Nouvelle Lettre 849 du 1 octobre 2005

Transcription

Nouvelle Lettre 849 du 1 octobre 2005
la nouvelle lettre
Directeur de la publication : J. GARELLO
Commission Paritaire 63570
N° 849 – 1 Octobre 2005
Hebdomadaire 1 €
EDITORIAL
CHASSEZ LE DROIT NATUREL…
Chassez le droit naturel, il revient au galop.
C’est ce que m’inspirent les dérives actuelles de la législation française, illustrées par l’affaire du
« Rainbow attitude expo ». La RATP a en effet refusé d’afficher dans le métro une image
publicitaire pour cette manifestation hors du commun. Le prétexte était futile : l’affiche présentait
deux couples d’homosexuels, l’un masculin l’autre féminin (si l’on a le droit de dire ainsi)
échangeant de langoureux baisers. Il n’y a en France que quelques attardés de l’homophobie pour
trouver à redire, au prétexte ridicule qu’une telle image pourrait choquer des adultes, voire des
enfants. Quels adultes, sinon des demeurés moraux (pardon : des demeurés mentaux) ? Quant aux
enfants, il ne faut rien leur cacher des choses de la vie, c’est un devoir de les libérer des préjugés qui
pourraient plus tard leur coûter chair.
C’est donc à juste titre que les organisateurs de la Rainbow expo ont fait référence à l’œuvre
libératrice de notre législateur, et ont soutenu que la RATP tombait sous le coup de la loi du 16
novembre 2001 modifiant les articles 225-1 et 225-2 du Code Pénal sur les discriminations
punissables. Ils saisissent à cet effet la Haute Autorité pour la Lutte contre la Discrimination et pour
l’Egalité (HALDE) créée par le même texte et présidée par Louis SCHWEITZER.
Nous y voici : la souveraineté du législateur ne saurait être mise en cause, aucune loi ne saurait être
scélérate du moment qu’elle a reçu l’aval de 50% d’une Assemblée représentant 25% du peuple –
qui n’a évidemment jamais été consulté sur ce sujet, ni d’ailleurs sur la plupart des autres sur
lesquels nos députés se penchent avec un soin jaloux.
C’est ce que Tocqueville appelait « la tyrannie de la majorité », dont il redoutait qu’elle dégrade la
démocratie. Bastiat, élu en 1848 à l’Assemblée, en même temps que lui, dénonçait également la
prétention du législateur de s’occuper de toutes choses et d’ignorer le droit naturel. Cette prétention
était ainsi formulée par Rousseau : « Le législateur doit se sentir de force à transformer la nature
humaine ». Non, le rôle du législateur n’est pas de créer l’homme nouveau ni la société parfaite, et
Bastiat remet les choses en place : « Personnalité, Liberté, Propriété, voilà l’homme. C’est de ces
trois choses qu’on peut dire, en dehors de toute subtilité démagogique, qu’elles sont antérieures et
supérieures à toute législation humaine. Ce n’est pas parce que les hommes ont édicté des Lois que
la Personnalité, la Liberté et la Propriété existent. Au contraire c’est parce que la Personnalité, la
Liberté et la Propriété préexistent que les hommes font des Lois ».
Bastiat et Tocqueville l’avaient compris : il existe, dans la tradition des peuples civilisés, un respect
absolu du droit naturel. On peut même dire que c’est la référence au droit naturel qui a fait la
différence entre la barbarie et la civilisation. En effet, le droit naturel se déduit de la nature même
de l’être humain, en lui garantissant sa spécificité et sa dignité, qui le distinguent des espèces
animales. On comprend qu’il soit imprescriptible, hors d’atteinte. Les traditions d’Aristote, de Saint
Thomas d’Aquin ou de Locke, différentes à certains égards, convergent vers une commune
conclusion : parce qu’il est un être humain l’homme a droit au respect de sa vie, de sa liberté, de sa
propriété. Ce droit ne lui est pas attribué ou concédé par un parlement ou un souverain. Il le porte
en lui-même, dès sa naissance à la vie.
