SOLITUDE Rien, plus rien ne viendra jamais

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SOLITUDE Rien, plus rien ne viendra jamais
SOLITUDE
Rien, plus rien ne viendra jamais combler ce désespoir inscrit dans la chair tendre. La peau se
ressent parfois comme vide, jamais pressée, jamais étreinte donc sans contour.
Lorsque le sentiment de solitude s'installe c'est comme si cette peau devenait lâche, élastique,
se détendait pour prendre un contour dilué, voire même pourrait se répandre, là sur le sol, et
être anéantie par qui lui marcherait dessus...
C'est l'angoisse de la non existence par l'absence de limite donnée à soi, par cette expérience
inconnue d'avoir sans doute été un peu tenue, contenue.
Qu'il a fallu du temps pour comprendre ce processus !
Les pleurs jadis venaient chauffer cette peau flétrie et nourrissaient de ses chants, le vide
ancestral. S'enrouler sur eux, s'y calfeutrer comme une certitude au moins. Se lover dans les
larmes chaudes et salées pour sentir au moins une chaleur, la sienne peut-être, mais une
chaleur certaine et paradoxalement réparatrice; unique moyen de reconnecter l'inexistant de
l'enfant enfui.
Parfois encore aujourd'hui, ces larmes se déroulent sur les joues, plissant les yeux témoins
d'une vieille habitude.
Que de mers remplies, que de lacs nourris. Comment le corps peut-il produire autant d'eau
sans s'assécher jamais ?...
Insécurité presque cellulaire qui ne permet pas de se sentir exister en dehors de l'autre ;
n'ayant goûté ne serait-ce qu'une fois de la plénitude de la mère aimante et pleine, la quête
pendant tout un temps est éperdue.
Comme s'il fallait à tout prix tenter cette expérience perdue ; la connaître, la savourer, y
mettre sa tête, comme on le ferait dans le cou chaud et odorant de la mère, s'y pelotonner, s'y
prendre, s'y perdre. Alors on cherche cet autre qui pourra donner ce fruit en vain…On
s’égratigne aux ronces de l’illusion amoureuse tellement ce que l’on cherche n’y est point.
L'autre comme mère de remplacement y perd la tête et s'enfuit à tout rompre. Méprise
tellement de fois répétée, qu'à la fin on s'arrête et s'interroge sur cette impasse absolue.
Bien, ce sentiment de solitude, l'autre n'y pourra jamais rien, il n'a même pas le goût du
paradis perdu puisqu'il n'a jamais existé, il a le goût du rêve, de l'absolu inaccessible. Il faut
en faire le deuil...
Triste affaire, sinécure, faire le deuil de ce que l'on n'a jamais eu… Laisser sur le bord du
chemin ce que la mère aurait pu donner mais qu'elle n'a pas pu elle aussi, sans doute enfermée
dans une chaîne dont elle n'a rien su. Ce sentiment de solitude a le goût de ce moi en pointillé,
ajouré, dont seul l'autre aurait pu, croyait-on, finir le contour.
Alors ce contour hésitant trouve refuge sur la feuille de papier, dans la beauté de l'espace qui
parfois l'environne, dans le sourire d'un inconnu qui passe sur le trottoir d'en face, dans la
main qu'un enfant pose sur la sienne, dans la fleur qui promet le fruit, dans le rouge du
couchant et la douceur prometteuse du printemps.
Peu à peu, apprendre à se rassasier de rosée d'amour à défaut de la brassée tant attendue,
apprendre à se nourrir de son suc tissé par la force d'échanges privilégiés, à déambuler sur ce
fil solitaire en y trouvant même parfois joie, allégresse et plénitude. Parvenir à la patience
presque sans peur, ne plus attendre cet amour, mais se nourrir des fils tendus de l'amitié et
continuer à croire qu'un jour la douceur comblera les matins blêmes.
Bach est là aussi, dans sa forte rectitude, aux confins de l'âme qui croit et espère, désespère
aussi. Berçant l'enfant perdu et pointant de son archer les tréfonds de ce qui ne peut se dire,
mais juste s'éprouver l'espace d'un soir au creux des flammes qui crépitent dans l'âtre.
Plénitude d'un instant qui déjà s'en va mais marque le coeur du seau des possibles dans cette
existence imprudente et tellement mystérieuse que sans cesse on cherche pour parfois trouver
le sens ténu de ce qui nous maintient vivant malgré tout.
Pauline Olphe-Gaillard

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