VACCIN ANTI-HÉPATITE B : LA JURISPRUDENCE DE LA COUR
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VACCIN ANTI-HÉPATITE B : LA JURISPRUDENCE DE LA COUR
VACCIN ANTI-HÉPATITE B : LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION À L’ÉPREUVE DE LA CJUE (Revue Droit & Santé, N° 69, Janvier 2016 p. 45) La saga jurisprudentielle relative à la problématique de la causalité juridique entre le vaccin anti-hépatite B et le développement des maladies neurologiques et autoimmunes ne touche visiblement pas à sa fin. Au contraire… Par un arrêt en date du 12 novembre 20151, la Cour de cassation vient de remettre en question la construction jurisprudentielle qu’elle a mise en place depuis 2008, en la soumettant au contrôle de la CJUE. La démarche est assez surprenante, s’agissant non d’une problématique nouvelle mais d’une solution que la Cour de cassation retient systématiquement depuis deux arrêts du 22 mai 20082, qui est également celle du Conseil d’Etat3, et qu’elle a encore récemment reconfirmée dans un arrêt du 10 juillet 20134. Dans cette dernière décision la haute juridiction a, s'agissant du lien de causalité entre le vaccin et la sclérose en plaques, approuvé la décision de la Cour d'appel, laquelle a estimé « qu'au regard de l'état antérieur de Mme T., de son histoire familiale, de son origine ethnique, du temps écoulé entre les injections et le déclenchement de la maladie, et du nombre anormalement important des injections pratiquées, il existait des présomptions graves, précises et concordantes permettant d'établir le lien entre les vaccinations litigieuses et le déclenchement de la sclérose en plaques » mais, s'agissant de la défectuosité du vaccin, cassé l’arrêt d'appel en ce qu'il s'est déterminé par « une considération générale sur le rapport bénéfices-risques de la vaccination » et non eu égard aux « présomptions graves, précises et concordantes tant au regard de la situation personnelle de Mme T. que des circonstances particulières ». 1 Cass., Civ. 1e, 12 novembre 2015, n° 14-18.118 Cass., Civ. 1e, 22 mai 2008, n° 05-20.317 et n° 06-10.967 Puis Cass. Civ. 1e, 22 janvier 2009, n° 07-16.449 et Cass. Civ. 1e, 25 novembre 2010, n° 09-16.556 3 CE, 5e et 4e SSR, 9 mars 2007, n° 267635, Mme A., Publié au recueil Lebon CE, 5e et 4e SSR, 9 mars 2007, n° 278665, Commune de Grenoble 4 Cass., Civ. 1e, 10 juillet 2013, n° 12-21.314 2 Compte tenu de l'impossibilité de prouver scientifiquement tant le lien de causalité entre le vaccin et la sclérose en plaques que l'absence de ce lien, la Cour de cassation demandait ainsi systématiquement aux juges du fond de déterminer le lien de causalité au cas par cas, par présomptions graves, précises et concordantes et d'adopter une conception subjective de la défectuosité, s’appréciant au regard des circonstances particulières de la victime et non reposant sur une analyse générale du rapport bénéfices / risques du produit sur ensemble de la population. C’est cette jurisprudence de faveur aux victimes et consistant à alléger leur fardeau probatoire que la Cour de cassation remet en question dans l’arrêt du 12 novembre 2015. Au cas d’espèce, un patient qui s’était vu injecter trois doses du vaccin litigieux en décembre 1998, janvier 1999 et juillet 1999, avait présenté des troubles neurologiques dès le mois d’août 1999, conduisant à un diagnostic de sclérose en plaques. Refusant d’engager la responsabilité de la société SANOFI PASTEUR en sa qualité de producteur, la Cour d’appel de Versailles décidait que s’il existait des présomptions graves, précises et concordantes permettant de dire que le lien de causalité entre la maladie et la vaccination était suffisamment établi, le défaut du produit, au sens de l’article 1386-4 du Code civil n’était quant à lui pas démontré5. Par un arrêt en date du 26 septembre 2012, la Cour de cassation sanctionna la décision d’appel pour défaut de base légale, au motif que la Cour de Versailles, qui avait admis qu’il existait au cas d’espèce des présomptions graves, précises et concordantes permettant d’établir le lien causal entre la maladie et la prise du produit, n’avait toutefois pas recherché « si les circonstances particulières qu’elle avait ainsi retenues ne constituaient pas des présomption graves, précises et concordantes de nature à établir la caractère défectueux des trois doses administrées à l’intéressé »6. Conformément aux dispositions de l’article L. 431-4 du Code de l’organisation judiciaire, l’affaire fut renvoyée pour être rejugée à nouveau, par une autre Cour d’appel. Saisie par la société SANOFI PASTEUR, la Cour d’Appel de Paris, par un arrêt très motivé en fait, en se référant notamment aux résultats de multiples études médicales, a relevé qu’ « il n’existe aucun consensus scientifique en faveur d’un lien de causalité entre la vaccination contre l’hépatite B et la sclérose en plaques et que l’ensemble des autorités sanitaires nationales (…) et internationales (…) ont écarté l’association entre un risque d’atteinte démyélinisante centrale ou périphérique et la vaccination contre l’hépatite B ». En se prononçant sur le seul lien de causalité entre la vaccination et la maladie, la Cour a considéré qu’il n’y avait pas au cas d’espèce de présomptions graves, précises et concordantes qui permettraient de caractériser son existence7. 