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UNIVERSITE DE LILLE II – Droit et santé
Ecole doctorale n°74
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
L’AUTODETERMINATION INTERNE DES
PEUPLES : UNE REGLE INTERNATIONALE
CONSTITUTIVE DE L’ETAT ?
Mémoire présenté et soutenu
en vue de l'obtention du master recherche, mention droit internationa
par
METANGMO VERONIQUE MICHELE
Sous la direction de Monsieur le Professeur PATRICK MEUNIER
Année universitaire
2003-2004
Mémoire publié après autorisation du jury sur :
http://edoctorale74.univ-lille2.fr
1
Remerciements
Mes sincères remerciements vont à Monsieur le Professeur Patrick MEUNIER pour
l’aide et l’attention dont il a fait preuve à mon égard au cours de la réalisation de ce travail.
Mes remerciements vont également à tous les enseignants notamment à Monsieur le
Professeur Vincent COUSSIRAT-COUSTERE pour les conseils et les encouragements
prodigués lors de la réalisation de ce mémoire. Remerciements enfin à ma famille NGUENAMETANGMO et aux nombreux amis qui n’ont cessé de me rassurer par leur présence et leur
soutien moral et matériel tout au long de mes études.
Je dédie ce travail à la mémoire de Mamie (Mme Marguerite DOURDIN) qui m’a
comblée par sa présence affectueuse et amicale durant deux inoubliables années.
2
La Faculté n’entend donner ni improbation ni approbation aux opinions émises dans les thèses
et mémoires ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
3
« La réalisation du droit à l’autodétermination interne est une condition essentielle de la
garantie et du respect effectif des droits de l’homme »1
1
Rapport du Secrétaire général des Nations Unies A/55/176 du 24 juillet 2000 (HRI/GEN/1/Rev3)
4
SIGLES ET ABREVIATIONS
A.D.I
Actualité et droit international
A.G. des N.U Assemblée Générale des Nations Unies
A/RES
Résolution de l’Assemblée Générale
ASIL
American Society of International Law
BIDDH
Bureau des Institutions Démocratiques et des Droits de l’homme
CADH
Cour Américaine des Droits de l’Homme
CEDH
Cour Européenne des Droits de l’Homme
CEDEAO
Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest
C.I.J.
Cour Internationale de Justice
CJCE
Cour de Justice des Communautés Européennes
Doc.
Document
DUDH
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
E.J.I.L.
European Journal of International Law
FMI
Fond Monétaire International
HRLJ
Human Rights Law Journal
IAYBHR
Inter-American Yearbook on Human Rights
IDI
Institut de Droit International
Prot.
Protocole
O.E.A
Organisation des Etats Américains
O.N.G
Organisation Non Gouvernementale
O.N.U.
Organisation des Nations Unies
OSCE
Organisation sur la Sécurité et la Coopération en Europe
O.U.A
Organisation de l’Unité Africaine
PIDCP
Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques
5
PIDESC
Pacte International relatif aux Droits Economiques et Sociaux et Culturels
U.A
Union Africaine
Recueil C.I.J Recueil de la jurisprudence de la C.I.J
R.C.A.D.I
Recueil des Cours de l’Académie de Droit International (Haye)
R.G.D.I.P
Revue Générale de Droit International Public
S.G. des N.U. Secrétaire Général des Nations Unies
S/RES
Résolution du Conseil de sécurité
Res.
