diversement apparentés, d’êtres adultes de tous âges. Très vite, il comprit
que tous ces couples vivaient, travaillaient et prenaient leurs loisirs, toujours par
deux, selon une organisation stricte obéissant à des règles métronomiques, qui
semblaient satisfaire la plupart des membres de cette surprenante communauté.
De temps à autre, quand il le choisissait, un couple empruntait le « propulseur
doux » qui montait à l’immense nuage stagnant au-dessus de cette ville besogneuse.
Il le faisait en toute connaissance du but qu’il se donnait ainsi.
Dans la ville blanche du haut, lieu étonnant d’harmonie sonore et visuelle, les
groupes se reconstituaient, assez semblables à ceux de l’enfance. Jeux, loisirs et
création dominaient leurs activités, en fonction de leurs goûts. L’ambiance pastelle y
dispensait une gaieté plus douce que celle de la bulle.
Certains individus épuisés, quelques membres de couples usés de leur trop
longue cohabitation avec un ou une devenu(e) sourd(e), aveugle, grognon(ne)
abordaient directement la phase ultime du parcours. L’adulte à bout d’envie de vivre
s’isolait dans une vaste pièce dédiée à l’immobilité d’une méditation transcendantale
définitive, où chacun finissait par se dissoudre à tout jamais, avec juste un petit
« ploc ! » de fin…..
- Heureusement, complète notre conteur, un jour le mécanisme s’est grippé. Un
couple a découvert sa sexualité et s’en est ouvert à d’autres…. Et Léonard finit dans
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un grand rire. Exit la parthénogenèse et bonjour l’anarchie fantasque dans laquelle
nous vivons actuellement !!!! Elle est quand même un rien plus vivable, non ?
93
Par Régine Paquet
Fragments du récit de voyage en terre abraysienne de Jean Capitan, récit non
encore daté par le comité des Sages. Ce journal de voyage a été retrouvé dans un
coffre de zinc hermétiquement clos, mis à jour en juillet 2011, lors des travaux pour
la ligne du tram à Saint-Jean de Braye, avenue du Capitaine Jean.
“...A ce terme de mon périple, je découvre trois villes étranges qui frappent
mon imagination.
"La première, Aqua, la ville du haut, je m’en souviens parfaitement, est
semblable à un grand aquarium. Des enfants nus, des deux sexes et même des
hermaphrodites, y nagent. Inlassablement. Leurs trajets peuvent paraître aléatoires.
En réalité ils répondent à une parfaite symétrie de courbes et de lignes. Si on la
visualisait, on ferait apparaître le dessin d’une immense toile d’araignée. A chacune
de ces intersections l’enfant acquiert un nouveau savoir. Peu à peu il gagne le centre
de cette invisible toile. Lorsqu’il l’atteint, il est prêt pour la deuxième ville: Terra.
"Terra, la ville du milieu, est semblable à une gigantesque forêt. Les arbres, de
toutes tailles et toutes espèces dont de nombreux fruitiers, forment les bâtiments
d’une grande ville. Des hommes, des femmes, adultes, vêtus de robes et de tuniques
de feuilles, s’activent. Ils ramassent les branches mortes qu’ils utilisent pour la
confection des meubles et ustensiles de vie. Ils en tapissent les chemins boueux et
surtout créent, avec les plus longues, d’innombrables ponts et passerelles reliant la
cime des arbres. Chacun travaille au même rythme tranquille. Le soir venu, les
habitants forment des couples durables ou éphémères. Ils vont blottir leur sommeil
ou leurs ébats sexuels dans le ventre des arbres qui leur sert de demeure. C’est la
nuit, au cœur de l’arbre, que les plus âgés glissent, sans heurt, de Terra à Aera.
"Aera, la ville du bas j’en suis certain, est semblable à un infini édredon de
nuages. A perte de regard, ceux-ci moutonnent dans le ciel bleu. Sur ces nuages des
corps sont allongés. Des corps ridés, fripés et nus. L’air a la tiédeur d’une caresse.
Plus les corps et les esprits sont fatigués, usés, plus le nuage qui leur sert de
couche, est moelleux et épais. Et plus le bleu du ciel autour d’eux vire à l’obscurité.
Jusqu’à la nuit noire et douce pour ceux qui s’enfoncent au cœur de leur nuage et y
reposent à jamais.
"Certains qui liront ce récit me traiteront de menteur mais d’autres y trouveront
matière à réflexion et enseignement...”
94
Par Marina Retaillaud
En suivant la marche du fleuve, nous arrivâmes chez les Abraysiens, qui,
auprès des peuples marcheurs tels que nous, sont reconnus pour leur hospitalité.
Et de fait, à peine avions-nous en vue les portes de la ville qu’elles s’ouvrirent
toutes grandes et qu’il se forma au-devant de nous un demi-cercle de citoyens aux
visages avenants, nous tendant, qui, du vin, qui, du pain ou encore des fruits. Mais la
masse compacte des habitants ne se dispersa pas avant que nous ne fussions
séparés en trois groupes. Les enfants pré pubères formèrent le premier et les
visages des mères de notre troupe trahirent leur inquiétude malgré la bonne
réputation de nos hôtes. On me mit dans le second groupe ainsi qu’une bonne
vingtaine d’entre nous. Quant au troisième, il fut constitué des quelques anciens qui
nous suivaient et dont, à mon grand dépit, faisait partie mon scribe, Etiope. Nous
avions déjà été témoins de coutumes similaires. Des villes, où l’on nous constituait
en groupes d’hommes et de femmes ou selon notre taille, notre couleur de peau et je
n’en fus pas choqué outre mesure. D’ailleurs, nous ne fûmes pas séparés
longtemps. Il s’agissait simplement de nous enregistrer auprès de la circonscription
afférente à notre état.
Les enfants mi-riant, mi-soulagés retrouvèrent les bras maternels, la figure et
les mains barbouillées de boue ocre. Ils nous contèrent comment en bas, sur les
rives du fleuve, les enfants de la ville parfois plus jeunes qu’eux-mêmes s’activaient
dans le limon des roselières. Leur discours était confus et avec quelques autres, je
descendis jusqu’à La Lauria pour voir de quoi il retournait exactement.
Nos rejetons n’avaient pas menti. Il y avait là plus d’un millier d’enfants nus
dans la rivière; de l’eau jusqu’à la taille ou assis sur la rive à travailler comme des
forcenés. Les uns draguaient la boue pour en faire de larges pavés que les plus âgés
transportaient plus haut vers de grands fours solaires. D’autres tannaient des peaux
qui devaient servir aux vêtements et au mobilier. Tandis que des bambins tenant à
peine sur leurs jambes, tamisaient le sable pour la fabrication du verre, formant ainsi
de larges dunes plus hautes qu’eux-mêmes. Sous la houlette des aînés, cette
communauté semblait être organisée en castes qui n’avaient d’origine ni la noblesse
du sang ni la force du nombre, mais seulement l’âge.
Aux yeux des voyageurs que nous étions, l’usage parut pour le moins
terrifiant. Pour en éclaircir l’origine auprès du magister, nous remontâmes vers la
plaine où s’étendait la majeure partie de la ville.
95
Conseils à un voyageur
découvrant Saint-Jean de braye
GUIDE TOURISTIQUE DE SAINT-JEAN DE BRAYE PAR ALINE BAUDU .................................................
MA JEANNE PAR ALAIN CROSNIER ....................................................................................................................
ADRESSE A UN FUTUR VISITEUR DE SAINT-JEAN-DE-BRAYE PAR CHRISTIAN FER .....................
CONSEIL A UN JEUNE VOYAGEUR PAR EDWIGE GABA .............................................................................
LETTRE DE MATHILDE A SA MERE PAR SOPHIE GONZALBES ...............................................................
CONSEILS AUX VOYAGEURS PAR HARRY L....................................................................................................
MA CHERE JEANNE PAR ANNE LHEUREUX- ...................................................................................................
LETTRE AU CHEVALIER PAPIN PAR CHRISTIANE NOISETTE.................................................................
LETTRE A MARIE PAR REGINE PAQUET ..........................................................................................................
DES AXES MAJEURS PAR GUY VIENNOT ..........................................................................................................
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Guide touristique de Saint-Jean de Braye
Par Aline Baudu
Te voici, jeune voyageur, à Saint-Jean de Braye. Située entre Loire et forêt, la
ville attire de nombreux touristes, grâce à sa situation géographique, mais grâce
surtout à son organisation en trois subdivisions : les riches, les pauvres, les
travailleurs. Il est donc fréquent de croiser à Saint-Jean de Braye des anarchistes,
des entrepreneurs chinois, des oligarques russes et autre délégation de l’U. M. P.
Tu arriveras forcément au début de la rue des Trois Clés, puisque tous les
chemins y mènent. Dans cette rue, trois portes, une pour chaque quartier. N’oubliepas de prendre des affaires de rechange, la visite à Saint-Jean de Braye dure trois
jours ou ne dure pas. Les quartiers se visitent dans l’ordre ou le désordre selon ton
envie.
Première porte
La porte en carton ouvre sur le quartier des pauvres. Le code à prononcer
pour entrer : « Lundi, c’est raviolis ». Les raviolis sont un plat typique ici. A visiter, ce
jardin et ses vestiges de saumon datant de cinquante trois ans. On dit qu’un poisson
sauvage, fatigué d’avoir remonté le cours de la Loire, se serait reposé ici cous le
tilleul. Malheur lui en a pris ! Les habitants de la maison l’ont vite attrapé, dépecé et
se sont régalés ! Ils ont gardé et exposé les arêtes en souvenir de cet unique et
somptueux plat.
Pour te restaurer, tu trouveras les Restos du cœur situés juste à côté du
magasin de décoration Emmaüs. Attention, les Restos du cœur ne sont ouverts que
l’hiver ! Et je te conseille de venir dès l’ouverture, car il y a foule. Si tu souhaites
acheter quelques souvenirs du quartier : une boite de conserve, un gilet troué, etc. tu
peux le faire aisément à crédit. Veille cependant à ne pas te retrouver sur endetté,
sinon tu serais coincé à jamais ici. Et ne fais pas confiance aux sociétés de rachat de
crédits, ce sont des riches déguisés en travailleurs qui ont comme objectif de plumer
encore plus les pauvres ! Tu peux pratiquer le troc également : le cours de la
statuette de Mère Theresa est à un tee-shirt de l’O. M. Pour te loger, direction le
Foyer Sonacotra, l’hôtel le plus luxueux de la place.
Deuxième porte
La porte en bois te dirige dans l’univers des travailleurs. Le bois en hommage
à Joseph, le premier travailleur de notre civilisation qui, à force d’oeuvrer le bois, a
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fini les mains en sang. A moins que ce ne soit son fils. Le code pour entrer :
« Travailler plus pour gagner plus ». Le quartier est très tranquille, surtout en
journée. A éviter de venir le dimanche, jour de repos des travailleurs. Dans le passé,
il y avait aussi le samedi. Jour de repos supprimé suite au passage aux cinquante
deux heures hebdomadaires.
Je t’invite à aller te balader dans la rue de Mondésir. Cette rue exauce les
vœux des habitants. Plus exactement, dans 25 pour 100 des cas, elle permet de
déménager dans le quartier des riches. Et dans 75 pour 100 des cas, c’est un aller
simple chez les pauvres. Finalement, ils sont peu de travailleurs à se risquer dans la
rue de Mondésir.
Pour commercer, il te faudra exhiber une feuille de paie. Les feuilles des
ASSEDIC et autre RSA, ça ne marche pas ! Ici, il faut prouver que l’on travaille.
Encore faut-il bien travailler ! Si ce n’est pas ton cas, je te déconseille l’allée des
Martinets. On y punit la nuit les cancres avec des lanières de cuir. Il paraît que
certains n’en sont jamais revenus.
Tu pourras déguster le plat local : les haricots. Blancs, rouges, verts… Tous
ces fayots permettent de s’assurer de la bienveillance du patronat. Et pour finir ta
soirée, direction la salle de concert Punk « La Lutte Finale ».
Troisième porte
La porte est en or serti de diamants trente deux carats. En prononçant le
code « AAA », tu découvriras le monde des riches. A visiter à toutes les périodes de
l’année. Il y fait toujours beau ! Tu pourras laisser ta monnaie au quartier des
travailleurs. Ici tu n’auras besoin que d’actions, d'obligations et autres titres
bancaires. C’est dans ce quartier que les contrôles aux frontières sont les plus
drastiques. Pas un seul immigrant n'y est toléré !
A découvrir « Le Grand Coquille » tenu par le Chef étoilé Bill Gates. On peut
notamment y déguster des noix de saint Jacques rôties, accompagnées d’une
julienne d’escargot et d’un Gris-Meunier, crû 1944. Tu pourras t’y détendre dans le
golf de cinquante trois trous, unique dans la région !
N’hésite pas à te rendre dans l’attraction principale du quartier, rue de la
Maison Plate. S’y trouve un lieu de torture où l’on teste la résistance des moins
riches d’entre eux à la pauvreté. Si, à un moment, ils tendent la main en disant « S’il
vous plait, j’ai pas d’argent et j’ai cinq enfants » avec un accent roumain, ils sont
exclus du quartier. Comme tu peux le constater, Saint-Jean de Braye recèle de
nombreux lieux et univers à découvrir. Laisse tes pas te guider mais attention à ne
pas rejoindre la rue de Verville, les portes de la ville se refermeraient sur toi à jamais.
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Ma Jeanne
Par Alain Crosnier
Ma Jeanne,
Cette missive, c’est notre bon curé de Domrémy qui l’écrit pour moi qui, suis
en grande peine de te voir si loin de notre chaumine et en si grand danger. Il nous
est arrivé des nouvelles de ton épopée, de ta rencontre avec le gentil dauphin et de
ton grand courage face à l’Anglois depuis que les anges t’ont commandé de le
bouter hors de France.
Nous savons que tu es sous les murs de la cité d’Orléans et dans ses
faubourgs, celui de Saint-Jean de Braye, près d’attaquer la bastille saint Loup. Si tu
séjournes en ce village, ne manque pas d’aller saluer un mien cousin qui demeure à
la Fosse Belaude. Il te fera visiter les alentours qui sont riches de vignes et de
cultures de toutes sortes et qu’il nous a contés souvent à la veillée. On y complante
du gris meunier. Au Grand Coquille est sis un cuisinier fameux qui apprête les
colimaçons, et non loin de là, à Vomimbert, c’est un rôtisseur. Près de la forêt,
poussent les framboises en abondance. Comme tu vois c’est un pays de cocagne
mais il me vient en mémoire aussi Montdésir, lieu de débauche fréquenté par moult
ribauds et ribaudes à éviter, de même que Verville ou les bateliers mènent grande
vie. Mais notre cousin t’en préservera.
Et au moment d’attaquer, viens-t’en en l’église Saint Jean Baptiste, en priant
Dieu de t’avoir en sa sainte garde. Méfie-toi de l’Anglois qui est fourbe et cruel, ainsi
que des Bourguignons et aussi de ton entourage. Ce Gilles de Rais ne me dit rien
qui vaille. Les puissants aussi se serviront de toi et puis te trahiront, s’ils en ont le
besoin. Je sais de quoi je parle puisque ton vrai père, dont je dois taire le nom, m’a
réservé ce sort funeste.
Voilà ma Jeanne, que Dieu et les anges te protègent
Ta mère aimante
PS : Voilà ma fille, j’espère que ma lettre t’aura amusée. On bosse bien à l’atelier
d’écriture de Nancy. Passe un bon stage à Clin d’œil et sois raisonnable ; téléphonemoi quand même ou passe-moi un petit texto. Biz
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Adresse à un futur visiteur de Saint-Jean de Braye
Par Christian Fer
Tu m’as écrit que tu voulais passer un moment à Saint-Jean de Braye. J’y ai
habité il y a quarante ans et j’y reviens assez souvent. C’était une charmante
bourgade de deux mille habitants. J’en garde un souvenir ému.
J’aimais me promener au printemps dans la rue des Tilleuls, respirer leurs
fleurs naissantes ; en été sentir leur odeur chaude, regarder leurs feuillages
frissonner sous le vent. Mais tu verras, il n’y a plus de tilleuls, ils ont peut-être eu une
maladie et on les a enlevés ou bien ils gênaient. En revanche, tu n’auras aucune
difficulté pour garer ta longue voiture car on a aménagé tout au long des places de
parking.
Je me souviens aussi de l’impasse des Framboisiers et de l’impasse des
Groseilliers. Ma mère m’y envoyait en juin - juillet chez les cultivateurs, faire la
cueillette et je ramenais à la maison un panier de chaque fruit. Ma mère partageait,
la moitié à manger avec du sucre, la moitié pour les confitures. Je connaissais la
combine et certaines fois, je passais par derrière et je consommais sur place et à
l’insu du producteur. C’était les meilleures. Mais ne cherche pas ces arbustes dans
ces impasses. Il s'y trouve maintenant une cité pavillonnaire. Peut-être que certains
propriétaires élèvent encore des framboisiers et des groseilliers, c’est possible, bien
que chaque parcelle ne doit guère dépasser 300 ou 400m2. Mais ne t’y aventure
pas. Chaque maison est gardée par un molosse, tu serais repéré par les caméras de
surveillance et les alarmes se déclencheraient, ameutant tout le quartier et les
forces de police.
