L`économie électrique suisse a-t-elle une chance de sur-vie

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L`économie électrique suisse a-t-elle une chance de sur-vie
5e Rencontres Suisses de l'Electricité - Mercredi, 19 séptembre 2001
L'économie électrique suisse a-t-elle une chance de survie?
Allocution de M. Michael Kohn, Président du Cercle d'étude "Capital et Economie" Zurich et
de la Commission de l'énergie de la Chambre de Commerce Internationale, Paris
A) Le passé: Le régime d'autarcie
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La question de la survie de l'économie électrique suisse ne s'est, à vrai dire, pas posée jusqu'à aujourd'hui. Et si elle est d'actualité depuis quelque temps, il ne serait pas venu à l'idée
de se la poser par le passé. L'économie électrique était et est l'un des piliers de notre Etat,
l'expression de son identité même. Jetons un regard sur l'histoire!
J'ai vécu toute ma vie professionnelle avec l'électricité. A l'Exposition nationale de Zurich,
en 1939, le pavillon de l'électricité était l'un des plus importants. En 1939, avant la 2 nde
Guerre mondiale, quand la guerre se faisait menaçante, la Suisse était consciente qu'elle
avait, avec l'électricité, la seule matière première du pays. On parlait alors de la houille
blanche. L'électricité a joué sans nul doute un rôle important dans la survie économique
pendant la 2nde Guerre mondiale, même s'il y a eu des cas de pénurie. Durant l'essor économique de l'après-guerre, de nombreux nouveaux barrages ont vu le jour: GrandeDixence, Mauvoisin, Gougra, Hinterrhein, Zervreila, Forces Motrices de l'Engadine, Emosson, le dernier grand aménagement hydroélectrique du pays, que j'avais du reste l'honneur
de présider dans sa phase initiale. C'était la grande époque des constructions de barrages.
L'idée forte, née des expériences de la guerre, était de répondre à la demande avec une
production nationale. On était loin de parler de survie, au contraire, c'était une naissance,
une renaissance.
L'après-guerre a été marqué par le souci d'éviter la pénurie. L'économie de guerre et une
mentalité insulaire ont longtemps dominé. Le choc pétrolier de 1973 a donné une nouvelle
impulsion dans ce sens. La construction de nouvelles unités de production et, notamment,
de centrales nucléaires, les réserves obligatoires de pétrole, tout cela était l'expression
d'une pensée isolationniste et sécuritaire. On ne donne pas ce qui pourrait nous manquer
un jour.
Après avoir été, de 1974 à 1977, le chef d'état-major de la Commission Fédérale pour une
Conception Globale de l'Energie, que j'ai eu l'honneur de présider, Monsieur Edouard Kiener, devenu directeur de l'Office fédéral de l'énergie au début de cette année, a dû, comme
première tâche, préparer une ordonnance régissant l'exportation du courant, puisqu'à
cette époque exporter du courant électrique sans autorisation était interdit.
Pendant cette période d'autarcie, les électriciens n'étaient malgré tout pas dans un état de
"splendide isolation". L'économie électrique travaillait avec l'étranger dans de nombreux
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domaines: UCTE, Union pour la Coordination du Transport de l'Electricité; UNIPEDE, Union
Internationale des Producteurs et Distributeurs d'Electricité devenue depuis peu Eurelectric, et avant tout un commerce très actif a eu lieu avec nos voisins. Le régime consistait à
assurer l'approvisionnement du pays, à exporter les surplus en été et, si nécessaire, à importer ce qui nous manquait en hiver. Nous avons aujourd'hui encore, après 50 ans, la
même situation. La consommation finale d'électricité a atteint, en 2000, 56 milliards de
kilowatt-heures ou 53 milliards net en comptabilisant les pertes de 3 milliards. La production, de son côté a atteint 65 milliards de kilowatt-heures. L'exportation de courant est
donc importante, le solde, la plupart du temps, était positif. Nous avons d'autre part connu
un surplus d'importation durant des hivers particulièrement rigoureux, en 1984, 1990 et
1996, Dans ce régime d'autarcie, l'auto-approvisionnement est resté le souci premier, complété par un échange d'énergie avec l'étranger.
La coopération avec l'étranger et les relations internationales ont été fructueuses, surtout
pour les grandes sociétés actives dans le commerce. Le bénéfice tiré des échanges avec
l'étranger a varié entre 300 et 790 millions de francs chaque année depuis 1970. En 1999, il
a atteint 608 millions, en 2000, 468 millions de francs. Ces bénéfices ont été intéressants
pour les sociétés concernées, mais aussi pour les consommateurs et l'économie, pour autant que ces bénéficies aient été répercutés sur la population…..