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EDITORIAL
Le rôle des autorités politiques, titulaires du pouvoir de coercition, est de protéger ce droit, et non
pas de l’aménager ou de le limiter. La coercition peut et doit être utilisée quand un individu (fût-il
signé de l’onction électorale) porte atteinte au droit d’un autre.
Nous sommes loin du compte aujourd’hui. Les politiciens se croient tout permis et n’hésitent pas à
porter atteinte au droit naturel. La phrase de LAINIEL passera à la postérité : « Vous avez
juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires ». Ecrasement des minorités,
effacement du droit, pourtant conçu pour protéger les minorités contre tout abus, toute violence
venant des autres.
Va-t-on continuer longtemps dans cette voie ? Le législateur peut-il imposer sa volonté au détriment
du respect de la vie, de l’exercice de la liberté, de la défense de la propriété ?
En s’écartant du droit naturel, le législateur arrive à voter des textes contre nature, des textes qui
nient la nature de l’homme. La société retourne à la barbarie, et elle finit par s’auto-détruire,
puisque la nouvelle loi n’est autre que celle du plus fort, du plus violent, du plus inhumain.
Il faudra bien se rendre tôt ou tard à cette évidence : si l’on ne veut pas retourner à la barbarie, il
faut retourner au droit naturel.
Jacques Garello
Conjoncture
PLUS DE DEFICITS ET MOINS D’EPARGNE : POURQUOI ?
Deux informations, apparemment indépendantes, ont été publiées cette semaine. D’une part
Bercy a annoncé que les déficits publics seraient plus élevés que prévu, en 2005 comme en 2006.
D’autre part, le taux d’épargne des ménages s’est réduit cette année et devrait diminuer encore
l’an prochain. Or ces deux informations sont liées, car un déficit accru implique un recours plus
élevé à l’emprunt, donc à l’épargne des ménages. Une nouvelle fois, c’est le secteur privé qui
risque de faire les frais de ce dérapage des déficits, puisque l’épargne qui finance les déficits
publics ne sert pas à financer les investissements productifs.
Toujours 3% de déficit public
Rien ne va plus, une fois encore, du côté des déficits publics. Il y a des années que nous avons un
déficit public égal ou supérieur à 3% du PIB. Chaque année, le gouvernement annonce une
réduction de ce déficit, en particulier parce qu’il est contraire à nos engagements européens, et
chaque année cette réduction n’a pas lieu : les déficits se maintiennent ou s’aggravent.
Il y a deux semaines que le gouvernement savait qu’il ne pourrait tenir ses objectifs, mais il vient
seulement de l’admettre. Pour 2005, ce déficit devait être « sous la barre des 3% ». C’était un
engagement fort du gouvernement. Mais les déficits publics ont dérapé dans tous les domaines :
Etat, sécurité sociale, assurance-chômage, collectivités locales. Résultat, selon Thierry BRETON,
« 3% de déficit public, c’est l’objectif du gouvernement cette année ». Plus question d’être en
dessous.
Pour 2006, le déficit aurait dû, selon le gouvernement, tomber à 2,2%, avec une perspective
d’équilibre à horizon 2007. Au bout de quelques mois, cette prévision a été changée pour passer à
2,7%. Cette semaine, toujours selon Thierry BRETON, « pour l’année prochaine, l’objectif sera
d’être dans cette marge (3%) et pas au-dessus ». Autrement dit, ce sera déjà bien si on arrive à
limiter le déficit public à 3% du PIB ! Selon Les Echos, compte tenu de la faible croissance, « 3%
de déficit serait déjà un tour de force ».
