Philippe PETIT

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Philippe PETIT
Entretien
Philippe PETIT : « Une victime qui récupère bien et qui se réinsère
professionnellement, c’est « gagnant » pour elle, c’est « gagnant » pour ceux
qui s’en occupent et c’est « gagnant » pour la collectivité. »
Philippe Petit, médecin-conseil CNAMTS, chargé de mission nationale, expose les objectifs du service
d’accompagnement après un accident du travail que l’Assurance maladie expérimente actuellement
dans trois régions : le Nord – Pas-de-Calais, l’Ile-de-France, et le Sud-Est.
ISTNF. Comment est venue l’idée de proposer un accompagnement après un accident du travail ?
Philippe Petit. Ce projet s’inspire des expériences de case management développées depuis
plusieurs années dans d’autres pays européens. Cela consiste en un accompagnement individualisé
et personnalisé des victimes d’accident de travail ou de trajet, en prenant en compte leurs besoins
spécifiques, pour optimiser leur parcours de soins, de réhabilitation et de réinsertion socioprofessionnelle. En effet, quand survient l’accident, la personne est traumatisée à tous points de vue,
avec une dimension psychologique particulière : l’accident trouve sa source dans le milieu de travail,
et éventuellement compromet les possibilités d’y retourner. Elle est confrontée à un environnement
médico-administratif complexe, dont la méconnaissance peut retarder ou compromettre sa
récupération. Enfin, elle a besoin de se sentir soutenue et accompagnée.
ISTNF. S’agit-il d’une action isolée ?
PP. Le case management est un mode d’accompagnement émergent et l’Assurance maladie a
développé plusieurs services qui s’inscrivent un peu dans cet esprit, comme Sophia, pour le diabète,
Santé active, qui est une initiative de prévention primaire, et Prado, qui favorise le retour à domicile
après hospitalisation dans certaines circonstances (maternité, chirurgie orthopédique, insuffisance
cardiaque, insuffisance respiratoire).
ISTNF. Pourquoi inventer une nouvelle démarche ?
PP. Notre projet fait intervenir l’Assurance Maladie en prévention secondaire et tertiaire, champ
assez peu investi jusqu’ici, au profit de la prévention primaire (mission traditionnelle des Carsat) et
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de la réparation (prise en charge des soins et indemnisation des séquelles par les Cpam). Pourtant, la
loi de 46 invitait à développer des actions visant à réduire les conséquences des accidents, la
réparation ne devant être que subsidiaire. C’est donc bien une mission historique de la branche
AT/MP et notre expérimentation vise à tester une modalité pour la mettre en œuvre.
ISTNF. Le dispositif de réparation doit-il être repensé ?
PP. La réparation est indispensable pour garantir l’accès aux soins et indemniser de façon forfaitaire
les séquelles de l’accident. Mais l’indemnisation n’est qu’un pis-aller par rapport à une restauration
fonctionnelle permettant, même avec des séquelles, de se réinsérer professionnellement. Les
accidents graves concentrent la majeure partie des prestations d’indemnisation (2% des accidents
pour 40% des prestations). Il y a donc aussi un intérêt de gestion du risque à optimiser le parcours de
ces blessés. Une victime qui récupère bien et qui se réinsère professionnellement, c’est « gagnant »
pour elle, c’est « gagnant » pour ceux qui s’en occupent et c’est « gagnant » pour la collectivité.
ISTNF. La France entretient-elle une particularité dans son modèle d’accompagnement ?
PP. Nous avons beaucoup travaillé avec les suisses et les allemands, dont le modèle est assez proche
du nôtre. Bien sûr, les systèmes de réparation sont différents dans ces pays. En Allemagne, il y a une
filière dédiée : on ne va pas consulter son médecin mais un médecin agréé, et on est soigné dans des
centres médicaux agréés. En Suisse la réparation est différentielle pendant toute la phase de soins,
elle compense la perte de salaire et s’arrête avec le retour au travail. La personne doit observer les
recommandations qui lui sont faites : c’est la contrepartie des prestations d’indemnisation et de
réparation. En France, on doit respecter le libre choix de la personne pour se soigner et les
prestations d’incapacité sont viagères. C’est pourquoi notre projet repose sur l’adhésion et le
volontariat. Il n’a pas de caractère contraignant, ni d’impact direct sur les prestations. Il est basé sur
le partenariat avec les acteurs du soin et de la réinsertion.
