CREATION de VALEUR dans une STARTUP: MODELE et
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Business School WORKING PAPER SERIES Working Paper 2014-263 CREATION de VALEUR dans une STARTUP: MODELE et ETUDE de CAS Guillaume MARCEAU Jean-Michel SAHUT http://www.ipag.fr/fr/accueil/la-recherche/publications-WP.html IPAG Business School 184, Boulevard Saint-Germain 75006 Paris France IPAG working papers are circulated for discussion and comments only. They have not been peer-reviewed and may not be reproduced without permission of the authors. CREATION de VALEUR dans une STARTUP: MODELE et ETUDE de CAS Guillaume MARCEAU* et Jean-Michel SAHUT ** RESUME Dans cet article, nous proposons un modèle de création de valeur fondé sur le principe de la chaîne de valeur en gestion d'entreprise. Nous nous attachons notamment à montrer l'incidence d'une allocation pertinente des ressources d'une entreprise sur sa rentabilité, en distinguant d'une part les activités directement profitables et d'autre part celles qui ont une fonction de support. Cette distinction est appliquée à l'étude d'une société de services en ingénierie informatique, en termes d'équilibre interne et de potentiel de développement. MOTS CLES Gestion, chaîne de valeur, création de valeur, entrepreneuriat, activités opérationnelles et fonctionnelles, SSII, équilibre interne, potentiel de développement. ABSTRACT In this article, we propose a value creation model based on the principle of the chain of value in corporate management. We particularly endeavour to show the incidence of a relevant allowance of a company's resources on its profitability, by distinguishing on one hand the activities that are directly profitable and on the other hand those which have a support function. This distinction is applied to the study of a services company in computer engineering, in terms of internal balance and potential of development. KEY WORDS Management, chain of value, value creation, entrepreneurship, operational and functional activities, SCCE, internal balance, potential of development. ______________________________ * Professeur associé; Université d'Aix-Marseille. ** Professeur; HEG Genève & IPAG Business School. 2 1. INTRODUCTION: CREATION de VALEUR ECONOMIQUE La crise financière qui a éclaté en 2008 est couramment dénoncée comme la cause de nombreux dysfonctionnements économiques actuels. On est toutefois en droit de se demander si la relation de cause à effet ainsi énoncée est véritablement explicative de la réalité économique, ou s'il existe d'autres liens entre finance, production et consommation. Les bulles financières, la crise des "subprimes", ou encore les faillites de banques comme Lehman Brothers ont effectivement eu des répercussions sur la plupart des secteurs économiques. Mais en approfondissant cette analyse, il apparaît que la principale erreur d'appréciation commise par de nombreux investisseurs et organismes financiers concerne le lien entre la valeur nominale des titres en circulation et la valeur économique représentée. On peut donc considérer en l'occurrence qu'il s'est agi d'un manque de valeur créée autant que d'un excès de produits financiers générés et utilisés. En effet, la vocation des marchés financiers n'est pas seulement de fournir des capitaux aux entreprises qui doivent se développer dans l'avenir; il leur incombe aussi de représenter au quotidien la valeur économique effectivement disponible. Afin d'éviter que cette valeur économique fasse défaut, il convient d'en définir la nature et les mécanismes de création. C'est dans cette perspective que s'inscrit notre étude. Nous proposons ici un modèle de gestion consacré au développement des entreprises, de leur production et de leur rentabilité. Ce modèle général est utilisé dans ce qui suit afin d'expliquer l'évolution d'une startup créée au milieu des années 2000 dans les domaines de l'édition logicielle et des services informatiques à l'intention de professionnels. Les perspectives de développement de l'entreprise sont analysées en utilisant le même modèle. Ce modèle, comme celui de la "chaîne de valeur" proposé en 1980 par Michael PORTER, permet de situer les activités de toute entreprise et d'évaluer leur contribution à sa rentabilité. Il s'agit d'un modèle général qui n'est pas dédié aux petites structures ou aux entreprises récemment créées. La version présentée ici a néanmoins la particularité