La coopération avec l'étranger était et est aussi avantageuse pour d'autres raisons, par
exemple dans le cas d'un arrêt soudain d'une installation importante de 1'000 MW comme
Leibstadt ou Gösgen. Dans ce cas, une aide de l'étranger serait indispensable pour maintenir la régulation et la stabilité du réseau. En plus, certains aménagements électriques sont
le fruit d'une collaboration internationale, par exemple sur le Rhin ou le Doubs ou sur le
territoire de deux pays, comme Emosson ou Hinterrhein. Mais encore une fois: Le leitmotiv,
le motif dominant, était l'auto-approvisionnement.
A cette caractéristique de notre système était et est toujours étroitement lié le monopole
qui gouverne l'approvisionnement en électricité dans notre pays. Nous comptons plus de
1'000 sociétés sur notre territoire, petites et grandes, et toutes sans concurrence. Le tableau de la structure de la branche électrique sur notre territoire se présente comme un
vrai "patch-work" de nombreuses sociétés de production et de distribution. Leurs activités
sont fondées sur des accords de concession ou de livraison, le client captif n'ayant pas droit
à l'acheminement d'électricité, à savoir qu'il ne peut pas choisir son fournisseur.
Ce régime n'est pas du tout aussi mauvais que le décrivent bon nombre de nos politiciens. Il
avait et a ses désavantages. Ce client captif ne souffrait à vrai dire pas de cette situation.
L'électricité était disponible à chaque moment, pour n'importe quelle quantité, et à un prix
raisonnable. La question de la survie de l'économie électrique ne se posait toujours pas.
B) Le futur: L'ouverture du marché
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1. Introduction
La fin de la Guerre froide, la chute du mur de Berlin, l'intégration européenne et surtout la
globalisation ont changé le climat. La période d'après-guerre est remplacée par une nouvelle époque d'ouverture, de libéralisation des marchés et de chute de frontières. On pourrait résumer la transition comme suit: de l'état insulaire suisse à la coopération et à l'intégration internationale. La "Loi sur le Marché de l'Electricité" (LME) est un symbole de ce
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changement et de départ dans un nouveau siècle. C'est dans ce contexte que les organisateurs de ces Rencontres d'aujourd'hui ont posé la question: l'économie électrique suisse at-elle une chance de survie?
Avant d'entrer en matière, j'aimerais éviter aujourd'hui le débat pour ou contre la LME.
Assez de séances, de séminaires, de "workshops" se sont déroulés sur ce thème. Les Electriciens Romands vont par ailleurs bientôt tenir un débat sur l'ordonnance de cette loi.
L'AES, l'Association des Entreprises Electriques Suisses, est formellement en faveur d'une
réglementation du marché de l'électricité dans le cadre d'une loi. Mais il y a aussi des avis
contraires, bien fondés, dans l'AES et surtout en dehors. Vous connaissez les arguments
pour ou contre. C'est un vrai choix entre deux conceptions politiques qui sera présenté aux
citoyens.
Quand à notre sujet, la question de la survie ne se pose pas si la LME n'entre pas en vigueur.
Le statu quo restera plus ou moins intact. Seulement dans ce cas de figure, il conviendrait
d'étudier si l'absence de loi ne va pas quand même changer un peu le statu quo ante. Est-ce
qu'il n'y aurait pas des discriminations vis-à-vis des petits consommateurs et des petites et
moyennes entreprises (PME), et est-ce que la coopération avec nos voisins ne pourrait pas
être entravée à cause du manque de réciprocité avec l'étranger qui a ouvert ses marchés?
C'est difficile de croire que nos sociétés électriques peuvent facilement approvisionner de
nouveaux clients en Allemagne ou en Italie, si nous fermons la porte aux "public utilities"
étrangères. Mais sur ce thème, la discussion se tiendra dans le cadre du référendum pour
ou contre la LME.
Ce qui est important pour nous, c'est que nous procédons de l'hypothèse que la LME viendra. Cette supposition n'est peut-être pas si erronée, si on tient compte du fait que la Suisse
pourrait faire partie de l'Union européenne, où l'ouverture du marché est prescrite et introduite. Personne ne sait si tel sera le cas et quand il interviendra. Mais il est quand-même
étonnant de constater que ceux-là mêmes qui combattent la LME demandent une entrée
assez rapide dans l'Union européenne.
