Quelques réflexions sur l`avenir du syndicalisme en France à l`aube

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Quelques réflexions sur l`avenir du syndicalisme en France à l`aube
Quelques réflexions sur l'avenir du syndicalisme en France
à l'aube du 21ème siècle
L'évolution des relations professionnelles en France dans les prochaines années demande de
regarder essentiellement trois domaines de préoccupations :
1/le devenir de la capacité de négociation des partenaires sociaux entre eux,
2/l'avenir du système existant de régulation statutaire elle-même et, en particulier, de la
spécificité française de la mécanique de "l'extension" dans le cadre de la réglementation du
travail nationale,
3/le comportement et les stratégies d'action des acteurs : organisations syndicales et patronales
actuelles.
Plusieurs facteurs structurels sont susceptibles d'influer sur ces évolutions.
Il s'agit en premier lieu du devenir de la syndicalisation elle-même, en diminution constante et
généralisée, qui fait de la France un des pays développés où la présence syndicale est la plus
faible. Bien que la liaison adhésion-représentativité ne puisse pas se faire automatiquement
dans le type de syndicalisme français, cette situation pose un problème majeur sur la
raréfaction de la présence syndicale dans les entreprises et la capacité de contracter,
précisément réservée aux organisations dites "représentatives" dans le système français.
Le second facteur structurel d'évolution concerne la question de la pérennité ou non du
système de reconnaissance de représentativité français, figé depuis la fin de la seconde guerre
mondiale. Allié au mode de capacité juridique de contractualisation existant, ce système
amène à des situations de moins en moins supportées selon lesquelles des accords sont
conclus et imposés à l'ensemble des salariés par des organisations ultra minoritaires. La
faiblesse du consensus obtenu par de tels procédés pose la question de leur capacité
opérationnelle dans la régulation des rapports sociaux et du maintien à moyen terme de la paix
sociale nécessaire à la production. Par ailleurs, la tendance au développement de la
négociation d'entreprise, dans ce contexte de faiblesse de capacité négociatrice et de solidité
des accords conclus, s'affirme face au dépérissement de la négociation de branche. Comme
celle-ci est à la base du système de régulation professionnel français, à travers la modalité
spécifique de "l'extension", on peut craindre l'affaiblissement général de la couverture
statutaire des salariés avec tous les risques de conflits et de violence qu'entraînent rapidement
les dérégulations au niveau des relations professionnelles. Dans ces conditions, le modèle
social français sera-t-il encore pertinent et capable de produire de nouvelles modalités aptes à
maintenir des minima acceptables et à égaliser les conditions de la concurrence entre les
entreprises ?
Le dernier facteur structurel à prendre en compte est celui de l'évolution spatiale du cadre de
négociation lui-même. Le renforcement de l'intégration économique et l'accroissement de
normes sociales européennes, alliées au renforcement de la cohésion des ensembles
"entreprises" au détriment des régulations sociales "de branches" ne vont-elles pas pousser à
faire évoluer les cadres de négociation au niveau européen plutôt que national ? Bien entendu
l'ancrage national reste prégnant, de nombreux domaines gardent des enjeux et équilibres
nationaux (protection sociale, couverture maladie, régimes de retraites …) mais d'autres, aussi
essentiels dans la régulation sociale professionnelle, augmentent en transparence et en
comparaison (tels que les salaires, les charges, les coûts de main-d'œuvre) et poussent, sinon à
des négociations, au moins à des concertations extra nationales, au moins européennes en
premier lieu. Même si les obstacles apparaissent importants, les choses peuvent aller vite à ce
sujet. Il n'est qu'à voir les déclarations des syndicats et du gouvernement allemands à ce sujet
ainsi que les prises de position récente de Confédération Européenne des Syndicats. Sans
prévaloir de ce qui sortirait de telles évolutions, tout laisse cependant à supposer qu'au poids
que représentent ses acteurs, le modèle de régulation professionnel français risque d'en être
bouleversé au profit de mécanismes de pays tels que l'Allemagne ou des pays nordiques avec
une obligation de s'y adapter ou de disparaître au profit de nouvelles organisations, plus
européanisées.
Michel Duthoit
Groupe de Travail Organisations Syndicales IRRA
congrès Tokyo 2000
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Deux autres facteurs concernent les comportements des acteurs syndicaux et patronaux où se
rejoignent des aspects conjoncturels et stratégiques.
