2 Le processus d`élargissement
Transcription
2 Le processus d`élargissement
L’Union européenne face aux défis de son élargissement Introduction : qu’est ce qui définit l’Europe ? I) L’élargissement futur de l’UE 1 Les nouveaux arrivants 2 Le processus d’élargissement (et de retrait) 3 Un élargissement inéluctable ? II) Les problèmes de l’élargissement 1 Les problèmes économiques liés à l’élargissement 2 Les « problèmes » démographiques 3 Les problèmes institutionnels Conclusion : l’UE : quelles finalités politiques ? Introduction : qu’est ce qui définit l’Europe ? L’élargissement prévu de l’UE est l’occasion de revenir sur la question que pose (entre autres) le philosophe Edgar Morin dans son dernier ouvrage : « La voie : pour l’avenir de l’humanité » Fayard 2011. Cette question est à la fois simple et essentielle : qu’est ce qu’être européen ? On peut faire trois réponses qui sont autant de jalons pour l’élargissement de l’Union européenne : - une réponse strictement géographique qui renvoie à l’image de l’Europe forteresse : être européen, c’est appartenir au même ensemble géographique : de l’Atlantique à l’Oural et de l’Océan arctique à la Méditerranée A l’évidence ceci ne peut pas suffire à définir l’Europe : tous les pays membres de cet espace géographique n’ont pas forcément envie de faire partie de l’Union européenne, ils n’en voient pas l’intérêt ou ils ne partagent pas les mêmes valeurs. On ajoutera que cette conception pose le problème de Chypre et bien sûr de la Russie. Ceci dit, cette conception a le mérite de rappeler que l’Union européenne n’est pas extensible géographiquement à l’infini. - une réponse économique : c’est actuellement celle qui domine et que l’on appelle « l’Europe des marchands ». L’Union européenne devrait être composée de pays ayant un intérêt économique à s’entendre entre eux, quelque soit par ailleurs les liens qui les unissent. Cette réponse pose alors un double problème : •Elle est exclusive : les pays membres de l’UE se réserveraient le « droit » de refuser une adhésion au nom de stricts intérêts économiques, quel que soit par ailleurs l’attachement du pays concerné aux idéaux européens. •Elle est alors cynique et restrictive : à l’inverse, un pays (Suisse ?) n’adhérerait qu’au nom de ses intérêts. On imagine alors la somme des querelles économiques qui va en découler, ce qui est d’ailleurs exactement le cas actuellement. - une réponse culturelle et historique : l’Europe serait composée de pays ayant une histoire commune (souvent conflictuelle) et partageant désormais des valeurs communes (en matière sociale, démocratique, politique…). Cette conception est la plus « idéalisée » et c’est celle qui permettrait d’aller le plus loin dans la construction européenne. Mais elle pose aussi des questions : * que faire des pays qui partagent nos valeurs mais dont les intérêts économiques divergent (Norvège) ou dont la localisation géographique les éloigne de nous ? (Israël, Arménie ??) * qu’est ce qu’une histoire commune et surtout que sont des valeurs communes ? Religion ? Langue ? Coutumes ? Quoi de vraiment commun par exemple entre les suédois et le sud de l’Italie, entre les écossais et les roumains, entre les portugais et les estoniens ? Au moment où certains veulent « exclure » la Turquie, cette réserve mérite d’être examinée de près. Certains disent alors qu’être européen c’est accepter de vivre ensemble dans une ensemble lui-même imparfait. Au vu des diverses consultations électorales, et des niveaux de l’abstention à l’occasion des élections européennes, on peut avoir un léger doute sur la volonté réelle d’un certain nombre d’européens de vivre ensemble. Cet ensemble de questions devra déboucher sur des hypothèses : si l’Europe doit vraiment se définir par des valeurs communes et surtout un désir de vivre en commun, ne faudra-t-il pas en revenir à une conception plus restrictive de l’UE, c’est-à-dire à des coopérations