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Vivre ou mourir avec la LME?
a. L'impact de l'ouverture du marché
La LME est donc le point de départ.
Quels sont ses éléments fondamentaux? Ouverture ordonnée du marché, transparence du
système, introduction de l'accès réglementé des tiers au réseau sans discrimination et à des
prix rendus publics, liberté des clients de choisir leur fournisseur et assurer la compétitivité des entreprises de la branche – en d'autres termes: introduction du marché et de la concurrence. Beaucoup de choses changeront. Mais il y aura une grande différence qui n'est
pas prescrite dans la LME, mais qui pourrait avoir des conséquences substantielles: la cohésion, la liaison du client, ce qu'on appelle en allemand la "Kundenbindung", va diminuer,
peut-être disparaître. Les rapports entre le client et son fournisseur pourraient être soumis
aux même lois que celles réglant les autres branches, soit la loi du marché.
Mais si ce sont les règles du marché qui s'appliqueront, la question de savoir si l'économie
électrique suisse survivra est théorique, voire futile. Exister sur le marché dépend de nombreuses circonstances politiques, économiques, de la conjoncture, de l'attitude du gou-
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vernment, des actionnaires et aussi de la capacité du management. Si je me demande si la
MIGROS survivra, je pense que "oui", comme aussi pour le Crédit Suisse. Mais il y a eu des
entreprises bancaires de moyenne importance qui ont succombé tandis qu'il y en a d'autres
de même envergure qui prospèrent. Il y a plus de vingt ans, on prévoyait la disparition de
l'industrie horlogère suisse, qui était alors en crise. Grâce à l'initiative et à la ténacité d'un
entrepreneur, Monsieur Hayek, elle a pu survivre. Les fonderies de Winterthur et de
Schaffhouse ont été fermées; la fonderie de verre, "Glashütte", de Bülach, une entreprise
bien organisée, fermera ses portes l'année prochaine. D'autres firmes de poids similaire
continuent. En somme la question qui nous est posée, de savoir si l'économie électrique
survivra, est complexe, parce que la réponse dépendra des conditions–cadres de ce marché
et de la capacité des dirigeants.
Et pour ne pas vous cacher mon opinion personnelle: je crois qu'elle survivra, mais à des
conditions que j'aimerais discuter avec vous.
b. Une branche en route vers la concentration
Mais avant d'énumérer et de décrire ces prémisses, je voudrais souligner que si nous parlons de "survie", cela ne veut pas dire survie des structures actuelles. Nous comptons en
Suisse plus de 1'000 entreprises électriques. Il est difficile de s'imaginer que cet état survivra. Il y aura des rapprochements, de nouveaux modèles de coopération, des réunions régionales, des fusions, de nouvelles fondations: les forces motrices de Brusio et les Rhätische
Werke se sont réunis sous le titre "Rätia SA". Neuchâtel et Fribourg veulent se marier. Les
"Swiss Cities Power" ont formé une nouvelle unité; au Tessin, on discute d'une nouvelle
coopération entre entreprises électriques sous un toit de holding. La société AXPO concrétise une nouvelle initiative de renforcement des liens et d'augmentation de la puissance de
combat en réunissant les cantons du nord–ouest de notre pays. La simplification des structures et l'augmentation de l'efficacité sont les forces motrices pour ces réorganisations. Et
dans ce contexte il pourrait même y avoir des dissolutions de certaines structures traditionnelles pour rétablir une indépendance de certaines sociétés.
Cette tendance d'amalgamer et de réunir les entités électriques est aussi activée par l'esprit
de la loi quand le projet actuel de l'ordonnance stipule que les cantons pourraient augmenter l'efficacité des réseaux en unifiant des entreprises d'approvisionnement ("durch
Zusammenlegung von Netzbetreiberinnen", article 11).
Dans tout les cas, la multitude de 1'000 sociétés d'électricité diminuera considérablement.
L'expérience allemande montre que la quantité de sociétés exploitant des réseaux a baissé
d'un tiers. Au lieu de neuf "Überlandwerke", l'Allemagne n'en compte que quatre. Une
étude allemande prétend même qu'une société d'électricité devrait pouvoir compter sur
100'000 clients pour être efficace. Calculez, s'il vous plaît, combien de sociétés survivraient
en Suisse, si la formule est juste.
c. Les conditions-cadres pour la survie de la branche électrique
Dans mon estimation, que l'économie électrique suisse survivra sous un nouveau régime de
marché, je voudrais définir le mot suisse par "sociétés en mains suisses" avec une "majorité
suisse dans son actionnariat".