de représenter distinctement le cœur de métier de l'entreprise, dont la prédominance est particulièrement marquée lors de sa création. Cette modélisation de la création d'entreprises et de la création de valeur vise à déterminer les conditions d'un "développement économique durable" au sens propre, c'est-à-dire un contexte dans lequel l'activité humaine est systématiquement encouragée et génératrice d'une valeur économique dont la somme est constamment croissante. L'élaboration d'un tel contexte, quelle que soit l'échelle à laquelle on l'envisage, suppose: une définition précise de la valeur économique, une description du mécanisme de création de cette valeur, l'application de ce mécanisme aux entreprises du système économique étudié, voire au système économique lui-même. 3 2. De l'ACTIVITE ECONOMIQUE à la CREATION de VALEUR Pour tout consommateur, la valeur d'un bien provient du service qu'il lui rend plutôt que de son coût de production, généralement ignoré. Ainsi, préférant l'usage du bien à la possession de la somme correspondant à son prix, le consommateur ne s'estime pas lésé au moment de l'achat, même si le producteur réalise à cette occasion une marge élevée. D'un point de vue dynamique, on constate habituellement qu'avant cette transaction et à la suite de celle-ci, des ajustements du prix ont lieu, en fonction du nombre d'offreurs et de demandeurs (WALRAS, 1874). Cette application de la loi de l'offre et de la demande dans un contexte concurrentiel fait peser un poids sur les prix: la rentabilité de l'activité de production attire des concurrents, l'augmentation du nombre de concurrents fait baisser les prix. Afin de garder une certaine maîtrise des prix qu'il peut pratiquer, le producteur peut s'efforcer d'échapper, au moins en partie, à ce phénomène en recherchant un "avantage concurrentiel défendable" (PORTER, 1980). Un tel avantage peut être obtenu notamment en différenciant autant que possible son offre du reste du marché, selon le modèle dit de "concurrence monopolistique", ou en maintenant une avance technologique ou commerciale par rapport à ces concurrents. La mise en œuvre de ces deux démarches est fortement tributaire du secteur d'activité concerné comme le montrent les modèles de "stratégies génériques" (PORTER, 1980) et de "systèmes concurrentiels" (Boston Consulting Group, 1980, LOCHRIDGE, 1981). L'obtention d'un avantage concurrentiel décisif peut provenir également des méthodes de gestion de l'entreprise concernée, d'une façon assez largement indépendante de son secteur d'activité et quelle que soit la marge de manœuvre en matière de prix. Bien qu'il soit généralement possible de faire un benchmarking de ces méthodes, leur application peut toujours conférer au producteur une compétitivité accrue à long terme. La marge ainsi réalisée par le producteur provient de plusieurs activités permettant d'obtenir une offre et une gestion optimales par: l'observation des attentes des consommateurs en termes de qualité, de quantité et de prix, la combinaison des facteurs de production (capital et travail) permettant de réaliser l'offre ainsi définie, la définition d'un positionnement et d'une stratégie concurrentielle à plus ou moins long terme. Dès lors que le producteur a payé ses fournisseurs et ses salariés et qu'il a lui-même été payé par ses clients, son bénéfice éventuel peut donc être considéré comme la récompense de son activité et de la pertinence de ses choix. A l'inverse, il faut noter à ce sujet qu'aucune entreprise privée (et non subventionnée) ne peut se permettre de rester longtemps en déficit, sous peine de disparaître. Dans cette perspective, il apparaît que les bénéfices réalisés sont légitimes autant que nécessaires. La question que l'on peut encore se poser concerne le niveau de ces bénéfices. En effet, il est courant d'entendre des journalistes ou des hommes politiques dénoncer les "supers-bénéfices" réalisés par telle ou telle entreprise. Si l'on admet les principes qui précèdent et que l'entreprise concernée les met effectivement en œuvre, c'est-à-dire qu'elle ne vole personne, alors de "supers-bénéfices" ne peuvent être que le fruit d'une "super-gestion". 