J’ai encore en mémoire l’allée des Vignerons et la rue du Gris Meunier. Saistu que Saint-Jean de Braye comptait autrefois de nombreux vignerons. Les vignes
étaient rassemblées autour de cette rue et de cette allée. J’ai fait les vendanges
quand j’étais étudiant. On faisait la fête à la fin de la récolte. Selon l’année fin
septembre ou début octobre, tout le monde s’y rassemblait pour boire le vin doux. Ne
cherche ni les vignes, ni les vignerons, ni le pressoir ; tout a disparu. Tout au plus tu
y trouveras le Café du Gris Meunier où tu pourras, le 18 novembre au soir, comme
partout en France, déguster du Beaujolais nouveau.
En fait, tout est factice. Rien ne correspond à rien. N’imagine surtout pas que
rue Guillaume Apollinaire tu verras couler la Seine sous le pont Mirabeau. Ici, c’est
La Loire et à Saint-Jean de Braye, il n’y a pas de pont. Cézanne n’est pas né allée
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Paul Cézanne. Il n’y est même pas passé et je ne pense pas qu’il y ait peint de là la
montagne sainte Victoire.
En revanche, il est possible que rue Henri Becquerel, ton détecteur de
radiation s’affole, car n’oublie pas que Saint-Jean de Braye est à mi-chemin entre
Dampierre et saint Laurent. De même, l’avenue de Verdun porte bien son nom ces
temps-ci, car à cause des travaux, elle est entièrement défoncée.
Loin de moi l’idée de te dissuader de venir flâner dans les rues de Saint-Jean
de Braye mais tout a changé. Désormais, la ville est divisée en trois quartiers et leur
connaissance est indispensable pour qui veut pouvoir circuler librement. Il y a les
quartiers résidentiels entre la rue de la Richaudière et la rue du Paradis. Les usines
et les bureaux ont été rassemblés autour des rues Berlioz et Debussy auxquelles on
a donné ce nom peut-être parce que l’on y diffuse une musique d’ambiance propice
à développer la productivité. Les quartiers sensibles sont derrière la rue de la Herse.
On y a effectivement dressé une herse à l’entrée du quartier afin d’éviter que les
populations qui y vivent n’aillent troubler la quiétude des quartiers résidentiels ou ne
viennent gêner l’activité des usines et des bureaux.
Si tu veux entreprendre la visite de la ville et de ses trois quartiers, passe
avant par la rue des Trois Clés pour obtenir un laissez-passer.
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Conseil à un jeune voyageur
Par Edwige Gaba
On raconte que le voyageur qui part pour l’Ile de St JB dite aussi Ile
MONTDESIR, est, ou bien d’emblée sous le charme de cette ville, ou bien à
l’opposé, il ne supportera pas cette ville, si différente de tout ce que l’on connaît ici,
toi et moi !
Dès que ton bateau accostera sur le quai du Port Saint Loup, tu apercevras
l’église qui sonnera ton arrivée. Regarde bien l’heure à ce moment sur la grande
horloge Bel Air car tu ne pourras pas rester plus de vingt quatre heures sur l’île ; si tu
ne reviens pas à ton bateau après un jour et une nuit, la ville entière t’engloutira.
Je n’ai qu’un conseil à te donner : emporte avec toi une fleur, une rose
blanche. Tu devras passer fleurir une tombe, celle de ton choix au Cimetière des
Amours Perdus. Le cimetière est derrière l’église. Tu trouveras l’entrée au fond de
l’Impasse des Framboisiers, Impasse des Amoureux.
Le gardien, M. Colombus, te guidera dans les allées de graviers de granit gris
et de quartz blancs. On dit que, depuis l’inondation, sa famille vit et meurt de père en
fils dans ce cimetière, et en connaît tous ses habitants. A toi de choisir avec sincérité
entre les Juliette, les Jeanne et les Emma, celle qui te correspond le mieux et que tu
veux ainsi saluer, voire pleurer si tu le peux.
Méfie-toi du gardien : on raconte qu’il reconnaît les larmes sincères de
l’amoureux et celles plus cyniques du Don Juan !! Une fois que tu auras fini cette
petite contrainte, somme toute bien utile à notre époque où l’on accorde si peu de
temps à l’amour, tu seras alors libre de visiter à loisir la ville pour découvrir ses
ruelles, ses berges de La Loire au coucher de soleil, ses habitants si accueillant avec
l’étranger, sans oublier d’y déguster ses spécialités. Je te conseille la Rue de VerreVille et son restaurant La Grande Couronne pour te rassasier et goûter le vin local
Gris Meunier.
En prenant le Chemin des Ecoliers, tu découvriras les jeux des enfants dans
leur monde aquatique au bout de la Rue des Bons Enfants. Si tu veux rendre visite
aux « vieux » flottants au-dessus de la ville, tu pourras monter dans la montgolfière à
la Place du Paradis, à côté du parc des Longues Allées, mais une seule et unique
fois.
On m’a beaucoup parlé de la Rue Montdésir, mais je ne crois pas que tu
puisses la trouver ! Elle est très dure à atteindre. Très peu y sont parvenus.
102
J’imagine que tu en as déjà entendu parler ? On dit que dans cette rue tous tes
vœux se réalisent. Ne te laisse pas emporter par tes rêves car, pour accéder à la
Rue Montdésir, il te faut avoir les pieds sur terre. Il te faut d’abord trouver la Rue
Sans Nom. Mais quand tu l’auras trouvée, méfie-toi d’elle, car la Rue Sans Nom ne
ressemble à aucune autre ou plutôt peut ressembler à n’importe quelle autre ; elle
reflète en fait la rue que tu auras à l’esprit.
A toi de savoir à ce moment faire fi de tout ce que tu connais, à toi de libérer
ton esprit de tout ce qui l’encombre, à toi de te laisser pénétrer de la ville, de la Rue
Sans Nom, sans arrière-pensée, sans a priori, sans préjugé ni idée préconçue ; et
alors, seulement, tu pourras traverser la Rue sans Nom pour entrer dans la Rue
Montdésir qui exaucera tes vœux. Tu pourras peut être comme les vieux les plus
sages atteindre le Nirvana.
N’oublie pas: un jour, une nuit !
Bien sûr, si tu atteins le NIRVANA le temps ne défilera plus de la même façon….
103
Lettre de Mathilde à sa mère
Par Sophie Gonzalbes
Mère,
Je reçois tout juste la lettre d’Hortense. Elle est affolée ! Vous savez combien
son coeur est fragile. Il me semble opportun que vous, sa mère, veilliez à ce qu’il
résiste le plus longtemps possible. Visiblement, vous n’en n’avez cure puisque vous
osez lui faire part de votre nouvelle lubie : « Voir Saint-Jean de Braye et mourir ! ».
Est-ce là le discours d’une femme de votre âge ? Mourir, passe encore - il est vrai
que vous n’en n’êtes guère éloignée, Dieu soit loué ! - Mais revenir à Saint-Jean de
Braye, vous n’y songez pas !
Vous souhaitez, ai-je lu, vous y rendre « expressément avec Hortense » ?
Votre fille préférée, la plus fragile d’entre nous, que vous poussâtes énergiquement
dans les ordres voilà dix ans. A-t-elle mérité cela ?
Oh, je vous entends d’ici me vanter les mérites de cette ville. Sa « délicieuse
impasse des Framboisiers » où vous et père échangeâtes votre premier baiser…
Pauvre papa ! Que vous fîtes passer pour votre premier et unique amour ! Savezvous seulement que l’aboutissement de cette impasse est la porte du cimetière des
Premières Amours ? Vous souvenez-vous que là, à l’emplacement qui vous est
réservé, sont inscrits non pas un mais treize noms ? Treize noms dont celui de papa,
treize jeunes hommes à qui vous fîtes croire qu’ils étaient vos « uniques » !
Imaginez-vous ma pauvre Hortense faisant cette terrifiante lecture ?
Je perçois l’inutilité de mon agacement. Je sais que mes efforts pour vous
dissuader de ce périple seront tous vains. Aussi faites-moi au moins le plaisir, le seul
peut-être de votre vie – et puisque votre mort est proche, pourquoi ne pas enfin
l’envisager ? – oui, faites-moi le plaisir de ne pas loger dans cet hôtel de la rue de
Verville ni de dîner place Centrale dans ce restaurant que je n’ose nommer. Mère,
votre mémoire est fraîche malgré le temps et vous n’avez pu oublier la disparition de
cette femme dont jamais on ne retrouva le corps ni le verre de vin qu’elle tenait à la
main.
Faites-moi cette grâce et écoutez-moi un peu, je suis de bon conseil. Maître
Coquille dont je suis particulièrement proche est, comme je vous le contais dans ma
précédente lettre, imprimeur. Ce métier s’exerçant davantage la nuit, il a, dans la
journée, une grande liberté. En mai dernier, il a ouvert un restaurant rue Vomimbert.
104
Eh bien, cet homme des mots se révèle être également un homme des mets, ses
omelettes sont délicieuses. Allez-y de ma part surtout, il vous gâtera.
Ah, j’oubliais, prévoyez dans vos bagages un emplacement pour vos horribles
bottes en caoutchouc. La Loire, discrète l’été, prend de l’ampleur les mois en « r ».
L’an dernier, Saint-Jean de Braye fut inondée de septembre à décembre. Des
saumons sont même venus frayer en ville ! Les gens d’ici, toujours avides de fausses
croyances, imputent cette catastrophe au poissonnier de la rue de Mondésir ; il en
aurait – dit-on - émis trop fort le souhait. Mais passons, vous savez ce que je pense
des rumeurs.
Enfin, dernière recommandation pour vos sorties. Le théâtre Clin d’oeil que
vous connûtes enfant, réputé de longue date pour ses spectacles bien pensants, est
devenu un lieu de débauche ! A aucun prix notre bonne Hortense ne doit en franchir
le seuil ! Des personnes, hommes et femmes mélangés, plumes à la main, s’y
retrouvent régulièrement autour d’une sorte de gourou. Là, sont évoqués des
mondes indicibles où les pires rumeurs circulent. Enfants battus, bateliers
alcooliques, femmes de mauvaise vie… Toutes les déviances sont présentes en ce
lieu. Aussi, s’il ne vous fallait respecter qu’une seule de mes recommandations,
faites en sorte que ce soit celle-ci, je vous en conjure.
Votre fille,
Mathilde
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Conseils aux voyageurs
Par Harry L
Si tu descends la Loire, arrête ta gabarre dans un village qui s’appelle Saint
Jean de Braye, arrime ton esquif à un des anneaux scellés dans le vieux mur sous le
pont. Avant l’accostage, attention toutefois aux tourbillons qui, dit-on, ont englouti
maints voyageurs. Mais si tu es courageux, tu débarqueras à cet endroit. Tu
apercevras alors une charmante petite église médiévale.
On dit qu’une trappe dans la sacristie permet d’accéder à l’ancienne salle où
se réunissaient les Templiers. D’ailleurs, certains visiteurs venus exprès arpentent
l’église en quête d’indices ou de signes laissés après leur passage.
Derrière l’église, tu pourras emprunter une venelle serpentant entre les
jardins, dit sentier de la Braye, mais prends bien soin d’éviter le cimetière et surtout
la rue de la Feularde, tant il est de notoriété publique que dans ce coin-là des
miaulements atroces résonnent le soir venu. Et l’on a retrouvé maints corps sans vie
de voyageurs égarés avec de profondes traces de griffures sous leurs vêtements
lacérés.
Donc, même si tu passes par-là en journée, hâte-toi. Prends ensuite le chemin
des Trois Clés, qui, si tu as de la chance, seront disponibles pour toi et te feront
pénétrer dans des mondes insoupçonnés. Néanmoins, prends soin d’emporter
quelques grains de sel pour monnayer la remise de ces trois clés par le vieillard à
l’entrée qui les conserve dans sa besace. Une fois que tu auras étanché ta soif
d’inconnu, tu auras certainement envie de te restaurer. Alors dirige-toi vers l’auberge
du Grand Coquille, dans la rue du même nom. C’est, paraît-il, la meilleure auberge
du coin et on y sert la spécialité qui a forgé sa réputation : l’omelette du Grand
Coquille, un met roboratif à la fricassée d’escargots.
Si, à tes heures perdues, tu apprécies la sculpture, tu peux rendre visite de
ma part à un certain Gaudier Brezska qui possède son atelier non loin de là, dans la
rue idoine. Il est fort sympathique et tu verras qu’il maîtrise son art à la perfection. S’il
est d’humeur aimable, il te fera peut-être cadeau d’une de ses oeuvres, surtout si tu
lui dis que je t’ai envoyé chez lui. Mais tu sais ce qu’est la vie d’artiste, alors n’hésite
pas à l’inviter rue du Coin du Buffet, ou tiens même plutôt rue de Verville pour
déguster ensemble une bonne bouteille à ma santé. Ensuite, vous pourriez rendre
106
visite à un de ses pairs, un nommé Picasso, qui a trouvé original de faire rebaptiser
la rue à son nom !
En fait, si tu es à la recherche de personnalités connues, Saint-Jean de Braye
est l’endroit où il faut se rendre, « the place to be » : des écrivains, jadis, Voltaire,
Racine, Rostand ou bien plus récemment Camus, par exemple, y ont élu domicile.
Crois-moi, les poètes connus, les peintres les plus en vogue ont aussi marqué cette
ville de leurs noms illustres. Non, vraiment, il ne faudrait rater Saint-Jean de Braye
pour rien au monde. Et c’est fourbu, mais ravi, que le soir tu regagneras ta barque
avec dans la tête et devant les yeux des souvenirs pour toute une vie !
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Ma chère Jeanne
Par Anne LheureuxMa chère Jeanne,
Il se dit ici que tu approches de la Loire et que tu auras bientôt atteint les murs
de Blois ou ceux d'Orléans. Si ta course folle sur les chemins de France te laisse
quelque oisiveté aux faubourgs d'Orléans, prends le temps de pousser ta monture
vers le Levant, vers Saint-Jean, sur la rive droite du fleuve, en amont de la ville. C'est
là que je vins au monde, il y a maintenant si longtemps que seuls les arbres et
quelques framboisiers se souviendront de la jeune fille qui vivait au castel Mondésir.
J'étais heureuse en ce temps-là. Le pays était riche encore et Saint-Jean attirait en
foule les bateliers avinés, les vendeurs de saumon et nombre d'animaux.
Si tu vas à Saint-Jean, demande à une vieille de t'emmener au cimetière des
amours anciennes. Mes soeurs et moi y avons enterré nos premiers chagrins,
comme toutes les filles de Saint-Jean avant nous. Je ne sais si ce lieu a survécu à
ma jeunesse, mais j'aime à croire que les jouvencelles y vont encore pleurer pour les
beaux yeux d'un chevalier ou d'un jongleur, ou même, ne rougis pas, pour une amie
de couvent. Je connais ta vertu, mais pense à ta grand-mère, à la jeune fille
fantasque que j'étais et regarde pour moi ce lieu magique où il me semble que je vis
encore un peu, où je vis plus sûrement qu'ici.
Ma Jeanne, si ta chevauchée t'en laisse le loisir, regarde pour moi, une
dernière fois avant que je ne meure, la colline de Verville où j'ai perdu mon coeur et
un peu plus encore. Mon père m'a mariée à un meunier fort riche et fort ventru qui
sentait le vin gris et qui suintait l'ennui. Moi, Jeanne de Mondésir, la plus belle de
Saint-Jean. Si tu vas à Saint-Jean, on te dira peut-être qu'un soir d'hier, la fille de
Mondésir, celle qu'on avait mariée au meunier gris, par ce qu'elle était grosse, a
pourfendu le ventru, l'a laissé crever dans son sang et dans sa peur, qu'elle a pris
son tas d'or et qu'elle a disparu. Certains te diront même qu'un manant l'attendait, le
visage noir, un charbonnier peut être, ou pourquoi pas le diable, qu'elle est montée
dans sa charrette, tirée par deux ânes, l'un gris et l'autre blanc, et qu'on ne l'a jamais
revue. Peut-être qu'on en parle encore à Saint-Jean ou peut être que la misère et la
guerre ont lavé scandales et péchés, et qu'il est temps pour moi d'aller rejoindre le
diable.
Jeanne
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Lettre au chevalier Papin
Par Christiane Noisette
Moy brave chevalier Papin,
Si toy, par volonté de Montesquieu viens par Brayedejean l'y voir, avec coeur
songaillez à moy, toy gentil damoiseau. J’y conduirois toy dans ruelles délicates. T’y
voiras la Martine et la Maryse Bastié s’égailler à Bechet sous beau soleil. A la
Fougère, tous deux biseronT en silence religieux. La paix, fauvettes et étourneaux
pour noys piailleront. T’y voiras ici vie très cavalante. Bons Enfants sur place
commune jouailleront en grand carré pour liberté. J’y t’y guiderois en coquine à
pointe du saint loup. Toy et moy lanternerons la rue où haies édifient hautes croix.
Derrière la fontaine, noy, des gris meuniers et des frères voisins nous taisserons.
Sous groseilliers et framboisiers, ouvertes noys bouches s’y pourlécheront.
Reposerons-noy sur toit maison plate en ardoise et couchaillerons noys mains sur
tapis de marjolaine. Loin, toy mènerois des trois clefs car bizarres choses y
déroulent. Avec toy, moy bien-aimé le pot vert passeront sur Loire et allons glisser
pieds dans bois des saumons. Si capitaine Jean avec toy, toy et moy chez clos St
François l’y mèneront pour noy regarder étoile du nord seuls. J’y marcherois avec toy
par la clairière qui laissera moy cacher de la providence et aimer beaucoup toy sous
catalpas et châtaigniers. Chaudes odeurs fortes par bruyère, romarin et sarriette
noys nez régaleront. En éveil seront noys désirs charnels. Moy, nenni, t’y conduirois
à l’allée des bouchers, à rue pour égoutiers nenni plus à la feularde. Sanglant à ouïdire par peintre Picasso et penseur Diderot. Nenni à la rue des martinets si bruits de
cris par gueules noires noys entendaillons. Quand charpentoyers rentrer, noys, à
table du chevalier de Louville soupailleront d’étourneaux en pâtés, de bouvreuil en
sauce rabelais et de gradoux de Lenôtre. Dans verre d’un grand carré, moult nectars
de vignerons y déverseront. Si mistral souffle, noy arrêterons noys corps sur chemin
du halage et noys intérieurs des senteurs par chaumes abandonnées par mésanges
s’occuperont. Au pont du Bordeau prendront route mondésir et reposeront dans
grand maison. Toy ouieras en matin femmes chantantes car puits de ville sous noys
lucarnes du moulin eau tireront.
