Aux enfants de mon âge quand on leur posait la

Transcription

Aux enfants de mon âge quand on leur posait la
Le nouveau chef
Monologue – femme ou homme – durée approximative : 5 minutes 15
« La venue d’un nouveau chef est un peu comme l’arrivée du beaujolais nouveau.
Un nez subtil prolongé d’une bouche veloutée et d’une dominante fruitée dans une
merveilleuse longueur en bouche riche de complexité aromatique.
Ça sonne bien n’est-ce pas. C’est la même chose pour le chef, on s’attend à quelque
chose de nouveau et on a presque hâte qu’il arrive, pour qu’enfin les choses changent.
Peut-être la chance d’un nouveau départ avec du sang neuf, donc neutre. Pas de
préjugé puisqu’il ne me connaît pas.
Mais une fois débarqué, la déception est grande. L’espoir aura été de courte durée.
Rapidement, nous nous apercevons que c’est le changement dans la continuité et que
ça risque même, de devenir pire qu’avant. Ce n’est pas peu dire !
Vu son comportement, il sait. Il sait quoi ? Ce qu’il doit savoir sur chacun de nous
pardi !
Il débarque avec l’esprit d’entreprise, avec la niaque de changer tout ce que son
prédécesseur a mis sur pied.
Histoire de marquer son territoire, de prouver que c’est lui qui décide, de tout.
Sans être parano, il est évident que des consignes ont été passées. Les copains de
l’ancien seront les copains du nouveau. C’est ainsi que ça fonctionne.
On prend les mêmes et le cirque recommence. Le bal des faux-culs est ouvert, à eux la
danse, à moi la contredanse.
Car je refuse, j’exècre, je renie cette autorité préfabriquée, cette infernale machine qui
ne s’arrête jamais de détruire ceux qui comme moi n’acceptent pas d’être corvéables et
malléables.
La nouvelle broyeuse est en place, implacable. Et ça rempli de joie les collègues
hypocrites qui ne savent plus quoi inventer pour entrer et rester dans ses bonnes
grâces.
Ça bave, ça critique parce que je ne suis pas comme eux, parce que mes réactions et
mon comportement sont différents des leurs.
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Pourtant, je n’ai pas toujours été dans cet état d’esprit, celui de révolte à force
d’injustices.
J’y ai cru au début. Naïvement, je pensais que le travail et l’honnêteté étaient
récompensés et qu’ils ouvriraient les portes d’une carrière, qui se voulait, prometteuse.
C’était sans compter sur la mentalité instaurée dans l’entreprise.
Il aura suffi d’un chef, d’un seul, une fois, qui aura réfuté mon travail et mon caractère
pour me reléguer définitivement au rang des mauvais éléments.
Pestiféré tu es, pestiféré tu restes. Et la venue d’un nouveau chef ne changera pas la
donne.
C’est écrit dans mon dossier, à l’encre indélébile.
J’aurai beau tout tenter rien n’y fera, il n’y a plus de page à tourner.
Je me suis donc réfugié dans le mutisme afin de fuir cet environnement hostile et
dangereux. Une carapace de solitude pour mon bien-être intérieur.
Mais même ça il me le reproche, et me le fait payer cher, très cher.
Ce qu’il aime ce chef arrogant et méprisant ce sont ceux qui lui lèchent les bottes, et je
peux vous dire qu’elles brillent de mille feux. Parmi eux, se trouve un meneur.
Oui le malheur c’est que dans chaque entreprise, dans chaque service, dans chaque
bureau une sorcière sévit, archétype de l’arriviste prête à toutes les bassesses pour
arriver à ses fins.
Son but, à la sorcière bien nommée, masquer son manque d’intelligence et ses lacunes
professionnelles par un comportement de drague intensive.
Mais pas avec n’importe qui, non, avec ceux qui comptent, avec ceux qui peuvent l’aider
à gravir les échelons.
Grande copine de l’ancien chef, oups ! C’est étonnant ça ! Toujours à l’affût des
conversations.
Elle rit quand le chef rit et pleure quand il pleure, elle casse, elle broie les collègues
gênants, même ses soi-disant copains, afin d’être la plus appréciée de cette hiérarchie
aveugle et consentante.
Et le plus extravagant c’est que ça marche ! C’est consternant. La bonne copine des
chefs a droit à des augmentations, quand pour certains c’est l’austérité.
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Elle prend trois heures de pause-café par jour quand certains sont sanctionnés pour
avoir pris vingt minutes.
Elle passe le reste du temps au téléphone, à ricaner comme une bécasse, à bavasser
avec sa copine d’en face, et sort un dossier de temps en temps.
Elle ne laisse pas tomber, elle n’est pas fragile, être une sorcière libérée tu sais ce
n’est pas si facile !
En attendant le mal qui est fait est incurable, et tous ces anciens et nouveaux chefs qui
brisent ainsi des vies professionnelles, nous blâment en plus de ne pas le prendre
positivement.
Décidément ils ne manquent pas d’air car ils voudraient en plus que nous gardions le
sourire.
En ce qui me concerne je le retrouve une fois sorti d’ici, et même si j’ai perdu mes
illusions, je garde ma personnalité et ma conscience intactes.
Tout le monde ne peut pas en dire autant, n’est-ce pas !
Ma vie privée est magnifique, aussi, je les laisse baigner dans leur médiocrité
quotidienne.
Même s’il n’est pas très bon, je vais boire un verre de vin à ma santé, et espérer qu’elle
reste intacte elle aussi, pour qu’elle m’aide à les supporter jusqu’à mon départ, que
j’espère imminent.
Oui je vais boire un coup, parce que la différence entre le beaujolais et le chef, c’est que
le beaujolais peut toujours se bonifier.
ISBN : 978-1-291-65431-8
Dépôt légal : Décembre 2013 – Lulu.com Editeur
© Daniel Pina
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