ISTNF. Comment avez-vous déterminé les contours du projet ?
PP. Nous avons d’abord identifié les lésions génératrices d’IP supérieures à 10% (seuil de la rente
viagère) ou d’arrêt de travail prolongé avec risque élevé de désinsertion professionnelle, à partir des
bases nationales. Sans surprise, on trouve la traumatologie, avec lésions orthopédiques des
membres, le traumatisme crânien, le syndrome de stress post traumatique et la lombalgie aigue,
avec ou sans radiculalgie. Nous avons élaboré un programme de formation, avec l’appui d’une
équipe Suisse, centré sur la relation et l’entretien motivationnel. Dès que la Caisse est saisie d’une
déclaration d’AT et qu’il n’y a pas de problème pour la prise en charge, on peut contacter la victime
et lui proposer d’adhérer au programme. Dès lors, un conseiller risques professionnel (CRP) de la
CPAM, spécifiquement formé, va l’accompagner et l’aider dans toutes ses démarches. Lui-même
s’appuie, en interne, sur l’expertise du médecin conseil, pour les aspects médicaux, et de l’assistant
du service social, pour les questions socio-professionnelles.
ISTNF. Quels sont les critères pour bénéficier d’un accompagnement ?
PP. La difficulté, c’est de repérer efficacement les personnes qui ont besoin d’être accompagnées.
Quand on fait une analyse rétrospective, dans les bases nationales, on identifie les lésions les plus
« pourvoyeuses » de séquelles. Par exemple, la fracture de l’extrémité du radius est la première
lésion pour la fréquence de séquelles de plus de 10%, c’est une des lésions prioritaires à cibler. Mais
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comment repérer à priori les plus graves, alors qu’on ne dispose que de peu d’informations au
départ : une déclaration d’accident et un certificat médical initial ? Nous avons mis en place un
système de mots clés pour repérer la gravité (par exemple : fracture comminutive ou fracture
articulaire). Les dossiers repérés par ces mots clés sont communiqués au conseiller, qui statue sur
l’éligibilité de la lésion. Quand il a un doute, il sollicite le médecin-conseil pour interpréter
correctement le certificat. Les dossiers comportant une lésion potentiellement éligible, mais dont la
gravité ne peut pas être appréciée, sont mis à échéance pour une nouvelle étude, avec des
informations complémentaires.
ISTNF. Comment un accompagnement peut-il être engagé ?
PP. Quand on a identifié une lésion éligible, il faut dans un premier temps recueillir le consentement
de la victime. Le CRP prend contact avec elle pour lui proposer le programme et recueillir son
consentement sous la forme d’une lettre d’engagement.
ISTNF. Comment s’organise concrètement la démarche d’accompagnement ?
PP. Dès que la victime a adhéré au programme, le CRP informe l’employeur que son salarié fait
l’objet d’un accompagnement attentionné visant à favoriser sa réhabilitation et son retour au travail.
Simultanément, le médecin contacte le médecin traitant pour connaître la prise en charge médicale
et définir avec lui les objectifs du plan médical d’accompagnement. Le médecin-conseil contacte
aussi le médecin du travail pour l’informer de la démarche, et recueillir des informations sur le poste
occupé. L’assistant de service social réalise un bilan social et évalue les aides à mobiliser. Dès que
l’évolution médicale le permet, le médecin-conseil déclenche la visite de pré-reprise et le volet
professionnel du plan d’accompagnement est élaboré en concertation avec le médecin du travail.
Dans les situations complexes, ou pour déterminer les capacités restantes, le médecin conseil
dispose de l’appui des centres de consultations en pathologies professionnelles (CCPP), partenaires
du projet. Le CCPP de Lille a une place particulière, car il est associé, depuis le début, à la conception
du programme, et il a collaboré à l’élaboration des guides médicaux mis à disposition des CRP.
ISTNF. Quelle est la mission du conseiller ?
