3ème partie - Blog Au Fil de Joigny

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3ème partie - Blog Au Fil de Joigny
Les unités américaines qui ont stationné dans l'Yonne
En 1944-1945, l'Yonne à peine libérée de l'occupation allemande connaît une autre forme
d'occupation, celle des troupes alliées et en particulier de formations américaines 1. Le
nord du département, et en particulier la ville de Sens, a été libéré par la progression de la
3ème armée américaine du fameux général Patton. A la fin de l'été et à l'automne 1944,
de nombreuses divisions américaines traversent le département et y sont cantonnées pour
de courtes durées. D'autres y stationnent pendant l'hiver 1944-1945 et le printemps 1945,
parfois jusqu'à l'été.
Parmi ces unités, le 517th Parachute Infantry Regiment (ou Parachute Regimental Combat
Team), créé à Camp Toccoa, en Géorgie, en mars 19432. Ce régiment est transféré en
Italie en mai 1944, débarque à Naples, puis gagne Civitavecchia où il combat aux côtés de
la 36th US Infantry Division du Texas. Retiré du front en juin 1944, le régiment saute en
Provence le 15 août 1944 en prélude au débarquement. Il combat ensuite jusqu'à la fin de
l'année 1944 dans les Alpes Maritimes. Le 22 décembre, le régiment est dépêché en
urgence en Belgique, où les Allemands ont lancé six jours plus tôt la contre-offensive des
Ardennes. Le 1st Battalion se distingue et obtient une citation présidentielle. Le 2nd
Battalion participe, début janvier 1945, à la reconquête de Saint-Vith, une ville importante
qui était tombée entre les mains des Allemands pendant la contre-offensive. Rattaché à la
78th Infantry Division, le régiment entre en Allemagne à partir du 6 février 1945. Relevé
deux jours plus tard, l'unité est rapatriée sur Laon, puis sur Joigny, car elle est
officiellement rattachée à la 13th Airborne Division, une division aéroportée qui vient tout
juste d'arriver en France, à la date du 1er mars 1945. Elle descend du train à Joigny le 21
février 1945. Les hommes sont cantonnés dans la caserne Davout, les officiers à l'hôtel.
Le 517th PIRCT multiplie les sauts d'entraînement tout en profitant de la proximité de
Paris. Il est mis trois fois en alerte pour d'éventuels largages en avant des troupes
terrestres, qui sont annulés à chaque fois. Le régiment regagne Joigny dès le 12 mai
1945. Deux mois plus tard, la 13th Airborne Division se prépare pour partir dans le
Pacifique. Les hommes embarquent au Havre le 14 août mais le lendemain, le Japon
capitule, ce qui met fin aux hostilités. Les navires sont détournés sur New York où ils
arrivent une semaine plus tard.
L'autre unité qui va être en partie stationnée à Joigny, entre les mois d'août et décembre
1945, est la 101st Airborne Division. La 101st Airborne Division, toujours en activité de nos
jours (elle a combattu en Irak et en Afghanistan), est une unité de légende de l'armée
américaine. Elle a été créée en août 1942 et découle de la naissance des forces
aéroportées américaines. Elle reçoit progressivement ses différentes composantes, au fur
1 Claude DELASELLE, Joël DROGLAND, Frédéric GAND, Thierry ROBLIN et Jean ROLLEY, Un
département dans la guerre 1939-1945. Occupation, collaboration et résistance dans l'Yonne, Ces
Oubliés de l'Histoire, Paris, éditions Tirésias, 2006, p.599-604.
2 Paratroopers' Odyssey. A History of the 517th Parachute Combat Team, The 517th Parachute RCT
Association, 1985.
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et à mesure de leur formation, et notamment ses trois régiments d'infanterie parachutiste,
les 501st, 502nd et 506th Parachute Infantry Regiments (ce dernier en juin 1943). Elle part
pour l'Angleterre en août 1943 dans le cadre de la préparation du débarquement en
Europe, et elle y peaufine son entraînement. Dans la nuit du 6 juin 1944, la division saute
à l'ouest d'Utah Beach : sa mission est en particulier de prendre les chaussées qui
permettront à la 4th Infantry Division, qui va débarquer sur la plage, de poursuivre vers
l'intérieur des terres. Mais le feu antiaérien disperse les avions et le largage est étalé sur
une zone très importante : 1 500 hommes de la 101st Airborne Division sont tués ou portés
disparus pendant l'opération, dont le commandant adjoint de l'unité. Pour combler le trou
qui sépare le VIIth Corps américain, qui a débarqué à Utah Beach, et le Vth Corps, qui a
débarqué à Omaha Beach, la division est chargée de s'emparer de la ville de Carentan.
Les paras s'en rendent maîtres le 12 juin mais doivent affronter de violentes contreattaques allemandes le lendemain, qui nécessitent le soutien de la 2nd US Armored
Division.