Grandes jours toy peux durer près de moy. T’y découvrirois autres lieux de belle ville.
En ici, par ma foi, violettes, coquelicots et oeillets offriront noys bouquets d’amour.
Par Ste Marie, Ste Euverte et St Lyé, j’y t’esprèrois à vite caché derrière cèdre bleu.
Ta dulcinée
Marguerite, Colette Le Corbusier
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Lettre à Marie
Par Régine Paquet
Ma chère petite Marie (d’accord, plus si petite que ça à 27 ans!),
J’ai appris par ta mère que tu es en recherche d’un lieu où t’installer pour
débuter ton métier d’illustratrice. Rejoins-moi à Saint-Jean de Braye. Quoi, dans une
petite commune sans cachet particulier et à la vie bien ordinaire ? T’insurgeras-tu !
Que nenni ma belle! Si tu prends, comme moi, le temps d’aimer cette commune, tu y
découvriras des richesses insoupçonnées. J’y ai accès, moi. Oui, moi, ta « vieille
tante », je peux t’ouvrir les portes de l’autre Saint-Jean de Braye.
Tiens, par exemple, dans le parc du Château des Longues Allées, rue de
Mondésir, juste après minuit, il suffit de soulever un coin de la toile peinte du plus
vieux cèdre pour plonger dans la forêt magique. Des voitures grimpent le long des
arbres, se perchent en leur sommet ou sortent à moitié de terre. Des échassiers
vêtus de rutilants costumes pailletés ouvrent des chemins d’étoiles éphémères parmi
les massifs. Une femme-chapiteau invite les promeneurs à un inoubliable voyage
sous sa robe-coupole. Des machines à laver volent dans les airs. Des coulées de
feux d’artifice jaillissent des fenêtres du château et la musique se déploie sur le ciel
nocturne. Et je ne te raconte pas tout. Cela chatouille-t-il tes pinceaux ? Pas assez,
mademoiselle ?...
Alors écoute encore. Quand la grosse horloge ronde de la mairie, bâtiment
farouchement voulu par Emile Rossignol, s’immobilise sur 2 heures du matin, le
décor, subtilement, se métamorphose. Des centaines de petites touffes d’herbe
pointent leur nez hors du béton. Elles poussent, poussent, mêlées de fleurs
sauvages où bourdonnent des insectes. Des arbres fruitiers étirent leurs branches et
dansent une immobile farandole autour de la mairie et s’étalent à perte de vue. Les
bassins de béton tout proches redeviennent un libre ruisseau. Et là, écoute bien ma
belle, des couples de mariés viennent s’unir au fil de l’eau qui n’est plus que le long
voile ondulant de toutes les mariées.
Ah ! Je te sens qui hésites soudain. Voici de quoi finir de te convaincre. Rue
de la République, un vulgaire et banal ensemble de préfabriqués se transforme, en
un clin d’oeil, en d’infinies possibilités. Un soir, tu te croiras devant et dans un
superbe opéra digne de La Scala. Une autre fois, tu pénètreras dans une tente
berbère odorante. Une nuit, tu seras au coeur d’un théâtre à l’italienne flambant de
110
velours rouge ; une autre tu t’assiéras sous le dôme blanc d’un immense chapiteau ;
une autre encore assise dans ton fauteuil, tu t’envoleras dans l’air et survoleras des
contrées inconnues ou reconnues... Et dans tous ces bâtiments éphémères, tu seras
emportée par un flot de paroles, de mots, de musiques ou de silences, de rires et de
pleurs, de cris de joie et de colère aussi...
A quelle heure arrives-tu demain, ma petite Marie? Tu connais ma nouvelle
adresse rue des Quatre Vents et tu sais que ma maison, comme ma commune, est
assez grande pour y accueillir tes crayons, tes pinceaux, tes bagages et tes envies.
A demain.
Ta tante Régine
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Des axes majeurs
Par Guy Viennot
Saint-Jean de Braye se déploie suivant trois axes. L’axe Est Ouest suit la
Loire entre la rue du Gris-Meunier à l’Est et les remparts d’Orléans à l’Ouest. Un
deuxième axe relie le hameau de Charbonnière et rejoint les Longues Allées en
passant par le centre-ville. Enfin, le troisième axe relie le Royaume des Enfants, une
trentaine de mètres sous terre à la Cité des Anciens perchée à quelque mille mètres
d’altitude. Il te faudra trois jours, au minimum, pour explorer ces trois axes et ainsi
mieux connaître les différents quartiers.
Premier axe, première journée
La rue du Gris-Meunier suit le coteau qui surplombe la Loire. Plusieurs caves
de propriétaires s’ouvrent sur cette rue. Entre au n° 31. M. Morgon porte de superbes
moustaches mais c’est avant tout un professionnel de renom. Cet homme-là connaît
son métier. Si tu lui inspires confiance, il te fera goûter son vin n° 9 et même peutêtre le 10. M. Morgon t’aura dit « Recrache ! », comme on fait pour une dégustation.
Mais, tu feras signe de ne pas avoir compris. Au contraire, tu le boiras d’un trait.
L’effet est immédiat. Te voilà parti au pays des songes.
Un conseil ! Dès que tu seras réveillé, prends tes jambes à ton cou et file !
Entre au n° 22. C’est une sorte de prison mais il vaut mieux être en prison que dans
les griffes de M. Morgon. Vers 2 heures, quand M. Morgon fait sa sieste, tu peux
t’échapper et dévaler jusqu’à la Loire.
A n’importe quelle heure du jour, a fortiori le soir, la Loire est belle. Suis son
flot. Repère mouettes, cygnes, colverts, poules d’eau et foulques. Regarde-les se
poursuivre, s’envoler et s’abattre tout à coup sur le fleuve. Laisse-toi porter et envahir
par cet espace sauvage.
Mais attention, lorsque tu atteindras les murs d’Orléans, la herse sera
sûrement fermée. Les portes ferment à 19 heures en été et à 17 h 30 en hiver. Aussi,
au terme de ce premier jour riche en émotions, je te conseille de rejoindre L’Auberge
des Groseilliers. On dit que cet endroit a accueilli bien des amours débutantes. De
fait, les lits sont bons, la chère excellente et les hôteliers très courtois. N’hésite pas à
demander pour ton repas l’un de ses saumons de Loire, accompagné d’un riz au
safran. Tu m’en donneras des nouvelles.
112
Deuxième axe, deuxième journée
Tu partiras des Longues Allées. Ce lieu a connu de profondes
transformations. Deux admirables mégalithes, encore dressés, témoignent, selon la
légende, d’un très ancien culte païen voué à l’eau ou plus spécialement à la Loire.
Les spécialistes se disputent à ce sujet.
Toujours est-il que ces deux mégalithes entouraient la porte du château de
Grognon, suivant des archives retrouvées dans l’une des caves de la rue du GrisMeunier. D’après ces mêmes archives, le troisième propriétaire du château, un
certain Gontran aurait rédigé la constitution actuelle, puis imposé par la force la
séparation des familles abraysiennes en trois groupes, enfants, parents et anciens,
ce qui, à l’époque, avait été âprement combattu. D’ailleurs, la guerre entre partisans
du partage actuel et partisans des formes familiales traditionnelles peut se rallumer à
tout instant. Mais, il faudrait y consacrer trop de place, ce qui n’est pas possible ici.
Pour le trajet Longues Allées – Hameau de Charbonnière, deux options
s’offrent à toi. Soit, tu suis la rue des Impôts puis la rue Ursulines et enfin la rue de la
Clé-des-Bois, soit, et je te le conseille, tu empruntes l’ancien souterrain du Château
de Grognon qui part précisément du lieu dit Cache-Misère …
113
La machine à voyager dans le temps
Destination : Saint-Jean de braye
On découvre une machine à voyager dans le temps à SaintJean de Braye
Les jeunes de l’école Paul Langevin montent dans la machine
et découvrent le futur. Ils écrivent une carte postale à leurs
grands-parents. Certains d’entre eux répondent à leurs petitsenfants : ils sont remontés dans le temps !
LETTRE DE MARIE .....................................................................................................................................................
REPONSE A MARIE PAR MARIE-EDITH BASILLE ..........................................................................................
LETTRE DE GARANCE ..............................................................................................................................................
REPONSE A GARANCE PAR JEAN-JACQUES RICHER ..................................................................................
LETTRE DE CLEMENCE ...........................................................................................................................................
REPONSE A CLEMENCE PAR FRANÇOISE RUBINSTENN............................................................................
LETTRE DE TOM .........................................................................................................................................................
LETTRE DE MATHIS ..................................................................................................................................................
LETTRE DE MANON ...................................................................................................................................................
114
Lettre de Marie
St Jean de Braye, année 4000
Chère mamie, cher papi,
Je suis bien arrivée. Ici, il fait froid et il neige.
Les habitants sont habillés avec des shorts qui leur arrivent aux cuisses et des teeshirt sans manches. Leur couleur de peau est jaune.
Dans la ville, les maisons sont rondes et les rues suspendues. Les véhicules volent
et ressemblent à des soucoupes volantes.
J’aime la spécialité de là-bas : des bonbons chocolat, vanille et citron.
Je n’aime pas beaucoup être dans les soucoupes volantes.
Je te rapporte en souvenir des bonbons chocolat, vanille, citron.
Réponse à Marie par Marie-Edith Basille
Saint jean de Braye 2011
Bonjour ma petite Marie Chérie,
Merci beaucoup pour ta carte, elle m'a fait très plaisir.
Je vois que tu as découvert beaucoup de choses que je ne connaîtrai jamais.
J'ai hâte de goûter aux bonbons chocolat, vanille, citron, ça doit être délicieux
et je deviendrai peut-être jaune, moi aussi.
Tu me parles des rues suspendues. Je m'imagine marcher dessus, ça doit
balancer ! Brrrrrrrr, mais avec les soucoupes volantes, la circulation est peut-être
moins compliquée qu'avec les travaux du tram. Cela a dû te changer.
Tu avais emporté des pulls et des pantalons pour la neige. J'espère que tu ne
les as pas coupés pour ressembler aux abraysiens de l'an 4000 parce que tes
parents feraient une drôle de tête. Eux, ils seraient peut-être rouges de colère.
Garde bien tous tes souvenirs dans ta tête. Tu pourras les raconter à tes petits
enfants plus tard.
Encore merci et gros bisous.
Mamie
Voyage dans le passé
Merci beaucoup Marie pour le joli cadeau que tu nous as fait, à ton grand-père
et à moi.
Dans la machine à remonter le temps, j'ai appuyé sur une date au hasard.
Quand ça s'est arrêté, je me suis sentie un peu dépaysée.
115
Imagine, nous sommes au XVe siècle au château fort de Saint Loup, à St
Jean de Braye. Tu vois où c'est. Il reste encore une grande propriété avec des
sapins, en bord de Loire.
Ah, bien sûr, tu n'y as jamais pénétré, alors je vais t'expliquer comment ils
vivent aujourd'hui, en 1450.
Ce château est en ruines : la guerre l'a une fois de plus démoli.
Aujourd'hui, la baronne nous reçoit. On est très impressionnés avec Papy. En
passant sous la poterne, machinalement, je présente ma carte d'identité...... Si tu
avais vu l'air ahuri du garde devant ce morceau de plastique... ! Et nous qui voulions
passer inaperçus.
On suit le serviteur qui nous conduit dans les appartements de la baronne.
Très accueillante, ma foi. Elle nous fait visiter toute sa propriété, son verger, son
potager,... On a une vue splendide sur la Loire , tu sais, le "fleuve royal" .
Mais la visite de la demeure, c'est autre chose. Il n'est pas facile d'habiter
une ruine quand les alentours se construisent à neuf. Alors on enjambe les gravats
pour aller jusqu'à la seule pièce à peu près en état. Il n'y a plus ni meubles, ni
tapisseries, ni belle vaisselle mais quelques tabourets et un coffre. On nous sert du
poisson de Loire, quelques topinambours sur une grande tartine de pain gris et du
gris meunier. Cela ne ressemble en rien à ce que tu nous as décrit de l'an 4000.
Nous garderons un bon souvenir de notre remontée dans le temps.
Personnellement, j'aurais aimé pouvoir observer plus longuement la vie des
habitants de l'autre côté de la route mais ce sera peut-être pour une autre fois.
Nous aussi, on te rapportera un petit souvenir et ce sont également des
bonbons. Ils sont noirs, ronds. Ils sentent un peu la réglisse, ça s'appelle des
"boulets de canon". C'est la spécialité de Saint Loup en 1450.
On t'embrasse très fort.
Papy et Mamie
Lettre de Garance
St Jean de Braye, année 3111.
Chère mamie, cher papi,
Je suis bien arrivée. Ici, il fait chaud mais pas super chaud.
Les habitants ont des ailes et ils sont habillés tout en violet avec des jupes et des
tee-shirt en forme de chèvre.
Les maisons sont faites de livres et de métal. Maintenant la ville s’appelle : la
Chalopignière aux chevaux.
J’aime leurs chevaux ailés.
116
Je n’aime ni leur nourriture, du poisson cru, ni leurs maisons.
Je te rapporterai un cheval volant en souvenir.
Réponse à Garance Par Jean-Jacques Richer
Ma chère petite Garance.
Ta carte m'a rassuré, et comme je le vois tu as fait bon voyage. Tu me dis qu'il
fait chaud mais pas super chaud. Tu aurais dû suivre mes conseils car ta doudoune
en duvet de canard et tes après-ski, ne te seront pas d'une grande utilité.
Vous a-t-on collé des ailes comme aux habitants de ta nouvelle destination ?
J'ai beaucoup de mal à t'imaginer avec une jupe en forme de chèvre, mais enfin !
Les habitants ont-ils quatre pattes dans ce pays ?
Tu me dis que tu n'aimes pas les maisons. Ne serait-ce pas comme tu le
précises par ce qu'elles sont en forme de livre et que tu n'as jamais eu un goût
immodéré pour la lecture ? Cette forme permet-elle au moins à leur propriétaire
d'être à la page !
Tu pourrais faire un effort pour manger du poisson cru afin de ne pas nous
revenir anémiée.
Ne dépense pas ton argent inutilement ! N'y aurait-il pas un souvenir plus utile
et moins encombrant qu'un cheval volant ? Car tu sais, chez nous la place manque
et avec cette sécheresse l'avoine devient une céréale rare et chère.
La prochaine fois, c'est Manène qui t'écrira. Elle te remercie de ta carte qui lui
a fait énormément plaisir. Nous t'embrassons bien fort, profite bien de ton séjour.
Voyage dans le passé
Ma chère petite Garance.
Je suis très heureux que tu aies choisi de nous offrir ce voyage dans le passé
plutôt que le séjour à Disney Land comme tu en avais parlé.
Nous avons atterri hier soir à 22 heures, par une nuit sans lune et avons eu du
mal à trouver une auberge car les rues ne sont pas éclairées. Ce matin, je me trouve
rue du Faubourg de Bourgogne où règne une certaine agitation. Je ne crois pas que
ce soit pour moi, car je n'avais pas prévenu de ma visite. Là, quelques notables en
haut de forme et queue de pie regardent leur montre à gousset tout en discutant.
Plus loin des badauds parlent de la pluie et du beau temps. L'un d'eux m'indique que
l'on attend l'arrivée du ministre des Transports venu de Paris pour inaugurer la mise
117
en service de la ligne de tramway Martroi/Saint-Loup. La vie est donc vraiment un
éternel recommencement …
Je continue mon chemin et suis surpris par le nombre de cafés qui s'appellent
d'ailleurs plutôt bistrot, auberge. Ici la Pomme de Pin qui existe toujours d'ailleurs, là
l'Auberge Mineau qui a été abattue pour faire l'entrée de la Cité Saint-Loup où habite
maintenant Margot ta copine. L'envie de boire un café me pousse dans l'un de ces
estaminets où les discussions vont bon train. A cette table, on parle de prolonger le
canal de Combleux à Orléans. A cette autre ,c'est la disparition annoncée de la vigne
avec l'arrivée du phylloxéra qui alimente la conversation. On parle de la remplacer
par des vergers, et pourquoi pas par des maisons ajoute l'un des interlocuteurs.
Toutes ces personnes semblent heureuses de se retrouver, les hommes
autour d'un verre parfois les cartes à la main ou autour d'un jeu de dominos. Les
femmes, plus discrètes, conversent souvent assises sur un muret à proximité. Il est
vrai que nous sommes dimanche et qu'il fait beau.
Soudain, tous les visages se tournent vers un engin bruyant qui fait vibrer les
vitres de toute la rue. C'est Albert Guyot qui, entre deux tours d'avion, met au point
sa dernière invention dans son atelier proche. Il s'agit d'une magnifique voiture aux
cuivres rutilants et tu me croiras si tu veux, avec des roues à rayons. Certains disent
qu'elle peut atteindre 90 km par heure et qu'il va aller courir en Amérique ! Pendant
ce temps là, ici on se déplace à vélo et en voiture à cheval.