5 CA Versailles, 10 février 2011, n° 09/7555 Cass., Civ. 1e, 26 septembre 2012, n° 11-17.738 7 CA Paris, 7 mars 2014, n° 13/01546 6 2/4 L’affaire est revenue devant la Cour de cassation, sur pourvoi des ayants droits de la victime décédée. S’agissant de statuer sur une question de principe, suscitant des divergences entre les juges du fond et la Haute Juridiction, la logique aurait voulu que la Cour de cassation se réunisse en Assemblée Plénière, conformément aux dispositions de l’article L. 431-6 du Code de l’organisation judiciaire et qu’elle réaffirme avec force la position qu’elle adopte depuis 2008, d’une part sur la preuve du lien de causalité et, d’autre part, sur la preuve du défaut du produit. Coup de théâtre, la Cour de cassation décide de remettre en cause sa propre jurisprudence et saisit la CJUE de trois questions préjudicielles. Par sa première question la Cour de cassation interroge la CJUE si l’article 4 de la Directive 85/374/CEE sur la responsabilité du fait des produits défectueux autorise de recourir aux présomptions graves précises et concordantes de nature à prouver l’existence d’un défaut et d’un lien de causalité et ce en l’absence de lien scientifique entre la vaccination et la survenance de la maladie. La question est légitime eu égard aux termes très précis de l’article 4 de la Directive 85/374/CEE qui dispose : « La victime est obligée de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage », et dont la rédaction de l’équivalent en droit français reprend également la notion d’obligation relative à la charge de la preuve par le demandeur puisque l’article 1386-9 du Code civil prévoit que « le demandeur doit prouver (…)». Il résulte très clairement de ces deux formulations que la charge de la preuve des trois conditions constitutives de la responsabilité du producteur pèse sur la victime. Il n’y a donc aucune présomption de causalité : un produit n’est donc pas défectueux du seul fait qu’il a causé un dommage. Avoir recours à une présomption de causalité, constitutive de surcroît d’une présomption d’existence de défaut, n’est-ce pas porter atteinte à la charge de la preuve telle que résultant de l’article 4 de la Directive ? C’est précisément la question à laquelle devra répondre la CJUE. Par sa seconde question, la Cour de cassation demande à la CJUE, dans l’hypothèse où cette dernière validerait le recours aux présomptions, s’il peut être créé un lien de causalité automatique entre le défaut et le dommage, « lorsque certains indices de causalité sont réunis ». La Cour de cassation vise ici manifestement les critères factuels utilisés d’ores et déjà par les juridictions françaises tels que l'état antérieur de la victime, les antécédents familiaux, l’origine ethnique, le laps de temps écoulé entre les injections et les premiers signes de la maladie, le nombre des injections reçues. La question est de savoir si la réunion de ces critères peut conduire de manière « automatique » à caractériser l’existence du lien de causalité. Une réponse affirmative cantonnerait le 3/4 pouvoir souverain des juges du fond à la vérification de l’accomplissement in casu des critères prédéfinis. Par sa troisième question, la Cour de cassation demande à la CJUE, dans l’hypothèse où cette dernière sanctionnerait le recours aux présomptions, si le lien de causalité entre le défaut et le dommage doit nécessairement être établi de manière scientifique. En l’état de l’incertitude scientifique quant à l’existence ou à l’absence d’un éventuel lien entre maladies neurologiques ou auto-immunes et la vaccination contre l’hépatite B, une réponse positive à cette troisième question fermerait la voie à tout recours des victimes se considérant atteintes par la sclérose en plaques du fait de l’injection du vaccin litigieux. Ne pouvant agir contre le médecin prescripteur sur le fondement de l’obligation de conseil et d’information puisqu’il n’existe aucun risque scientifiquement avéré d’apparition d’une maladie neurologique ou auto-immune suite à l’injection du vaccin contre l’hépatite B et que le médecin serait tenu de communiquer à son patient8, les victimes se verraient également dépourvues de leur recours contre le producteur, couvert, lui aussi, par l’incertitude scientifique. Afin d’éviter une non-réparation des préjudices des personnes qui pendant plusieurs années ont pu être considérées, du moins par la Cour de cassation, comme des victimes de la vaccination contre l’hépatite B, ne conviendrait-il pas alors d’étendre le système d’indemnisation prévu pour la vaccination obligatoire, également pour les vaccins non obligatoires ? Si se faire vacciner protège aussi la communauté, il semble légitime que la communauté prenne en charge les rares dommages qui en résultent. En tout état de cause, les réponses qu’apportera la CJUE auront le mérite soit de valider la jurisprudence de la Cour de cassation et contraindre les juridictions inférieures, à ce jour réfractaires sur la question de la preuve du défaut, de s’y conformer, soit elle obligera la Haute juridiction à revoir sa copie. Joanna SOBCZYNSKI Avocat Delormeau & Associés 8 En ce sens, voir notamment : Cass., Civ. 1e, 23 janvier 2014, n°12-22.123 4/4