La 101st Airborne reste dans la péninsule du Cotentin jusqu'au 27 juin, date où elle est
relevée et rapatriée en Angletere. Là, elle récupère, intègre de nouvelles recrues pour
combler les pertes et s'entraîne. En août 1944, elle est rattachée à la 1ère armée
aéroportée alliée nouvellement créée et qui va servir de base à l'opération Market-Garden.
Pour terminer la guerre avant Noël, dans l'euphorie du succès qui suit la poursuite à
travers la France après la campagne de Normandie, le maréchal Montgomery veut larguer
trois divisions aéroportées et demi à travers la Hollande, de Eindhoven à Arnhem, pour
permettre le passage du XXXth Corps britannique jusqu'au Rhin, de façon à pouvoir
pénétrer en Allemagne. L'opération est finalement un échec : la 101st Airborne Division est
larguée comme les autres à partir du 17 septembre 1944 autour d'Eindhoven, qu'elle
libère rapidement, mais son 506th Parachute Infantry Regiment ne peut prendre le pont de
Zon, qui saute sous ses yeux. Or les ponts sont cruciaux pour le succès de l'opération,
chaque division devant s'emparer des ouvrages qui jalonnent les cours d'eau sur le
chemin du XXXth Corps, jusqu'au Rhin, à Arnhem -où les paras britanniques, de la 1st
Airborne Division, isolés, pour bientôt encerclés et anéantis par les Allemands. Il faut aussi
protéger la route principale que doivent emprunter les Britanniques : les paras américains
la surnomment rapidement « the Hell's Highway » (l'autoroute de l'enfer) car les
Allemands, qui se sont repris, lancent des contre-attaques, notamment avec des blindés,
pour couper cette route vitale, à l'est et à l'ouest de Veghel, et au nord-est d'Uden, près
d'Eindhoven. Après l'échec de l'opération Market-Garden, les paras de la 101st Airborne
Division sont envoyés en octobre 1944 au nord de Nimègue, entre cette ville et celle
d'Arnhem, qui est finalement restée entre les mains des Allemands. Dans ce secteur
baptisé « l'Ile » en raison de la présence de nombreux cours d'eau et de canaux de
drainage, les paras américains mènent une véritable guerre de positions qui rappelle
beaucoup la Grande Guerre. Fin novembre 1944, la division est retirée du front et
stationne au camp de Mourmelon.
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Le 16 décembre 1944, à la surprise des Alliés, les Allemands lancent une contre-offensive
d'envergure dans les Ardennes. Le VIIIth Corps américain de la 1st US Army, malmené, a
besoin de renforts. La 101st Airborne Division fait partie des seules réserves
immédiatement disponibles et elle est acheminée par camion à Bastogne, carrefour routier
important sur la route des Allemands, le 18 décembre. Le général Taylor, commandant de
la division, étant en Angleterre, c'est le chef de l'artillerie divisionnaire, le général
McAuliffe, qui commande l'unité. Les combats commencent dès le lendemain. Les
Allemands encerclent Bastogne et somment les Américains de se rendre en délivrant un
ultimatum, le 22 décembre : McAuliffe leur répond « Nuts ! »3. Les attaques allemandes se
poursuivent jusqu'au 26 décembre, date à laquelle la 4th Armored Division, lancée par le
général Patton au secours de Bastogne depuis le sud, fait la jonction avec les paras
encerclés. La division participe, jusqu'au 18 janvier 1945, à l'offensive alliée qui
reconquiert le terrain perdu ans les Ardennes, puis part en Alsace renforcer la 7th US Army
fin février 1945, avant de regagner Mourmelon. Début avril 1945, la 101st Airborne Division
entre en Allemagne et se dirige vers le sud : elle dispute à la 2ème division blindée
française de Leclerc l'honneur de s'emparer du fameux « nid d'aigle » de Hitler, à
Berchtesgaden. Après une période d'occupation en Autriche, la division est relevée le 1er
août 1945 et gagne la France où elle stationne dans l'Yonne jusqu'au 30 novembre 1945.
Le livre de l'historien américain Stephen E. Ambrose, dont on reparlera plus loin, et qui
s'est intéressé au parcours d'une compagnie américaine de cette division pendant la
guerre, permet d'y voir un peu plus clair sur le comportement des paras de la 101st
Airborne, en particulier quand ils ne sont pas sur le front. Paradoxalement, les paras
américains de la 101st Airborne Division se sont sentis plus proches des Allemands, au
moment de l'entrée en Allemagne en 1945, que des populations alliées libérées jusque là 4.