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Sous quelque régime que ce soit, il y aura toujours des consommateurs et des clients industriels qui auront besoin d'électricité. La grande question est: est-ce qu'ils l'achèteront en
Suisse ou à l'étranger? Chez AXPO, BKW, ATEL, en Suisse romande ou chez E.ON, RWE, Badenwerk ou auprès de l' Electricité de France? Je suis persuadé que nos sociétés sont aussi
efficaces et productives que les étrangères. Notre sens de la qualité et de l'exploitation
consciencieuse est à notre avantage comme aussi le fait que notre production électrique se
compose de centrales au fil de l'eau et de barrages d'accumulation avec l'énergie de pointe.
Avec tous ces atouts: pour éviter un déclin, les conditions suivantes sont requises:
 Le marché est animé par des marchands
Marché, cela veut dire concurrence, bataille, incertitude. Le temps est révolu où les sociétés
électriques connaissaient, déjà le 2 janvier de chaque année, la grandeur de leurs recettes,
parce qu'ils connaissaient leur clientèle et ses besoins. Après l'introduction de la LME, la
concurrence pourra commencer à jouer – surtout pour les petits consommateurs et les
PME. Voilà pourquoi il était judicieux de la part de l'économie électrique de se vouer au
"marketing" pour apprendre comment améliorer les relations avec la clientèle. En plus,
dans un climat compétitif, la branche électrique ne pourra pas se passer de lancer de nouveaux produits: le "contracting", une meilleure production du courant vert, un service
complet. Mais tous ces efforts ne remplaceront pas l'initiative et l'engagement personnels
de la direction. Le marché a besoin des marchands.
Or, il serait faux de croire que le consommateur (sauf probablement l'industrie) a été mécontent avec le régime actuel. Le 10 juin dernier, le peuple du canton de Zurich a été appelé
à s'exprimer sur une nouvelle loi EKZ ("Elektrizitätswerke des Kantons Zürich"), qui aurait
changé certains éléments de la structure de l'approvisionnement pour faciliter l'entrée de
l'entreprise dans AXPO. Après l'analyse du résultat du vote populaire, qui était négatif, la
"Neue Zürcher Zeitung" a résumé le résultat du vote ainsi: "Zufriedene Stromkonsumenten
sagten Nein" (NZZ, 28/8/01). La majorité ne voulait pas comprendre pourquoi on voulait
changer le système. Par analogie, on pourrait même douter qu'après l'introduction de la
LME la majorité des petits consommateurs voudront vraiment changer leur fournisseur. La
situation sera différente pour l'industrie et les PME. Mais aussi le petit consommateur sera
entouré de ses hommages. Le marketing et la relation avec le client (la "Kundenbeziehung") devra avoir une nouvelle dimension.

Dé-réguler ou Re-réguler?
Une autre exigence nécessaire pour éviter de nouvelles charges pour la branche électrique
se réfère à l'ordonnance de la loi. D'abord, cette ordonnance ne devrait pas introduire une
nouvelle bureaucratie. La loi a 31 articles, le projet d'ordonnance en a à présent 44! La Dérégulation ne devrait pas être remplacé par une Re-régulation.
En outre, les principes fondamentaux de la loi doivent se retrouver impérativement dans
l'ordonnance. L'ordonnance doit se conformer, entre autres, au but de la LME qui veut assurer la compétitivité internationale de l'industrie suisse de l'électricité. C'est cette composante que certains milieux politiques ont perdu de vue.
Pour garantir une certaine souplesse lors de la phase d'introduction à la libéralisation, le
Parlement a volontairement introduit dans la loi plusieurs dispositions sous forme de possibilités non contraignantes. Cette volonté ne doit en aucun cas être un passe-droit permettant d'introduire dans l'ordonnance des dispositions qui avaient été rejetées lors des délibérations sur la loi.
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Par exemple, toute extension des avantages concédés aux énergies renouvelables serait de
nature à mettre en péril la compétitivité de l'économie électrique suisse à l'échelle internationale.
La sauvegarde du concept de service public, tel que le prévoit la loi, incombera pour une
grande part aux cantons. L'ordonnance ne doit pas limiter la liberté de manœuvre qui leur
est octroyée dans ce domaine.

Contraintes fiscales et financières
Pour éviter un affaiblissement de nos sociétés d'électricité, il faut être soucieux de ne pas
leur imposer de lourdes contraintes financières.
