La responsabilité civile des dirigeants de société in bonis

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La responsabilité civile des dirigeants de société in bonis
Thème 4 – La responsabilité civile des dirigeants de société in bonis : la détermination
des dirigeants sociaux
Si le principe de la responsabilité civile est simple en ce qu’il oblige toute personne
qui a causé à autrui un dommage à le réparer25, son application pour un dirigeant social
soulève un certain nombre de difficultés.
C’est pourquoi cette situation a été spécialement envisagée par le Législateur, que ce soit pour
les sociétés civiles à l’article 1850 du Code civil26, ou pour les sociétés commerciales aux
articles L223-22 al. 1 (SARL), L225-251 al. 1 (SA) du Code de commerce27. On soulignera
que l’ancienneté de ces textes, hormis pour la SA28, a obligé à une évolution essentiellement
jurisprudentielle.
Dans un sens large, on définit comme dirigeant toute personne qui exerce à un titre
quelconque une fonction sociale dans le cadre de la direction, de l’administration ou de la
surveillance. A ce titre, sont considérées comme des dirigeants des personnes qui n’exercent
aucune autre activité propre de direction, comme les membres du conseil d’administration ou
les membres du conseil de surveillance.
Dans un sens plus restreint, on considère comme dirigeants (ou chef d’entreprise) seulement
les personnes qui s’occupent activement de la gestion de la société et disposent à cet égard des
pouvoirs les plus étendues.
A côté de cette distinction, on retrouve une autre division, plutôt juridique que
factuelle, entre le dirigeant de droit et le dirigeant de fait. Le dirigeant de droit est celui qui est
régulièrement titulaire d’une fonction attribuée par les organes sociaux, conformément aux
règles fixées par le droit des sociétés29. La notion de dirigeant de fait couvre les personnes qui
se comportent comme les dirigeants statutaires, en exerçant un pouvoir effectif de direction,
sans avoir reçu une habilitation juridique régulière30.
La lecture des articles cités précédemment permet d’identifier deux axes dans lesquels la
responsabilité du dirigeant peut être engagée, d’une part en cas de violation d’une règle
légale, règlementaire, ou statutaire, d’autre part en cas de faute de gestion31.
25
1382 du Code civil
Article 1850 al 1 Code civil (Créé par Loi 01/04/1978) : « Chaque gérant est responsable individuellement
envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit
des fautes commises dans sa gestion. »
27
Article L223-22 al. 1 : « Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers
la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux
sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. »
Article L225-251 al. 1 (tel qu’il résulte de la Loi NRE 15 mai 2001) : « Les administrateurs et le directeur
général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers,
soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des
violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. »
28
Modification prévues par la loi NRE du 15 mai 2005 réorganisant les pouvoirs au sein des SA
29
J.-F. Bulle – « Le statut du dirigeant de société », La Villeguerin Editions., p. 27
30
J.-F. Bulle – op. cit., p. 27
26
31
II faudra néanmoins que soit rapporté la preuve d’une faute détachable des fonctions ce qui est rarement admis
Nous évacuerons de notre propos la responsabilité pour insuffisance d’actif en cas de
procédure collective. Cette action prévue par l’article L651-2 du Code de commerce32 engage
le dirigeant à supporter la dette générée par sa faute de gestion.
Quant la société est in bonis, le dirigeant peut engager sa responsabilité à l’égard de la
société et aujourd’hui de ses associés33, ainsi qu’à l’égard de tiers. La Doctrine parle alors de
responsabilité interne et externe.
Concernant la responsabilité interne, le dirigeant peut engager sa responsabilité pour
un préjudice social que subit la société, ou pour celui qu’a subi un de ses associés.
Le préjudice social peut être réparé par les actions ut universi et ut singuli.
L’action sociale ut universi doit être engagée par le représentant de la personne morale, celui
même qui, par principe, a commis une faute. Comme a pu l’écrire un auteur, « les intéressés
sont rarement enclin à tresser la corde qui servira à les pendre »34 ce qui réduit l’utilité de
cette action aux seuls cas où le dirigeant fautif remercié est inquiété par son successeur.