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Conjoncture
1 100 milliards d’euros de dette
En réalité, de nombreux experts pensent que l’on sera plus près des 3,4 ou 3,5%. En effet, pour
cette année, le déficit a été artificiellement réduit grâce à une soulte apportée par EDF de 0,4% du
PIB. Ce miracle ne se reproduira pas l’an prochain. Faut-il s’étonner de cette situation ? Avec une
croissance très inférieure aux prévisions (par exemple moins de 1,5% de hausse du PIB en 2005),
les recettes fiscales sont elles aussi très inférieures aux prévisions budgétaires. Et la même
situation va se reproduire en 2006, puisque le budget qui est en préparation repose sur une
hypothèse de 2,5% de croissance, alors qu’on sait déjà qu’elle sera inférieure à 2%. A cela, il faut
ajouter le nouveau dérapage de la sécu, qui va nécessiter un nouveau plan de redressement.
En réalité, on sait très bien que le déficit ne diminuera sérieusement que lorsque les dépenses
publiques diminueront. Ce n’est pas en gelant, comme s’apprête à le faire le gouvernement, 4
milliards de crédits cet automne que l’on va régler le problème. Mais c’est en réduisant fortement
le nombre de fonctionnaires. Il fallait, dès cette année et a fortiori en 2006 ne pas compenser les
départs en retraite. Le minimum était de ne compenser qu’un départ sur deux. Or, pour 70 000
départs en retraite, il y aura à peine 5 000 recrutements de moins, sans compter les postes de non
titulaires crées à l’Education Nationale (45 000 !).
Par ailleurs, il faut impérativement faire redémarrer la croissance ; pour cela, il faut réduire les
impôts, pour relancer l’offre par l’incitation à produire et à entreprendre. Raison de plus pour
réduire encore plus les dépenses publiques. Mais, en attendant, rien de tout cela n’est fait et les
déficits explosent. Il faut donc les financer. Solution immédiate : on emprunte toujours plus. Cela
va gonfler l’endettement public, qui dépasse déjà les 1 100 milliards d’euros (7 000 milliards de
francs, soit une dette publique de 18 000 euros par personne, enfants compris).
Les déficits d’aujourd’hui font les impôts de demain
Dans ces conditions, l’endettement public va dépasser les 67% du PIB, ce qui fait que nous
sommes en dehors des clous pour un second critère européen, puisque nous avons pris
l’engagement de ne pas dépasser les 60% d’endettement. Nous nous rapprochons à grande
vitesse des 70% du PIB. En attendant, la charge de la dette (c'est-à-dire le poids des seuls
intérêts) pèse de plus en plus lourd sur le budget (aggravant le déficit) et est devenu le second
poste budgétaire, juste après l’Education Nationale et largement devant la défense.
Bien entendu, il faudra un jour ou l’autre rembourser cette dette publique. Comment ? Evidemment
grâce aux impôts, suivant une loi économique bien connue : les déficits d’aujourd’hui font les
impôts de demain. Ce qui signifie que c’est la génération future qui va porter le poids final des
déficits actuels. Nous lui léguerons des dettes et des dettes inutiles puisqu’elles ne servent qu’à
financer des dépenses de fonctionnement ou des dépenses sociales et non des investissements
durables. C’est une véritable bombe a retardement que nous préparons pour nos enfants, et cela
sans parler des problèmes renvoyés aussi au lendemain, comme le financement des retraites.
En attendant, pour aujourd’hui, nous finançons ces déficits par l’emprunt, c'est-à-dire par l’épargne
des ménages. Or cette épargne, même si elle est assez abondante en France, n’est pas
extensible à l’infini. Le taux d’épargne était encore il y a quelques années de 17% du revenu brut
disponible des ménages. En 2004, ce taux s’est réduit à 15,4%. Cette année, il devrait être de
15,1% et l’an prochain de 15% au plus. L’épargne diminue au moment où l’Etat emprunte plus. Or
cette réduction de l’épargne n’est pas une bonne nouvelle, contrairement à ce que pensent les
keynésiens. En effet, l’épargne sert avant tout à financer le logement et surtout les
investissements productifs des entreprises. Comme nous l’avons montré ici même il y a quelques
semaines, plus l’Etat emprunte, moins il reste de financement pour le secteur privé (effet
d’éviction). Et cela encore plus si le taux d’épargne diminue. Voilà pourquoi la conjonction des
déficits publics accrus et de la contraction de l’épargne n’est pas une bonne nouvelle. Il faut
absolument sortir de cette spirale infernale en réduisant drastiquement les dépenses publiques.