4 Il convient de préciser qu'une bonne gestion, voire une "super gestion" n'a rien à voir avec une recherche systématique de compression des effectifs visant à accroître la rentabilité de l'entreprise. En effet, si l'évolution de certains secteurs, notamment d'un point de vue technologique, entraîne une répartition des moyens de production en faveur du capital et au détriment du travail, cela peut tout à fait s'accompagner d'une hausse globale du nombre d'emplois sur un ensemble de secteurs. Quoi qu'il en soit, la logique de développement d'une entreprise quelle qu'elle soit consiste à fédérer les meilleures compétences et le plus de capacités possibles, dès lors qu'il existe des débouchés pour sa production. Ce sont justement ces débouchés qui attestent de la pertinence économique et donc de la valeur réelle de ce qui est produit. En effet, dès lors que les consommateurs d’un bien sont disposés à le payer plus cher que ce qu'a coûté sa production, on peut considérer que la valeur produite est supérieure à la valeur consommée au cours de l'activité de production. Il y a donc bien là une création de valeur dont le niveau est mesurable par simple comparaison entre la valeur existant avant et celle existant après l'activité de l'entreprise. Les activités de production ne sont pas les seules activités permettant de créer de la valeur. En effet, le commerce au sens de simple échange permet également de créer des utilités nouvelles. Comme nous venons de le voir, lorsque le consommateur échange une somme d'argent contre le bien qu'il achète, l'utilité de ce bien est pour lui supérieure à celle de la somme dépensée; de son côté, le vendeur considère la somme reçue comme étant d'un intérêt supérieur au bien vendu. Il y a donc eu une augmentation du niveau de satisfaction de chaque agent économique. Si l'on admet qu'une augmentation de valeur provient d'une augmentation du niveau de satisfaction d'au moins une personne, on admet alors le principe de la productivité du commerce. Fig. 1. La valeur au cœur du système économique Qu'il s'agisse de production matérielle et immatérielle, ou de commerce, il apparaît bien que la valeur économique se définit en termes d'utilité, de satisfaction, ou encore de bien être. Selon Frédéric BASTIAT (1850), l'harmonie économique et sociale consiste pour chacun à se mettre au service des autres tout en trouvant son intérêt dans la rémunération de son travail. Dans ce qui précède, nous avons étudié plusieurs aspects de la valeur économique: sa perception et sa raison d'être d'un point de vue individuel, sa traduction et sa mesure (habituellement effectuées en termes monétaires), son rôle dans la gestion des entreprises, son rôle socioéconomique. Il convient à présent d'analyser le mécanisme de sa création. 5 3. ENTREPRENEURIAT et VALEUR AJOUTEE Dans ce qui suit, nous abordons le mécanisme de la création de valeur dans l'entreprise sous l'angle de l'agencement et des interactions de ses différentes composantes. La mise en évidence de ce mécanisme précède son application au cas d'une startup de type SSII. Nous nous attacherons notamment à montrer la logique et les avantages d'une telle approche en vue d'optimiser l'allocation des ressources de cette entreprise. Comme nous l'avons vu, la valeur d'un bien ne se limite pas à la somme du travail accompli et du capital utilisé au cours de sa production. En revanche, ce calcul est nécessaire pour estimer la rentabilité et donc la pertinence d'une activité économique. En effet, la marge dégagée par une entreprise permettant de mesurer sa création de valeur, ce sont les organisations les plus largement bénéficiaires qui sont le plus utiles au développement de l'économie dans son ensemble. Avant même qu'une entreprise paie des impôts sur ses bénéfices, elle a prouvé sa contribution au développement de l'économie régionale ou nationale à laquelle elle appartient du fait même qu'elle génère les bénéfices en question. Quelle que soit ensuite l'affectation des bénéfices, on peut parler en l'occurrence de véritable "poule aux œufs d'or". Le mécanisme de génération de la marge ou de la valeur a été notamment mis à jour par Michael PORTER en 1980 sous la dénomination de "chaîne de valeur" de l'entreprise. Dans ce qui suit, nous présentons un schéma inspiré de celui de PORTER, mettant en évidence la dualité de ce mécanisme de création. La distinction qui est faite ici porte sur la contribution directe ou indirecte des activités étudiées à la création de valeur. Les activités permettant de générer directement une valeur qui sera facturée aux clients de l'entreprise sont appelées "opérationnelles", tandis