Le premier, dans le contexte d'affaiblissement général et constant des effectifs syndiqués, a
trait aux stratégies de survie mises en place par les organisations syndicales françaises qui ont
la particularité d'être aussi morcelées qu'idéologiques. Il s'agit en premier lieu des tentatives
de "resyndicalisation" également appelée "recentrage" exercées par la CFDT et plus
récemment la CGT, qui ont la particularité de mettre fondamentalement en cause le modèle
syndical français, majoritairement contestataire, de type "lutte des classes". Ces stratégies
visent à se remettre en phase avec la mentalité de plus en plus affirmée par les populations des
pays développés, plutôt de type social-démocrate, à modèle "rhénan" ou "nordique", dans
laquelle les bases de la société de marché sont acceptées avec le souci du maintien d'une
régulation de redistribution. Placés sous le signe du réalisme, et maintenant prônées par les
deux principales organisations syndicales françaises, il reste à évaluer les chances de voir
cette conversion aller au-delà du pragmatisme pour remodeler durablement les choix
stratégiques des organisations pour, en particulier, valoriser la place du compromis et de la
compétitivité de l'entreprise plutôt que l'exacerbation des "luttes" au profit d'une visée
politique radicale. Malgré les attentes, cette évolution est loin d'être acquise du fait du poids
de l'idéologie, de l'histoire et de l'existence d'un réel "stock" de militants politiques
communistes âgés au sein de la CGT en particulier. Plus que la condition de la survie de
chacune des organisations existantes, il s'agit là de la survie même de tout le syndicalisme
français, qui ne peut plus espérer de représentativité crédible dans son émiettement actuel, que
ce soit en France et encore plus au niveau de l'Europe. Bien entendu, seule une telle évolution,
réalisée avec la participation de l'UNSA, permet d'envisager une recomposition syndicale et la
survie d'organisations comme la CFTC et la CGC aujourd'hui menacées de totale disparition.
Si cette évolution ne se réalisait pas, alors tout laisse à croire que le pôle corporatiste,
représentée par FO, SUD et même une partie de la CGT, prendrait le dessus, avec des risques
évidents d'élimination du syndicalisme français comme acteur de la régulation sociale en
France et de partenaire européen.
Le second facteur comportemental concerne les employeurs et le monde patronal organisé
français. Plus qu'ailleurs, la mentalité y semble marquée par la persistance d'un fort sentiment
de la propriété privée de l'entreprise. Allié au maintien d'un tissu industriel et économique où
les petites entreprises restent largement dominantes, cet état d'esprit a pour effet de favoriser
les comportements d'autorité intransigeante, de rejet de toute tentative de s'immiscer dans les
décisions et, à l'hostilité plus ou moins ouverte contre les organisations syndicales. Là aussi,
l'enjeu de l'ouverture à une conception plus "communautaire" de l'entreprise, telle qu'elle
s'exprime dans d'autre pays, est une clé déterminante pour l'évolution des organisations
syndicales elles-mêmes, à défaut de quoi, le monde patronal continuera à favoriser les plus
radicales d'entre elles et, à terme, à perdre des interlocuteurs indispensables. Sur ce point
l'évolution du patronat organisé paraît inquiétante. Plutôt que de favoriser cette évolution, le
MEDEF semble se replier sur un corporatisme patronal loin de l'ouverture sur les réalités
européennes et mondiales.
Sur ces différents points, la situation française est cruciale. Des prises de conscience se
multiplient et des volontés s'affirment. Sauront-elles vaincre les pesanteurs historiques et les
intérêts catégoriels ? Cela mettra de toute façon du temps et risque de se faire avec des cahots.
Le syndicalisme français ne se laissera-t-il pas prendre de vitesse par la négociation
européenne et d'autres acteurs plus crédibles et dynamiques ? Ou y prendra-t-il toute sa place,
y apportant ses spécificités et les valeurs de son modèle de société ? Si ce n'était pas le cas,
plus que de simple risque de disparition d'organisations, c'est celui de déstabilisation de toute
une société qui apparaîtrait.
Michel Duthoit
Groupe de Travail Organisations Syndicales IRRA
congrès Tokyo 2000
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