Il y avait, en effet, une correspondance entre les modes de de vie et les goûts des deux
populations, américaine et allemande -jusqu'à la présence, en Allemagne, de toilettes
individuelles, un luxe que les Américains ont pu retrouver comme s'ils étaient chez eux :
détail saugrenu s'il en est. Il faut dire aussi que les combats ont été, assez largement,
beaucoup moins violents en Allemange, à l'ouest en tout cas, et qu'en dehors des grandes
villes, rasées par les bombardements aériens, le reste du pays a été relativement préservé
des affres de la guerre. Mais les sentiments sont parfois plus mitigés : David Webster, un
para américain, pense, en entrant en Allemagne, que tous les habitants sont des nazis en
puissance, même s'il ne croit pas, au départ, aux rumeurs sur les camps de la mort. Après
avoir tenu un secteur à l'ouest du Rhin, en face de Düsseldorf, l'unité étudiée par
Ambrose, la Easy Company, 2nd Battalion/506th PIR garde un camp de personnes
déplacées à Dormagen, qui comprend de nombreux travailleurs forcés de toute l'Europe
occupée libérés de l'asservissement nazi. Certains suivent d'ailleurs les paras dans le sud
de l'Allemagne comme « bonnes à tout faire ». La 101st Airborne Division, rattachée à la
7th US Army, se dirige donc vers la Bavière. Le pillage est généralisé ; les Américains, et
jusqu'aux officiers de la Easy Company, comme le capitaine Speirs, raflent les objets qui
3 Que l'on pourrait traduire par « Des clous ! » ou de manière plus grossière...
4 Stephen E. AMBROSE, Frères d'armes. Compagnie E, 506ème régiment, 101ème Airborne : du
débarquement en Normandie au nid d'aigle d'Hitler, Paris, Albin Michel, 2002, p.289-308.
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les intéressent. Le 29 avril, la compagnie E libère le petit camp de Landsberg, une annexe
du camp de concentration de Dachau. C'est à Berchtesgaden, le « nid d'aigle » d'Hitler,
que la compagnie E apprend la nouvelle de la capitulation allemande, fêtée comme il se
doit en piochant dans la cave personnelle de Göring, et en tirant en l'air avec des armes
allemandes de prise -à tel point que le capitaine Speirs, excédé, doit intervenir pour
calmer les ardeurs de ses hommes, avant de participer lui-même à la fête en tirant au Colt
45 sur des bouteilles vides (!).
Dès le 8 mai 1945, le 2nd Battalion/506th PIR a reçu l'ordre se rendre dans sa zone
d'occupation, à Zell-am-See, en Autriche, à 80 km au sud de Berchtesgaden5. A la
troisième semaine de mai, après le désarmement des soldats allemands et la traque aux
nazis (parfois accompagnée d'exécutions sommaires commises par les paras américains),
la routine, voire l'ennui, s'installe. Les activités sportives et l'entraînement mis en avant par
les officiers pour maintenir le moral de la troupe ne suffisent pas à pallier le désir du retour
au pays. L'alcool coule à flots, y compris jusque dans les réceptions organisées par les
officiers supérieurs de la division, comme le colonel Sink, qui est à la tête du 506th PIR.
Les paras sont très vite énervés par le système mis en place pour la démobilisation : pour
retourner aux Etats-Unis, il faut 85 points, attribués en fonction des mois de service, des
campagnes effectuées, des décorations, de la situation familiale, etc. Assez
paradoxalement, les paras de la 101st Airborne Division, qui ont souvent pris part aux
combats les plus durs, ont reçu jusque là assez peu de décorations, hormis le fameux
Purple Heart6, attribué automatiquement en cas de blessure. La division ne compte que 2
récipendiaires de la Medal of Honor, la plus prestigieuse décoration américaine. Ce
système de points a contribué à développer un fort ressentiment des paras contre l'armée
et sa bureaucratie. Le mélange de l'abondance d'armes, d'alcool et de véhicules explose
littéralement dès le mois de mai 1945. La division perd plus de tués en Autriche par
accidents de la route qu'en Belgique face aux Allemands pendant la contre-offensive des
Ardennes : 60 accidents en trois semaines, 20 tués, une centaine de blessés. Le sergent
Grant, qui conduit deux hommes en jeep pour relever un barrage routier, tombe sur un
soldat américain ivre qui a abattu deux civils allemands et menace un commandant
anglais et son chauffeur, un sergent : au cours de l'échauffourée qui s'ensuit, le GI ivre
abat les deux Anglais et blesse grièvement le sergent Grant à la tête avec son pistolet. Le
capitaine Speirs parvient à faire arrêter le coupable par ses hommes : une nouvelle recrue
de la compagnie I, qui est prise en essayant de violer une jeune Autrichienne à Zell-amSee. Passé à tabac par les hommes de la Easy Company, le fautif est finalement confié à
la Military Police. En juin 1945, le général Taylor annonce aux hommes de la division qu'ils
vont être redéployés dans le Pacifique après un passage aux Etats-Unis : en
conséquence, l'entraînement reprend, d'autant que les trois quarts des paras sont
désormais de nouvelles recrues, les anciens étant progressivement retournés aux EtatsUnis.
5 Stephen E. AMBROSE, Frères d'armes. Compagnie E, 506ème régiment, 101ème Airborne : du
débarquement en Normandie au nid d'aigle d'Hitler, Paris, Albin Michel, 2002, p.308-340.
6 « Coeur pourpre ».
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