que celles ayant pour rôle d'assurer le soutien et le développement des premières sont appelées "fonctionnelles", selon la terminologie proposée en 1990 par Raymond-Alain TIETART. Comme on peut le constater sur le schéma ci-dessous, les activités opérationnelles ne représentent que deux grandes fonctions de l'entreprise, à savoir la production et le commerce; les autres activités ayant essentiellement pour rôle de fournir des moyens de fonctionnement et de développement des deux premières. Il faut aussi noter qu'une subdivision existe au niveau des activités fonctionnelles. Tandis qu'il y a bien deux activités opérationnelles, on peut distinguer deux ensembles d'activités fonctionnelles: d'une part celles dédiées aux activités opérationnelles, d'autre part celles ayant un caractère transversal, c'est-à-dire qui servent à l'ensemble de la structure. Activités fonctionnelles Activités transversales: Management Stratégique, Finance, GRH, Système d'Information Activités dédiées: Marketing / Communication, Recherche & Développement Production Commerce Activités opérationnelles Fig. 2. Mécanisme de création de valeur dans l'entreprise Génération de la marge 6 Le caractère "principal" des activités opérationnelles, selon la terminologie de PORTER (1980), peut être vérifié dès la création de l'entreprise elle-même. En effet, si l'on hiérarchise les actions et les éléments permettant de parvenir à la création d'une entreprise, on se rend compte d'une double logique: celle du créateur de l'entreprise qui part d'une idée de production liée à une compétence et à des moyens de production, pour confronter ensuite cette idée à la réalité du marché; celle qui est notamment à la base du marketing (BUTLER, 1907), selon laquelle il convient d'étudier le marché afin d'en déduire la production la mieux adaptée à ce dernier. L'entrepreneur a ainsi intérêt à renverser l'ordre de ses actions en mettant le marché au départ de sa réflexion, c'est-à-dire à optimiser la vente avant de chercher à optimiser la production. Une fois cet ordre de priorité établi, l'entrepreneur dispose des éléments nécessaires au lancement de son activité. En effet, ayant construit les deux fonctions véritablement vitales de son entreprise, il peut acheter toutes les autres fonctions à des tiers. De la comptabilité au conseil en stratégie en passant par le recrutement, toutes les prestations correspondant aux activités fonctionnelles de l'entreprise peuvent aisément être "externalisées" dès lors que le cœur de métier de l'entreprise, déterminé par ses activités opérationnelles, est cohérent et performant. Afin de mettre correctement en œuvre ce principe, il convient de préciser l'aspect relatif de la répartition des activités entre opérationnel et fonctionnel lorsqu'on passe d'un secteur économique à un autre. En effet, un type d'activité ne se situe pas par définition dans l'une ou l'autre catégorie. Par exemple, pour une entreprise industrielle, la comptabilité ne peut être qu'une activité fonctionnelle, mais qu'en est-il pour un cabinet comptable? A l'inverse pour ce dernier, la vente et la production de services de comptabilité représentent son cœur de métier. Il faut aussi noter que pour le même cabinet comptable, l'établissement de ses propres comptes représente toujours une activité fonctionnelle. Cette séparation ne vise pas simplement à distinguer l'essentiel de l'accessoire, elle constitue un véritable outil pour le contrôle de gestion qui sert à identifier d'une part ce qui va permettre de générer le chiffre d'affaires et la marge de l'entreprise, d'autre part les activités qui, bien que nécessaires, ne font que coûter à l'entreprise sans rien lui rapporter de façon directe. On retrouve le même raisonnement dans la comptabilité analytique qui a justement pour vocation de permettre un pilotage rationnel de l'entreprise. Il est question dans ce domaine: des sections principales dédiées à la production, l'approvisionnement ou la distribution (ces deux derniers aspects représentant bien l'activité commerciale de l'entreprise) et des sections auxiliaires dont l'activité profite à l'ensemble de l'entreprise (c'est-à-dire à ses sections principales ou auxiliaires). Par exemple, les activités de système d'information ou de marketing ne sont pas rentables en elles-mêmes; elles sont mêmes consommatrices de ressources, mais elles permettent par ailleurs de rentabiliser