Résolution
6
Sommaire
INTRODUCTION...…………………………………………………………………………..8
Première Partie : La substance de l’autodétermination interne………………………...29
I
L’exigence d’une démocratie politique…………………………………………….30
A) l’exigence du respect des standards démocratiques en matière d’élections et de formation
de gouvernements…………………………………………………………………………….31
B) Le respect du pluralisme politique……………………………………………………..…46
II
L’autodétermination interne : élément nécessaire à l’existence et à la pérennité
d’un Etat démocratique ou d’un Etat de droit……………………………………………56
A) L’internationalisation de certaines libertés politiques ou civiles………………………….57
B)Une internationalisation d’un principe constitutionnel : La séparation des pouvoirs...……67
Deuxième partie
: L’autodétermination interne : facteur d’évolution du droit
international contemporain…………………………………………………………………72
I
Emergence d’un statut juridique internationalement protégé………….……….73
A) Un statut conventionnel récent…………………………………….……………………..74
B) Un statut coutumier incertain……………………………………………………………..91
II
Une redéfinition du principe de non-ingérence dans les affaires politiques……103
A) Le principe de non-ingérence dans les affaires politiques………………………………103
B) Le principe de non-ingérence et le respect des principes démocratiques……..…………107
Conclusion…………………………………………………….………………………….…111
Table des matières………………………………………………………………………….114
Source ou bibliographie……………………………………………………………………115
7
INTRODUCTION
Protéger les peuples, les minorités ou tout simplement l’homme est l’objectif dont se
sont assignées depuis des décennies différentes instances ou organisations nationales,
régionales et internationales. Ceci passe par la reconnaissance de différents droits à ces
entités. On parle de droits des minorités, de droits de l’homme et de droits des peuples. Ces
différents droits et notamment le droit des peuples sont l’objet de plusieurs débats sur la scène
internationale et de plusieurs études en droit international, mais il est important de remarquer
que, de ces différents droits, quelques-uns sont beaucoup plus anciens : c’est le cas du droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est une notion de droit international ou
de relations internationales qui a été pendant très longtemps l’objet de différentes pensées,
écrits ou discussions au cours de ces deux derniers siècles marqués par les deux guerres
mondiales et la colonisation. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ou le principe
d’autodétermination ou encore comme le disait Charles Chaumont « le droit des peuples à
témoigner d’eux-mêmes » a été qualifié par plusieurs auteurs comme étant l’une des notions
les plus confuses2ou une des plus ambiguës3 du droit international ou des relations
internationales. Il est aussi important de noter que le droit des peuples à disposer d’euxmêmes entretient de nombreux liens avec d’autres principes du droit4 ou des relations
internationales. Il est vrai aussi que ce principe a longtemps entretenu un mystère assez
important, que son caractère multiforme n’a pas aidé à dissiper. Mais irons nous jusqu’à
penser comme Cassese A., que se pencher sur ce principe « …is also a way of opening a
veritable Pandora’s box »5 ?
Afin de mieux comprendre ce principe ou droit dont les contours sont multiples, il
serait important tout d’abord et ce afin de rendre aussi notre travail lisible et clair de remonter
un petit peu dans ce qui peut être perçu comme étant l’historique du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes (I), nous nous pencherons ensuite sur les différentes formes que peut
prendre ce droit (II), et nous essayerons de cerner et justifier l’approche qui sera la nôtre dans
2
Christakis Th., Le droit à l’autodétermination en dehors des situations de décolonisation, Monde européen et
international, 1999, p. 15
3
Cassese A., Self-determination of peoples: A legal Reappraisal, Cambridge University Press 1995, Preface, p. 1
4
Exemple : le principe de souveraineté des Etats, le principe de non-ingérence, la règle de l’Uti possidetis juris…
Cassese, A. op. Cit. p. 1
5
8
le cadre de ce travail (III). Mais avant de nous lancer dans ces différentes parties, il nous
semble important de donner une définition ou des définitions de quelques mots ou groupes de
mots qui nous paraissent essentiels pour une bonne compréhension de notre sujet, notamment
les expressions peuple (1) et droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (2).
La définition de deux termes assez essentiels nous semble s’imposer. Il s’agit de celle
du mot peuple et de l’expression droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
1. Définition du mot peuple
Il est important de commencer en soulignant que l’expression peuple peut revêtir
plusieurs sens6, ce qui veut aussi dire qu’il n’est pas toujours aisé de donner une définition7.
