Update - Idexx

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Octobre 12
Diagnostic
Update
Votre cas clinique
Deux cas de mélanomes buccaux canins
Françoise Delisle1, Pauline De Fornel 1, Marie Lagadic 2, Daniela Prata 2
Le mélanome est la tumeur la plus fréquente de la cavité buccale du chien, surtout âgé (âge moyen de 12 ans). Dans la
grande majorité des cas, il s’agit d’une tumeur agressive avec
des métastases fréquentes aux nœuds lymphatiques de drainage (41-74%) et à distance (14-92%), principalement aux poumons (14-67%)(1). Il existe toutefois des mélanomes de localisation buccale de meilleur pronostic.
Compte tenu du comportement biologique très variable de ces
tumeurs, il est important de considérer les facteurs pronostiques
les plus significatifs pour un choix thérapeutique le plus approprié.
Cette tumeur présente un index mitotique de 19, des atypies
nucléaires supérieures à 30% des cellules tumorales, un index
Ki67 de 75,4, tous facteurs péjoratifs du pronostic (2) (Tableau 1).
Facteurs
pronostiques
Deux chiens sont présentés en consultation suite à la découverte d’une masse buccale.
Le premier est une chienne teckel stérilisée de 12 ans présentant une lésion muqueuse pigmentée d’un centimètre de diamètre environ sur le rostre mandibulaire, identifiée par ses propriétaires. Le second, chien bichon castré de 14 ans, présente une
volumineuse masse palatine caudale, détectée en raison d’une
halitose et d’une douleur à la mastication.
La pigmentation de la première masse oriente d’emblée vers
une hypothèse de mélanome. L’aspect de la seconde est
moins spécifique ouvrant le diagnostic différentiel vers des hypothèses de carcinome épidermoïde, mélanome non pigmenté, fibrosarcome. Des biopsies sont réalisées afin de déterminer
la nature tumorale.
Pronostic
défavorable
Métastases à distance
-
x
Métastases ganglionnaires
-
x
Index Mitotique (IM)
Présentation des cas
Pronostic
favorable
< 4/10 hpf
≥ 4/10 hpf
Atypies nucléaires (% noyaux
typiques sur 200 cellules)
< 30%
≥ 30%
Pigmentation (??)
≥ 50%
< 50%
Infiltration
superficielle
sans lyse
osseuse
Infiltration
profonde +/lyse osseuse
< 19,5
≥ 19,5
Degré d’infiltration/invasion
Index ki67 (moyenne de noyaux
positifs sur 5 hpf*)
Tableau 1: Facteurs de pronostic des mélanomes buccaux canins (2)
*hpf=High Power Field, Champs à Fort Grossissement
Pour le bichon, le diagnostic histologique, sur biopsie de petite
taille, est un mélanome malin achromique buccal, sans embole et présentant des remaniements inflammatoires (Photo 2).
Diagnostic histologique
L’examen anatomopathologique conclut à deux mélanomes.
Pour le teckel, le diagnostic histologique, sur pièce d’exérèse,
est un mélanome malin buccal, sans embole (Photo 1).
Photo 2: Mélanome malin buccal achromique et inflammatoire (Col. HES; Obj. 10X)
Cette tumeur présente un index mitotique de 2, des atypies
nucléaires inférieures à 30% des cellules tumorales, facteurs a
priori de bon pronostic, et un index Ki67 de 21, facteur pronostique quant à lui péjoratif (2) (Tableau 1).
Photo 1: Mélanome malin buccal très faiblement pigmenté et peu différencié (Col. HES;
Obj. 40X)
1
2
Centre de Cancérologie Vétérinaire de Maisons-Alfort (94700), ENVA
Laboratoire IDEXX Alfort, 94140 Alfortville
Bilan d’extension
Le comportement biologique des mélanomes buccaux du
chien (agressivité locale et potentiel métastatique importants)
justifie la réalisation d’un bilan d’extension exhaustif avant
toute proposition thérapeutique. Le choix s’oriente vers un
examen tomodensitométrique offrant la possibilité d’obtenir
un bilan d’extension complet.