Il est nécessaire tout d'abord de s'abstenir d'introduire de nouvelles taxes sur l'énergie et
spécialement sur l'électricité. En tous les cas, la charge ne devrait pas excéder les taxes et
impôts introduits auprès de nos voisins. Le renchérissement peut aussi avoir lieu en introduisant de nouvelles conditions–cadres pour les forces hydrauliques telles que celles relatives au nucléaire.
Parlant du nucléaire, l'acceptation des deux initiatives nucléaires, surtout celle de l'abandon d'installations nucléaires, signifierait infliger de lourdes pertes aux sociétés exploitantes. D'après l'étude connue des professeurs Pfaffenberger et Borner, la pénalisation financière se situerait entre 40 et 60 milliards de francs. Fermer nos centrales nucléaires
n'est rien d'autre qu'un anéantissement de capital. Devoir amortir de telles pertes pourrait
affaiblir dangereusement les bilans et ébranler la stabilité financière de nos grandes entreprises.
Un autre élément coûteux pourrait provenir d'une idée qui a surgi dernièrement dans le
contexte du débat sur l'Ordonnance de la LME. Afin d'anticiper une pénurie d'électricité en
raison d'une hausse inattendue de la consommation, le Conseil fédéral devrait, de l'avis des
solliciteurs de cette idée, avoir la compétence d'exiger des mesures afin d'assurer la sécurité de l'approvisionnement en électricité. A part le fait que les entreprises électriques on
depuis des décennies pu assurer l'approvisionnement même dans des conditions difficiles
parce que c'est leur mandat et leur vocation, la nouvelle imposition pourrait devenir très
coûteuse, parce qu'elle forcerait les entreprises à financer une réserve permanenté. Si
vraiment la consommation augmentait au-delà des prévisions, la construction d'une nouvelle installation de production serait une solution plus judicieuse – pour autant que le
permis de construire soit accordé sans délais. Si nous voulons éviter la crise de type Californie, dont la libéralisation s'est déroulée d'une manière totalement inopportune, il sera
nécessaire de faire comprendre une fois de plus à nos politiciens et à la population que la
construction bien réfléchie de nouvelles centrales électriques n'est pas un péché.
Dans le contexte du débat sur l'ordonnance, il y a d'autres développements qui pourraient
limiter la rentabilité des entreprises électriques. L'Office fédéral de l'énergie veut apparemment introduire dans l'ordonnance, à l'adresse des exploitants, des limites prescrites
pour la rentabilité des réseaux. On articule un taux de 5,6%. Limiter les profits ne suit pas
exactement les règles du marché, mais pourrait être justifié, vu que le réseau reste un monopole, mais trop réduire la rentabilité pourrait devenir dangereux parce qu'un manque de
disponibilité financière restreindrait l'entretien et la qualité du réseau. Les expériences
suédoises sont un avertissement!
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En autres termes: Si l'on veut maintenir un certain caractère suisse de notre économie électrique vis-à-vis de la concurrence internationale, il faudrait éviter d'augmenter les charges
financières et les interventions étatistes dans ce secteur. La libéralisation a pour but,
l'introduction du marché et non du dirigisme.

Questions de taille
Les chiffres d'affaires de nos grandes sociétés (les "Überlandwerke") varient entre 10 et 30
milliards de kWh (GWh) par an. Comparés à l'étendue des géants européens, elles sont des
nains. Electricité de France, à la tête du peloton, vend à peu près 500 milliards, la deuxième,
la combinaison de E.ON avec la Powergen britannique, atteint 325 milliards. Même avec
une fusion des grandes entreprises suisses avec un chiffre combiné de plus de 60 milliards,
le groupement suisse resterait un "piccolo". Ce fait n'est pas un motif de défaite ou de disparition. Le volume n'est pas le seul élément décisif. Flexibilité, innovation, vitesse, promptitude sont aussi des éléments décisifs pour survivre sur le marché. Mais la grandeur peut
aider à atteindre des synergies quant à l'opération technique et quant aux prix. Vu la géographie et le développement politique en Europe, on doit se demander si une fusion ou au
moins une étroite collaboration entre les grandes sociétés suisse n'est pas la nécessité du
jour. L'on sait que nos sociétés électriques sont ancrées dans leurs régions et représentent
parfois une identité locale. Mais on doit quand même se poser la question si dans un climat
rude et rigoureux de concurrence internationale une réponse unifiée suisse ne sert pas
mieux le pays et ses consommateurs. On sait qu'il y a eu des "flirts" sans issue entre diverses sociétés, entre autres parmi celles qui sont représentées ici par les orateurs de ce
jour. On sait qu'il y a quelques années des négociations sérieuses ont eu lieu entre ATEL et
NOK pour une fusion, un débat accompagné par les grandes banques. Et ces compagnons
consultants n'étaient à l'époque pas à la hauteur de leur fonction parce qu'ils manquaient
de vision. Parfois il faut éduquer les actionnaires à reconnaître leur tâche. Pour le moment,
la création d'un holding suisse n'est pas à l'ordre du jour. Mais dans une ère de changement, rien n'est exclu dans le futur. En tous les cas, cela fait du sens que de poursuivre
l'idée d'un holding helvétique.