les activités opérationnelles. De même, la gestion comptable et financière de l'entreprise est bien une nécessité, tout autant qu'elle est consommatrice et non génératrice de richesse. Même si l'on considère un placement de trésorerie qui rapporte de l'argent grâce à l'activité d'une direction financière, il faut considérer dans ce cas qu'à titre exceptionnel l'entreprise s'est dotée d'une activité opérationnelle de type financier. La frontière entre opérationnel et fonctionnel n'a donc rien d'ambigu et peut toujours être identifiée. Par ailleurs, il convient de préciser la présence systématique des activités productives et des activités commerciales dans la partie opérationnelle d'une entreprise. En effet, même une entreprise d'import-export, dont le rôle se limite à acheter à un endroit pour revendre plus cher à un autre endroit, a une activité de production de services consistant à mettre à disposition de ses clients des produits auxquels ils n'auraient pas eu accès sans elle. De même, une entreprise tournée essentiellement vers des productions industrielles et qui décide d'en externaliser la distribution auprès de ses clients finaux doit aussi en assurer elle-même la vente à des distributeurs (aussi appelés "revendeurs"). 7 4. CAS d'une SOCIETE de SERVICES en INGENIERIE INFORMATIQUE Cette partie est consacrée à l'étude des données de gestion d'une entreprise sur une dizaine d'années d'exercice, en partant de la date de sa création. Les résultats des sept premiers exercices ont été fournis par la Direction de l'entreprise, tandis que les trois derniers ont été estimés en accord avec celle-ci. Bien que l'exercice fiscal de l'entreprise étudiée concerne habituellement la période allant du 1er septembre de chaque année au 31 août de l'année suivante, les résultats et estimations fournis ci-après portent sur les années calendaires. Cette étude a été effectuée afin de montrer, d'une part, l'intérêt du modèle qui précède en tant qu'outil d'analyse des équilibres internes et des flux de valeur dans l'entreprise, d'autre part, la capacité de ce modèle à fournir des prévisions en matière de rentabilité et de développement. La société Noidland (société à responsabilité limitée) a été créée le 22 mars 2005 avec comme objet de développer et de commercialiser les logiciels et protocoles de communication élaborés par son créateur. A ces activités se sont naturellement ajoutées celles de distribution et de maintenance informatique, ainsi que d'hébergement distant d'applications. Cette société de services en ingénierie informatique a connu un développement très progressif caractérisé par de forts investissements dans son outil de production. La "culture d'ingénieur" de son créateur l'a naturellement amené, au cours des premiers exercices, à se consacrer plus volontiers à son art (essentiellement représenté par l'activité de recherche & développement), plutôt qu'à la prospection commerciale. Les résultats et estimations correspondant à la période étudiée apparaissent dans le tableau détaillé suivant (les charges, produits et marges ci-dessous sont indiqués en euros): Année 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 Activités 1 transv. 6 970 7 783 8 039 8 261 7 999 8 129 7 224 11 302 9 059 10 815 11 023 Rech. & 2 Dvpt. 4 634 17 150 27 305 26 978 27 643 27 824 26 687 18 408 17 960 17 486 17 622 Marketing 3 1 998 4 492 1 541 1 549 2 069 2 073 1 868 6 270 7 320 7 803 7 565 Coûts de 4 prod. 30 485 9 398 2 442 5 527 7 649 2 526 2 034 3 088 4 225 6 045 6 470 Coûts de 5 distri. 993 1 492 1 892 2 544 2 035 2 050 8 196 36 609 41 970 42 435 44 282 Produits 49 744 40 586 43 710 45 630 44 875 46 225 58 168 99 509 108 092 184 406 203 999 6 Marge 7 4 664 271 2 491 771 -2 520 3 623 12 159 23 832 27 558 99 822 117 037 Tab. 1. Résultats et estimations de la SSII Noidland de 2005 à 2015 1 Charges relatives aux activités transversales: administration générale, finance, gestion des ressources humaines et système d'information interne 2 Charges relatives à l'activité dédiée recherche et développement: Elaboration d'outils de développement informatique, développement d'applications et protocoles 3 Charges relatives à l'activité dédiée marketing: études de marché, élaboration et mise en œuvre de la politique commerciale, outils commerciaux, communication commerciale et institutionnelle 4 Achat de matériel distribué, amortissement des matériels utilisés