Le karma fabuleux de Dachhiri Dawa Sherpa
Transcription
Le karma fabuleux de Dachhiri Dawa Sherpa
Les Acteurs de l’Immobilier Les Acteurs de l’Immobilier Du Népal à la Suisse Le karma fabuleux de Dachhiri Dawa Sherpa Il est né au Népal, dans une vallée perdue au milieu de montagnes immenses. Il vit depuis une quinzaine d’années à Genève, où il travaille dans la grande entreprise de bâtiment Induni SA. Le fil rouge de sa vie: une passion et un talent exceptionnel pour le trail, c’est-à-dire des courses à pied en pleine nature sur de très longues distances. «Je cours pour le plaisir, confie Dawa, et je n’ai jamais trop compris l’importance qu’on accorde à la première place». C’ Dachhiri Dawa Sherpa, lors du trail des «Aiguilles Rouges». 64 N U M É R O 3 3 est un destin à part, une affaire de karma. C’est l’histoire d’un jeune garçon né dans un hameau, Taksindu, perdu dans la vallée du Solu, à l’est du Népal. Une région très pauvre, nichée à plus de 2500 mètres, où les gens subsistent difficilement en cultivant les champs et en élevant quelques vaches. Dawa naît dans une famille de neuf enfants; son enfance sera rude et heureuse. Dès 5 ans, il parcourt dix à quinze kilomètres par jour pour conduire le troupeau ou pour vendre les produits de la terre dans les villages alentour. «On était un peu sales, on était de la montagne, mais on était fiers de nos origines, confie Dawa à Luc Beurnaux, qui lui a consacré un livre, «Les cinq vies de Dachhiri Dawa Sherpa» (Outdoor-Editions). C’est une expérience de vie très importante à mes yeux. Aujourd’hui j’ai tout, mais si un jour je dois revenir à des conditions de vie beaucoup plus modestes, telles que je les ai connues enfant, je sais que je pourrai les affronter et survivre, grâce à ce que j’ai vécu tout jeune». Dawa vit au grand air, en communion avec la nature, dans un monde qui respire la spiritualité. A 10 ans, il réussit à entrer dans l’école monastique de son village. Apprentissage de la méditation, mais aussi découverte des arts martiaux, karaté et kung-fu. «Cet enseignement vaut largement un diplôme en Occident», explique-t-il. La mort brutale de son père met fin à cette vocation monastique, qui ne correspondait pas tout à fait au besoin de mouvement et de liberté du jeune homme. A 15 ans, Dawa va se lancer dans une nouvelle vie: «Elle passera par la montagne et ses sentiers d’altitude, explique Luc Beurnaux, le seul autre univers auquel Dawa s’est frotté avant d’entamer sa parenthèse monastique». C’est l’époque où le trekking devient à la mode. Les Occidentaux rêvent de conquérir les sommets de l’Himalaya, mais ils ont besoin de guides «Dawa est toujours de bonne humeur. Je l’appelle notre distributeur de bonheur». Robert Gallay, vice-président associé de la société Induni. J U I L L E T – S E P T E M B R E 2 012 65 Les Acteurs de l’Immobilier Les Acteurs de l’Immobilier La maison des parents de Dawa, dans le village de Chulemo Taksindu, région du Solu Everest. Le ski de fond, découverte «helvétique» (photo prise lors de la préparation des Jeux olympiques de Turin, en 2006). locaux, capables de porter sur leur dos des charges énormes, jusqu’à 45 ou 50 kilos, et de les orienter dans cet univers extrême. En devenant sherpa, Dawa va surtout entrer en contact avec le monde entier. Car les touristes viennent de partout; ils incarnent l’ouverture, l’appel du grand large! «Ca m’intéressait de visiter le Népal de cette façon-là, dit Dawa. Et j’ai pris le goût, au fil du temps, de côtoyer d’autres nationalités. Lors de mes sorties en montagne, je demandais aux touristes que j’encadrais de me décrire la vie de leur pays, ou de m’apprendre des mots