renforcées entre Etats volontaires qui seront capables de passer outre, parfois, leurs intérêts économiques ? Ceci supposerait alors vraiment de poser une question essentielle aux peuples concernés : voulez vous vraiment être européen, en accepter les valeurs, en souhaiter la construction politique et en accepter les contraintes ? Ernest Renan appelait cela « un plébiscite de tous les jours ». I) L’élargissement futur de l’UE Au delà de ces questions philosophiques (mais essentielles) posons nous une question plus simple : comment va s’organiser le futur élargissement de l’Union européenne. Et d’abord, quels sont les pays potentiellement concernés ? 1 Les nouveaux arrivants Les pays potentiels vont se décliner en plusieurs catégories, sachant qu’ils ont tous vocation, un jour, à devenir membre de l’Union européenne s’ils le souhaitent. On remarquera tout au long du document 1 que ces pays sont relativement nombreux : pour l’instant, il y en a 5 prévus, mais on peut raisonnablement penser que dans un avenir relativement court il y en aura 9. Et à plus long terme, c’est bien un total d’une vingtaine de pays supplémentaires qui peuvent légalement demander à rejoindre l’UE, chacun avec beaucoup de spécificités différentes (entre par exemple « l’immense » Turquie et la « petite » Islande). 2 Le processus d’élargissement (et de retrait) Pour que l’UE s’élargisse, il faut passer par une série d’étapes : - le pays candidat doit d’abord déposer une candidature officielle. Celle-ci sera examinée par le Conseil européen et la Commission européenne, ainsi que le Parlement. Pour que la candidature soit acceptée, le pays candidat doit remplir 3 critères (doc 2) : les critères de Copenhague définis en 1993. Ils sont au nombre de trois : •Des critères politiques et sociaux qui portent en particulier sur la démocratie et les droits de l’Homme •Des critères économiques : respect des règles du marché et des règles de la concurrence au sein de l’UE •Des critères « d’absorption » : le pays doit montrer sa capacité (et sa volonté) à assumer l’ensemble de l’acquis communautaire et de respecter ses obligations. - une fois la candidature officiellement acceptée (à l’unanimité du Conseil européen et à la majorité du Parlement) (document 3), les négociations vont commencer sur tous les détails de l’adhésion. Ces négociations feront l’objet de rapports d’étapes sur l’avancée des réalisations. Les 5 premiers pays en sont à ce point. La Turquie vient de recevoir un rapport critique sur son évolution en matière de droits de l’Homme (rapport qu’elle conteste) et la Croatie un satisfecit dans son avancée en matière de coopération dans la traque des criminels de guerre croates de la guerre de Bosnie. La durée des négociations n’est pas à priori fixée : ce sera assez court pour l’Islande, et c’est très long pour la Turquie. - à la fin des négociations un accord est proposé aux Etats membres (article 46 du Traité de Lisbonne). Cet accord doit-être ratifié par tous les Etats membres. Un seul pays a donc parfaitement le droit de s’opposer à l’adhésion d’un autre pays Le choix du mode de ratification est laissé à l’appréciation de chaque pays, selon ses règles constitutionnelles. En ce qui concerne la France, la réforme constitutionnelle du 21 Juillet 2008 prévoit que la population sera consultée pour tout élargissement de l’UE (article 88.5) sauf si éventuellement une majorité des 3/5 dans chaque assemblée se met d’accord sur un projet de loi identique concernant cette adhésion. Ce texte constitutionnel pose le problème de sa rétroactivité dans les cas de la Turquie, de la Macédoine et de la Croatie : leur demande d’adhésion est antérieure à cette réforme. Peut-on alors leur appliquer cette réforme ? La Cour de justice européenne est saisie de la question par la Turquie mais n’a pas encore déposé sa conclusion. Autre problème : le principe de la non discrimination : si la population est appelée à se