L’action sociale ut singuli, bien que fermement établie par les textes35, correspond plus à
l’œuvre d’un justicier que d’un homme d’affaires. Elle est en effet intentée par un associé
quelconque au nom et pour le compte de la société en cas de carence du représentant légal.
Les frais de la procédure seront donc supporter par le demandeur alors que les dommages et
intérêts, si l’action aboutit, seront reversés à la société.
Les associés préfèrent donc généralement utiliser d’autres sanctions, d’autant que la
solvabilité des dirigeants n’est pas toujours évidente. C’est souvent le terrain de la
responsabilité pénale qui sera privilégié ou encore la simple révocation.
Il est aussi possible que l’associé réclame la réparation d’un préjudice qu’il lui est
personnel. Il doit alors se fonder classiquement sur l’article 1382 du code civil36. En pratique
cette action est peu fréquemment engagée. La caractérisation du préjudice personnel est en
quand la société est in bonis. La faute de gestion détachable des fonctions est constituée si le dirigeant ait
commis intentionnellement un acte d’une particulière gravité ce qui était incompatible avec l’exercice normal de
ses fonctions (Cass. civ. 20 mai 2003, D. 2003, p. 1052, note A. Lienhard). Ces critères rarement remplis ont
conduit Paul Le Cannu a écrire que « la jurisprudence relative à la faute séparable montre une fois de plus son
aspect immoral : le Président peut mentir, pourvu que ce soit dans l’intérêt social. Seule la société (insolvable est
engagée » (Paul Le Cannu, Bull. Joly 1998, 811) ;V. sur cette question : J.-F. Barbiéri, Responsabilité de la
personne morale ou responsabilité de ses dirigeants ? La responsabilité personnelle à la dérive, Mélanges Guyon
: Dalloz 2003, p. 41 ; M. Germain, La responsabilité civile des dirigeants sociaux : rapport de synthèse colloque
du 16 décembre 2002 : Rev. sociétés 2003, p. 284.
32
Article L651-2 al 1 du Code de commerce : « Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait
apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance
d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les
dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. […] ».
33
La Cour de cassation a ainsi confirmé que le dirigeant devait répondre d’un devoir de loyauté envers ses
associés dans l’arrêt Beley où elle précise que « en cachant l'existence de négociations avec un tiers en vue du
rachat ou de l'apport des mêmes actions, (le dirigeant) a manqué à l'obligation de loyauté qui s'impose (à lui) à
l'égard de tout associé en dissimulant aux cédants une information de nature à influer sur leur consentement"
(Cass. com., 12 mai 2004 : JCP G, 2004, II, p. 1754, note D. Grégory) ; V. aussi sur la question H. Le Nabasque,
Le développement du devoir de loyauté en droit des sociétés : RTD com. 1999, p. 273.
34
M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, Droit des sociétés, Ed. 2005 n°18,Litec, p127
35
art. 1843-5 du Code civil et L225-252 du Code de commerce
36
La doctrine et la jurisprudence ont notamment admis cette possibilité en se fondant sur lla rédaction de l’article
L225-252 du code de commerce : « outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement »
effet très difficile puisque la jurisprudence considère que l’associé ou l’actionnaire ne subit
pas un préjudice spécial en cas de dépréciation de son patrimoine, mais que ce n’est que le
corollaire du préjudice subi par la société37.
Le dirigeant peut aussi engager sa responsabilité envers les tiers.
Quand la société est in bonis, le tiers préfèrera attaquer la société réputée plus solvable que le
dirigeant. Cette solution de principe a été posé par un arrêt en date du 27 avril 197738 qui
reconnait que la personne morale peut être retenu seule civilement responsable même s’il le
fait fautif a concrètement été commis par un mandataire social. On dit que le dirigeant et sa
qualité de représentant s’efface derrière la personne morale.
Le tiers peut néanmoins décider d’attaquer directement le dirigeant, il aura alors à prouver soit
une violation des règles, soit une faute de gestion détachable de ses fonctions.