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SPECIAL Université d'Eté
TOCQUEVILLE ADMIRATEUR DE LA SOCIETE AMERICAINE
L’Université d’Eté de la Nouvelle Economie consacrait sa 28° édition à Tocqueville, la société civile
et la démocratie. Lundi 29 Août, les débats s’attachaient à considérer l’admiration de Tocqueville
pour l’Amérique. Jeremy Jennings, Professeur de science politique à l’Université de Burningham et
spécialiste de la théorie des idées politiques et du rôle des intellectuels en politique, nous livrait son
analyse.
Jeremy Jennings : LE GENIE DE L’AMERIQUE SELON TOCQUEVILLE
Tocqueville s’est rendu aux EtatsUnis dans les années 1880 et est resté en contact avec les Américains
jusqu’à la fin de sa vie, notamment à travers une correspondance nourrie. Dans ses lettres, on voit
quel enthousiasme, quel attachement il a eu tout au long de sa vie pour l’Amérique et les Américains.
Il disait d’ailleurs de lui-même qu’il était à moitié Yankee.
Cependant, il faut reconnaître qu’il existe une certaine ambivalence dans les propos de Tocqueville au
sujet de l’Amérique. C’est à la fois le précurseur d’une grande révolution démocratique, et un
avènement politique susceptible de mener à une nouvelle forme de tyrannie : la tyrannie de la majorité
pouvant s’étendre à tous les aspects de la société et de la morale américaine. Pourquoi Tocqueville
manifestait-il de telles craintes ? Comment les justifiait-il ? Quel espoir fondait-il sur la démocratie ?
L’analyse de Tocqueville
La démocratie américaine se fonde sur un principe central : la souveraineté du peuple. Or, la majorité
a selon Tocqueville les goûts et les instincts d’un despote. Le risque encouru réside donc dans la
production d’un gouvernement arbitraire et capricieux.
Cependant, Tocqueville pensait que le génie des pères fondateurs aux Etats-Unis résidait dans le fait
d’avoir arrangé les institutions politiques de telle manière qu’elles protégeaient la liberté individuelle,
préservaient tout ce qui avait de la valeur pour la vie. Plus précisément, Tocqueville pensait que la
constitution préservait d’un gouvernement arbitraire dans ce grand Etat, même si elle n’était pas
exempte de faiblesses.
Ainsi, Tocqueville était-il impressionné par la construction d’un système capable de fonctionner dans
un grand pays. Il était encore impressionné par le caractère législatif du régime américain, son
administration décentralisée qui autorisait la démocratie à un niveau local. Il avait été le témoin
privilégié des gouvernements locaux auto dirigés dans les villages de la Nouvelle Angleterre. Les
institutions municipales, pensait Tocqueville, constituaient la force d’une nation libre, favorisaient un
apprentissage de la liberté et de la démocratie capable de transcender les intérêts personnels, de
développer le sens de l’intérêt commun.
Mais Tocqueville admirait encore d’autres arrangements institutionnels capables de promouvoir un
gouvernement modéré, le rôle de l’Etat étant de faire en sorte que les citoyens n’aient pas besoin du
gouvernement. Ainsi ce que Tocqueville admirait à propos de l’Amérique était que plus que tout autre
pays, elle donnait une expression institutionnelle et juridique à ses croyances : liberté de presse, liberté
d’association, droits de propriété, égalité devant la loi.
Le grand génie de l’Amérique fut donc de réaliser que l’individualisme, dans ses tendances
dangereuses, pouvait être combattu par des institutions libres, donr
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SPECIAL Université d'Eté
Tocqueville écrivait à ce propos : « Les Américains de tous les âges, de toutes les conditions, de tous
les esprits s’unissent sans cesse ». C’est ainsi que les Américains ont acquis le sens de la
communauté, l’esprit public, et le respect de la loi.