prononcer sur l’adhésion de la Turquie, elle doit en bonne logique se prononcer sur toutes les autres adhésions, sinon il s’agirait d’une mesure discriminatoire. - ce n’est donc qu’après la ratification par tous les pays qu’un pays devient membre de l’UE. Et on peut remarquer (document 4) qu’il est plus simple de quitter l’UE. Il « suffit » qu’un pays en fasse la demande (selon ses règles constitutionnelles) auprès du Conseil européen. Des négociations de retrait s’engagent alors. Au terme de ces négociations, le Conseil de l’Union européenne se prononce, mais seulement à la majorité qualifiée (donc pas à l’unanimité). En cas de refus du Conseil, ou si les négociations trainent « trop » le pays demandant son retrait peut, s’il le souhaite, quitter l’Union européenne 2 ans après sa demande de retrait, même si les autres pays ne sont pas d’accord et même si les négociations ne sont pas finies (article 50 alinéa 3 du Traité de Lisbonne). On remarquera par contre qu’aucun article du Traité (ni des autres Traités) n’a prévu un cas d’exclusion d’un Etat membre. 3 Un élargissement inéluctable ? Nous avons vu que 5 pays ont fait officiellement une demande d’adhésion, demande qui a été acceptée, et que quatre autres souhaitent adhérer « rapidement » à l’UE. Pour autant, cet élargissement est-il inéluctable ? La réponse est clairement non, pour au moins trois raisons : - d’abord, rien ne dit que les pays en question puissent satisfaire les exigences de l’Union européenne, ni surtout qu’ils veuillent les satisfaire. On peut prendre ici l’exemple de l’Islande : ses pratiques de pêche sont en contradiction avec les règles européennes, et l’Islande, malgré sa volonté d’adhésion, rechigne à renoncer à ses pratiques. Au final, la population islandaise (ou d’autres) peuvent faire comme les Norvégiens ou les Suisses (qui eux avaient refusé de poser leur candidature). - ensuite, un seul pays peut donc bloquer le processus d’adhésion. Et le pays le plus hostile pour l’instant est la Grèce, hostile à l’adhésion de la Turquie et de la Macédoine. Hostilité à la Turquie pour des raisons historiques, et pour la question chypriote, et hostilité envers la Macédoine pour une question de nom. Et cette hostilité grecque rencontrera sans doute des échos ailleurs. - enfin, rien ne dit qu’au final le Conseil européen dans son ensemble accepte une adhésion : •Soit pour ne pas mettre en difficulté l’un des membres qui serait seul à porter le poids d’un refus •Soit parce que le Conseil se rend compte des difficultés économiques et institutionnelles que va poser cette adhésion. L’acceptation de l’ouverture de négociations ne préjuge pas de l’acceptation finale du Conseil. •Soit tout simplement parce que le contexte économique ou stratégique a changé. Certains pays de l’ex UE 15 n’hésitent pas à dire qu’ils regrettent d’avoir pris une décision trop « émotive » à propos de l’adhésion des 12 nouveaux. II) Les problèmes de l’élargissement L’élargissement prévu de l’Union européenne va poser en effet de redoutables problèmes, au moins aussi importants, si ce n’est plus, que l’adhésion des 12 pays de l’Est. 1 Les problèmes économiques liés à l’élargissement On le sait, les nouveaux arrivants sont beaucoup plus pauvres que les anciens pays et le coût de leur accueil doit être posé. Certes, leur poids dans le PIB européen est relativement faible, mais leur niveau de vie est également très faible et leurs infrastructures sont largement obsolètes. L’adhésion de l’Islande ne pose pas de gros problèmes économiques, vu son niveau de vie et le faible poids de son PIB. Cette remarque est également valable pour la Croatie. L’UE peut sans doute également « absorber » sans trop d’efforts la Macédoine, et le Monténégro, vu leur faible poids économique. Par contre le problème Turc est important vu le poids économique de ce pays : le PIB turc représente à lui seul la quasi-totalité du PIB des nouveaux candidats P IB e n m