L’analyse de la jurisprudence révèle que le caractère détachable est très rarement retenu si la
société est in bonis39.
Mais engager la responsabilité civile des dirigeants suppose en premier lieu de
déterminer dans quelle mesure les dirigeants sociaux sont responsables ? Cette responsabilité
se cantonne-t-elle aux dirigeants sociaux envisagés au sens strict ou également au sens large,
est elle limitée au dirigeant de droit ?
Alors que les textes déterminent quels sont les dirigeants de droit responsables (I), la
jurisprudence admet aussi que soit appliqué le régime particulier de cette responsabilité aux
dirigeants de fait (II).
I / La responsabilité des dirigeants de droit
Avec la diversification des formes et structures de sociétés commerciales, et une
augmentation des titres et fonctions « de responsabilité » au sein de l’entreprise, engager la
responsabilité pour faute du dirigeant d’une société, suppose que soient déterminés quels en
sont les dirigeants.
Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 26 janvier 1988 indique que
« les dirigeants responsables sont les organes de gestion, d'administration et de direction,
qu'ils aient ou non la qualité de représentant légal de la société et que leur désignation ait ou
non été publiée »40. La jurisprudence a eu l’occasion par la suite de préciser qu’il importe peu
que le dirigeant de droit ait exercé ou non ses fonctions de manière effective41.
Le dirigeant de droit est donc le dirigeant légalement désigné par les textes ou par les statuts
en tant qu’organe social, c’est donc dans la grande majorité des cas un dirigeant en activité
37
La chambre commerciale et criminelle estime sur ce point que « des fautes de gestion ayant contribué à une
dépréciation d'une société (...) n'avaient engendré aucun préjudice à caractère personnel au détriment des
actionnaires », Cass. crim., 13 déc. 2000, : Bull. Joly Sociétés, mai 2001, n° 5, Note Jean-François Barbièri, §
126.
38
Cass., civ. 2ème, 27 avril 1977, Bull. civ. II, n°108, p. 74
39
Cf supra n°5
40
Cass. com., 26 janv. 1988 : Rev. sociétés 1988, p. 284, note Y. Chaput.
41
Cass. com., 9 mai 1995 : D. 1995, inf. rap. p. 140 ; Rev. sociétés 1995, p. 765
(A) mais il n’est pas impossible de rechercher la responsabilité du dirigeant de droit qui s’est
retiré, mais cette possibilité est strictement encadrée (B).
A/ Le dirigeant de droit responsable : le dirigeant en activité
1) Le dirigeant légalement désigné par la loi
Sur le modèle anglo-saxon préconisé par la « corporate governance », la loi NRE a
introduit dans le Code de commerce, la possibilité pour le conseil d’administration de
dissocier la présidence du conseil d’administration et la direction générale de la société. Le
but de ce texte est de mettre fin à la confusion des organes dirigeants résultant des
dispositions de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 aux termes de laquelle le président du
conseil d’administration était obligatoirement directeur général de la société. L’adoption
d’une direction dissociée suppose une modification statutaire42.
Ainsi les dirigeants responsables, dans les sociétés anonymes sont les administrateurs, le
président du conseil d’administration et les directeurs généraux délégués en cas de direction
centralisée, auxquels on ajoute la directeur général dans le cas d’une direction générale
dissociée43.
Lorsque dans une société anonyme, l’administrateur est une personne morale, c’est son
représentant qui engagera sa responsabilité, comme s’il exerçait cette fonction en son nom
propre. Néanmoins, en cas de dommages et intérêts, la personne morale est solidairement
tenue au paiement avec son représentant44.
Dans le cas plus rare, où la société anonyme a adopté une structure avec directoire et
conseil de surveillance. De façon logique et conformément à la jurisprudence, ce sont les
membres du directoire qui sont les dirigeants de droit, en ce qu’ils sont les seuls à gérer,
diriger et administrer la société, les membres du conseil de surveillance n’ayant qu’une
fonction de contrôle. Néanmoins, ceux-ci pourraient être tenus responsables, s’ils
accomplissaient mal leur fonction de contrôle45.