L’examen tomodensitométrique du teckel révèle une ostéolyse
du rostre mandibulaire sous-jacent à la tumeur, incluant le site
de la racine du croc gauche et s’étendant à droite (Photos 3 et 4).
ment adjuvant associant une radiothérapie externe fractionnée
(dose totale de 36 Gy, fractionnée en 3 Gy 3 fois par semaine)
et une chimiothérapie (adriblastine, à la dose habituelle de
30 mg/m2, 4 injections au total, espacées de 3 semaines) est
entreprise.
Six mois après la chirurgie, aucune récidive tumorale n’est
détectable, mais des métastases pulmonaires sont identifiées sur des clichés radiographiques du thorax.
Le bilan d’extension locale du bichon n’autorise pas son exérèse chirurgicale. Une radiothérapie palliative hypofractionnée (dose totale de 32 Gy à raison 4 séances hebdomadaires
de 8 Gy), suivie d’une chimiothérapie (paraplatine, à la dose
habituelle de 300 mg/m2, 6 injections au total, espacées de 3
semaines), est donc réalisée.
Une diminution importante de la taille du mélanome est constatée rapidement après la fin de la radiothérapie, accompagnée d’une amélioration du confort du chien (Photos 7 et 8).
Photos 3 et 4 : examen tomodensitométrique du teckel au moment du diagnostic
du mélanome (acquisitions volumiques spiralées 16 barrettes millimétriques). Reformatage dans le plan dorsal en fenêtre parenchymateuse après injection de produit
de contraste iodé et reconstruction tridimensionnelle du rostre mandibulaire. Ostéolyse du rostre mandibulaire sur le site tumoral.
Les nœuds lymphatiques de drainage sont de taille normale,
sans métastase pulmonaire tomodensitométriquement décelable.
L’examen du bichon permet de mieux apprécier l’étendue du
mélanome; il recouvre une large partie du palais dur et tout le
palais mou (sur une surface voisine de 3 x 4 cm2); il est responsable d’une ostéolyse maxillaire sur le site des molaires, s’étendant
ainsi sur le plancher de l’orbite gauche (Photos 5 et 6).
Photos 7 et 8 : examens tomodensitométriques du bichon (acquisitions volumiques
spiralées 16 barrettes millimétriques). Coupes transversales du crâne perpendiculaires au plan du palais osseux. Examen aux contrôles à un et six mois après la radiothérapie : fenêtre parenchymateuse après injection de produit de contraste iodé.
Diminution du volume tumoral.
Six mois après la radiothérapie, la tumeur n’a pas récidivé et
l’examen tomodensitométrique ne révèle toujours pas de métastase pulmonaire.
Discussion
Pronostic : quels critères pour l’évaluer ?
Le pronostic du mélanome buccal dépend de plusieurs facteurs, histologiques (Tableau 1) (2) et cliniques, qu’il faudra
toujours considérer dans leur ensemble.
Photos 5 et 6 : examens tomodensitométriques du bichon (acquisitions volumiques
spiralées 16 barrettes millimétriques). Coupes transversales du crâne perpendiculaires au plan du palais osseux. Examen au moment du diagnostic du mélanome:
fenêtre osseuse et fenêtre parenchymateuse après injection de produit de contraste
iodé. Ostéolyse maxillaire en regard des molaires, sur le site tumoral.
Une discrète hypertrophie des nœuds lymphatiques mandibulaires et rétropharyngien médial gauches est notée, sans
métastase pulmonaire tomodensitométriquement décelable.
Des cytopontions des nœuds lymphatiques mandibulaires
gauches sont réalisées, le nœud lymphatique rétropharyngien
médial gauche n’étant pas accessible. L’analyse cytologique
conclut à un nœud lymphatique réactionnel.