Ce matin, j'ai même vu un chien attelé à une petite charrette qui transportait
du lait. Sa propriétaire allait de maison en maison pour vendre sa marchandise dans
des laitières.
J'allais oublier de te rapporter un petit souvenir en remerciement de ce
merveilleux voyage dans le passé. Me voici devant la fonderie de cloches Bollée, je
vais t' y choisir une petite cloche. Tu pourras me rappeler à l'ordre lorsque tu jugeras
que je ne suis pas assez sage.
Je te récrirai prochainement pour te raconter comment se passent les
journées de travail dans cette ville.
Nous t'embrassons bien fort et encore merci.
Tes grands-parents en voyage dans le temps.
118
Lettre de Clémence
St Jean de Braye, année 3050,
Chère mamie, cher papi,
Je suis bien arrivée. Ici, il fait très chaud, 55 degrés ! Le climat est humide, sans vent
et le ciel toujours bleu.
Les habitants sont habillés de linge blanc, les garçons, torse nu et les femmes en
jupe et chemisette. Tous portent des sandales et des chapeaux de paille. Ils font des
paris, se baladent, se baignent et jouent. Ils ne travaillent pas mais cueillent des sous
sur des arbres à sous.
La ville est construite avec des cases végétales : toit en feuilles de palmier, murs en
roseau. Il y a des vergers d’arbres à poulet ou d’autres d'arbres à viande ainsi que
des potagers pour les légumes et les fruits. Dans les rues, il y a plein de fleurs de
toutes les couleurs. Il n’y a pas de véhicule donc pas de pollution.
J’aime bien cet endroit, c’est très relax, sans histoire de sous.
Je n’aime pas les cases qui ne sont pas très confortables.
Je vous rapporte une tunique de linge blanc pour mamie et pour papi, un pagne que
portent les hommes et aussi plein de photos.
Réponse à Clémence par Françoise Rubinstenn
Ma grande,
Ravie d’avoir lu ton courrier; il me rappelle quelque voyage en Afrique par temps de
mousson.
Quelle découverte !...Ce n’est pas tant l’habillement qui m’étonne, ni les loisirs mais
l’arbre à sous ; comment les habitants se partagent-ils billets et pièces ?
Au fait même, le sens du « partage juste » existe-t-il là-bas ? Renseigne-toi pour me
l’expliquer dans ta prochaine lettre.
Et puis l’arbre à poulets et l’arbre à viande, comment en est-on arrivé là ?
Profite bien des paysages, des fleurs, du calme sans véhicule bruyant !
Fais connaissance avec tes voisins de case pour en savoir plus…Tu apprendras
beaucoup.
Un grand merci pour les « souvenirs » Les photos surtout nous feront plaisir.
Gros bisous de nous deux.
119
Voyage au XIXe siècle
A mon atterrissage à St Jean de Braye près de la côte de Bionne, Je décide
d’aller visiter en bordure de Loire le village de St Jean de Braye.
J’aperçois la malle poste qui descend la route Impériale de Briare à Orléans
en venant de Chécy.
Le vent souffle dans les crinières des chevaux ; le cocher fait claquer son
fouet pour qu’ils maintiennent le rythme tandis que les passagers à l’arrière papotent.
Je porte une robe longue noire et des bottines cirées ; mon corset me donne
une taille de guêpe et j’étouffe !
Une cape confortable recouvre mes épaules et m’abrite du vent..
La malle poste fait halte à l’auberge située à mi côte.
J’observe les voyageurs emmitouflés descendre avec précaution du
marchepied. Ils sont réjouis car l’aubergiste les attend sur le pas de la porte et leur a
préparé un repas chaud et copieux pour les réchauffer.
Je prends la direction de Combleux pour atteindre la Loire que je longe
jusqu’au lavoir à l’embouchure de la Bionne.
Malgré le froid, les femmes et les jeunes filles battent le linge en chantant.
Au port, les bateliers amarrent les bateaux pour décharger leur cargaison. Ils
s’interpellent pour ensuite aller trinquer.
De la Bionne au bourg de St Jean de Braye dont on aperçoit le clocher, il n’y a
qu’un quart d’heure de marche, selon mes informations.
Du sentier, j’aperçois Orléans et ses églises, Saint Aignan et la cathédrale.
Sur les coteaux surplombant le fleuve, les terres sont plantées de vigne. Les prairies
entourées de haies accueillent les moutons.
En arrivant au bourg, j’entends le hennissement des chevaux à l’écurie, face
au parvis de l’église. Les poules picorent sur la place et les vaches d’un pas
tranquille, prennent le chemin de leur étable.
Les habitants du bourg, surtout des vignerons, portent des vêtements
sombres et épais. Les femmes sont coiffées de bonnets couvrant leurs oreilles.
Chacun, chacune rentre chez soi après quelques bavardages. Le bedeau entre à
l’église pour sonner l’Angelus.
Je choisis de rentrer après la balade en passant par la Haute Croix où se
trouve le café épicerie. Je double 2 moulins à vent.
A mon retour, je te remettrai en souvenir un almanach que l’épicière m’a
vendu ; tu pourras y puiser beaucoup d’informations pour le jardin, la cuisine et les
remèdes pour ta santé, qui te seront utiles en grandissant.
Un gros bisou pour te remercier de ce périple que j’ai beaucoup aimé
120
Lettre de Tom
Saint-Jean de Braye, année 3905,
Chère mamie, cher papi,
Je suis bien arrivé. Ici, il fait très, très chaud : 50 degrés !
Les habitants se baladent tous nus dans les rues et ils ne travaillent pas.
La ville est pleine de maisons de deux cents mètres carrés. Les rues sont toutes
petites. Les véhicules ne touchent pas le sol.
Les bonbons tombent du ciel et on peut aussi manger des Tacos volants. Les
véhicules vont super vite.
Je n’aime pas les licornes à deux têtes.
Je te rapporte une corne de licorne à deux têtes en souvenir.
Lettre de Mathis
Saint-Jean de Braye, année 180 001,
Chère mamie, cher papi,
Je suis bien arrivé. Ici, il pleut toutes les deux heures. Les habitants ressemblent
à Pépé Jean-Jacques. Ils ont des points rouges sur la tête. La majorité sont
bibliothécaires.
En ville, les maisons ressemblent à des maisons bretonnes et les rues sont en
ruine. On se déplace en soucoupe volante.
J’aime la Loire qui n’a pas changé.
Je n’aime pas leurs gâteaux qui sont fait à base de crottin de cheval.
Je te rapporte un album photo en souvenir.
Lettre de Manon
Saint-Jean de Braye, année 3000,
Chère mamie, cher papi,
Je suis bien arrivée. Ici, il fait froid et il neige. Les habitants sont en bleu, blanc
et rouge. Ils ont juste à dormir et ils gagnent de l’argent. En ville, les maisons
sont toutes peintes en violet et les rues sont les mêmes qu’ici. On se déplace en
soucoupe volante.
J’aime bien cette ville car on n’a pas besoin de travailler mais je n’aime pas voler
en soucoupe par ce qu’on est trop serrés.
Je te rapporte le tee-shirt rouge et blanc que portent les habitants.
121
Les habitants de Saint-Jean de Braye
Décrivez de manière objective un des personnages
précédemment évoqués dans vos textes.
Evoquez une vision fantasmée ou une rumeur concernant ce
même personnage.
Un visiteur lettré est dépêché auprès de notre personnage. Il
fait un compte-rendu à son seigneur.
SIMONE, LA PATRONNE DU BALLON PAR ALINE BAUDU ........................................................................
LE SACRISTAIN PAR CHRISTIAN FER ...............................................................................................................
GONTRAN DE BEAUGENCY PAR CHRISTOPHE HUGUET..........................................................................
MARCEL COLOMBUS, GARDIEN DU CIMETIERE DES AMOURS PERDUES PAR SOPHIE
GONZALBES ..................................................................................................................................................................
MARCEL COLOMBUS, GARDIEN DU CIMETIERE DES AMOURS PERDUES PAR CHANTAL
LERAITRE ......................................................................................................................................................................
MAITRE COQUILLE PAR CHRISTIANE NOISETTE .......................................................................................
BENEDICITE, LE SACRISTAIN DE ST JEAN DE BRAYE PAR REGINE PAQUET..................................
LE MENESTREL PAR CHARLOTTE TALEC......................................................................................................
122
Simone, la Patronne du Ballon
Par Aline Baudu
Au Ballon, il y a cette vieille photo, début du siècle, juste au-dessus du zinc.
Sur l’image, une grande femme opulente d’une cinquantaine d’années ; elle pose
devant le bar, en train d’essuyer un verre-ballon avec un torchon à carreaux. Elle a
les cheveux coiffés en un chignon qui se défait. Elle fronce les sourcils, nous regarde
et ne sourit pas. Elle porte un chemisier noir avec une dentelle blanche au cou. Cela
fait comme une collerette. Sa jupe noire lui marque les cuisses. Par-dessus, attaché
à la taille, un tablier clair taché ; aux pieds, des bottillons bien vernis.
On dit qu’elle n’était pas marrante, La Simone, et qu’elle tenait le bar d’une
main de fer ! Il paraît aussi qu’elle devait avoir un certain charme puisque plus
d’hommes entraient dans son bar qu’il en sortait !
Quelques personnes bien intentionnées avaient rapporté au premier édile de
Saint-Jean de Braye quelques faits se déroulant Au Ballon. Craignant une débauche
de ses administrés, monsieur le maire ordonna à M. Julius, l’instituteur, d’aller dans
ce troquet et de lui rapporter ce qu’il s’y passait réellement.
« Je me suis rendu Au Ballon le jeudi 17 novembre 1903, à 20 h. De
l’extérieur, je distinguais peu de choses. Les vitres étant recouvertes de buée. Cela
m’a étonné, car il ne faisait guère froid ce soir-là.
« Je poussai la porte et je reconnus cette chanson quelque peu commune La
Madelon. A l’intérieur, des hommes, de nombreux hommes, que des hommes. La
Madelon était chantée par un groupe de bateliers à fort accent angevin. D’autres
messieurs levaient le coude et semblaient agrippés au zinc.
« Quelqu’un cria « Chut ! Chut ! » . Le silence se fit. Je m’aperçus que l’ordre
de se taire avait été émis par le sacristain. Il parut quelque peu gêné de me voir…
Les autres me dévisageaient religieusement. Des pas semblant provenir du sous-sol
résonnèrent. Quelqu’un montait un escalier. Et une trappe située près du comptoir
s’ouvrit d’un coup sec.
« C’est quoi ce bordel ! On ne vous entend plus en bas ! »
« La femme qui avait éructé ces mots referma la trappe et les mains sur ses
hanches opulentes regarda la salle.
123
« C’est alors qu’elle me vit.
« C’est toi l’ nouveau qui fait taire mes gars ?
« - Madame, je, je …
« - Allez vous autres, reprenez La Madelon que j’en aie les oreilles qui frissonnent !
Et toi (s’adressant à moi en me pointant du doigt), viens m’ voir un peu ! »
« Personne n’osa bouger puis un des bateliers reprit la chanson suivi des
autres. L’endroit devint de nouveau bruyant.
« J’avoue avoir été impressionné par cette femme imposante, qui me
dépassait d’au-moins deux têtes et semblait d’une force peu commune. Elle était
toute de noir vêtue, excepté un tablier tâché à sa taille.
« Alors, tu viens ? »
« Je me dirigeai vers le comptoir. Quelques gars s’écartèrent. Elle posa un
verre-ballon devant moi qu’elle commença à remplir de vin. J’ai bien tenté de refuser,
sans grand succès. Je remarquai alors ses larges mains et ces marques rouges sur
son tablier. Sûrement du vin, que cela pouvait-il être d’autre ? »
124
Le sacristain
Par Christian Fer
Dans l’atelier de Claire, il y a cette statue de ciment que j’ai tout de suite
associée à Basile, le sacristain de la paroisse saint Loup.
Il lutte contre les éléments. Son long manteau traîne derrière lui, comme soulevé
par une bourrasque. Sa main gauche essaie de retenir sur sa tête son chapeau
qu’un vent imaginaire repousse en arrière. Il avance son buste pour mieux faire
pression contre la tempête. Cette allure lui donne à la fois l’air grave qu’on lui connaît
lorsqu’il officie auprès de notre curé, mais aussi ridicule et impuissant.
Claire ne lui a pas donné de visage. La statue n’a pas d’ yeux, pas de bouche,
pas de nez. On pourrait croire qu’elle est inexpressive et pourtant, miracle de l’art, on
voit derrière cette surface ronde et lisse tout le tourment et la souffrance qui animent
notre sacristain.
Le sacristain, sous son air grave et cérémonieux et son allure dévote cacherait
en fait une grande addiction à Bacchus. Il aurait commandé pour sa consommation
personnelle des caisses de Saint Estèphe qu’il aurait payé avec le denier du culte, ce
qui constituerait un abus de biens divins. C’est un fait que le goût du vin de messe
n’a rien à voir avec celui de ce grand cru. Les caisses seraient livrées, de nuit,
derrière le presbytère à l’insu du curé et la démarche suspecte et le trajet parfois
sinusoïdal du sacristain dans les rues de Saint-Jean de Braye s’expliqueraient par un
abus du breuvage bordelais.
Le sacristain m’avait donné rendez-vous au presbytère. Je devais produire un
article sur lui pour mon journal. J’étais un peu inquiet sur la nature du personnage
que j’allais rencontrer. Claire, l’artiste du village, l’avait représenté en statue de
ciment, mais je me demandais bien pourquoi, compte-tenu de la rumeur de
débauche qui courait dans Saint-Jean de Braye sur le sacristain.
J’avais choisi, pour préparer mon article, de le rencontrer à 10 h du matin,
craignant que plus tard ses propos ne me soient plus difficiles à décrypter. Il m’attend
à la porte d’entrée et me laisse passer devant lui. Je constate qu’il est courbé et que
sa démarche est pénible. Nous nous installons dans un petit salon et il m’offre un
verre d’eau. Il s’en sert un également. Il me vient un premier doute. Tout ce que l’on
dit sur lui est-il vrai ou bien est-ce un stratagème de sa part pour me tromper, car
l’individu me parait très intelligent.
125
- Cela vous étonne que je ne serve que de l’eau ?
Je bredouillai que non, me sentant découvert.
- Vous êtes venu, n’est-ce pas, pour savoir si tout ce que l’on dit de moi est vrai et
pour confirmer dans votre article la rumeur qui court sur moi ?
Il avait donc décidé de m’entraîner sur ce terrain-là et je ne pouvais plus reculer.
- Je ne suis pas exactement venu pour cela. Il est vrai que je suis intrigué par tout ce
que l’on raconte, cependant je sais aussi que vous êtes apprécié de certaines
personnes comme Claire qui vous a choisi comme sujet de statue. Je l’ai vue et j’en
suis encore ému.
- Alors, il faut que je vous explique ce que sont certains messieurs de Saint-Jean de
Braye. Lorsque je suis arrivé, il y avait parmi les fidèles des hommes de peu de
morale, des viticulteurs, des producteurs de Gris Meunier et j’ai découvert qu’ils
faisaient un trafic avec leur vin. J’étais jeune et naïf et malgré les recommandations
du curé, je suis allé voir le responsable de leur organisation. Je ne le regrette pas,
mais c’est là que tout a commencé. Ces gens sont puissants, ils ont répandu sur
mon compte des tas de fausses rumeurs, que je buvais, que je détournais l’argent du
denier du culte.
Je lui demandais alors si le curé n’avait pas tenté de l’aider.
- Oh, le père Lepleutre, me dit-il, est certainement très bon, mais il n’est pas très
brave et il n’a pas voulu se heurter à tous ces gens de peur que l’évêché ne l’envoie
dans une paroisse reculée du Gâtinais.
Ebranlé, je lui dis tout de même que parfois sa démarche dans les rues pouvait
laisser penser qu’il s’adonnait à la boisson.
Il me confia alors d’un air malheureux qu’il fallait attribuer son allure bizarre à une
arthrose qui le faisait énormément souffrir et lui faisait souvent perdre l’équilibre
quand il marchait.
Tout ceci m’avait perturbé et j’étais impressionné par son apparente sincérité. Je
décidais d’écourter notre rencontre. Je prétextai un autre rendez-vous et je décidai
avant de revenir pour collecter la matière de mon article de me rendre chez Claire
pour essayer d’en savoir plus sur cet homme.
126
Gontran de Beaugency
Par Christophe Huguet
Gontran Philibert Marie Joseph de Beaugency a l'allure altière de l'homme bien
né. Il vous fixe d'un regard bleu et serein, un rien condescendant. Son front dégarni
et son gros nez luisent de quelques touches de blanc, à la limite de
l'impressionnisme. Il se tient debout de trois quarts, devant l'âtre du salon de son
cher château médiéval si pittoresque. La main gauche sur la hanche, l'autre sur une
canne en bois rare et pommeau d'ivoire. Un gilet rouge, peinant à contenir une
bedaine proéminente, recouvre une chemise à jabot blanche. Il affiche ses
ascendances écossaises par un kilt épais et des chaussettes qui ne cachent pas
totalement le foisonnement de la pilosité de ses jambes.
Gontran était connu pour ses nombreux tics et manies assaisonnés de
problèmes d'élocution qui, disait-on, n'étaient pas étrangers aux rumeurs de
consanguinité qui couraient sur sa famille. En somme, il était un peu débile.