Dans un document en 19818, Christescu A. souligne qu’il n’existe pas de définition admise du
mot « peuple », ni de moyens permettant de le définir avec certitude. On peut cependant
essayer de définir une telle notion en se plaçant sur différents champs ou domaines :
sociologique, philosophique, psychologique, juridique et la liste pourrait être longue. Nous
essayerons ici de retenir quelques définitions qui peuvent être admises dans le cadre juridique
et dans une moindre mesure dans un cadre politique (en effet, le sens politique donné à cette
notion n’est pas à négliger).
Dans un sens plus politique que juridique, le mot peuple est employé « pour désigner
une collectivité d’êtres humains unis par un lien de solidarité, ce lien pouvant consister en
des phénomènes divers : a) le fait d’être ressortissant d’un même Etat. Ensemble d’êtres
humains liés par un attachement à un territoire commun, à des traditions ou des croyances
communes… b) le fait d’une communauté établie sur un territoire qui ne constitue pas un
Etat… c) le fait d’une communauté repartie sur plusieurs territoires… d) le fait de
communautés reparties sur le territoire d’un seul Etat mais qui aspirent à devenir des Etats
séparés… »9. Dans un sens beaucoup plus juridique, ce terme de peuple peut être aussi défini
6
Jouve E., op. cit., p. 9 « Pour l’O.N.U. le peuple est une sorte de mot caméléon dont le sens est fonction de
son environnement »
7
Sikondo M. souligne qu’ « Aucun texte international ne définit le peuple », in Droit international public,
Ellipses, 1999, p. 308
8
Christescu A., Le droit à l’autodétermination : développement historique et actuel sur la base des instruments
des Nations Unies, New York, 1981, p. 31
9
Salmon J., Dictionnaire de droit international public, AUF, 2001, p. 827
9
comme «…l’ensemble des citoyens aptes à êtres représentés auprès des assemblées
démocratiques élues » ou encore peut être « employé parfois à la place du mot Etat » ou tout
simplement être utilisé pour désigner « une collectivité humaine qui n’est pas titulaire de la
souveraineté étatique mais à laquelle le droit international reconnaît des droits divers »10.
Selon Linos-Alexandre Sicilianos, « le peuple est un agglomérat d’individus »11, mais
pour certains auteurs, il est important de noter que, « le peuple ne se confond pas avec les
minorités ethniques religieuses ou linguistiques, dont l’existence et les droits sont reconnus à
l’article 27 du Pacte relatif aux droits civils et politiques »12. La notion de peuple a été très
souvent opposée, comparée ou mise à côté d’une autre notion qui est celle de nation. C’est
ainsi que le philosophe Jodé Echeverria écrit par exemple que : « la nation comme le peuple
sont des communautés humaines caractérisées par la participation à un même passé et par la
volonté de se construire un futur. La légitimation pour la nation est rétrospective, pour le
peuple, elle est prospective ». Pour H. Gros Espiell, le peuple est « toute forme particulière de
communauté humaine unie par la conscience et la volonté de constituer une entité capable
d’agir en vue d’un avenir commun »13.
La notion de peuple reste assez difficile à définir ou à cerner en droit international
public, mais il est important de noter que malgré toutes les tentatives de définitions fournies
jusque là, il reste des questions en suspens concernant cette notion. Nous pouvons énumérer
quelques-unes de ces questions sans cependant les épuiser, en précisant aussi que dans le
cadre de ce travail, nous n’y apporterons pas de réponse du moins immédiate : Qui décide à
partir de quand un groupe de personnes ou d’individus constitue un peuple 14 ? Le peuple
peut-il être envisagé comme un sujet de droit international15 ? Quel est le lien entre le peuple
et l’Etat ?