pour réaliser l'offre de services distants, développements spécifiques et adaptation d'applications, maintenance, hébergement d'applications et de bases de données 5 Coûts salariaux et équipement de la force de vente, frais de communication et de déplacement 6 Ensemble des recettes hors taxes: produits d'exploitation, dont chiffre d'affaires et subventions, produits financiers et exceptionnels 7 Résultat net de l'exercice: bénéfice ou perte 8 En tant qu'activité fonctionnelle selon notre modèle, la recherche & développement a effectivement accru le potentiel de rentabilité de la société, tandis que ce potentiel est resté assez largement sous-exploité. Cette répartition des ressources est explicative du développement modeste de l'entreprise de 2005 à 2011. L'amorçage de la croissance du chiffre d'affaire et des bénéfices de la société en 2011 coïncide très nettement avec l'aboutissement de ses principaux projets de développements informatiques et avec la réallocation concomitante de ses ressources, principalement en faveur de sa force de vente. La confirmation de cette nouvelle politique en 2012 porte déjà ses fruits et la Direction de l'entreprise compte à présent profiter de son avance et de son indépendance technologiques chèrement acquises pour dépasser ses principaux concurrents, au moins en ce qui concerne sa rentabilité. En effet, l'investissement initial de l'entreprise en recherche et développement lui a permis de réduire ses coûts de production de façon très significative et durable. Noidland propose aujourd'hui à ses clients des applications complètes dont elle maîtrise les fonctionnalités, sans avoir à supporter les coûts de licence d'autres éditeurs, ni devoir s'équiper de serveurs particulièrement puissants et surtout coûteux. Les capacités de traitement et de mémoire demandées par les applications développées par Noidland sont extrêmement modestes, tandis que les performances de ces mêmes applications sont supérieures à celles des applications concurrentes. Ainsi, les coûts de production de l'entreprise représentent à présent pour celle-ci un avantage concurrentiel majeur. Les données du tableau précédent sont reprises ci-après de façon plus synthétique, afin de permettre une représentation graphique aussi claire que possible. Année 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 Activités fonctionnelles 13602 29425 36885 36788 37711 38026 35779 35980 34339 36104 36210 Activités opérationnelles 31478 10890 4334 8071 9684 4576 10230 39697 46195 48480 50752 Produits Marge Marge en % 49744 40586 43710 45630 44875 46225 58168 99509 108092 184406 203999 4664 271 2491 771 -2520 3623 12159 23832 27558 99822 117037 9% 1% 6% 2% -6% 8% 21% 24% 25% 54% 57% Tab. 2. Synthèse des résultats et estimations de la SSII Noidland de 2005 à 2015 250000 200000 150000 Activités fonctionnelles Activités opérationnelles 100000 Produits Marge 50000 0 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 -50000 Fig. 3. Représentation graphique de la synthèse des résultats et estimations de la SSII Noidland de 2005 à 2015 9 On constate sur le graphique ci-dessus que la profitabilité ne progresse de façon significative qu'après que la courbe des coûts opérationnels ait dépassé celle des coûts fonctionnels. En effet, malgré une certaine hausse globale des charges de l'entreprise, la modification de la structure de ces charges a une nette incidence sur ses ventes et sur sa marge. L'effet de cette incidence apparaît en deux temps: dans un premier temps, la hausse des charges infléchit la courbe de la marge, dans un second temps, l'effort porté sur les activités opérationnelles (commerciales et productives) engendre un accroissement fort et rapide de celle-ci, ainsi que de celle du chiffre d'affaires. Les activités fonctionnelles remplissent ici le rôle qui leur est normalement assigné, c'est-à-dire d'assurer le soutien et le développement des activités opérationnelles. Il convient de préciser de façon plus détaillée que la distinction des activités fonctionnelles dédiées, par rapport à celles ayant un caractère transversal, permet d'identifier le type de soutien dont il s'agit. L'investissement a d'abord concerné l'activité fonctionnelle dédiée à la production (la recherche et développement), puis par la suite et dans une moindre mesure, l'accent a pu être mis sur le marketing. Le rééquilibrage en faveur des activités opérationnelles (outil de production et force de vente) a bien permis à l'entreprise d'accroître ses capacités, tout en limitant ses coûts. La théorie économique des "détours de production" (Von BÖHM BAWERK, 1888) se trouve ainsi vérifiée, mais aussi complétée par les principes de création de valeur qui précèdent. Certes les résultats les plus significatifs de l'essor de Noidland restent à venir, ceux-ci apparaissant essentiellement sur les trois prochains exercices; néanmoins sauf aléa conjoncturel, ces prévisions semblent réalistes dès lors qu'elles présentent une forte cohérence en termes d'équilibres internes. Du point de vue externe ou conjoncturel, les domaines d'activité des SSII semblent globalement bien épargnés par la crise actuelle, et ce particulièrement sur le marché français; malgré un léger ralentissement par rapport à l'année dernière, ce marché est effectivement toujours en croissance en 2012 (BISEUL, 2012). Fig. 4. Evolution des principaux marchés des SSII de 2008 à 2011 (source: Syntec Numérique - IDC) 10 5. CONCLUSION: ENTREPRENEURIAT et PERSPECTIVES ECONOMIQUES Dans ce qui précède, nous avons évoqué le caractère préoccupant de la crise financière de ces dernières années, tout en montrant que les perturbations subies par les marchés financiers apparaissaient plus comme une conséquence que comme une cause de la crise économique. Considérant que la cohérence entre finance, production et consommation repose sur les valeurs créées et échangées, nous avons resitué la création de valeur au centre de la problématique économique. Dans cette perspective, nous avons rappelé les principales définitions économiques de la richesse et étudié ses liens avec les organisations qui en sont à l'origine. Nous avons ensuite détaillé le mécanisme générateur de marge ou de valeur ajoutée, selon une approche entrepreneuriale. A cet effet, nous avons élaboré un modèle synthétique de gestion d'entreprise que nous avons ensuite appliqué au cas d'une SSII. Cette application nous a permis de mettre à jour les équilibres internes de l'entreprise et d'effectuer des estimations basées sur son potentiel de développement et sur les perspectives économiques de son secteur d'activité. Les équilibres mis à jour portaient essentiellement sur le développement des activités opérationnelles en regard des investissements réalisés en faveur de celles à caractère fonctionnel. Dans le cas étudié, le surinvestissement apparent qui a marqué les premiers exercices s'est finalement justifié en termes de compétitivité et de capacités de production. Par opposition, on peut aisément imaginer en appliquant le même modèle, qu'une entreprise qui se serait focalisée sur son organisation interne, sa comptabilité et ses procédures de fonctionnement, pratiquement sans produire ni vendre aucun bien, se serait immédiatement trouvée en faillite. On aurait alors pu dire que cette entreprise, en se focalisant sur ses activités fonctionnelles, aurait oublié ses activités opérationnelles. Ce qui apparaît comme une évidence en matière de gestion d'entreprise pourrait être utilisé en économie comme grille d'analyse des politiques économiques nationales. Une telle transposition permettrait de mettre à jour certains déséquilibres reprochés aux pays dont l'administration surnuméraire contraste avec la faiblesse des secteurs productifs et effectivement rentables. A l'inverse de cet exemple et selon toute vraisemblance, les manques de valeurs à échanger qui apparaissent régulièrement sur les marchés financiers peuvent et doivent être comblés par la multiplication d'entreprises dont la logique de développement se fonde sur une maximisation de la création de valeur économique. Références BASLE, M. (1993) Histoire des pensées économiques. 2 tomes. Sirey. BASTIAT, F. (1850) Harmonies économiques. Guillaumin. BISEUL, X. (2012) Selon Syntec numérique, la France échappe à la récession. 01net Entreprises. 5 avril. BÖHM BAWERK Von, E. (1888) The Positive Theory of Capital. Cosimo, Inc., 2006. GENEREUX, J. (2004) Economie politique. 3 tomes. Hachette. GRANDGUILLOT, F. (1994) Comptabilité analytique et gestion prévisionnelle. Dunod. MARCEAU, G (2000) Modèles de stratégie d'entreprise, perspectives instrumentales et dimension humaine. Thèse, 24 mars 2000, Université Paris II. MARCEAU, G. (2002) Réflexions sur la modélisation économique de la firme. 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