En ce qui concerne les sociétés civiles, les sociétés en nom collectif, les SARL, l’organe
légal est le gérant.
Pour les sociétés par action simplifiée c’est le président, qui est le seul organe obligatoire
selon la loi.
42
C. com., art. L. 225-51-1.
C. com., art. L. 225-53 et L. 225-56, II
44
C. com., art. L. 225-20
En ce qui concerne la responsabilité solidaire la jurisprudence a eu l’occasion de préciser sa position : Cass.
com., 2 déc. 1986 : Bull. civ. 1986, IV, n° 232 ;
45
Les membres du conseil de surveillance sont responsables des fautes personnelles commises dans l'exécution
de leur mandat. Celui-ci implique une fonction de surveillance du directoire, de telle sorte que les membres du
conseil seraient responsables s'ils accomplissaient mal cette mission (Cass. com., 6 févr. 1979 : Rev. sociétés
1979, p. 539, note Guyénot).
43
Peuvent également être tenus responsables en tant que dirigeant, les personnes qui
exercent des fonctions de direction dans des circonstances exceptionnelles, tel est le cas
notamment de l’administrateur délégué pour le temps de sa mission, des administrateurs et
liquidateurs judiciaires.
Un autre cas particulier est celui des sociétés du secteur public. La question qui se
pose ici de savoir si dans ces sociétés les administrateurs qui représentent l’Etat peuvent être
tenus responsables, notamment en cas de faute de gestion. La réponse semble être que, dans
leur mission d’agent public, ils ne puissent être tenus responsables qu’en cas de faute
personnelle détachable, ainsi en cas de mauvaise gestion, c’est l’Etat qui serait tenu
responsable.
Par ailleurs, ne peuvent voir leur responsabilité engagée en tant que dirigeant, les
commissaires au compte qui exercent des fonctions de contrôle de gestion. L’article L225-235
leur interdisant toute immixtion dans la gestion de la société.
De même les salariés qui exercent une direction technique ne voient leur responsabilité
engagée quand vertu du contrat de travail qui les lie à la société.
Et enfin, les associés majoritaires, dès lors qu’ils se limitent à l’exercice de leur droits
d’associés sans immixtion dans la gestion de la société.
Une autre question que l’on peut se poser est celle de savoir si la situation spécifique
du dirigeant ou les conditions particulières d'exercice de son mandat ont une influence sur sa
responsabilité civile. La réponse est qu’il n'y a pas à distinguer selon que le dirigeant est
bénévole ou rémunéré, désigné par les associés, élu par les salariés ou nommé par le tribunal.
De même, il importe peu qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une personne morale de
droit privé ou de droit public et qu’elle exerce ses fonctions à titre personnel ou en qualité de
représentant permanent d'une personne morale membre du conseil d'administration ou de
surveillance.
2) La responsabilité du dirigeant nommé par les statuts
L’influence de la « corporate governance » qui a guidé le législateur lors de la
rédaction de la loi NRE, s’est également propagée, au travers de nombreux rapports de bonne
gouvernance, tel que les rapports Bouton, Viennot I et II, qui préconisaient diverses mesures
censées améliorer le fonctionnement des sociétés françaises.
Parmi celles-ci, ces rapports encourageaient la création de comités chargées d’assister les
dirigeants. Ces comités sont généralement composés de dirigeants mais aussi de cadres
supérieurs, conseils extérieurs, voir salariés.
Ces membres ne peuvent avoir qu’un rôle consultatif. Leur responsabilité ne peut donc
s’apprécier que par application du droit commun. Les membres du comité ne faisant que
conseiller une décision qui sera prise par les organes légaux de la société.
De façon assez similaire, les statuts de certaines SARL prévoient l’existence de
conseils de surveillance. Ces conseils de surveillance exercent le même rôle que les conseils
de surveillance des sociétés anonyme à directoire. C’est donc de façon analogue que leur
responsabilité pourra être engagée46.