D’autres institutions allaient dans le même sens : la famille, la religion, qui a de fait un grand rôle dans
les institutions américaines. Tocqueville était d’ailleurs convaincu que la religion allait dans le sens
d’un choix libre et indépendant, qu’elle servait à réguler notre goût pour le bien être matériel ainsi que
les tendances individualistes exacerbées par la démocratie et l’égalité.
L’approche Tocquevillienne de la démocratie en 1848
En France, lors du débat de 1848 relatif à la Constitution, Tocqueville utilise l’exemple américain pour
convaincre les membres du mouvement Républicain que leur texte constitutionnel affaiblirait les
libertés et mènerait au chaos. Aussi tenta t-il de montrer au peuple français comment on pouvait avoir
une République.
Dans le volume II de la Démocratie, il écrivait : « les institutions de l’Amérique qui n’étaient qu’un
sujet de curiosité pour la France monarchique doivent être un sujet d’étude pour la France
Républicaine ». Dans une de ses correspondances privées, il va un peu plus loin en écrivant : « les lois
de la République française peuvent et doivent en bien des cas être différentes de celles qui régissent les
Etats-Unis. Mais les principes sur lesquelles les Constitutions américaines reposent, ces principes
d’ordre de pondération des pouvoirs, de liberté vraie, de respect sincère et profond du droit sont
indispensables à toutes les Républiques. Ils doivent être communs à toutes et l’on peut dire à l’avance
que là où ils ne se rencontreront pas la République aura bientôt cessée d’exister ».
On retrouvait cette éloquence dans ses discours. Pour preuve, un extrait de ce qu’il exprimait au
peuple de Cherbourg : « En Amérique, la République n’est pas une dictature exercée au nom de la
liberté. C’est la liberté même, la liberté réelle, vraie de tous les citoyens. C’est le gouvernement
sincère du pays par le pays, l’empire incontesté de la majorité, le règne du droit. A l’ombre des lois
de l’Amérique, la propriété est sûre, l’industrie libre, les charges publiques légères, la tyrannie d’un
seul ou de quelques uns inconnue. Depuis 60 ans, il en est ainsi ». Tocqueville a fait du mieux qu’il
pouvait pour s’assurer que la Constitution de la Seconde République ressemble à celle des Etats-Unis.
Nous savons pourtant qu’il a échoué et que cela a eu des conséquences désastreuses pour la liberté
individuelle.
La vision de Tocqueville à la fin de sa vie
Tocqueville fut déçu par ce qui se passait en France durant le Second Empire. Et malgré son intérêt
continu et persistant pour les institutions américaines, il devint de plus en plus pessimiste à propos des
Etats-Unis. Il finit par penser que les Etats Unis allaient dans la mauvaise direction. Son pessimisme
est perceptible dans cette citation : « Je souhaite personnellement voir une Europe libre et je
m’aperçois que la cause de la vraie liberté est plus compromise qu’elle l’était à l’époque de ma
naissance ». Il écrivait encore à un ami : « Votre Amérique même vers laquelle se tournaient autrefois
le rêve de tous ceux qui n’avaient pas la réalité de la liberté donne à mon avis depuis quelques temps
bien peu de satisfaction aux amis de celle-ci ».
A la fin de sa vie, Tocqueville pensait donc que les Etats-Unis n’étaient pas encore tout à fait l’endroit
rêvé pour les amis de la liberté. Il pensait que l’Amérique avait perdu de vue la liberté. Même s’il
admirait beaucoup les Etats-Unis, il était également conscient que cet attachement à la liberté ne
perdurerait pas nécessairement dans le temps.
Comme lui, continuons à regarder les institutions de la liberté avec toute l’admiration qu’elles
procurent, et ce malgré les frustrations qu’elles peuvent parfois entraîner.