« Mon Seigneur, votre dévoué trésorier est de retour et vous salue bien bas. Je
puis vous assurer de la fidélité de Gontran de Beaugency à la couronne. Il me faut
cependant attirer votre attention sur la gestion de son domaine. La lecture des tables
de comptes m'a confirmé le manque de rigueur dont il faisait preuve pour lever
l'impôt,... et remplir les caisses de Mon Seigneur. J'ai d'abord suspecté une filouterie,
un tour pendable qu'il nous aurait joué. Mais lorsque je l'entretins avec prudence de
mes doutes, j'ai compris bien vite que la rumeur disait vrai : il est en tout point débile.
« Et même plus, il est possédé, Mon Seigneur ! Moi qui l'ai vu de près, j'en suis
encore consterné. Il bave, il éructe des gargouillis incompréhensibles et se frappe le
crâne de la main à longueur de temps. C'est une vision diabolique, Mon Seigneur !
S'il ne tenait qu'à moi, j'enverrai les inquisiteurs l'exorciser proprement et le brûler vif
! Bien qu'il ait une charmante sœur, il ne dispose pas de frères, ni d’aucun autre
parent de confiance et ses enfants ne sont pas encore en âge de gouverner. Il serait
sans doute hasardeux de laisser son domaine à l'abandon et de provoquer l'ambition
des nobliaux voisins. C'est pourquoi, Mon Seigneur, je propose humblement de
mettre son domaine sous votre tutelle. Et si vous l'acceptez, je m'occuperai
personnellement de ses affaires avec toute la rigueur qui convient. »
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Marcel Colombus, gardien du cimetière des amours perdues
Par Sophie Gonzalbes
Au bas du tableau, une signature discrète : Grégoire d’Outre Tombe.
Représenté assis sur une pierre tombale, Marcel Colombus est vêtu d’un
pantalon et d’une blouse de soie noire. Des bracelets dorés ornent ses poignets
épais. Autour de son cou, une chaîne avec un pendentif en forme de coeur traversé
d’une flèche rouge sang. Son visage, de face, est d’une laideur peu commune. Deux
canines particulièrement pointues terminent son sourire cruel. Sur le haut de ses
oreilles, quelques poils noirs se dressent.
Marcel Colombus est mort depuis belle lurette. Il est enterré au cimetière du Père
Lamour, aux premières loges. On fait le voyage pour s’agenouiller sur sa tombe. Il
paraîtrait que ce simple geste suffirait à provoquer une rupture franche, définitive et
indolore entre deux êtres qui en auraient assez de s’aimer. Marcel Colombus fut en
son temps, dit-on, spécialiste en la matière. La rumeur laisse croire qu’une seule
poignée de main accompagnée d’un regard franc, suffisait à mettre un terme à une
histoire d’amour encombrante.
« Madame la Duchesse,
« Je vous écris cette missive depuis l’auberge du Ballon à Saint-Jean de
Braye. J’ai, pas plus tard qu’hier, rencontré le sieur Marcel Colombus. Par le plus
grand des hasards, on célébrait son anniversaire. De jeunes enfants en costumes
d’anges dansaient autour de lui une gracieuse ronde en chantant dans un patois fort
désagréable à mes oreilles. Cela faisait quelque chose comme : « a pis beur
cedayeux tou iou ». Mais passons et revenons à la mission que vous m’avez fait
l’honneur de me confier : quérir le plus d’informations possibles sur ce personnage.
Eh bien, figurez-vous que contrairement à toute attente, l’homme est sympathique !
Vous l’apprécierez, Duchesse, je puis vous l’assurer.
« A peine les présentations faites, il m’a immédiatement invité à m’attabler à
ses côtés. Nous fîmes bombance ! Il y avait là Maître Coquille, le fameux cuisinier de
son altesse royale Estefania Del Monac, venu par amitié pour, comme il le dit,
« honorer le plus célèbre des gardiens de cimetières ». Il nous gâta tant et si bien
que Colombus lui-même, finit par demander grâce et ce, dans un langage encore
une fois très particulier. Il vous aurait fait rire, je n’en doute point. Il chantait des
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paroles incompréhensibles « ail file goude, ail file goude, tala tala tala » et, ce
faisant, se trémoussait sur sa chaise en pétant et rotant à souhait pour – nous
informa-t-il – donner plus de rythme à sa mélodie. Je n’ai jamais rencontré
personnage si étonnant ! S’il paraît délicat de le convier à un dîner en présence de
Monsieur le Duc, sachez que vous prendriez grand plaisir à le connaître.
« Concernant ce don qu’on lui attribue pour dissoudre les premières amours,
figurez-vous qu’il ne s’agit en rien d’une légende. Je l’ai testé sur mon crétin de fils
qui, s’étant amouraché de la fille illégitime du sacristain, nous amenait, mon épouse
et moi, vers de graves ennuis. Eh bien, vous auriez été surprise de constater qu’une
seule poignée de main, les yeux dans les yeux, a permis en un éclair à ce pauvre
Alphonse d’oublier qu’il fût jamais amoureux de cette pucelle ! La magie opèrera sur
votre fille j’en suis certain !
« Il faut que je vous conte toutefois la suite. Peu de jours après ce radical
détachement, mon fils tomba fou amoureux de l’une des filles de la patronne du
Ballon avec qui j’ai longtemps entretenu des relations tarifées… S’agissant de son
deuxième amour, notre bon Colombus n’y peut plus rien !
Portez-vous bien. »
129
Marcel Colombus, gardien du cimetière des amours perdues
Par Chantal Leraître
Ce qui frappe, dans l’image que j’ai sous les yeux, c’est le regard à la fois doux
et perçant du personnage, qu’émettent des yeux lilas, francs et comme délavés par
les années d’intempéries et de soleil.
C’est un homme de taille moyenne, un travailleur rude, solide, en pantalon et
veste de toile grossière et sombre et aux croquenots destinés à tous les terrains et à
toutes les saisons. Il pourrait passer inaperçu si ses mains n’étaient si expressives.
Elles sont larges, calleuses, peu soignées et pourtant étonnamment belles, à
l’évidence capables de s’ouvrir et de donner le jour au «beau ».
La légende du dessin dit : « Monsieur Colombus, le gardien du cimetière des
premières amours. »
(Portrait sans doute pas objectif…. Je ne suis pas du tout physionomiste et j’ai
toujours été très myope… Ma façon de voir les gens est assez impressionniste !)
On dit de lui, que c’était un solitaire qui a consacré sa vie à entretenir les
stèles et sépultures du cimetière, avec amour et dans un silence quasi religieux. On
dit aussi qu’il accordait une attention toute particulière à un petit mausolée toujours
fleuri et qu’on vit grandir et changer d’aspect et de couleurs au fil des saisons et des
années. Ce serait celui de son premier amour, Aimée, celle que ni Madame
Colombus, car elle existe, ni ses nombreux enfants, ni aucune femme, n’a jamais su
lui faire oublier. Un amour fou, quoi….
« Votre Majesté,
« J’ai l’honneur de porter à la connaissance de votre Majesté, les
conclusions de ma visite au gardien du cimetière des premières amours de
Brayellide (Saint-Jean de Braye).
« J’ai rencontré un taiseux, qui m’a semblé aussi rustre que doux. Le
personnage est un manant grossier, mais il a su faire du cimetière un lieu de
mélancolie colorée, du meilleur aloi. La végétation y est essentiellement pastelle
comme le regard franc et étonnamment décoloré du bonhomme. Décoloré par les
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intempéries ou par la tristesse ? Les avis divergent, mais une chose est certaine, le
susdit est aussi amoureux de ses plantes que de ses monuments funéraires.
« Celui d’Aimée Martin, en particulier, est un véritable enchantement
d’arômes et de nuances. Ceci semble confirmer la rumeur selon laquelle elle aurait
été son premier amour et l’inspiratrice, toujours active, de son merveilleux travail.
« De gardien, le sieur Colombus est devenu le jardinier en chef du lieu.
Avec talent et une fantaisie qu’il serait difficile de lui imaginer de prime abord, il l’a
transformé en un véritable parc d’agrément, dans lequel votre Majesté pourrait, à
l’occasion, venir se ressourcer avec bonheur.
« Le bonhomme ne quitte jamais ce lieu. Votre Majesté parviendrait peutêtre à lui tirer un mot….
« Votre très dévoué et très respectueux,
Léonard Bourdon. »
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Maître Coquille
Par Christiane Noisette
En voyant le tableau, « Le grand Coquille à trois étoiles », au musée de La
Braye, j’en suis restée comme deux ronds de flan. Mes parents m’avaient toujours
parlé de Maître Coquille – Le Grand Cuisinier. Quelle ne fut pas ma surprise de
découvrir, perché sur un tabouret, un homme que je pourrais classer comme de
petite taille. Même sur son perchoir, il ne dépassait guère ses fourneaux. Sa posture
était de trois-quarts pour le corps et de face pour le visage. La première chose qui
attira mon regard fut ses yeux. Deux noisettes globuleuses piquetées de taches
vertes ressortaient de la toile comme deux obus. Ses cils roux d’une longueur à faire
pâlir toutes les femmes ressemblaient à des éventails. Sa bouche large était
constituée de deux lèvres goulûment charnues. Deux énormes fossettes, creusant tel
un cratère ses joues, nous donnaient l’impression d’un sourire éternel. (Mes parents
m’avaient pourtant rapporté que ses colères étaient légendaires.) Pour couronner le
tout, une chevelure rousse aux éclats de feu trônait sur le haut de sa tête, un peu à
la façon des punks actuels. De son corps revêtu d’un énorme tablier blanc, le tableau
ne nous dévoilait que les manches bleues d’une chemise au col râpé, un pantalon de
bure et une paire de godillots dont le vernis avait disparu avec le temps.
Ce tableau, je l’aurais plutôt intitulé vue l’impression qu’il me laissait « Le Grand
Coquin étoilé »
Les experts disent que si, muni d’une loupe, on s’approche très près du tableau,
on peut voir peint sur le cul de chaque faitout ou casserole le portrait d’un certain
nombre de femmes ayant succombé au charme de Maître Coquille. Il les aurait,
parait-il, toutes mises dans son lit après un menu spécialement élaboré dans l’espoir
de…
Mais de cet homme de grande renommée, aussi bien pour la bonne chère que
pour la chair fraîche, nous n’avons trouvé trace que d’une de ses recettes spéciales
soirée galante. Le cuissot de biche au chocolat moutardé, accompagné d’un retourné
de haricots plats d’Espagne aux petits oignons nappé de sauce grenadine. Ma mère
tient de sa mère qui le tenait de la sienne que ce mets fin était tout ce qu’il y a de
plus aphrodisiaque. Et si mon amour du bien manger me venait de là ?
« Bien la joie de vous revoir Monseigneur de la condition de la restauration en
vos terres orléanaises laissez-moi vous conter ce que de mon voyage en
132
Brayedejean je rapporte. Vous m’aviez, de cela quelques semaines, envoyé en
Abraysie rencontrer le plus illustre de nos chefs étoilés du guide « Mange en ton
pays ». J’en reviens à peine d’hier et me hâte de vous saluer avant de vous relater
ce que de ses mots il a bien voulu me dire et de mes impressions vous faire part.
« Cet homme, ô Monseigneur, se nomme par lui-même, Maître Coquille. De son
prénom Edgar. Devant lui, je tremblais tant son regard profond par un simple coup
d’oeil me remplit d’effroi. J’en craignais même pour mon honneur tant les rumeurs
courent bon train sur les ardeurs de ce cuisinier étoilé. Je n’ai pas eu le temps de
vérifier si coureur il était car de lui peu de mots m’apprirent les villageois. Silence
pour l’étranger est de rigueur en ce terroir. Il n’en fut rien de ma peur vite oubliée par
la prévenance de cet homme de petite taille.
« Sur un fauteuil recouvert de soie il me fit prendre place et un verre de grand
cru il me donna. L’entrevue put sans encombre se commencer. Sans aucune
question de moi posée ses talents d’orateur en marche se mirent. En termes choisis
si bien de son métier il me parla que dans mon gosier les odeurs naquirent. De ses
mots enchanteurs, grande envie me vint de devenir à mon tour ripailleur de senteurs
aux noms si prometteurs. Si de cuisine il fut question de sa vie il n’en fut rien. Il
daigna tout de même, mais seulement parce que de vous il s’agissait, divulguer sa
célèbre recette de séduction. Elle devrait, selon lui, vous permettre, monseigneur, de
trouver escarpin à votre pied pour faire famille et avoir moult descendants. Cette
recette, monseigneur, la voici, telle qu’elle me fut dictée par Maître Edgar Coquille,
restaurateur en pays de Braye. Si Monseigneur me permet quelque attention j’aurais
à dire.
« - Trouver une biche de 3 ans et vivante la ramener au domaine.
N’est-ce pas cruel, Monseigneur, de garder vive une telle bête et de l’ouïr se
plaindre ?
« - De son sang la vider que soigneusement au frais vous garderez pour la
marinade.
« - Dans un grand sac de toile l’animal vous enfermerez et par les pieds dans un
plein de courants d’air le pendrez. 72 heures passées vous pourrez la bête désosser
et seul le cuissot garder.
Le reste, Monseigneur, dans votre remise à sel garderez pour plusieurs mois si vous
le désirez selon dires de Maître Coquille.
« - Dans un grand plat le morceau de viande, vous placerez.
« - Abondamment de beurre de lait de chamelle le badigeonnerez. Mettre au frais.
« - D’anis étoilé, de piment d’Espelette et de crépinette de panse de brebis au bout
de 6 heures le recouvrirez.
« - 5 litres de marinade vous confectionnerez avec :
« - Moitié sang de biche et moitié Quart de Chaumes grand cru
« - 12 grains de poivre jaune de Limoges
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« - 4 feuilles de laurier de Nancy
« - 2 pommes granny de Tours coupées en cubes de 2 sur 2
« - 1 bâton de cannelle de Madagascar
« - 20 feuilles d’oseille de Quimper
« - 6 têtes d’ail de Martigues
« - La marinade sur le cuissot vous verserez et laisserez 48h reposer.
« - Qu’un quart de cette marinade dans le plat ne laisserez et sur feu doux de votre
cheminée pendant 5 heures le placerez.
Régulièrement arroser vous devrez afin le dessèchement éviter.
Une demi-heure avant fin de cuisson :
- une poêle avec saindoux sur le petit cuiseur de votre fourneau vous placerez avec
les haricots plats d’Espagne et les petits oignons.
« - une large casserole sur le tout petit cuiseur vous poserez afin d’y faire fondre
dans du vinaigre de cidre de Lisieux le chocolat de Colombie pur à 90 % et 514 gr de
moutarde d’Orléans.
Au moment de servir, n’oubliez d’agrémenter votre assiette de quelques rondelles de
grenadine.
« Voilà, Monseigneur ! Une fois la recette notée ses adieux il me fit. A ses
fourneaux il retourna car au soir venu gentilshommes et damoiseaux à sa porte se
bousculent. Je quittai Brayedejean en l’instant sans avoir, à mon grand désespoir,
une miette de régalade goûtée.
« Pour ne point rien oublier, je transmets sous la seconde aux archives la
recette. »
- Faites mon brave et aux cuisines demandez qu’en cette semaine recette soit servie
pour le souper en l’honneur d’Eurasthénie Lafoi, cousine par alliance du sieur
Gontran de Beaugency.
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Bénédicité, le sacristain de Saint-Jean de Braye
Par Régine Paquet
Sur le vieux tableau, au mur de l’actuelle sacristie, Bénédicité - ancien
sacristain de l’église de Saint-Jean de Braye - se tient aussi droit qu’il le peut. C’est
son visage qui attire d’abord le regard. Des pommettes rouge vif contrastent avec un
long nez fin surplombant des mâchoires austères et des lèvres étroites. Les yeux,
d’un bleu un peu délavé, donnent à l’ensemble de la face un air lointain et fuyant. Le
corps, dégingandé et mince, est dans le droit sillage du visage. Les mains noueuses,
striées de veines, s’agrippent avec force à la canne qu’elles tiennent. Le sombre du
costume-veste et pantalon est relevé par l’éclat blanc cassé de la chemise dont le
plastron porte deux petites taches rouges qui intriguent.
On murmurait que le jour, Bénédicité, le sacristain, était fermé et austère
comme une porte de prison. Il assurait son service les lèvres serrées et ne les
ouvrait qu’à contrecoeur. On disait que certains parents se servaient de son
personnage, à l’image du père Fouettard, pour effrayer leurs enfants désobéissants,
On chuchotait aussi beaucoup que le soir venu l’individu se métamorphosait. Sous
l’effet de nombreux litres d’alcool absorbés, Bénédicité se mettait à crier et à chanter
et à rire tout seul. En le croisant dans ces moments-là les vieilles dévotes et les vieux
dévots se signaient peureusement et s’écartaient. Bref, on glosait sans cesse sur
son compte.
« Cher ami,
« Tu m’as expressément demandé le récit de mon bref voyage à Saint-Jean
de Braye, le voici donc. Des faits étranges et contradictoires ayant été rapportés à
l’archevêque de Tours au sujet du sacristain de l’église de Saint-Jean de Braye, je
reçus mission d’aller sur place vérifier ces dires. Je décidai de m’introduire incognito
auprès du dit sacristain. Ce fut donc à l’église que je me rendis. Je m’enfonçai dans
une profonde prière. En fait, je n’avais de prière que la posture car, entre mes mains
jointes, j’observais les allers et venues de l’homme. Le claquement sonore de sa
canne sur le pavé de l’église troublait la sérénité du lieu. Il en était visiblement gêné.
Il s’affairait tout à son travail.