Ce qu’il faut cependant retenir est que sur la scène internationale, il existe aujourd’hui
une quasi-unanimité quant à l’existence d’un droit des peuples auquel on reconnaît même un
caractère universel. Ce droit des peuples a été mis en exergue par différents textes tant
nationaux qu’internationaux : nous pouvons citer par exemple la Déclaration d’indépendance
des Etats-Unis d’Amérique de 1776, la Déclaration française de 1791, la Déclaration des
10
Ibid, p. 828
11
Sicilianos A., L’ONU et la démocratisation de l’Etat,….p. 577
12
Jouve E., Le droit des peuples, Que sais-je ?, PUF 1986, p. 9
13
Gros Espiell H., Le droit à l’autodétermination : application des résolutions de l’ONU, New York, Nations
Unies, 1979, p. 9
14
Jouve E. op.cit pose aussi à peu près la même question, voir p. 12
15
Lire les réflexions de Sicilianos A. op. cit., p. 80
10
peuples de Russie, la charte de l’O.N.U., la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme,
les Pactes des Nations Unies de 1966.
Le droit des peuples peut être défini comme « un ensemble de droits qui ont pour
titulaires les peuples… ».16 Jean Salmon ajoute que certains droits ont comme titulaires les
peuples constitués en Etats, d’autres les peuples non constitués en Etats, et d’autres enfin, les
deux situations précédentes cumulées. Le peuple s’est vu au fil des années et des combats
conférer divers droits, de ceux –ci on peut noter quelques-uns : le droit des peuples à la paix
(A.G. Résolution 33/73 du 17 décembre 1978 et A.G. Résolution 39/11 du 12 novembre
1984), le droit des peuples au développement (A.G. Résolution 41/128 du 4 décembre 1986),
le droit des peuples de vivre dignement et de jouir librement des fruits du progrès social17, le
droit à l’exercice de la souveraineté et à l’intégrité territoriale, le principe de l’égalité des
droits des peuples, le droit des peuples à la non-intervention ou non-ingérence dans leurs
affaires intérieures, le droit des peuples à disposer de leurs richesses naturelles. La liste peut
être longue, mais un lien certain existe entre ces divers droits et le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes.
2- Définition du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
Une fois de plus, nous sommes en face d’une notion assez complexe à définir, car
toute définition dépendra du contexte dans lequel on se trouvera.
Une définition simple du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes pourrait consister
à dire que ce droit est un « principe de nature politique d’inspiration démocratique désignant
la vocation des peuples à s’administrer librement » 18. Toutefois, différentes définitions du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes peuvent être données en fonction du contexte ou du
courant dans lequel on se trouve. En effet, dans le contexte du colonialisme ou d’apartheid, le
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes peut désigner le droit des peuples vivant sous cet
état, de déterminer librement et sans ingérence extérieure leur statut politique et de poursuivre
leur développement économique, social et culturel. Pour reprendre Antonio Cassese, cela
signifie « the liberation of people subject to racist regimes and colonial domination and its
16
Salmon J. op cit. , p. 828
17
Sicilianos A. op cit. p.264
Salmon J., op cit., p. 828
18
11
after effects»19. Par contre, lorsqu’il s’agit des peuples constitués en Etats, on peut entendre
par ce principe d’autodétermination, le droit de ces peuples à décider librement de leurs
affaires internes et externes sans ingérence extérieure, en d’autres termes « the right freely to
decide their international status,… whether to form a state or to associate with an existing
sovereign state»20.
On remarque à travers ces définitions deux caractéristiques majeures du droit des peuples
à disposer d’eux-mêmes sur lesquelles nous reviendrons au cours de nos prochains
développements : une libre détermination des peuples liée aux situations de décolonisation et
une autodétermination en dehors des situations de décolonisation21. Mais pour le moment,
contentons-nous de revenir un temps, peu soit-il sur l’historique du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes. Il est aussi important pour nous de signaler que très souvent le droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes fait peur à certains Etats ou hommes politiques qui
craignent tout de suite que ce droit justifie la sécession ou l’ingérence dans leurs affaires
intérieures, les Etats prônant presque tous, le respect de leur souveraineté territoriale. Ceci
justifie aussi certainement ce constat que fait Théodore Christakis en soulignant que « le
terme sécession22 n’est que rarement utilisé par les instruments juridiques »23.