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l'actualité qui nous fait réfléchir
HOPITAUX PUBLICS : « UN SYSTEME SOVIETIQUE »
Nous l’avons vu la semaine dernière : rien ne va plus dans le domaine de l’assurance-maladie et un
nouveau plan de redressement est en préparation. Va-t-on enfin traiter le problème essentiel qui n’est
pas celui des médicaments, mais bien celui de l’hôpital public ? Selon la Fédération hospitalière de
France, les trois quarts des hôpitaux sont dans le rouge. Ils termineront l’année avec 700 millions
d’euros de reports de charges (comme ils ne peuvent avoir de déficit, les dépenses sont artificiellement
reportées sur l’exercice suivant). Ils s’ajoutent aux 400 millions de reports de l’année précédente.
Les hôpitaux en sont réduits, pour boucler leurs fins de mois, à allonger les délais de paiement de leurs
fournisseurs : on paie désormais à six mois. Bref, on a du mal à trouver des lits dans certains services,
l’attente se prolonge aux urgences, les délais aussi pour les opérations.
Rien n’est fait pour favoriser les économies et les dépenses de personnel représentent 70% des
dépenses. Commentaire d’un professionnel du privé, rapporté par Le Figaro : « Pour une même
intervention, le personnel paramédical est deux fois plus nombreux dans le bloc opératoire d’un
hôpital que dans celui d’une clinique ». Jean de KERVASDOUE, qui a été directeur des hôpitaux au
ministère de la santé de 1981 à 1986, et qui ne passe pas pour un ultralibéral, loin de là, dans une
interview percutante donnée au Figaro Economie, s’explique sur cette situation : « L’hôpital est une
organisation canada dry : sous une apparence normale (conseil d’administration, directeur, chefs de
service, …) se cache une structure déterminée par des règles bureaucratiques plus que par la
recherche d’un objectif commun. Un patient hospitalisé relève de spécialistes de différentes disciplines.
La qualité des soins dépend donc de leur capacité à bien se coordonner. Or les médecins, par
idéologie, ont réussi à faire perdurer un système où chacun prétend être indépendant…».
« L’autre explication est la folie réglementaire, un véritable système soviétique. Depuis l’affaire du
sang contaminé en particulier, du ministère aux agences régionales d’hospitalisation, chacun se
protège en créant des règlements que l’échelon inférieur est censé appliquer. Tout est défini,
pratiquement jusqu’à la marque de déca de la pause café du matin, mais rien n’est contrôlé. Il y a 42
familles de règlements -systématiquement inapplicables- sur la sécurité à l’hôpital.
Comment remédier à ces absurdités ? Jean de KERVASDOUE évoque le processus de nomination
des chefs de service et des directeurs d’établissements, et souhaite plus d’autonomie. Les salaires ?
« Lors du passage aux 35 heures, Elisabeth GUIGOU a accordé 45 000 postes supplémentaires. Le
revenu des médecins hospitaliers a été revalorisé par Martine AUBRY, puis Elisabeth GUIGOU, puis
Jean-François MATTEI, puis Philippe DOUSTE-BLAZY : à 7 000 euros par mois vers 50 ans, un
praticien gagne 30% de plus qu’un ambassadeur de France. Les infirmières sont les bac + 3 les mieux
rémunérées de France, du moins en début de carrière ».
Que faire ? Par exemple « Faire cohabiter des fonctionnaires et des contractuels, en étant un peu plus
généreux avec ces derniers. De nombreux fonctionnaires choisiront sans doute de changer de statut.
Mais les hôpitaux ne sont pas seuls responsables. Le code des marchés publics constitue un carcan. Et
les fournisseurs savent que l’hôpital finit toujours par payer, mais tard : ils anticipent en majorant leurs
prix. C’est comme cela que le kilo de sucre est parfois acheté plus cher qu’à l’épicerie du coin ».
Bref, il faut désoviétiser. Débureaucratiser. Décentraliser. Nous pourrions ajouter : ouvrir à la
concurrence, libéraliser. Car si on peut discuter des remèdes, reconnaissons que l’analyse de Jean de
KERVASDOUE est implacable : oui, l’hôpital français relève d’un système soviétique. Que celui qui
a été directeur des hôpitaux sous MITTERRAND le clame aujourd’hui en dit long sur la prise de
conscience des professionnels. On ne peut plus continuer comme cela. Il faut réformer l’hôpital public.