illia rd s d '€ e n 2 0 09 T u rq u ie 522 C r o a ti e 45 S e rb ie 3 0 ,7 Is l a n d e 9 ,3 A lb a n ie 8 ,6 M o n té n e g r o 6 ,6 M a c é d o in e 6 ,6 B o s n ie 5 ,7 K oso vo 2 ,7 0 100 200 300 400 500 60 0 Le problème se pose surtout pour les niveaux de vie : tous les nouveaux pays ont des niveaux de vie très inférieurs à la moyenne, et ils sont souvent plus pauvres que le pays actuellement le plus pauvre de l’UE 27 : la Roumanie. Le niveau de la Turquie ne représente que la moitié du niveau de vie moyen de l’UE à 27. Nous nous retrouvons donc dans une configuration connue : risques de délocalisations des entreprises de l’Europe du nord-ouest vers la Turquie, et en sens inverse arrivée massive de travailleurs Turcs sur le marché du travail de l’UE 15. Pour les pays de l’Europe de l’est, la concurrence risque d’être très rude : ils n’ont pas encore atteint le niveau de l’Europe de l’ouest en matière de compétitivité, mais leurs coûts salariaux sont plus élevés que ceux des nouveaux arrivants Dés lors, des entreprises de l’UE 15 peuvent être tentées de quitter des pays vers lesquels elles s’étaient délocalisées pour se relocaliser vers les nouveaux entrants : on imagine très bien par exemple, Volkswagen quitter la République Tchèque pour partir en Turquie. PIB pa r ha bitant e n 2 009 en € Islande 30293 UE 27 14668 Croatie 14000 Turquie 6692 Serbie 4093 Macédoine 3300 Albanie 2713 Roumanie 1954 Kosovo 1800 Monténegro 1592 Bosnie 1239 0 10000 20000 30000 40000 Ce problème de transfert de main d’œuvre et d’activités se complique un peu avec le problème monétaire. A chaque nouvelle arrivée d’un pays dans l’UE, la monnaie de ce pays se déprécie brutalement par rapport à l’euro (document 7). Par exemple, en 1 an et demi, le zloty polonais a perdu pratiquement le quart de sa valeur par rapport à l’euro. Ceci est normal : une monnaie reflète la compétitivité d’un pays par rapport à un autre : si la monnaie d’un pays faiblement compétitif reste forte, ce pays ne pourra pas exporter ses produits, ou difficilement. C’est d’ailleurs en ce moment l’un des problèmes de la Grèce et du Portugal. Mais si la monnaie des nouveaux arrivants se déprécie rapidement, leurs prix à l’exportation deviennent alors très rapidement compétitifs, ce qui augmente les « risques » de concurrence. Si on cumule l’avantage en coûts de main d’œuvre et l’avantage monétaire, on peut en arriver à déséquilibrer très fortement le marché du travail européen. Ceci n’est pas nouveau, l’arrivée des ex pays de l’Est avait déjà soulevé le problème, de même que l’arrivée, en 1986, de l’Espagne et du Portugal. Mais l’entrée de la Turquie nous fera changer de dimension du fait de son poids démographique, de ses infrastructures et de sa « porosité » par rapport aux vagues migratoires. On risque alors sur le plan économique et social une concurrence toujours plus vive (vers le bas !) entre travailleurs européens, pour le plus grand profit des entreprises qui se délocalisent et de leurs actionnaires. Certains pensent d’ailleurs que tel est le but ultime de l’élargissement européen : exercer une pression de plus en plus vive sur les travailleurs pour qu’ils acceptent n’importe quoi. 2 Les « problèmes » démographiques. L’élargissement de l’UE, en particulier vers la Turquie, s’il se réalise, présente une originalité par rapport aux périodes précédentes. Jusqu’à présent, les pays nouveaux entrants étaient de taille plus petite (voire beaucoup plus petite) que les anciens. Ou au pire d’une taille comparable à certains anciens (Espagne, Pologne). Or la Turquie serait déjà le second pays le plus peuplé et sera bientôt le plus peuplé des pays de l’UE, ce qui va provoquer un basculement important de l’UE vers le sud-est. Ce phénomène sera amplifié par l’arrivée des ex républiques yougoslaves : au total, si les 9 pays rentrent dans l’UE ce seront pratiquement 102 millions d’habitants en plus soit à peu près 20% de la