Participation étrangère et privatisation
Il existe des craintes qu'avec la LME des sociétés étrangères pourraient pénétrer dans l'actionnarial de nos entreprises, voire conquérir la majorité, ou que la LME mènera à la privatisation. Ces craintes ne sont pas fondées.
La loi sur le marché de l'électricité ne contient aucune contrainte sur les rapports de propriété des installations de production et des réseaux de distribution. En fait, les trois quarts
du secteur économique de l'électricité en Suisse appartiennent aux cantons et aux communes. Une privatisation partielle ou complète ne peut être réalisée que par des décisions
démocratiques des cantons et des communes. Et l'entrée des sociétés étrangères dépend de
l'attitude des actionnaires. Finalement, les sociétés Electricité de France et RWE sont entrées dans le groupe Motor-Columbus / ATEL sans et avant la LME, de même la société
Preussenelektra auprès des BKW. L'ambiance en Suisse est négative quant à la participation substantielle de l'étranger; la même attitude existe en Autriche et en Italie. Les dirigeants de l'AXPO prévoient d'introduire dans leurs statuts une formule qui défendrait à ses
actionnaires de vendre la majorité des actions à une entité étrangère. Si vraiment la politique suisse veut éviter la vente de sociétés ou d'installations suisses à des étrangères, il
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faut renforcer la branche électrique et non l'affaiblir. C'est en soutenant les sociétés électriques qu'on pourra sauvegarder leur caractère suisse, et non pas en les harassant.
C. Epilogue
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J'en arrive au terme de mon exposé. Laissez-moi ajouter quelques réflexions. L'existence
d'une économie et de la branche électrique suisse dépend de son unité. Bien que des différences existent – doivent exister – entre les sociétés électriques, ce qui est commun devrait
être mis davantage en évidence que ce qui sépare. Nous sommes tous dans le même bateau.
Cela suppose de la compréhension et des égards réciproques, de même qu'une certaine
solidarité.
Si la LME prévoit d'accorder des prêts à des centrales hydrauliques en difficulté durant un
délai transitoire, les entreprises qui ne sont pas concernées par ce problème ne devraient
pas se distancer d'une proposition utile aux autres.
Si, par contre, certaines sociétés sont affectées par la forte opposition à l'énergie nucléaire,
exigeant même l'abandon de celle-ci, les entreprises dans d'autres parties du pays qui ne
disposent pas de centrales nucléaires – comme, par exemple, la Suisse romande – ne devraient pas se désintéresser de ce débat idéologique.
Si on veut survivre, on doit aussi pouvoir faire valoir une influence politique.
Mon souhait, comme ancien président de Motor-Columbus, Aare Tessin, Emosson, Gösgen
et d'autres installations, serait que l'économie électrique suisse retrouve sa position forte
dans le débat public.
Je suis affligé de voir et d'entendre dans des milieux politiques et économiques que pour
certaines questions l'avis de la branche est moins demandé, parce que les avis sont disparates. Une conséquence en est que les dirigeants de la branche électrique – bien qu'entièrement sollicités par les problèmes de l'ouverture du marché – se prennent néanmoins le
temps de prendre part au débat politique. Nous devons retrouver notre voix.
Enfin, le succès ou l'échec dans la vie économique dépend de l'état d'esprit. Afin de pouvoir
survivre – ce qui est notre sujet du jour – mon vœu serait que cette branche électrique soit
plus décontractée, plus positive face à l'avenir, plus sûr d'elle, plus optimiste – un optimisme du type américain, si j'ose faire usage de cette réflexion, précisément au cours des
jours que nous vivons.
Pour revenir à la question de cette journée – la chance de survie de l'économie électrique
suisse – ma réponse est: Elle survivra si nous le voulons!