Traitement et suivi
A la lumière du bilan d’extension, une exérèse chirurgicale (rostrectomie) du mélanome est réalisée sur le teckel. Un traite-
Poids des facteurs histologiques
Parmi les facteurs histologiques les plus significatifs pour le
pronostic, on considère:
- l’index mitotique (sensibilité 90%; spécificité 84%): un index mitotique ≥ 4 sur 10 champs à fort grossissement est un
facteur pronostique défavorable;
- les atypies nucléaires (sensibilité 83%; spécificité 86%):
la présence de ≥ 30% de noyaux atypiques sur 200 cellules
tumorales est un facteur pronostique défavorable;
- le degré d’infiltration/invasion: l’infiltration tumorale profonde avec éventuelle lyse osseuse est un facteur pronostique
défavorable;
- l’index Ki67 (sensibilité 87%; spécificité 85%): un index
Ki67 ≥ 19,5, calculé sur une moyenne de noyaux positifs sur
5 champs à fort grossissement, est un facteur pronostique
défavorable; cet index, déterminé par analyse immunohistochimique, permet d’affiner le pronostic, notamment pour les
tumeurs ayant un index mitotique relativement faible (IM <19);
- le degré de pigmentation de la tumeur est un facteur controversé (une pigmentation marquée de la tumeur serait corrélée à une survie plus longue, mais une faible pigmentation ou
l’absence de pigmentation ne serait pas forcement corrélée à
un pronostic défavorable).
L’index Ki67 peut être faussé à la hausse dans le cas des
tumeurs très inflammatoires, les cellules inflammatoires pouvant être positives au marquage Ki67. Ce fait explique probablement la valeur anormalement élevée du Ki67 de la tumeur
du bichon, comparativement aux valeurs plutôt faibles des autres paramètres histologiques.
L’analyse histologique doit être réalisée soit sur la totalité de
la pièce d’exérèse, soit sur des biopsies, préférablement
de grande taille (≥ 5mm), en évitant de prélever des zones
nécrotiques, ulcérées ou inflammatoires, où l’appréciation des
facteurs histologiques précédemment cités pourrait s’avérer
très difficile.
Importance du bilan d’extension
Les mélanomes, dans leur localisation muqueuse buccale et
dans l’espèce canine, présentent une agressivité locale et à
distance élevée : envahissement osseux rapporté dans 57%
des cas, métastases ganglionnaires rapportées dans 41 à 74%
des cas et métastases pulmonaires dans 14 à 67% des cas,
indépendamment de l’essaimage métastatique par voie lymphatique (1).
La réalisation d’un bilan d’extension minutieux est capitale
avant toute décision thérapeutique, afin d’évaluer la pertinence
de la mise en œuvre d’un traitement (chirurgie et/ou radiothérapie) puis la faisabilité d’une exérèse chirurgicale.
L’examen tomodensitométrique répond à cet objectif par la réalisation d’un bilan d’extension complet :
- locale : l’examen tomodensitométrique permet une détection précoce des lésions osseuses et une évaluation précise
de l’importance et des limites de l’ostéolyse ; son pouvoir de
désuperposition apporte un bénéfice incontestable à l’examen
des os du crâne (maxillaire en particulier).
- régionale : l’examen tomodensitométrique permet une évaluation de la taille de l’ensemble des nœuds lymphatiques de
drainage de la gueule, nœuds lymphatiques mandibulaires,
accessibles à la palpation, et surtout nœuds lymphatiques rétropharyngiens médiaux, palpables lors d’adénomégalie marquée uniquement.
- générale et plus exactement pulmonaire : le seuil de détection des métastases pulmonaires par examen tomodensitométrique est très inférieur à celui de l’examen radiographique (1
mm contre 7 à 9 mm de diamètre) (3).
Les éléments du bilan d’extension locale ont leur importance,
en particulier la localisation tumorale, le volume tumoral et les
lésions ostéolytiques associées, les localisations caudales, les
tumeurs de plus de 2 cm de diamètre et l’existence d’une ostéolyse étant des facteurs pronostiques défavorables (médiane
de survie de 3 mois des chiens présentant l’ensemble de ces
facteurs contre 21 mois pour les chiens n’en présentant aucun) (4).
Les conclusions du bilan d’extension régionale et générale
fournissent également des informations pronostiques évi-
dentes (détection de métastases).
A noter toutefois les limites d’un bilan d’extension régionale
uniquement clinique. L’évaluation de la taille des nœuds lymphatiques par palpation et même par examen d’imagerie expose en effet à un risque conséquent de faux-négatifs et de
faux-positifs. La seule palpation des nœuds lymphatiques
mandibulaires est insuffisante, les nœuds lymphatiques rétropharyngiens médiaux étant concernés de manière privilégiée(5).
