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LA MISE EN SCÈNE
L'Atelier
Auteur
Erika Haglund
Date
2010
Descriptif
« ATELIER RACONTÉ » : LE POINT DE
VUE
Témoignage d'un réalisatrice intervenante sur la question du point de vue : présentation de démarches menées dans le
cadre d’ateliers de découverte cinéma destinés aux enfants et aux adolescents.
« Très souvent, au cours de mes interventions d’éducation à l’image auprès d’un public adolescent (collégiens,
lycéens), je me suis aperçue que les jeunes spectateurs de films ne savaient pas ce qu’était un réalisateur. C’est
même le dernier cité dans la liste de ceux qui travaillent sur un film et on ne sait pas très bien ce qu’il fait. Il est confondu
avec le producteur ou se limite à la direction d’acteurs. Pourtant, sans réalisateur, pas de film. Et ce qui fonde le travail du
réalisateur et fait de lui un cinéaste, c’est bien la notion de point de vue. Non au sens d’opinion, mais bien de « point de
regard », comme il y a un « point d’écoute » des événements sonores. Cette notion de point de vue, je tente, à chacune de
mes interventions, de la faire comprendre aux jeunes gens que je rencontre.
Un exercice que j’ai souvent pratiqué consiste en un petit travail de découpage. A partir d’une page de scénario (par
exemple la retranscription de la scène d’ouverture des 400 coups de François Truffaut, où circule dans la classe, à l’insu
du maître, une photo de pin-up ; ou la scène de Psychose d’Alfred Hitchcock dans laquelle Marion arrive au motel et
cherche où cacher l’argent dérobé), nous faisons d’abord tous ensemble une lecture à voix haute. Puis nous nous
interrogeons sur la mise en espace de la scène à jouer. Comment vont se déplacer les comédiens ? Où mettre en place les
éléments de décors (rudimentaires, ce sont en réalité une table, une chaise, un classeur) ? Les jeunes comédiens jouent
alors la scène, plusieurs fois, jusqu’à ce qu’ils se sentent à l’aise et commencent à prendre du plaisir. Je demande alors au
groupe d’imaginer que nous avons une caméra et pose la question suivante : comment pourrait-on filmer cette scène ? Où
placer une caméra ? En général, les réponses fusent : chacun a son idée en tête, d’un plan d’ensemble un peu théâtral, à
des mouvements de travelling complexes. Peu à peu, l’idée qu’il pourrait y avoir plusieurs plans, c’est-à-dire qu’on va
pouvoir arrêter la caméra, la déplacer et reprendre l’action - ceci en fonction de ce qu’on veut montrer - se fait jour. La
notion de « découpage » prend sens. Et avec elle, celle de « point de vue » commence à germer. Chaque élève a sa propre
idée de la façon dont il filmerait la scène : plan-séquence ou découpage, valeurs des plans, hauteur de caméra, mais aussi
direction d’acteurs, mise en scène dans l’espace…
Nous tournons alors la scène (si nous avons une caméra) et la montons rapidement si cela est possible, puis les jeunes
vont la confronter à la scène telle qu’elle existe dans le film d’origine. Ainsi, après avoir eux-mêmes joué la scène des 400
coups, les jeunes peuvent-ils découvrir Jean-Pierre Léaud jouant le jeune Doisnel (« Tiens, c’est toi ! » ricanent-ils souvent)
et être attentifs à tous les choix de François Truffaut, qui privilégie un découpage en peu de plans avec travelling. Ils
peuvent se dire: « Lui, il a fait ça comme ça ! » Le regard gagne en acuité et, dès lors, l’analyse de film devient
passionnante.
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Après avoir eux-mêmes été confrontés à de petits tournages, même très simples, les élèves deviennent des spectateurs
très alertes. Ainsi, regardant le début d’Elephant, de Gus Van Sant, des élèves de 3e ont très rapidement remarqué la
position dominante de la caméra, qui surplombe légèrement les personnages, en travelling avant. La référence au jeu vidéo
surgit tout naturellement ainsi que la prise de conscience d’un sentiment d’inquiétude. Le choix des comédiens (un ange
au visage de poupon) et des costumes (la croix blanche du sweat qui « cible » l’élève secouriste) ; le décor (couloirs du
lycée interminables et déserts) ; le travail du cadre, dans lequel les adultes ne rentrent pas : tout prend sens d’un coup
dans le regard des élèves. Ils comprennent que tout était affaire de « choix » et donc relevant du point de vue du
réalisateur. Désormais, à leurs yeux, chaque détail compte : accessoire, événement sonore ou mouvement de caméra. Le
langage du film est rendu visible et l’idée que Gus Van Sant utilise ce langage pour questionner le massacre de Columbine
devient tangible.
Quand les adolescents sont confrontés eux-mêmes à un travail de réalisation dans des ateliers plus longs, cette notion
s’enrichit encore. Dès le travail de construction du scénario, les questions qui se posent sont celles du point de vue, liées
au récit :
➢ Qui vit cette histoire ?
➢ Qui la raconte ?
➢ Avec qui veut-on que le spectateur s’identifie ?
➢ A quel endroit se place-t-on pour la raconter?
➢ Que veut-on dire à travers l’histoire mise en place ?
A l’épreuve du tournage, on retrouve les choix liés au découpage mais on questionne également avec acuité la notion de
cadre. Cadrer, c’est faire entrer dans le champ de la caméra un morceau de réel. Dès lors :
➢ Qu’y met-on, ou pas ?
➢ Qu’est-ce qui rentre dans le cadre, qu’est-ce qu’on laisse hors-champ et pourquoi ?
➢ Que prendra en charge l’image et que prendra en charge le son ?
A nouveau, les choix sont multiples et autour de la caméra on se dispute souvent le choix du cadre, dans les moindres
détails : affaire de goût, affaire de point de vue sur l’histoire à raconter. Les apprentis réalisateurs se posent des questions
fondamentales :
➢ Veut-on que les personnages cohabitent dans l’espace du cadre, veut-on les isoler ?
➢ Veut-on filmer les corps en entier, les morceler ?
➢ Verra-t-on celui qui parle ou celui qui écoute ?
➢ Quelle place choisir pour filmer un paysage ?
➢ En fonction de quel regard ?
➢ Que cela raconte-t-il ?
Arrivés au montage, le choix de la bonne prise tout autant que celui de la forme et du rythme à donner au film (il faut
parfois savoir s’éloigner du scénario de départ pour mieux retrouver l’intention première du réalisateur) sont de nouveau
affaire de point de vue.
Les possibilités sont multiples, des décisions devront être prises qui donneront sa forme définitive au film. Ces choix seront
dorénavant gravés sur la pellicule et le spectateur ne se doutera même pas des hésitations ou des questions qui ont
accompagné la fabrication du film. Lui voit une œuvre terminée, signée, avec un style propre.
Évidemment, là où seul le réalisateur sait ce qu’il veut, une réalisation de groupe est parfois conflictuelle ou faite de
compromis !
Dans toutes ces expériences de cinéma, il y a en tout cas la prise de conscience pour un jeune public que derrière chaque
image fabriquée, il y a une personne, un regard, un choix (ce qui n’exclut pas un travail d’équipe, bien sûr !). Un film est
bien le fruit d’un désir, celui d’une femme ou d’un homme, qui nous donne son regard sur le monde ».
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