population de l’UE actuelle. Le centre de gravité de l’UE basculera alors du nord-ouest au sud-est avec toutes les conséquences géopolitiques correspondantes. P o p u la ti o n e n m i lli o n s d 'h a b ita n ts e n 2 0 09 Turquie 78 S e rbie 7,5 B os nie 4 ,6 C ro atie 4 ,5 A lba nie 3 ,17 M a cé do ine 2,06 6 Ko s ovo 1,5 M onté ne gr o 0 ,6 72 Is la nde 0 ,3 07 0 20 40 60 80 10 0 Le poids des "9 nouveaux" 60 49,5 50 42 40 30 20,5 20 15,6 10 5 4,17 0 part dans la population de l'UE 27 part dans le PIB de l'UE 27 PIB par habitant en % du PIB par habitant moyen de l'UE 27 Dans ces problèmes démographiques et géopolitiques, il ne faut pas oublier en plus trois éléments : - les pays du « partenariat oriental » ont aussi vocation à rentrer un jour peut-être dans l’UE, en particulier si la Turquie y est déjà rentrée. On ne voit pas pourquoi, par exemple, on refuserait à l’Ukraine, la Biélorussie (quand elle le souhaitera et quand elle sera débarrassée de son dictateur), la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ce qui aurait été accordé à la Turquie. Mais ce sont alors 72.5 millions d’habitants en plus qu’il faudrait accueillir, et toujours plus pauvres. - les frontières de ces différents pays sont très perméables, d’autant plus que ces pays sont frontaliers de zones très instables sur le plan politique : la Turquie, par exemple, voisine avec l’Irak. - il faut enfin remarquer, et ce n’est pas une critique, que les traditions culturelles de ces pays diffèrent de plus en plus des traditions culturelles de l’UE. Ce qui posera le problème de la coexistence de ces traditions, y compris sur le plan religieux. Pour l’instant, il appartient à la Commission européenne de veiller à ce que des traditions locales ne rentrent pas en contradiction avec le droit européen. Mais ceci repose sur des majorités qualifiées, qui peuvent changer, et donc changer un certain nombre de traditions jusque là admises. Ceci pose alors le « problème » de l’évolution du fonctionnement des institutions européennes. 3 Les problèmes institutionnels Le principal problème que pose l’élargissement de l’UE est la prise de décision dans les instances européennes : - le Parlement européen ne pose pas de grosses difficultés, mais le nombre de députés étant plafonné à 750, il faudra que les pays cèdent des députés aux nouveaux arrivants : au minimum 90 députés pour la Turquie et une soixantaine au moins pour les 8 autres pays. Le calcul pour trouver les 136 places à laisser risque d’être difficile ! - au Conseil européen c’est la règle de l’unanimité qui s’impose. C’est très difficile à 27 et ce le sera encore plus à 32 (si on ne retient dans l’immédiat que 5 nouveaux pays). Le risque de paralysie des institutions existe. - le plus complexe va se produire au sein du Conseil de l’Union européenne où prédomine la règle de la majorité qualifiée. En 2014, la règle définitive sera de 55% des pays représentant 65% de la population. Il faut donc actuellement 15 pays représentant 325 millions d’habitants. Si l’élargissement a lieu, il faudra 20 pays représentant 392 millions d’habitants. Le poids des « grands pays » va donc se trouver modifié : par exemple la France représente à elle seule 20% de la majorité qualifiée actuelle. Avec l’élargissement, son poids va « tomber » à 16.5%. Perspective peu agréable aux français ! Mais surtout, on peut voir des « arrangements institutionnels » nouveaux apparaître, risquant de mettre à mal l’UE : - une « alliance » entre l’Allemagne et la Turquie, avec l’appoint des pays d’Europe centrale contre l’Europe atlantique - une alliance entre la Turquie et les ex pays de l’Est contre « l’ancienne » Europe riche - une alliance des « sud » contre l’opulence de l’Europe du nord… Et bien entendu, la perspective d’une intégration politique européenne plus poussée va s’éloigner encore plus : cette intégration politique n’avait pas pu se faire à 15, encore moins à 27 (échec