De plus, dans une étude portant sur 100 chiens atteints de
mélanomes buccaux, 40 chiens présentent des métastases
ganglionnaires en dépit de nœuds lymphatiques de taille normale et 49 chiens présentant une adénomégalie n’ont pas de
métastase ganglionnaire (6).
Les cytoponctions ganglionnaires sont donc justifiées chez
tout chien présentant un mélanome buccal quelle que soit la
taille des nœuds lymphatiques. Lors d’adénomégalie, elles
autorisent le plus souvent le diagnostic différentiel entre hyperplasie réactionnelle et infiltration métastatique. En l’absence
d’accessibilité des nœuds lymphatiques aux ponctions, leur
évaluation par imagerie (examen tomodensitométrique notamment) est un préalable intéressant à une prise en charge prudente (exérèse chirurgicale de toute adénomégalie asymétrique).
Traitement : une tumeur radiosensible
Lorsqu’elle est techniquement possible, le traitement de choix
des mélanomes buccaux du chien reposerait théoriquement
sur une exérèse chirurgicale large, avec maxillectomie ou mandibulectomie lors d’ostéolyse tumorale. Toutefois en dépit de
chirurgies radicales, le taux de récidive tumorale est élevé,
atteignant 50%, et justifiant la réalisation d’un traitement local adjuvant par radiothérapie externe. La radiothérapie réduit
incontestablement la fréquence des récidives et augmente la
durée de survie.
La médiane de survie des chiens traités par chirurgie et radiothérapie externe adjuvante n’apparaît toutefois pas significativement différente de celle des chiens traités uniquement par
radiothérapie, alors qualifiée de palliative (médianes de survie
comprises entre 7 et 12 mois) (4, 7, 8). Le développement de
métastases pulmonaires se révèle la principale cause de mortalité. Le cas du teckel, qui en dépit de facteurs pronostiques
cliniques favorables (à l’exception de l’ostéolyse) présentait
des facteurs histologiques pronostiques défavorables, illustre
une telle évolution.
Dans ce contexte, la radiothérapie palliative seule apparaît
une alternative intéressante dans la prise en charge des mélanomes buccaux du chien, quand leur exérèse chirurgicale n’est
pas possible, ou même seulement délicate. Les protocoles
hypofractionnés conduisent à une régression tumorale la plus
souvent rapide et manifeste dans 85 à 95% des cas (comme
l’illustre le bichon) ; le taux de rémission locale complète est
de 50 à 70%.
Diagnostic
Photo 9 : Mélanome du rostre mandibulaire chez un chien.
Photo 10 : Evolution après 3 séances de radiothérapie externe hypofractionnée.
Photo 9
Les effets secondaires, lorsqu’ils existent, surviennent de
façon différée, 6 mois environ après le traitement, période à
l’issue de laquelle des métastases pulmonaires se sont souvent développées.
La chimiothérapie (paraplatine) ne diminue pas la fréquence de
survenue des métastases (7, 8). Seule la thérapie génique (vaccin Merial ADN ONCEPT ND) offre à ce jour des perspectives
intéressantes en terme de prévention des métastases, lors de
mélanome localement contrôlé (9).
Photo 10
Conclusion
Ces cas illustrent la complémentarité des facteurs cliniques
et histologiques dans le pronostic des mélanomes buccaux du
chien, facteurs qu’il faudra toujours considérer dans leur ensemble, afin de proposer une démarche thérapeutique adaptée.
En présence d’un panel de facteurs pronostiques favorables,
le développement de métastases pulmonaires sera probablement tardif et une radiothérapie, permettant un contrôle local
efficace de la tumeur, pourra raisonnablement être proposée.
Dans les cas où l’ensemble des facteurs pronostiques sont
défavorables, l’intérêt de la mise en œuvre d’un traitement est
discutable, le développement de métastases pulmonaires risquant de limiter rapidement l’espérance de vie.
Update
Bibliographie
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Franck Guetta, DVM
Reference Laboratory Medical Associate
Directeur de la publication
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