Une des particularités des sociétés par actions simplifiées et de ne prévoir qu’un
président pour la société et laissant la liberté aux statuts de fixer les conditions dans lesquelles
la société est dirigée et notamment de créer des organes de direction.
Il faudra donc consulter les statuts, pour savoir, s’il existe, au côté du président, d’autres
organes chargés d’une fonction de direction.
Le cas échéant, leur responsabilité sera alignée sur les règles de responsabilité qui régissent
les organes de direction, dans une société classique dans laquelle l’organe de direction
apparaît le plus similaire.
B) La responsabilité du dirigeant retiré
Le principe est que le dirigeant retiré bénéficie d’une irresponsabilité à raison de faits
postérieurs à la cessation de ses fonctions. Néanmoins, la responsabilité du dirigeant, même
s’il a obtenu quitus de la collectivité des associés, peut être recherchée, après la cessation de
ses fonctions, pour toutes les fautes commises antérieurement, dans la mesure où elles ne sont
pas prescrites47.
Le dirigeant pourra également être tenu responsable lorsque sa faute a permis la commission
d’une faute par ses successeurs, quand cette faute a été déterminante pour la commission de la
faute des successeurs. On aura ici un partage de responsabilité, la responsabilité du dirigeant
retiré étant d’autant plus forte que la faute qu’il a commise est récente.
Qu’en est-il dans le cas où la cessation des fonctions n’a pas été publiée ?
Le principe est que l’absence de publicité rend seulement inopposable aux tiers la cessation
des pouvoirs des dirigeants48, par application de la théorie de l’apparence.
Cela implique donc que pour les actes qui mettent en jeu la responsabilité personnelle des
dirigeants, ils ne sont pas susceptibles d’engager sa responsabilité, après que son retrait est
effectif et quand bien même les formalités de publicités n’auraient pas été accomplies.
Par contre, ce n’est pas le cas, si c’est l’effectivité de la cessation des fonctions qui est
contestée, ce qui peut être le cas si la cessation des fonctions n’a pas été constatée par un
procès verbal régulièrement établi.
La détermination des dirigeants de droit, permet donc de rechercher la responsabilité
du dirigeant pour faute de gestion. Néanmoins parfois, le dirigeant de droit n’est qu’un prêtenom et n’est pas le seul décideur, c’est pourquoi la jurisprudence a construit la notion de
dirigeant de fait, afin de sanctionner les vrais décideurs, qui doivent assumer la responsabilité
de leurs actions.
46
V.supra
C. civ., art. 1843-5. - C. com., art. L. 223-22 in fine et L. 225-253, al. 2. - Cass. com., 21 juill. 1980 : JCP G
1980, IV, 384 ; Bull. civ. 1980, IV, n° 314. - Cass. com., 11 oct. 1988 : Bull. Joly 1988, p. 925, note P. Le Cannu
48
C. civ., art. 1846-2. - C. com., art. L. 210-9, al. 2. - D. 30 mai 1984, art. 66
47
II/ Dirigeants de fait et mandat apparent
D’évidentes raisons d’équité conduisent à admettre la responsabilité de ceux dont les
décisions ont causé un dommage à la société, même s’ils ont pris la précaution de ne pas avoir
la qualité de dirigeant de droit. Toutefois, la mise en cause de ces personnes se heurte à un
obstacle préalable : le demandeur doit prouver que l’intéressé avait la qualité de dirigeant de
fait. Au contraire, la preuve de la qualité de dirigeant de droit n’a pas à être rapportée
puisqu’elle résulte des mesures de publicité qui ont accompagné la désignation25.
A/ La notion de direction de fait
Pour l’essentiel, l’appréciation de la qualité du dirigeant de fait relève du pouvoir souverain
des juges du fond, de telle sorte que, malgré un embryon de contrôle exercé par la Cour de
cassation, les décisions de justice sont assez différentes selon les lieux et les époques.