étrangers, et j’en gardais une trace dans un carnet». Mais Dawa va trouver sa véritable voie un peu par hasard: en 1994, il participe au premier Super Ma- 66 N U M É R O rathon de l’Himalaya, une course à pied au cœur des montagnes. «Nous, on était fiers de courir en altitude, se souvient-il, on se pensait un peu supérieurs par rapport à ceux qui ne vivaient pas en altitude. J’étais étonné de voir combien ce sport était si simple à pratiquer; pourtant personne ne s’y adonnait au Népal. Il faut dire qu’on se bat déjà pour manger et survivre, donc on comprend facilement que ce genre de loisir ne soit pas primordial. Et cela ne rapporte rien, au Népal, de courir». Une première course difficile, mais la révélation d’un sport qui lui plaît. Et puis la rencontre avec une femme pleine d’énergie, Annie, une Genevoise qui travaille dans une agence de trekking. Un an plus tard, Dawa prend l’avion pour retrouver 3 3 son amie à Genève… «J’avais l’impression d’y être déjà passé avant, explique le sherpa, qui croit bien sûr à la réincarnation. Tout ce qu’on m’avait raconté correspondait à ce que découvrais». Dawa va gagner son nouveau paradis à la force de ses jambes: il multiplie les courses de trail et accumule les victoires, au point de devenir un champion légendaire. «Je cours pour le plaisir, dit-il en souriant, dans un français parfait. J’ai aussi la chance de me retrouver en pleine nature et de découvrir des coins magnifiques». Le jeune sherpa épouse Annie l’année suivante et ils s’installent dans un appartement à Chêne-Bourg, à côté de Genève. Mais comment gagner sa vie en Suisse quand on vient d’une pauvre vallée du Népal? C’est le destin, là Dawa, lors de la course dans son village, avec une petite fille de parents intouchables. Il fait parrainer ces enfants pour qu’ils puissent aller à l’école. Il a déjà fait parrainer deux enfants par des gens du sud de la France. encore, qui va prendre les choses en mains. Philippe Rossier, un athlète suisse qui l’a croisé dans une course dans l’Himalaya, parle de Dawa à son employeur, Robert Gallay, patron de la célèbre entreprise de bâtiment Induni. Rencontre et amitié immédiate! «Je n’avais pas besoin de personnel à l’époque, se rappelle le patron d’Induni, mais j’ai senti que Dawa allait s’intégrer rapidement dans nos équipes. Le bâtiment, ça reste un métier d’hommes! Les gens viennent de pays différents, il y a encore un esprit d’équipe et des rapports francs et directs. Je savais que cela allait convenir à Dawa». Depuis lors, Dawa mène deux vies en parallèle: son travail chez Induni, où il a appris tous les aspects de la construction, et sa passion intacte Lors de la course les Volcans de l’Extrême, sur l’île de Java, dans la grande Caldéra du Bromo, en Indonésie. pour les courses de trail. Il y a un mois, il a remporté la Transjurane, une balade de 72 kilomètres. Il a découvert aussi, depuis une dizaine d’années, le ski de fond, un sport qui correspond bien à sa capacité d’endurance, même s’il exige une technique très particulière. Qu’importe, il a déjà réussi à participer deux fois aux Jeux olympiques, dans la petite équipe du Népal, et il espère bien se qualifier pour les prochains Jeux olympiques de Sotchi, en Russie, en 2014! Chaque année, il retourne à deux reprises dans son village du Népal, chez les siens, dans ce monde qu’il n’a quitté finalement que pour mieux le faire connaître et aimer autour de lui. n «C’est sur le lac sacré de Dukhunda que Dawa a fait le vœu de quitter le Népal et de visiter le monde. Chaque fois qu’il y revient, il n’oublie pas de remercier les dieux du «Lac de lait». François Valle J U I L L E T – S E P T E M B R E 2 012 67