PP. Il accompagne, guide oriente et soutient la victime, en s’appuyant sur un plan de réhabilitation
comportant quatre volets : médical, social, administratif et professionnel. Il doit avoir des
compétences relationnelles fortes, il doit avoir aussi une connaissance du risque professionnel et des
modalités de prise en charge et de réparation. On attend surtout de lui une capacité à s’organiser, de
l’autonomie, de la réactivité, et bien sûr un excellent relationnel et de l’empathie pour accompagner
les personnes. Il est sous la double autorité du directeur de la CPAM et sous l’autorité fonctionnelle
du médecin-conseil, tenu au secret professionnel, afin de garantir la confidentialité de tout ce qu’il à
connaître dans le cadre de sa mission.
ISTNF. Quels sont les sites expérimentaux ?
PP. La phase pilote est portée sur trois régions : Nord – Pas-de-Calais, Ile-de-France, et Sud-Est. Ces
régions ont été choisies en fonction de la sinistralité, du tissu d’activités et du réseau de
professionnels sur lesquels on pouvait s’appuyer. Dans le Nord, deux Cpam sont impliquées : LilleDouai et l’Artois. En Ile-de-France, il s’agit de Melun et Versailles. Dans le Sud-Est, c’est la Cpam de
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Nice. On a évalué le périmètre de l’expérimentation à 15 conseillers au total, pour accompagner 600
nouveaux cas par an, un conseiller ayant une capacité d’accompagnement, dans les expériences
étrangères, estimée à 35/40 nouveaux cas par an.
ISTNF. Avez-vous des refus ?
PP. Notre taux d’adhésion aujourd’hui se situe un peu au-dessus de 50%. Nous sommes très attentifs
aux refus et nous les analysons. A ce stade, trois catégories se dégagent :
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Une catégorie « CSP+ », ce sont des personnes qui travaillent dans le tertiaire, ils ont un job
solide, ils sont sûr de reprendre leur boulot et nous disent : « non ça ne m’intéresse pas, je
sais me débrouiller, réservez ce dispositif à des gens qui en ont vraiment besoin ».
La seconde catégorie, ce sont les « précaires+++ », des personnes qui ont parfois des
difficultés avec la langue française. Certaines de ces personnes sont difficiles à atteindre.
Celles-là sont dans notre cible et il faut tout faire pour les convaincre.
D’autres personnes refusent notre proposition parce qu’elles ne souhaitent pas qu’on
s’intéresse de trop près à leur situation. Nous revoyons toujours à distance les personnes qui
pensent pouvoir se débrouiller seules car elles ont parfois surestimé leurs capacités ou sousestimé les conséquences de leur AT
ISTNF. A partir de quand cesse l’accompagnement ?
PP. L’accompagnement s’achève au moment de la reprise du travail, avec ou sans aménagement, ou
quand la personne poursuit un cursus qui va la conduire à nouveau au travail, c’est-à-dire une entrée
dans un centre de reclassement professionnel, avec une évaluation des capacités et un projet
professionnel. Pour faciliter l’insertion de la personne en entreprise, il faut disposer de relais au
premier rang desquels figurent le médecin du travail, qui est notre interlocuteur privilégié sur ces
questions, et les opérateurs du maintien dans l’emploi, les Sameth, avec les financements Agefiph
qui permettent des aménagements de postes éventuels. Tous ces outils seront mobilisés par les
médecins du travail, les assistants de service social ou par les cellules PDP…
ISTNF. Combien de temps durera la phase expérimentale ?
PP. La phase pilote proprement dite a commencé fin 2014, et s’étend jusqu’à la fin 2017, ce qui
correspond à la durée de l’actuelle convention d’objectifs et de gestion liant l’Etat et la DRP. Cette
expérimentation donnera lieu à une évaluation médico-économique par un prestataire externe, afin
de décider de son éventuelle généralisation à tout le territoire national.
ISTNF. Quand aurez-vous atteint votre vitesse de croisière ?
PP. Pour l’instant, nous avons recruté cinq conseillers, une seconde vague de recrutement est en
cours, on passera à dix conseillers prochainement, avec une cible à quinze CRP pour accompagner
l’ensemble des AT graves des cinq sites pilotes. Nous devrions atteindre une activité pleine et entière
au second semestre 2016.
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