On estime que la direction de fait se caractérise par une activité positive et habituelle de haute
gestion, en toute indépendance et liberté26. Ainsi, la Cour de cassation considère que la
qualification de dirigeant de fait se caractérise par l’exercice en toute liberté et indépendance,
de façon continue et irrégulière, d’activités positives de gestion et de direction engageant la
société27.
Cette définition semble aujourd’hui admise. Une cour d’appel a ainsi pu retenir, pour écarter
la responsabilité d’une banque, que la signature de chèques de banque et une autorisation de
découvert ne constituaient pas « une immixtion dans la gestion » , laquelle « doit se traduire
par des actes de direction positifs en toute indépendance et liberté »28.
25
J.Hémard, F.Terré et P.Mabilat, Socités commerciales, n°1245
J-L Rives-Lange, La notion de dirigeant de fait… D. 1975, chron. P41
27
Cass.com., 25 janv. 1994 RJDA 4/1994 n°402
28
CA Orléans, 30 mai 2002
26
À titre d’exemples, ne sont pas constitutifs d’agissements positifs permettant de retenir la
qualité de dirigeant de fait : la conclusion du pacte social et la fixation, dans celui-ci, du
premier domicile de la société, ces décisions ne constituant pas des actes de gestion ;
la détention de la signature bancaire étant également sans emport dès lors que le gérant de fait
n’en fait pas usage29.
De plus, nous parviendrons à la même conclusion en matière d’exercice de fonctions salariées
par la personne à l’origine de la création de la société, dont elle a financé une partie des
stocks, en l’absence de preuve d’actes positifs de gestion30.
Le dirigeant de fait est le plus souvent apparent. Il agit ouvertement à l’égard des tiers,
comme s’il était le dirigeant de droit, voire le représentant légal de la société. Il peut aussi être
occulte, c’est-à-dire confier la gestion externe à un homme de paille, dépourvu de toute
initiative. La jurisprudence est, dans ce domaine, abondante et nuancée.
La question se pose principalement dans les cas suivants.
1) Direction de fait et associé
On se demande tout d’abord s’il est possible de distinguer l’associé majoritaire du dirigeant
de fait. Les tribunaux donnent la réponse suivante : l’associé, même très largement
majoritaire, ne devient pas dirigeant de fait s’il se borne à prendre les décisions qui relèvent
de la collectivité des associés et s’il laisse aux dirigeants les décisions de gestion31. Mais
l’associé devient dirigeant de fait s’il se comporte comme le maître de la société, le dirigeant
de droit n’étant alors qu’un exécutant dépourvu de tout pouvoir de décision32.
Ont ainsi été qualifiés de gérants de fait : un associé bénéficiant de procurations démontrant
qu’il gérait la société par l’intermédiaire de sa secrétaire qui lui servait de prête-nom33 ;
ou encore , trois associés qui, détenant la quasi-totalité du capital, s’immisçaient dans la
gestion en prenant directement contact avec la clientèle et en recueillant toute information
utile auprès des salariés même en l’absence du gérant34.
2) Direction de fait et groupes de sociétés
La qualification de gérant de fait est également possible dans les groupes de sociétés, si la
société mère ne laisse aucune indépendance à ses filiales.
29
CA Aix-en-provence, 7 janv. 2004
CA Paris, 1er févr. 2002
31
CA Paris, 10 mai 1989, JCP E 1989, II, 15558, note G.Notté
32
Cass.com, 25 oct 1977, Rev. Sociétés 1978 p294, note D.Randoux
33
Cass.com., 4 juin 1973, Bull.civ. 1973, IV, n°196
34
Cass. Com. 25 oct. 1977, préc.
30
La Cour de cassation a ainsi retenu la responsabilité solidaire des sociétés d’un groupe ayant
décidé de mettre fin à l’activité d’une société avant qu’elle n’ait achevé l’exécution d’un
contrat, ce qui suffisait à caractériser son absence d’autonomie35 , ou celle d’une société mère
simplement représentée au conseil de surveillance de sa filiale, qui contrôlait presque à 100%
sa filiale et tous ses actes de gestion courante36.