« Je le vis aider une vieille femme, fort maladroitement j’en conviens, à se
relever du confessionnal. Elle le remercia d’un regard dédaigneux et glacial. Un peu
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plus tard, notre homme voulut guider un enfant vers les cierges. Mais le petit bambin
refusa la main tendue et courut se cacher tout au fond de l’église comme s’il avait vu
le diable. Le sacristain resta immobile, le regard perdu dans une douloureuse
rêverie, me sembla-t-il. Je me décidai à l’aborder.
« Excusez-moi, monsieur, j’ai besoin de me confesser. A quelle heure,
monsieur le curé pourra-t-il me recevoir ». Les yeux bleu-délavé du sacristain
fuyaient mon regard. Il respirait de façon saccadée et s’agrippait à sa canne. Il finit
par murmurer d’une voix à peine audible : « Il est, est, est tro...op tard, mon, mon
monsieur. Re, revenez de, de, demain à 8, 8, 8 heures. »
« Une fois ces mots dits, il rougit violemment. Le personnage m’intriguait, je
poussai un peu mon investigation. « Je suis de passage et seul. Voudriez-vous
discuter avec moi autour d’un verre ou même souper en ma compagnie ? Je vous
invite bien sûr. » Le pauvre homme ouvrit tout grands ses yeux et sa bouche. Il se
balança d’une jambe sur l’autre et me murmura toujours bégayant : « Ah mon...sieur,
quelle bon...ne idée! Je peux être un...un agréable compagnon quand... quand j’ai
un peu ....peu bu. » Je m’apprêtais à l’entraîner à l’estaminet de la place, « Au
Ballon », quand il reprit: «Je...je...préfèrerais res....ter à la sa...cristie. Les...les gens
di...disent trop de mé...méchancetés. »
« J’accédai bien sûr à sa prière et nous allâmes déguster un bon petit vin de
Loire, dans l’arrière boutique de l’église. Oh ! Pardon ! Je voulais dire dans la
sacristie. Au bout d’un long silence, rempli par la dégustation du vin, nous
commençâmes à deviser et devisâmes jusque fort tard dans la nuit ! Plus Bénédicité
- c’était son nom - buvait, plus son affreux bégaiement s’atténuait jusqu’à disparaître
totalement. Cela nécessita un bon litre de vin. « Je demande sans cesse au bon
Dieu pourquoi il m’a fait comme ça. Est-ce péché si ma parole est aisée quand j’ai bu
le vin de messe ? Je ne bois que du vin consacré, monsieur. Mais je boirais
volontiers toute l’eau de La Loire si elle pouvait aussi m’enlever mon bégaiement. Si
vous saviez, monsieur, comme les gens se moquent de moi que je bégaie ou que je
boive. » L’homme libérait son coeur et se délivrait de ses tourments. La soirée
avançant nous partageâmes, outre le vin que je bus avec modération pour ma part,
tranche de pain et de bon saucisson. Bénédicité devenait au fil des heures partagées
un hôte de bon aloi, rieur, amusant, connaissant plein d’anecdotes, philosophe et
conteur à sa façon. Je passai une excellente soirée. »
De retour à Tours, je fis à l’archevêque le récit détaillé et scrupuleux de ma
rencontre avec le sacristain, récit à peu près semblable à celui que je viens de vous
faire. Ce Bénédicité est un bien brave homme au fond qui mériterait que Dieu
changeât son vin en eau et sa triste vie en bonheur.
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Le ménestrel
Par Charlotte Talec
Le ménestrel déroula son parchemin et chanta devant son seigneur
A Saint-Jean de Braye m’en suis allé
Jusqu’au cimetière des longues allées
Là où vous m’avez dépêché
Et Colombus ai rencontré
Il garde avec grande fierté
Le cim’tière des amours passées
Les tombes y sont bien honorées
Les morts y sont grandement pleurés.
Refrain :
Au cimetière des amours perdues
On ne s’attriste qu’au début :
« Dix de perdus, dix de perdus
Ça fait ça d’ moins pour les cocus »
A force de faire des mises en bières
Notre gardien n’est pas peu fier
De faire goûter son vin nouveau
A tous ces jeunes jouvenceaux.
Qu’ils soient Don Juan ou bien puceaux
Pour eux, il perce les tonneaux.
Aux demoiselles, il sert de l’eau
En célébrant les tourtereaux.
On ne pleure jamais en vain
Ça met un peu d’eau dans le vin
On oublie vite son chagrin
Dans le cimetière abraysain
Devant les tombes des grandes allées
Il m’a confié, ô majesté
« Une de perdue, dix de r’trouvées
On pense que c’est la Vérité » (bis) Refrain …
137
Janus Brayus
Décrire 3 jours de fête à « Janus Brayus » (qui aurait donné
son nom à la ville de Saint-Jean de Braye) avec les noms de
rues de la ville (soulignés).
GRANDE FETE OCTONOGONALE DE JANUS BRAYUS PAR MARIE-EDITH BASILLE ......................
DU TEMPS OU SAINT JEAN DE BRAYE S’APPELAIT JANUS BRAYUS PAR GERARD COTTIGNY
LES FETES DE JANUS BRAYUS PAR CHRISTIAN FER...................................................................................
JOURS DE FÊTES À IANUS BRAÏUS PAR JACK FOUCHER..........................................................................
PAR SOPHIE GONZALBES........................................................................................................................................
PAR CHRISTOPHE HUGUET....................................................................................................................................
LA FETE DE BRANUS VARIUS PAR HARRY L...................................................................................................
PAR CHANTAL LERAITRE.......................................................................................................................................
ECOUTEZ MES ANGES PAR CHRISTIANE NOISETTE...................................................................................
LES TROIS GLORIEUSES PAR REGINE PAQUET.............................................................................................
JANUS BRAYUS PAR JULIE, UNE FILLETTE DE 10 ANS (CHANTAL RICHER) ....................................
PAR JEAN-JACQUES RICHER .................................................................................................................................
138
Grande fête octonogonale de Janus Brayus
Par Marie-Edith Basille
A vous tous, mes amis, les bouvreuils, les mésanges, les étourneaux , les
hirondelles et autres martinets... Je donne rendez-vous rue du petit bois, comme
d'habitude.
Quittez vos longues allées, vos aubépines, vos acacias, vos bouleaux,
bruyères, cèdres et catalpas...
Pour me rejoindre, traversez les châtaigniers, les peupliers et les saules. Ne
vous arrêtez pas au-dessus des coquelicots ni des marguerites. Venez directement.
Je suis heureuse de vous retrouver une nouvelle fois depuis la dernière fête
de la Bionne.
En traversant la place de la planche de pierre, ouvrez l'oeil, vous avez une
belle vue sur les grands champs. C'est là que se rassemble la cavalcade pour le 1
er jour.
Chaque confrérie regroupe ses bons enfants sur un char recouvert de
chaumes. La première, ça s'impose c'est celle des vignerons, gris meunier en tête.
Viennent ensuite les confréries des gueules noires (juste sorties de la fosse Belaude)
puis celle des veneurs avec la corne de cerf pour emblème, celle des charpentiers,
des meuniers... et en fin de cortège, celle des mariniers avec leur saumon de Loire
qui nage encore dans la fosse Goujon .
Le lendemain, dans les rues, vous pourrez participer à un grand jeu pour
trouver de quoi vous restaurer. Ne ménagez pas vos efforts sinon... rien dans le
gésier !
Surtout, évitez le boucher en vous réfugiant en haut du clocheton.
Vous connaissez aussi (depuis le temps) Janus Brayus qui monte la garde
devant la herse du castel. Alors, évitez-le aussi car, sous prétexte de garder les trois
clés de l'hôtel de ville dans un pot vert au fond du puits de ville, il s'acoquine avec les
frères Voisin et la Malvoisine pour jeter aux quatre vents tous les tonneaux des
grands clos.
Quand vous aurez le bec plein de graines de fougère, désaltérez-vous à la
fontaine.
Le troisième jour, sous le beau soleil, vous lisserez vos plumages multicolores
pour avoir un bel air devant le jury des frères Lumière et du chevalier de Louville. En
139
effet, nous irons tous en formant un grand carré jusqu'à la place Avicennne. J'espère
que cette année, le "Nobel de l'Echarbeau" deviendra le nôtre.
Je compte sur le succès de toutes ces réjouissances qui ne se renouvellent
que tous les 8 ans.
Que tout se passe au mieux dans la liberté. Ceci est mon désir le plus cher.
A bientôt
la fauvette.
140
Du temps ou Saint Jean de Braye s’appelait Janus Brayus
Par Gérard Cottigny
Aujourd’hui13e jour du 12e mois de l’ère nouvelle, à Janus Brayus, débutent
les trois jours des fêtes de Janetus d’Arcus. En effet Janetus d’Arcus est la
libératrice de Janus Brayus du puissant Luiggi Pasteurus. Elle a créé la première
République et c’est en cet honneur que les grandes fêtes commencent.
Le premier jour débute par un grand défilé où sont réunis les notables de la
ville. En tête on peut apercevoir le bien-aimé Saint François.
A cette époque de l’année, les bleuets, les œillets, les coquelicots, les
marguerites, les roses et le muguet ornent les longues allées. Les bordures des
belles allées sont recouvertes de fougères, de bruyères, de genêts, de rameaux de
marjolaine et de sarriette. Sur des massifs, sont plantés des framboisiers, des
groseilliers, de l’aubépine.
Il pousse dans cette espace un grand nombre d’essences d’arbres : des
cèdres, des cèdres bleus, des saules, des bouleaux, des châtaigniers, des tilleuls,
des noyers, des peupliers, des pins, des érables mais aussi des acacias et des
poiriers. Les petits bois resplendissent et le camaïeu des verts contraste avec la
couleur des violettes. La senteur des romarins nous enivre.
Le centre de la ville est un grand carré. On peut y voir la maison républicaine
appelée également hôtel de ville ou mairie. C’est d’ici que démarre le défilé Saint
François sur son char. Il emprunte les sentes pour aboutir au bord du fleuve la
Loirus.
Dans le ciel on aperçoit, voletant, des hirondelles, des martinets, des
mésanges, mais aussi des masses d’étourneaux, de fauvettes et de bouvreuils. Pour
clore ce défilé, un banquet est servi au coin buffet. Les discussions vont bon train et
le gris meunier fabriqué par les vignerons du cru coule à flot et échauffe le cœur
jusqu’à la tombée de la nuit alors qu’un bal est organisé.
141
J’habite dans une maison au toit d’ardoises à côté d’un grand champ et
proche du petit bois où des charbonnières (métier très féminin à l’époque) à la
gueule noire s’affairaient à travailler à la fabrication du charbon de bois.
Pour ce 2e jour, les maisons sont décorées suivant des plans bien précis
laissés par Le Nostrus. Au déjeuner sont chantées des œuvres du célèbre Georgius
Brassensus, de Luiggi Armstrongum, sans oublier bien sûr Sidnum Bechetus.
Dans l’après midi, à l’heure du goûter, après avoir lu quelques poèmes de
Guillaume Apollinaris le grec, Janus Racinem, et Paulus Verlainum, les collégiens
partent pour la fête foraine. Le Mistral qui souffle fort, l’un des quatres vents, fait
tourner les différents manèges. Du haut de la grande roue, on peut avoir une belle
vue et à la nuit tombée un grand feu d’artifice est tiré en l’honneur de Janetus
d’Arcus place de l’église.
Le troisième jour est une représentation de notre ville dans l’avenir. On vénère
les futures inventions. On parle d’un système qui fonctionnera miraculeusement sur
des rails, alimenté par une énergie autre que le vent ou l’eau. Cette ère nouvelle
vient du passé étend vers l’avenir, que toutes les traditions soient transmises afin
que Janus d’Arcus soit toujours dans nos cœurs. (Il y a quelque chose qui cloche)
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Les fêtes de Janus Brayus
Par Christian Fer
Je me présente, je suis la place de l’Eglise. C’est moi le centre du village et non
seulement le centre mais aussi le plus bel endroit. On me respecte.
Aujourd’hui, je suis aux premières loges. On fête Janus Brayus. Depuis quelques
semaines les jardiniers ont planté tout autour de moi des aubépines, des bleuets,
des coquelicots, des marguerites, du muguet, des œillets, des fleurs de paradis, je
n’en avais jamais vu auparavant, des violettes. Tout cela dans une belle terre de
bruyère. D’habitude je suis assez présentable, là je suis carrément belle.
Ce matin, alors que l’étoile du Nord était encore présente dans le ciel, les
employés municipaux m’ont arrosée avec leur jet d’eau. A peine éveillée, la fraîcheur
m’a un peu surprise. Mais j’aime bien me sentir propre et cela faisait longtemps que
je n’avais pas fait une toilette aussi complète. D’ordinaire je dois conserver plusieurs
jours sur mes pavés délicats crottes de chiens et crottin de cheval.
Et puis, j’ai entendu des pas venant de la rue de la Mairie, tout un cortège, le
maire, le curé, le capitaine suivis par tous ces gueux, d’habitude sales comme des
noues, aujourd’hui apprêtés pour la fête. Et puis mes bons enfants. Tout ce monde
était entouré par les braves hirondelles à vélo. C’était une véritable procession qui
commençait à emprunter mes pavés. Chacun portait son saint, saint Lyé, sainte
Marie, saint Loup. Lorsque le clocheton de l’église a entamé sa sonnerie, ils se sont
tous avancés vers le porche après avoir contourné la fontaine. Leurs godillots et
leurs sabots qui me martelaient commençaient à me faire souffrir. Il y en a un
particulièrement. Je l’ai fait glisser sur un pavé humide tellement il me faisait mal.
Une fois qu’ils sont passés sous l’arche, j’étais enfin tranquille. Mais évidemment
cela a recommencé à la sortie.
Je ne peux pas vous dire comment s’est déroulée la messe en l’honneur de
Saint-Jean, je n’y étais pas. Mais elle a duré deux bonnes heures. Deux bonnes
heures de repos pour moi.
Sur le coup d’11 h 30, je me suis inquiétée. Ils sont venus installer sur moi des
tables et des chaises et puis un énorme buffet qui devait bien peser une tonne. Je l’ai
senti, d’autant plus qu’ils ont posé un de ses pieds sur un endroit que j’ai sensible. Et
puis à midi, tout le monde s’est installé, comme s’ils étaient chez eux. J’ai reçu leurs
déchets, le gris meunier renversé, les coquilles, des morceaux entiers de grasdoux
qu’ils étalaient avec leurs chaussures de paysans. Et aussi des crachats et même à
143
la fin du repas tellement ils avaient mangé et bu…mais je n’ose pas vous le dire. Ils
ont fini par se lancer des cotillons, des serpentins qu’ils dispersaient aux quatre vents
et tout cela finissait par tomber sur moi. Pauvre France ! Heureusement qu’il faisait
un beau soleil.
Et le maire a parlé. Il a salué notre célébrité, la binoche. Il a parlé de la création
d’une bissonnerie ainsi que d’une griffonerie dans la commune. Il a promis la liberté
aux frères Voisin et il a dit qu’il lotirait les grands champs. Tout cela avant d’entonner
avec les habitants rassemblés, l’hymne de la République.
Et ils ont poussé les tables et se sont mis à danser et leurs godillots et leurs
sabots se sont à nouveau plantés dans la tendre roche de mes pavés. Et j’ai eu
envie de déporter tous ces étourneaux dans la glacière ou chez ma vile collègue, la
place de la commune. Le soir enfin est arrivé et tout le monde est parti et je suis
restée seule et sale. Qui va payer l’ardoise ? Enfin j’ai pu reposer et soigner mes
pavés à l’abri de mes ormes et de mes tilleuls.
144
Jours de fêtes à Ianus Braïus
Par Jack Foucher
"Aujourd'hui, primidi die du mois de Ianus, l'an 892 de la fondation de Rome,
notre ville mère, en ce lever de soleil, qui, à l'instant même, nous éclaire de sa
lumière, nous, maître des cérémonies de Anna perenna, déclarons ouvertes les fêtes
de Ianus Braïus, qui s'inscrivent dans le cycle de nos fêtes romaines. Ave Caesar,
nostrus magnus imperator !"
Une foule immense et composite de patriciens et de plébéiens de toutes
conditions rassemblée place longue applaudit à tout rompre le discours inaugural du
représentant de l'Empereur. Il y a là des milliers de personnes qui piaffent
d'impatience tels des chevaux de course avant le coup de... buccin (et pas "feu"
comme certains auraient aimé que j'écrive, ce qui eut constitué un très grave et
dommageable anachronisme), annonçant le départ. Les trois jours qui commencent
sont placés sous le signe de Bacchus. Faute de place, deux immenses calicots ont
été placés au droit de beau soleil, non loin de là. On peut y lire une pensée de
Bacchus connue de toutes et de tous et qui nous servira de fil rouge tout au long de
ses festivités : "Veritas in vino" (et non pas : verre et tastevin). On ne saurait être
plus clair, pour le moment.
Le parcours a été soigneusement établi et balisé afin de n'éviter aucun
quartier et ce de longue date. Tout le monde a droit à ces trois jours de fête, ceux qui
habitent près d'Orléans, comme ceux qui habitent près de Chécy et de Combleux (ou
de ce qui en tient lieu et place). On y a installé douze lieux de buvette et de
restauration, douze lieux de prière, douze lieux d'aisance avec latrines et vomitoirs,
plusieurs lupanars. Il y a donc force prostituées venues de loin parfois, des jeunes et
des moins jeunes, des belles et des moins belles. Il y a même des fours à pain
construits exprès pour l'occasion et des fours à cuire la viande, (les ancêtres de nos
barbecues). On peut en voir notamment à l'ardoise, à l'aubépine, aux Aubraies où il y
une gare pour les chars; aux chaumes où il y a des fougères pour dormir ; à la petite
noue où il y a des bains de boue ; aux nignerons où il y un cabaret où l'on sert
uniquement du gris meunier et du saumon de Loire. A cet endroit précis, a été
installé un autre calicot où on peut lire (traduction française) : "Mieux vaut le vin d'ici
que l'eau-delà", pensée attribuée à un certain Petrus Dacus. Les lieux de prière se
situent entre autres au Grand Carré pour honorer Jupiter ; au petit bois, pour saluer
Diane ; à bel air, pour volcanus ; à la fougère, pour Diane ; à la croix des haies, pour
Fons.