du Traité constitutionnel). Alors à 32 ou 36… C’est donc bien toute l’architecture de la construction européenne qui pourrait être mise en cause, ce qui explique les très nombreuses réticences à cet élargissement. Mais comment dire oui à certains et non à d’autres ? Conclusion : L’UE : quelles finalités politiques ? Le problème de l’élargissement de l’UE pose au fond la question de son devenir politique et de sa finalité. Ceci peut sans doute se résumer en trois scénarii : - une Europe à « l’anglaise » : l’UE reste une simple construction économique et une zone de libre-échanges où les nations et les travailleurs sont mis en concurrence. Il n’y a pas de projet d’intégration politique, si ce n’est quelques accords entre Etats, que ce soit sur le plan politique (accords de défense) ou économique (pacte de compétitivité franco-allemand). Les signes ostentatoires de l’intégration politique doivent alors s’éclipser (Hymne, drapeau..). Ce scénario est pour l’instant celui qui se réalise, qui a la bénédiction des américains, et qui est parfaitement compatible avec l’élargissement européen. - une Europe « de Lisbonne » , c’est-à-dire une Europe issue du traité de Lisbonne : l’UE reste une zone de libre-échanges économiques, mais les Etats acceptent par étapes prudentes d’aller plus loin dans le transfert de compétences politiques, en particulier au niveau de la diplomatie et des règles de sécurité intérieure. Cette UE a vocation à rester un ensemble de nations qui doivent sans cesse négocier entre elles pour accepter des avancées en matière d’intégration. Cette Europe là va rencontrer des difficultés (c’est déjà le cas) avec l’élargissement : tout est négociable, tout doit-être discuté, ce qui est très difficile à 27 et plus. De cette Europe peuvent sortir des coopérations renforcées, c’est-àdire des regroupements de pays désirant aller plus loin dans certains domaines, sans attendre les autres. Ceci est prévu par le Traité de Lisbonne, mais la question des relations entre ces compétences et le reste de l’UE est posée. - Une Europe « des peuples » : conscients de la nécessité d’être unis devant les défis mondiaux issus des Etats-Unis et des pays émergents, et malgré sa diversité (ce qui est la devise de l’UE), des gouvernements (et surtout leur population) décident d’aller beaucoup plus loin vers l’intégration politique. Les Etats ne conservent alors que quelques prérogatives (éducation, social, fiscalité..) et transfèrent progressivement une partie des pouvoirs régaliens à une nouvelle entité politique. Cette entité pourrait prendre : - soit la forme d’une confédération : les Etats membres conservent la majeure partie des pouvoirs et délèguent à une autorité centrale démocratique des pouvoirs supra nationaux en particulier en matière de diplomatie, de police et de défense (modèle helvétique). - soit la forme d’une fédération : on instaure un Etat central et cet Etat accepte de déléguer une partie de ses pouvoirs aux Etats fédérés (modèle allemand, espagnol, américain…) Ce scénario n’est à l’évidence pas compatible avec l’élargissement de l’UE : il ne peut se faire que sur la base d’un nombre très restreint d’Etats volontaires. Le problème se posera alors bien sûr des relations entre cette nouvelle entité et le reste de l’Union européenne. Pour le moment ce scénario ne rencontre aucun écho particulier chez les gouvernements européens, et pas forcément beaucoup non plus chez les peuples européens, à quelques exceptions près. Il est donc probable que l’UE du Traité de Lisbonne va continuer son chemin, avec ses deux défauts fondamentaux : - elle est peu efficace face aux nouveaux enjeux (la preuve : l’émergence des pouvoirs parallèles) - elle présente une image rébarbative pour la population européenne qui ne voit dans la construction européenne que les obligations (l’harmonisation) sans en percevoir vraiment les bienfaits. Bref, une Europe qui ne fait pas (ou plus) rêver.