Et si on essayait la privatisation ?
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l'actualité qui nous fait réfléchir
L’ENSEIGNEMENT PRIVE : PRIVE DE MOYENS
Chaque année, c’est la même chose. Au moment de la rentrée, on observe que l’enseignement privé
refuse du monde, faute de place et de moyens. Cela n’est pas nouveau, mais cela s’accentue d’année
en année. Notre confrère Valeurs Actuelles en explique le mécanisme, dans un dossier présenté par
Fabrice MADOUAS sous le titre « L’école libre sans moyens. L’enseignement catholique croule sous
les demandes d’inscription… mais perd des postes d’enseignants ! Un système qui empêche les
familles d’exercer leur choix ». Or ce libre choix des familles est un droit fondamental, reconnu par la
constitution. Et les familles peuvent de moins en moins l’exercer.
La raison en est simple : l’Etat aligne les moyens du privé sur ceux du public, en pourcentage de leur
importance passée. Comme l’école libre représente à peu près 20% des effectifs, cette part de marché
doit impérativement rester stable. Lorsque les effectifs diminuent dans le secteur public, le nombre de
postes d’enseignants diminue. Mais aussitôt l’Etat diminue dans les mêmes proportions le nombre de
postes du secteur privé.
L’enseignement privé s’est en effet placé dans une impasse : il est considéré comme participant au
service public et c’est donc l’Etat (et non le libre choix des parents) qui détermine les moyens dont il
dispose. Et l’Etat ne veut pas entendre parler de concurrence, encore moins de libre choix. Il cherche
juste à figer les parts actuelles de marché.
Pourtant, les parents plébiscitent le secteur privé, même s’ils doivent y être de leur poche. Ils trouvent
que l’on s’occupe mieux des élèves, de manière plus personnalisée, que la discipline y est mieux
respectée, et que l’on élève mieux les enfants, en leur transmettant des valeurs morales. Résultat : s’il
y a 20% des effectifs dans le privé, près d’une famille sur deux au total y scolarise ou y a scolarisé au
moins l’un de ses enfants, à un moment de sa vie, en général avec succès, parfois même pour régler
des cas difficiles, impossibles à traiter dans l’anonymat du public.
Il faut donc rendre la pleine liberté de choix aux parents, et cesser de refuser comme cette année plus
de 20 000 élèves dans le privé. La loi DEBRE de 1959, qui avait constitué un progrès en son temps,
est maintenant dépassée. Elle proclame la liberté de choix des familles mais ne la garantit plus. Il faut
donc rompre avec la logique du service public, qui oblige le privé à s’aligner sur le public.
Comment ? Des techniques existent, dont nous avons souvent parlé ici même. La plus simple consiste
dans le chèque éducation ou coupon scolaire. Chaque parent reçoit un chèque ou un coupon par
enfant et inscrit l’enfant dans l’école de son choix. Celle-ci reçoit un financement public en proportion
du nombre d’élèves inscrits, c'est-à-dire du nombre de chèques ou de coupons reçus. Si les effectifs
dans le privé doublent, les moyens du privé doubleront aussi.
Une telle mesure, appliquée dans de nombreux pays (voir notre rubrique livres du site Libres),
réglerait la plupart des difficultés. Mais il faut aussi que l’offre d’éducation corresponde à la demande
des parents. Pour cela, il faut laisser le secteur privé, mais aussi, pourquoi pas, le secteur public,
innover, s’adapter, recruter les meilleurs élèves ou les meilleurs enseignants, proposer des formations
diversifiées, trouver des financements supplémentaires : bref faire jouer la concurrence. Le système
actuel est celui d’une pseudo liberté. Il est temps de le faire évoluer sous la pression du libre choix des
parents, qui sont les premiers responsables de l’éducation des enfants. Ce n’est pas à l’Etat de décider
qui doit choisir telle ou telle école, mais aux parents et à eux seuls. Cela fait partie de leurs droits
fondamentaux. Et de leurs devoirs.