145
Le parcours traversant tout Ianus Braïus, je m'en vais vous donner quelques
indications de sa conformation conforme à la conformité des décisions
démocratiques du comité d'organisation appelé "Comité des Fêtes" ou "Tabardus".
Donc, nous descendrons sur la Liger maximus, par le camine de Mondésir, du
saumon de Loire, puis la promenade du front de Loire jusqu'au port de Ianus Braïus,
notre port Saint Loup d'aujourd'hui. Ensuite nous prendrons la via Ianus, qui par un
heureux concours de circonstance est devenue notre avenue du capitaine Jean ;
puis la via de la pax romana, notre actuelle avenue de la Paix ; la via Iulius Caesar,
notre avenue du Général Leclerc ; la via Traévia, notre avenue de Verdun ; puis
contournement de Ianus Braïus, en empruntant la via de la Gerberie où se trouvent
un lieu d'aisance et un vomitoir, camine de la binoche, puis en longeant la Bionne,
nous retournerons sur la place longue en empruntant les bords de Loire... Un plan
détaillé est d'ailleurs fourni par l'organisation moyennant finances.
Mais avant que de partir, nous pratiquons la lustratio, c'est-à-dire la
purification du peuple et de l'armée. Voici comment cela se passe : le peuple réuni,
ici place longue, est entouré par trois fois par une procession qui accompagne un
taureau, un porc et une brebis ; lesquels animaux sont sacrifiés à la fin de la
cérémonie. Ensuite et seulement ensuite, le cortège peut s'ébranler au son des flûtes
et des tibias. Des dizaines de participants portent des masques de cire.
Notre première véritable halte se situe au port de Ianus Braïus. Là il y a une
grosse buvette et une vraie restauration. Les plus riches y dégustent des langues de
flamant rose qu'on a fait venir de très loin et même davantage. Ils peuvent manger
aussi du foie de porc engraissé aux figues fraîches. L'animal est tué en lui faisant
boire du vin avec du miel. Pour les estomacs délicats, on peut se pencher sur la
corne de cerf farcie aux tripes de sanglier accompagnée de beignets aux pommes
frits à la graisse d'oie, un plat léger et très diététique. Les plus pauvres se
contenteront, comme à leur habitude, d'une bouillie de céréales, voire de fèves. Les
galettes de froment sont gratuites et fournies par les autorités de la Province. Pour le
vin, c'est du gris meunier classique. Pour le reste, on y trouve des vins au poivre, au
miel, de la cervoise tiède, qui nous vient de nos ancêtres les Gaulois. On a percé
moult fûts arrivés tout droit des caves Brouardus, construites à l'embranchement de
la route de Trèves et de celle de Nevers. On y a installé un lieu d'aisance et un
vomitoir sur lequel un festivalier facétieux a écrit : "Si j'aurai su, j'aurai pas v'nu !" et
un autre a ajouté : "Je suis venu, j'ai bu, je suis foutu!".
Puis nous remontons vers Orléans. Nous sommes au pied du Mont. Certains,
à cause de la pente assez raide, y vont de leur plaisanterie grivoise : "Ici commence
l'escalade du Mont de Vénus !", ce qui a le don de déclencher l'hilarité quasi
générale. Il est vrai que, comme tout le monde a déjà bien picolé, le cortège est bon
public. Ensuite, nous prenons la route d'Orléans à Trèves, dans sa première partie
baptisée (le mot n'est pas très heureux pour l'époque) via Ianus. Des deux côtés de
146
la voie, qui marque aussi l'entrée d'Orléans, on peut découvrir des tombes, des
tombeaux et des mausolées, dont la splendeur est fonction de la richesse de celles
et ceux qui les ont fait bâtir.
Quelques centaines de mètres plus avant ou plus loin ou plus près du bourg,
on y donne un bal populaire avec des faunes petits et grands et même des méga
faunes. Tout se déroule dans une atmosphère bon enfant. Pour le moment, la
Providence veille sur nous ainsi que des légionnaires aguerris qui ont été disséminés
tout le long du parcours et qui n'ont pas l'air bien amusants. Il faut dire qu'on les a
transformés en policiers municipaux ce qui est dégradant pour eux, reconnaissons-le
tout de même.
A chaque pas, la ferveur grandit. Il faut dire que les fêtes de Ianus Braïus sont
réputées dans tout le monde romain et même au-delà, jusque chez les peuplades
barbares. Donc forcément, les gens ne sont pas venus pour peigner la girafe ou le
bouvreuil, l'écureuil, la fauvette... On y entend toutes les langues de l'empire, du
celte au germain, en passant par le latin classique, le latin populaire plus abordable
pour le commun des mortels quoiqu'un peu vulgaire et sujet à caution, du breton (le
breton de la Bretagne) aux langues nordiques, slaves (quand ils peuvent) et
hunniques (cas d'espèce).
A certains moments, il y a des regroupements et des dispersions. Chacun fait
le parcours un peu à sa guise. Donc, parfois, il y a des embouteillages et les
légionnaires doivent intervenir pour rétablir la circulation. Le carrefour Rigault et
l'accès à charbonnière sont deux points de fixation. Quant à l'orme Gâteau, où il n'y a
rien à voir, les curieux affluent, par ce qu'ils ils croient qu'il y a une pâtisserie. Donc,
au carrefour de charbonnière, il a été construit une estrade sur pilotis et pour cause,
il y a un grand concert à la tombée de la nuit. Des bardes ont été invités, tels que les
Tri Iani, des bardes armoricains qui marchent au Whisky, une boisson Picte ; Carolus
Baudelarus, lui c'est plutôt un aède ; Georgius Brassinus, un barde venu du Sud de
la Gaule. Après il y aura des jeux du cirque avec Alix Grussus.
Après le spectacle, les plus courageux et il faut bien l'avouer ici bien
humblement, les moins éméchés, se rassemble au Grand Carré pour voir les
danseuses, notamment Adriana Bollanda, la Germanique et Elénaïs Bousacriachis,
la Grecque. Ces deux là sont célèbres jusqu'à Rome où elles sont vénérées comme
des déesses. Quant aux autres, ils dorment déjà, là où ils peuvent. Les plus riches
sont allés à la gare pour chars des Aubraies.
Maintenant la nuit est tout à fait installée. Il y a beaucoup moins de bruit et de
monde. Les autorités ont fait procéder à la relève de la garde, ce qui constitue
toujours un spectacle. Certains légionnaires, malgré la consigne, ont abusé du vin ou
de la cervoise et ils ont "la gueule noire" comme on dit à Rome. Le passage de la
147
consigne est un peu difficile mais tout rentre dans l'ordre assez rapidement.
Rejoignons, après ce court intermède, les fêtards confirmés, surentraînés, de vrais
gladiateurs de la débauche. Ils sont à Coquille. Là, pour ceux qui sont encore
conscients et propres sur eux, ont été montés des lupanars ambulants, un peu
comme les BMC des militaires de nos jours. On les appelle des "Clos", pour maison
close. Chaque personne qui entre dans un clos se voit attribuée un masque ou un
foulard. En sorte qu'il est difficile de savoir avec qui on se livre aux plaisirs de la
chair. Chaque clos a un nom. On y trouve donc : le clos de Bionne, le Clos de
Champray, le clos de l'Arche, le clos de la Herse, le clos des Venelles, le clos du
Castel, le clos Gobert.
On a aussi installé de grandes latrines pompeusement appelées "Au Coin
Buffet", pour dire qu'on peut, à cet endroit évocateur, évacuer ce qu'on a dans le
buffet. A la sortie, pour celles et ceux qui le souhaitent, on peut se laver et se
parfumer à la fleur d'acacia, au bleuet, à la bruyère, au coquelicot, à l'érable, au
genêt, à la marjolaine, au muguet, à l'oeillet, au pin, au romarin et même à l'eau de
rose et tant et plus qu'il y a de parfums différents et délicats, subtils et agréables. Et il
en faut du parfum pour atténuer un tant soit peu l'odeur nauséabonde qui exhale de
deux grandes fosses pourtant éloignés de Coquille, à savoir la fosse Belaude et la
fosse Goujon où l'on collecte dans des citernes tous les produits des déjections
humaines et animales produites pendant ces trois jours de fête, sans compter les
eaux usées.
Et nous ne sommes, au lever du jour, qu'au tout début du deuxième jour des
fêtes de Ianus Braïus...
148
Par Sophie Gonzalbes
Ader ?
Présent, m’sieur Ferry
Allende ?
Présent !
Apollinaire ?
Présent !
Aragon ?
Présent !
Brassens
Présent !
Camus ?
Présent !
Césaire ?
Présent !
Churchill ?
Présent !
Daudet ?
Présent !
Debussy ?
Présent !
Eiffel ?
Présent !
Fitzgerald ?
C’est un fille, m’sieur !
Oui, j’oubliais.
Genevoix ?
Présent !
Jaurès ?
Absent !
Pourquoi cela ?
Mort, une balle perdue m’sieur.
Soit. Kennedy ?
Pareil.
Bon. Laurencin ?
C’est une fille, m’sieur, vous savez bien qu’elles sont avec m’sieur Lamartine,
elles répètent les poésies pour les fêtes.
← Hum. Mendès ?
← Présent !
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Molière ?
Présent !
Nobel ?
Présent !
Newton ?
Présent !
Pagnol ?
Pas là m’sieur, l’est chez sa mémé avec Cézanne.
Péguy ?
Présent !
Picasso ?
Il est puni m’sieur.
Pourquoi cela ?
Il a taggé les volets de l’école pendant la nuit avec Ravel. Ils ont dessiné plein
de taureaux.
← Soit …
←
←
←
←
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←
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←
←
←
←
←
Robespierre, Rochefort, Rousseau, Schumann, Schweitzer, Voltaire, Zay, ils
étaient tous là, en rang par deux, ces petits que l’instruction publique et la providence
m’avaient confiés. Ces bons enfants, du lundi au samedi, je me devais de les
instruire, toute l’année, sauf au cours de ces sacro saintes fêtes de Janus Brayus qui
débutaient ce jour-là. Trois jours de festivités, de beuveries et d’excès auxquels ces
âmes pures allaient être malgré moi mêlées.
En bon capitaine, ce matin-là, je passai ma petite troupe en revue. La journée
allait être longue. Elle débuta par un défilé de bateliers rue de Verville. Les enfants,
des bouquets d’aubépines, de bleuets, de marguerites et de roses dans les mains
furent rassemblés place de la Bastille saint Loup, un bonnet phrygien sur la tête pour
accueillir ces soiffards comme il se devait, en chantant « boire un petit coup c’est
agréable, boire un petit coup…. ».
Spectateurs, leurs parents bavaient d’admiration devant ces écoliers ignares. Je
revis l’Emile, le grand Coquille, Gueule noire et même celui que j’appelais encore le
p’tit Vomimbert, alors qu’il était trois fois papa. Ces pères de famille, avec leurs airs
ahuris de saumons de Loire, avaient été mes élèves autrefois. Qu’étaient-ils
devenus ? Des Janus Brayens épris de Porto qui troussaient les filles à n’en plus
pouvoir, au point que le cimetière des premières amours avait dû fermer ses portes
faute de place. Enfin…
Après la cérémonie des bateliers, ce fut près du petit bois que ce poursuivirent
les festivités. Le puits de ville, comme chaque année, allait être béni. Le père
Grouette, sorti exceptionnellement de son église, psalmodia ses « Croix de Haies »,
« Croix de Pierre » aux noms de saint Lyé et sainte Marie. Ensuite il orna sa tête de
150
cornes de cerf et, tel un indien, se mit à danser autour du fameux puits. Là, devant
une foule en liesse, dans ce grand champ, l’ecclésiastique lança ses grotesques
incantations :
« Vigneron ! Sors de ce puits,
Electra ! Sors de ce puits,
Fausse Goujon ! Sors de ce puits,
Gradoux ! Sors de ce puits
Godde ! Sors de ce puits…
Au mot Godde, l’assistance fut prise d’une sorte de hoquet. L’incantation se
poursuivit « Grouette, Guignegault, Rameau, sortez ! Sortez ! Sortez ! » Du puits,
devenu fontaine, jaillit enfin en un puissant jet, un liquide rouge, odorant, aux accents
de violettes et de tilleul. Un cru exceptionnel, une merveille qui allait, trois jours
durant, saouler tous les Janus Brayens.
Le nectar du puits de ville se déversa sur la promenade du front de Loire puis
place de la République. Le vin, car c’était du vin, se répandit aux pieds des tilleuls,
des cèdres et des châtaigniers, il envahit la ville et même l’air. Jusque dans les cieux
protecteurs de la cité, on vit les mésanges, les hirondelles et même les morts, se
délecter de ce doux breuvage et participer comme il se devait aux mémorables fêtes
de Janus Brayus.
151
Par Christophe Huguet
Aux trois jours de la fête de Janus Braillus, on associe trois clefs.
Le premier jour, le maire donne la première clef de la ville aux Bons Enfants.
Montés sur des chars multicolores, de l'église à la mairie en passant pas la gare, ils
parcourent les rues en chantant et jouant. De tous âges, collégiens, écoliers ou bébé
en grenouillère, ils insufflent à tous, joie innocente et débordante énergie, qu'il pleuve
ou qu'il fasse beau soleil. Le clou du spectacle est un lâcher d'oiseaux aux quatre
vents, près du petit bois : un étourneau, une fauvette, une hirondelle, un martinet,
une mésange, un oiseau de paradis et une colombe, tels sept anges en ciel.
Le deuxième jour, on honore les travailleurs en offrant la deuxième clef de la ville
au Conseil des Guildes Abraysiennes. Le long des trottoirs, les artisans présentent
leurs œuvres. Aux passantes, les charpentiers montrent leurs biceps et les bouchers,
leurs gigots. Les égoutiers se font discrets au coin buffet. Les gueules noires se
récurent un peu à la fontaine. Le gris meunier vante sa farine, criant depuis son
moulin. Les vignerons picolent du porto. Les savonniers parfument les ruelles de
violettes, de roses, de cèdre, de romarin et de sarriette. Les paysans font des
concours de binoche. On les voit bêcher du matin au soir dans la clairière. On les
entend ronfler, quand la nuit tombe, allongés dans les chaumes et les coquelicots.
Le troisième jour, la dernière clef revient aux Anciens. C'est le jour des
raconteurs d'histoire de quand c'était mieux, à leur époque, dans l'temps. Un œillet,
un bleuet, un brin de muguet ou un rameau d'olivier à la boutonnière, ils racontent la
guerre, puis la paix, le retour de la République et de la liberté. Assis sur une roche ou
un banc en châtaignier, à l'ombre d'un peuplier, d'un érable, d'un saule, d'un noyer,
d'un pin ou d'un bouleau, ils racontent pour ne pas oublier.
152
La fête de Branus Varius
Par Harry L
Ah ! Si vous aviez vu comme c’était beau la fête de Branus Varius ! D’abord,
c’était les seuls jours où l’on autorisait la mixité des enfants avec les jeunes, les
adultes et les moins jeunes. Toute distinction de classe était abolie: à l’aide des trois
clés, on ouvrait les portes des trois quartiers de la ville pour que pauvres, riches et
sans emplois puissent s’amuser et se distraire trois jours durant.
Les festivités étaient nombreuses et variées. En premier lieu, il y avait le
concours du plus beau bouquet. Comme les autres Abraysiens, je voulais que SaintJean de Braye remporte le concours de la ville la plus fleurie en cueillant des fleurs
d’aubépine, de bruyère, de coquelicots, de framboisiers, de marguerites, de tilleul, de
violettes, de romarin, de bleuets, muguet, roses, oeillets. En passant par le petit bois,
au milieu des genêts et des fougères, au beau soleil du 8 mai 1945 - Ou était-ce le
19 mars 1962 ? - entre les bouleaux, les cèdres bleus, les châtaigniers, les érables,
les noyers, les ormes, peupliers, pins, tilleuls, les acacias, les poiriers, les saules, …
qui entouraient la clairière, près de la fontaine ou du puits de ville, nous remontions
la rue du clocheton pour nous rendre sur la place de l’église, près de la mairie. Là, le
capitaine Jean, juché sur le pont bordeau, tentait de décerner le prix du pot vert,
dans lequel pourrait trôner le plus bel ensemble floral.
Bien sûr, dans cette quête endiablée, il fallait éviter la désagréable allée des
(M)oucherons, la dangereuse place saint Loup et la peu recommandable rue de la
Feularde.
Si soudain la faim nous tenaillait, il suffisait alors de faire un tour par le petit bois,
où l’orme gâteau, près du fournier, nous tendait ses fruits blonds et savoureux. Et
pourquoi pas faire un détour par l’auberge du Grand Coquille pour déguster la
célèbre omelette idoine truffée à l’escargot. Pour finir, nous pouvions visiter les
vergers et nous régaler aux dépens des nombreux poiriers ou mûriers.