3) Direction de fait et Banque
La question se pose aussi à propos des banques, car il est parfois difficile de distinguer le
devoir de conseil, de l’immixtion dans la gestion.
En principe, le banquier ne peut se voir attribuer la qualité de dirigeant de fait dès lors que,
sans accomplir aucun acte de gestion proprement dit, il se contente d’exercer un contrôle et
une surveillance de l’emploi des fonds prêtés et de prendre les mesures qui garantissent le
remboursement, notamment en s’assurant qu’un plan de redressement est exécuté37.
Toutefois, le banquier dirigeant de fait s’il délègue auprès de la société une personne qui
participe de façon active à la gestion des affaires sociales et impose aux dirigeants les
décisions les plus importantes38.
4) Direction de fait et membres du conseil de surveillance
Même s’ils ont commis des fautes personnelles dans l’exécution de leurs fonctions, les
membres du conseil de surveillance ne sont pas tenus de contribuer au paiement du passif
social s’il n’est pas établi qu’ils ont agi en dirigeants de fait.
Cependant, ils peuvent être condamnés à verser des dommages-intérêts si, en s’abstenant de
surveiller la gestion des membres du directoire, ils ont commis une faute ayant causé un
préjudice aux créanciers39.
Nous avons tenté, jusqu’à présent, de définir la notion de direction de fait qui, même si elle a
été à l’origine d’une jurisprudence foisonnante, reste souvent incertaine du fait de la diversité
des espèces.
Il va s’agir à présent de définir le régime de la responsabilité des dirigeants de fait.
35
Cass. Com., 4 mars 1997, Rev. Sociétés 1997, p.554, note Didier
Cass. Com. 6 juin 2000, Juris-Data n°2000-002567
37
CA Nancy 15 déc. 1977, JCP, G, 1978, II, 18912, note J.Stoufflet. Ou encore CA Paris 17 mars 1978, D 78,
p420, note M.Vasseur
38
CA Bordeaux 18 nov. 1981, RJ com., 1982, p 236, note Cherchouly-Sicard
39
Cass. Com. 6 févr. 1979, p 539.
36
B/ Régime de responsabilité et mandat apparent
Comme nous l’avons dit précédemment, il résulte de la jurisprudence que la qualité de
dirigeant de fait suppose une activité positive de gestion, présentant une certaine continuité et
aboutissant à l’éviction des dirigeants de droit.
La responsabilité des dirigeants de fait n’est pas régie par les articles du Code de commerce
applicables à la responsabilité des dirigeants de droit.
C’est une responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle de droit commun. Néanmoins, les
différences entre ces deux responsabilités sont très peu nombreuses.
La théorie du mandat apparent est souvent présentée comme ayant perdu son intérêt depuis
que les dirigeants sociaux disposent des pouvoirs les plus étendus pour engager la société
envers les tiers, même s’ils sont irrégulièrement nommés (C.com, art. L. 210-9).
Pourtant, une société peut être engagée par toute personne ne bénéficiant pas d’un mandat
légal, lorsque les tiers ont pu légitimement croire que ce tiers disposait de tous les pouvoirs
nécessaires pour engager la société.
Cette apparence doit être corroborée par certains indices extérieurs. Ainsi, les circonstances
des relations d’affaires doivent autoriser les tiers à ne pas vérifier les limites exactes des
pouvoirs du mandataire apparent. Mais lorsque les circonstances de la conclusion de l’acte
litigieux sont de nature à éveiller les soupçons du tiers sur la réalité du pouvoir du mandataire
apparent, et que ce tiers aurait dû vérifier ses pouvoirs, la société n’est pas engagée40.
La société peut également écarter sa responsabilité au titre des agissements du mandataire
apparent lorsqu’elle démontre être restée totalement étrangère à la formation de l’apparence
du mandat41.
40
41
Cass. Com. 13 juillet 1983, Bull. civ 1983, IV, n°224 ; Cass. 1ère civ, 4 mars 1997, D. 1997, p 902
Cass. Com. 9 mars 1999, RJDA 4/1999, n°464