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l'actualité qui nous fait réfléchir
BARROSO : NON A LA CONSTITUTION, OUI A BOLKESTEIN
La conférence de rentrée de José Manuel BARROSO, Président de la Commission européenne, n’est
pas passée inaperçue. Il a d’abord mis les choses au point en ce qui concerne la constitution, marquant
un tel recul que le Figaro a titré : « A son tour, José Manuel BARROSO dit non à la constitution ».
Sans aller aussi loin, il est clair que sa prise de position a été marquée par un grand réalisme. Qu’on en
juge : « Dans un avenir proche, nous n’aurons pas de constitution. Nous ne devons pas concentrer
toutes nos énergies sur l’élaboration de scénarios institutionnels. Arrêtons d’entretenir l’illusion d’une
constitution, arrêtons les discussions transcendantales sur l’avenir de l’Europe et mettons-nous au
travail sur la base des traités existants ».
C’est en effet le plus réaliste, après les non français et hollandais et le blocage qui s’en est suivi. « Il
faut être réaliste : la France et les Pays-Bas ont annoncé qu’ils ne ratifieraient pas le traité. Donc, nous
n’aurons pas de constitution avant deux ou trois ans. Si entre-temps, la France et les Pays-Bas
trouvent une solution, je serai le plus heureux des hommes, mais je constate que le débat sur l’avenir
de l’Europe, promis en juin, ne s’est pas engagé ». Exit donc la constitution du moins à court et
moyen terme.
Autre annonce de BARROSO : il va « vider les tiroirs de la Commission », c'est-à-dire mettre au pilon
les directives inutiles. Il emploie même le terme, chargé de sens, de « dérégulation ». « On regarde le
texte et si c’est une législation absurde, trop bureaucratique, obsolète, qu’elle risque d’agacer les gens
ou les entreprises et d’alimenter l’europhobie, on le jette à la poubelle ». C’est ainsi que 70 projets
d’actes législatifs seront mis au pilon. Personne ne s’en plaindra.
Certains ont cru que c’était une manière élégante de régler certains problèmes sensibles et en
particulier d’enterrer la fameuse directive BOLKESTEIN. Or il n’en est rien. Bruxelles insiste en effet
explicitement pour garder deux projets : une réglementation contre les produits chimiques qui obligera
les entreprises à soumettre leurs produits à des tests et des contrôles moins rigoureux que prévu ; et la
directive libéralisant les services. Commentaire du Figaro : « Soutenue par la présidence britannique,
la Commission espère les faire adopter dans les six mois. Malgré les espoirs de Jacques CHIRAC, le
projet de directive service (BOLKESTEIN) apparaît donc plus vivant que jamais. « Aucun Etat
membre n’a jamais proposé de retirer cette directive » a affirmé BARROSO. « Il nous faut un marché
des services intégré. Nous y tenons ».
A croire que Paris n’a fait dans ce dossier que des gesticulations sans effet. En tous cas, dans le
semestre à venir, on va reparler de cette fameuse directive sur les services. Tant mieux. Il faudra bien
que le gouvernement français se détermine et dise enfin s’il accepte ou non de libéraliser le secteur des
services. Tout en sachant que le principe de cette libéralisation figure déjà dans les traités européens.
Il ne reste qu’à en fixer les modalités. On n’a pas fini d’entendre parler du plombier polonais !
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AU SOMMAIRE DU N°849 :
EDITORIAL : Chassez le droit naturel… pp. 1-2
CONJONCTURE : Plus de déficits et moins d’Epargne : pourquoi ? pp. 2-3
SPÉCIAL UNIVERSITÉ D'ÉTÉ : Tocqueville admirateur de la Société Américaine pp. 4-5
ACTUALITÉ QUI NOUS FAIT RÉFLÉCHIR : Hôpitaux publics : « un système soviétique » p. 6 –
L’enseignement privé : privé de moyens p. 7 – Barroso : non à la Constitution, oui à Bolkenstein p. 8.
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