Du côté des moulins, celui du moulin Pinault et celui du moulin Jean, près du
chemin de halage et de la gerberie, se tenait un autre concours, celui du meilleur
vigneron. Après un porteau, si nous n’étions pas encore tout à fait Souls-las, et si
nous souhaitions encore profiter pleinement de ces 3 jours exceptionnels, nous
pouvions encore parcourir, selon « mon désir », toutes les venelles, allées, chemins,
rues, ruelles, clos, places, impasses, sentes, boulevard ou mêmes avenues de la
commune, sans oublier sa « tangentielle » ! Au passage, c’était ainsi l’occasion de
153
saluer le boucher, les écoliers, le charpentier, les collégiens, les vominberts (« veaux
Mimbert »), les gueules noires, les frères Voisin, les bons enfants, les égoutiers, les
gris meuniers, le général Leclerc ou bien encore le chevalier de Louville.
Nous en profitions aussi pour emprunter la promenade du front de Loire, pour
bénéficier du bel air et de la bellevue, et voir s’envoler quelques nuées d’étourneaux,
de mésanges charbonnières, de fauvettes, de martinets, d’hirondelles … ou bien
encore admirer les illustres artistes de la ville animer le concours d’aquarelles, de
sculpture, de pièce de théâtre, de nouvelles ou de morceaux de musique enlevée …
ou simplement recouvrer notre liberté !
154
Par Chantal Leraître
Les délires de Janus Brayus ont lieu tous les dix ans, le premier de janvier, et
durent trois jours pleins. Trois jours durant lesquels les trois mondes se rejoignent,
les trois clefs ayant, exceptionnellement, ouvert toutes les portes de la ville…
Comme tout événement rare, chaque célébration se doit d’être sans égal et
se donne pour défi de faire oublier la précédente qu’elle éclipse de ses trouvailles.
Quelques traditions incontournables ouvrent les festivités et lancent le délire
et la liesse frénétique qui laisseront les participants, pantelants, exténués et ravis,
soixante-douze heures plus tard.
D’abord certaines conditions, inchangées depuis les origines, s’imposent lors
des fêtes janesques : Beau Soleil, Bel Air, Belle Allée, Bons Enfants et Gay Lussac
Saint Emilion, avec un coup de Mistral le deuxième jour, et l’Etoile du Nord brillant de
tous ses feux, la première nuit.
Le premier jour a lieu le défilé de mise en jambes…
Janus, sur son Char, immense personnage grotesque et inquiétant tient de la
main gauche la traditionnelle clef et de la droite les non moins indispensables
verges… Il semble dévisager les habitants, massés sur le passage de l’interminable
cortège, de son double regard inquisiteur.
Les Ecoliers et les Bons Enfants, armés de Martinets, encadrent le Char et
foncent dans la foule fouetter tous ceux qui, honteux, détournent la tête ou baissent
les yeux au passage du dieu figuré. Rappelons que, selon la légende, Janus ouvre
la porte de la décade nouvelle, fermant au passage celle qui vient de s’écouler.
Suivent les confréries des Vignerons, puis des Bouchers, Hélène en tête,
des Charpentier(s), guidés par Marc Antoine, Dezarnauld(s), conduite par Pierre,
Descartes dont René est devenu l’unique représentant, des Egoutier(s) toujours un
rien trop parfumés, des Gueules Noires et des Charbonnière(s), plus noires que
jamais et enfin des Veneurs à la trompe de chasse soigneusement accordée en ré,
qui sonorisent avec enthousiasme l ’ensemble du défilé.
Chaque membre des différentes confréries sort, pour la circonstance, sa
meilleure tenue d’apparat. Dignité de l’allure mesurée, étoffes richement colorées et
souvent chatoyantes, coiffes emplumées, colliers de confréries donnent à
l’ensemble une gueule et un panache incomparables…
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Viennent ensuite les Frères Lumière et les Frères Voisin, évidemment
renouvelés à chaque fête, nippés, coiffés, briqués comme jamais. Ces deux familles
brayotes, sont connues de la contrée entière, puisqu’elles reçoivent régulièrement le
prix Cognac, depuis six décennies au moins, tant les mères en sont fécondes. La
Rose et la Violette, en leur temps, la Marguerite et la Marjolaine, ensuite, leurs belles
filles, maintenant, mettent tout leur cœur et un peu de leur corps à renouveler la
population du bourg. En moyenne, dans chacune de ces familles, on compte un
Brayot tous les six mois, grâce aux jumeaux et aux quintuplés occasionnels…. Tout
va bien ! L’avenir est assuré.
Plus nonchalants et décontractés, les délégués de la Mairie, de l’Hôtel de
Ville et de L’Eglise papotent et rient en envisageant déjà la suite des festivités…..
Il faut préciser que le défilé de l’Orbette aux Oucherons, terminé, tout le
monde se retrouve à La Fontaine qui jouxte le Puits de Ville, près du Coin Buffet où
la ripaille peut commencer. On y déguste la célèbre omelette aux escargots et à la
Sarriette du Grand Coquille et les incomparables pâtisseries de Le Nôtre.
Les libations se font surtout au vin, longuement maturé des Mûriers, des
Framboisiers et des Groseilliers . Le fameux Gris Meunier coulant à flots aromatisé
pour la circonstance à la Violette et au Coquelicot est à l’origine de quelques
somptueux maux de crâne. Les plus argentés se délectent du Gay Lussac Saint
Emilion, qui, il y a encore vingt ans enivrait tous les participants, sans distinction.
N’est-ce pas, Louis Joseph, tu t’en souviens, toi qui t’y Soulas une fois sans
vergogne ?
Mais, que voulez-vous, la crise est passée par-là, mon bon Monsieur !!!!!!!!
La nuit venue, le feu d’artifice enchante Etourneaux, Bouvreuils, Fauvettes,
Martinets, Villeserins et autres Hirondelles. Donné sur la Promenade du Front de
Loire, il épate même les Saumons (de Loire) ….
(A la quarante-cinquième heure, plus de rues ont été citées que d’heures ne sont
passées !)
Mais tout cela n’est jamais que le début descriptible des festivités. Il faut
participer à la suite pour bien réaliser…..
156
Ecoutez mes anges
Par Christiane Noisette
Ecoutez mes anges.
A l’âge que vous avez, les roses de vos joues brilleront face aux gueules noires
qui éructeront par dizaines des rots marins aux relents de chaumes bus au coin du
buffet. Sous la haute croix de pierre, au fond du jardin, vous trouverez les trois clefs
qui vous permettront d’ouvrir la malle voisine à celle cachée sous les poiriers. Petite
nous, les filles, enfilions dès le matin du premier jour les grenouillères de coutume et
allions comme vous allez le faire y passer trois jours fous.
Cette fête au petit bois est la plus belle. Allez sous le beau soleil mes bons
enfants écouter le bel air de mai qui vous attire aux quatre vents. Courez vite à la
fontaine rafraîchir votre écharbeau afin que beau soit votre char. Ne prenez pas
racine. Le temps presse. Le vin coule déjà à flots. Chantez mes petits étourneaux un
do dès que vous serez prêts. Je vous mènerais à la mairie en évitant les venelles
bouchées par les branches de pins et de cèdres tombées lors de l’orage. Mais
surtout ne touchez en aucun cas au pot vert placé sous l’arche du pont bordeau que
les vignerons vous proposeront ou la paix de votre âme vous quittera. C’est de
l’alcool à base d’écailles de saumons de loire produit au moulin électra. Il est très
néfaste pour la vie en devenir. Croix de haies et hautes croix, si je mens adieu le
paradis et la liberté mais bonjour le puits de ville où je me jetterais.
Des cartes aussi on vous proposera. Mais jamais aucune, hélas, n’a répondu à
mon désir. Dans des glacières aussi vos mains vous plongerez. Au choix des
brillants arcs dorés ou des vers d’un framboisier habité par les martinets rieurs du
matin. Ne vous laissez pas avoir. Ne regardez pas non plus les lignes au pied de la
clairière autrement des cornes de cerf sur vos épaules pousseront. Véridique. Je les
ai vus autrefois quand soufflait fort le mistral sur la cape du noyer des grands
champs de marguerites. Attention aussi mes enfants, car sous ses airs de collégien,
le père Gaud ira jusqu’à vous demander une danse. Dans ton allure d’écolier, petit
rameau de mon coeur, il croira voir son idole. Refusez ! Refusez tout mes amours !
N’oubliez pas que, de ces trois jours de fêtes dans cette ville sans vertu du nom de
Janus Brayus, il n’en résulte jamais rien de bon. Que nos têtes blondes, malgré
toutes mes craintes, s’amusent bien sans nier le futur qui les attend.
157
Les Trois Glorieuses
Par Régine Paquet
Comme chaque année, la réunion du conseil de préparation des Trois
Glorieuses promettait d’être animée. Ambert et Armstrong, en qualité de tête de liste,
avaient pris les opérations en main.
Je suggère, pérorait Ambert du haut de son mètre soixante deux, que nous
semions à tout vent, dès l’aube du premier matin, des bleuets, des coquelicots et des
marguerites, en plastique bien sûr.
- Et des violettes, renchérit Armstrong, pour leur parfum subtil.
- Vous avez du plastique parfumé ? Ironisa Franklin, ce qui coupa la chique à
Armstrong. Mais Ambert vola au secours de son comparse: - Belle idée d’associer au
bleu, blanc, rouge, le violet du souvenir. Des bouquets de violettes seront donc
accrochés aux rameaux des acacias, des bouleaux, des tilleuls, des saules et de....
Danton l’interrompit sans cérémonie avec sa fougue habituelle: - Bon ça c’est pour la
décoration mais pour les actions, qu’est-ce que vous proposez ?
Moulin et Zay approuvèrent la question: - Oui, qu’est-ce que vous proposez ?
Ambert eut un sourire de satisfaction en déclarant: - Un lâcher d’oiseaux.
- Des vrais ? Vivants ? , demanda Franklin d’un air effrontément naïf.
- Palsambleu, bien sûr! Tonna Ambert. Les bons enfants du privé et les écoliers du
public ouvriront les portes de la grande volière communale pour libérer les oiseaux.
Le ciel sera alors sillonné de bouvreuils, d’étourneaux, de fauvettes, d’hirondelles, de
mésanges et...
Schuman mit fin à l’envolée d’Ambert en ricanant: - Vous êtes bien bucoliques cette
année, messieurs.
Churchill rugit en lieu et place d’Ambert et d’Armstrong:- Notre commune est avant
tout bucolique et le restera.
Un profond silence accueillit cette remarque. Armstrong en profita pour
continuer: - Le deuxième jour les festivités seront nocturnes. Un cercle d’ampoules
de faibles ampères - économie d’énergie impose - symbolisera un beau soleil
accroché à la croix des haies dans la clairière.
Des remarques fusèrent: - Non, mettons-le sur le clocheton- Pas du tout ! Il
faut le suspendre à l’arche - Vous n’y êtes pas ! C’est à la herse qu’est sa place. Pardon, la glacière qu’il réchaufferait serait mieux indiquée...
158
Chacun y allait de son envie. Danton gueula: - Ce sera à l’église. Tous
approuvèrent.
- Je suggère pour ma part, glissa Satie qui n’avait jusqu’alors rien dit, de fabriquer
aussi une grande étoile du nord que l’on hisserait au sommet du moulin.
Personne ne le contredisant, on en conclut que l’idée était adoptée. Ambert
reprit la tête des opérations en soulignant que la boisson était indissociable de la nuit
et de la lumière. On s’étonna de la formule mais on approuva le contenu.
- Du bon gris Meunier coulera à la fontaine et dans le puits de ville toute la nuit en
lieu et place de l’eau. Voilà qui devrait nous rallier les vignerons, s’esclaffa Armstrong
qui n’était jamais le dernier pour lever le coude.
- Bien et qu’en est-il du troisième et dernier jour ? S’enquit Montesquieu qui aurait
aimé planter des arbres de la liberté et de mondésir aux quatre vents de la
commune.
On perçut un flottement dans l’air, un temps suspendu d’indécision. Que faire
pour clore sans gueule noire ces belles journées ? (Gueule noire est une expression
janusienne équivalant à gueule de bois).
Diderot sortit de sa légendaire léthargie pour crier: - Des chars! Il nous faut un défilé
de chars.
L’idée séduisit toute l’assemblée et chacun d’y aller de son couplet.
- Un char couvert d’ardoises. - Non, ce serait d’un sinistre. Un char couvert de
chaumes. Restons bucoliques. - Vous oubliez le char des trois clés....
Avant que les échanges ne dégénèrent Ambert intervint et mit fin au débat: Vous avez tous raison. Nous ferons défiler différents chars qui partiront dans des
directions opposées avant de se réunir sur la place du marché. L’un passera par les
venelles, un autre par la tangentielle, un autre par la sente et un autre encore par la
promenade du Front de Loire.
Armstrong donna le signal des bravos. Tout le conseil debout battit des mains
pour célébrer ce nouveau programme de festivités en l’honneur des Trois Glorieuses
de Janus Brayus. Les trois glorieuses, que Rabelais évoquerait un peu plus tard
dans son Gargantua comme l’une des plus étranges et anciennes fêtes de la région
Centre.
159
Janus Brayus
Par Julie, une fillette de 10 ans (Chantal Richer)
Grand’père m’a raconté les festivités qui avaient lieu autrefois à Janus Brayus
pendant trois jours à l’occasion de la grande foire annuelle :
Le premier jour se déroulait la foire aux arbres et aux plantes dans différents
lieux de la commune tels l’allée des acacias et celle des catalpas. Un peu plus loin,
au croisement de la rue des peupliers et de la rue des bouleaux se trouvait tous les
ans, le père Bruyère, pépiniériste de père en fils depuis quatre générations, installé
rue des tilleuls et ami de mes grands-parents qui résidaient depuis longtemps allée
des roses. Il proposait de tout, de l’aubépine, du romarin, des bleuets, des cèdres,
des châtaigniers, des érables, des genêts……..
Le deuxième jour était consacré à la foire aux oiseaux dans les allées des
étourneaux, et des fauvettes. On pouvait trouver des oiseaux de toutes sortes, des
martinets, des mésanges et même des hirondelles.
Il paraît qu’une année, un perroquet s’est échappé et qu’il n’a été rattrapé par
un promeneur que deux ans après, sur le chemin des écoliers, près du sentier de
l’orme aux loups. Il disait sans cesse, « Jacob, Jacob », mais on n’a jamais su s’il
cherchait son copain Jacob, ou s’il voulait rejoindre son ancienne demeure de la rue
Max Jacob.
Le troisième et dernier jour, avait lieu allée charpentier, une exposition
présentée par des artisans locaux et des peintres dont les tableaux ressemblaient
d’après Grand’Père à ceux de Vincent Van Gogh et de Claude Monet.
Suivaient ensuite, la fête foraine puis le banquet servi en soirée au coin buffet
et bien arrosé de gris meunier. On dansait ensuite place du noyer jusque tard dans la
nuit, et les amoureux se retrouvaient tous promenade du front de Loire jusqu’au petit
matin.
Grand’père s’en souvient en souriant ; je crois bien qu’il y allait avec mamie
Colette !
160
Par Jean-Jacques Richer
Sur les conseils du chevalier de LOUVILLE et moyennant quelques menues
monnaies (MONET), j'ai réussi à sous-louer une chambre mansardée à un collégien
de Monod à l'auberge de Saint-Loup pour pouvoir participer sans retenue aux
festivités de Janus Brayus car comme chacun le sait ici, quand le gris meunier
coule, il n'y a pas que pierre qui roule …
Je suis agréablement réveillé ce matin par la musique lointaine d'une chanson
que j'ai déjà entendue hier soir à l'auberge. Si j'ai bien compris le cabaretier alsacien,
qui n'en était pas à son premier verre, il s'agirait de « Aubraies de ma plonde ».
J'ouvre ma fenêtre et découvre, se dirigeant vers le port Saint Loup, un
cortège formé de plusieurs groupes défilant bons enfants. Celui qui entonne cette
chanson est formé de conscrits qui arborent un bleuet à la boutonnière, un
coquelicot à la poche et portent une couronne d'aubépine. Suivent les chars (René
Char), composés uniquement de fleurs naturelles et réalisés avec la participation de
l'atelier Art Menault (Armenault).
Ce défilé se dirige vers le port de Saint Loup et ses participants prennent
place sur le pont et de chaque côté du canal. Sur le canal, les jouteurs se mettent en
place afin de se livrer à des tournois sans merci qui dureront jusqu'à la nuit tombée.
Sur la proue de l'une des embarcations dont le barreur est natif de Soissons, on
peut lire vers l'Aisne (Verlaine) tandis que sur la proue de cette autre est gravée cette
devise : Maurice, je ne vois rien venir ! (Maurice GENEVOIX) sans doute car les
rameurs sont tous aveugles … Les affrontements se succèdent, entrecoupés de
démonstrations de plongeons, du haut d'un plongeoir en bois pas peint (Papin)
échafaudé par un certain M. Charpentier.
Le long du chemin de halage, les odeurs de friture se mêlent à celles plus
subtiles du saumon de Loire au romarin cuisiné dans les échoppes des cabaretiers
et autres taverniers ayant quitté pour l'occasion la place du marché. Tous ces « coins
buffets » rivalisent d'imagination pour attirer le client. Celui-ci propose des brochettes
de cuisse de bouvreuils aux racines d'érable et au miel de bruyère ; celui-là des
étourneaux providence servis avec des groseilles dans un pot vert … La foule se
presse à l'affût d'un mets original et gouleyant sous ce beau soleil.
161
« Tu Connais la Nouvelle ? » - Décembre 2011
Retrouvez l’ensemble des textes écrits par les jeunes, adultes et seniors
sur le site internet de l’association
http://www.tuconnaislanouvelle.fr/
rubrique : Les Pôles de nouvelles => En 2011-2012 : le pôle de Saint-Jean de Braye
162

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