I.
Origine historique et Nature juridique du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes
Nous analyserons ici l’origine historique (A) et la nature juridique du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes (B).
19
Cassese A., Self-determination : a legal reappraisal, p. 44
20
Ibid, p. 57
21
Nous empruntons cette expression à l’ouvrage de Christakis Th. Op.cit
Christakis reprend la définition qui est donnée par le Petit Larousse (1993) sur la sécession : la sécession
22
comme une action menée par une fraction de la population d’un Etat en vue de se séparer, avec le territoire
qu’elle habite, de la collectivité nationale pour former un Etat distinct ou de s’unir à un autre
23
Christakis Th., op cit., p. 35
12
A- Origine historique
Les origines historiques du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes peuvent être
relevées à partir de la Déclaration américaine d’indépendance du 4 juillet 1776. En effet, cette
Déclaration est la première à « instituer le peuple comme étant un acteur de sa propre
histoire »24 et cette idée va être relayée quelques années plus tard lors de la Révolution
française de 1789. C’est la Déclaration française qui va énormément enrichir cette notion25.
La Constitution française du 3 septembre 1791 par exemple énonce en son titre VI que la
Nation française « n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple ».26 Mais, il
faut souligner qu’à cette époque « the principle did not explicitly refer to the peoples’right
freely to choose their own rulers ». Cependant, le concept ou le droit des peuples à
l’autodétermination était dès lors né et devait suivre une évolution au fil des années et au gré
des évènements historiques. Par un effet de contamination, ce droit va s’étendre dans d’autres
pays américains et européens et ce n’est que beaucoup plus tard que l’Asie et l’Afrique
réceptionneront ce nouveau droit. Nous avons parlé des déclarations française et américaine,
sans cependant ignorer aussi l’influence de la Révolution russe. Le 2 novembre 1917, une
Déclaration des peuples de Russie est adoptée et proclame « l’égalité et la souveraineté des
peuples, le droit des peuples à disposer librement d’eux-mêmes, y compris celui de se séparer
et de se constituer en Etats indépendants… ». Lénine va même aller jusqu’à proposer
l’établissement d’une paix démocratique équitable sans annexion. Comme le souligne
Antonio Cassese, « Lenin was the first to insist, to the international community, that the right
of self-determination be established as a general criterion for the liberation of peoples ...the
first forceful proponent of the concept at the international level was Lenine».27
Les différentes Déclarations soviétiques évoquaient sur ce domaine le fait que le droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes ou l’autodétermination pouvait être invoqué par des
groupes ethniques ou nationaux dans le but de décider librement de leur propre destin ; ce
droit visait aussi à interdire toute annexion territoriale ayant lieu sans le consentement du
peuple concerné (on retrouve ici les idées prônées par la Révolution française en son temps) et
24
25
Jouve, op. cit., pp. 10 et 11
Lire article de Jouve E., « Aux origines du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », in Les droits de
l’homme à l’aube du XXIe siècle, Bruylant, Bruxelles, 1999, p. 261
26
Constitution française du 3 septembre 1791
27
Cassese A., op. cit., p. 14
13
enfin, dans le cas des peuples colonisés, ce droit voulait dire que ces peuples avaient le droit
de revendiquer et d’obtenir leur indépendance. Il faut souligner que pour Lénine, « the selfdetermination of nation living in sovereign states was to be primarily realized through
secession »28. Dans le cadre de ce droit on pouvait déterminer la volonté libre du peuple en
faisant recours à un vote populaire (moyen démocratique pour connaître la volonté réelle du
peuple). Lénine ne fut pas le seul à développer ses pensées sur ce sujet. Le président américain
Woodrow Wilson a aussi fait connaître ses propres idées sur le sujet et ce en s’appuyant
essentiellement sur la démocratie telle que vue par les pays occidentaux. Pour Wilson, « selfdetermination was the logical corollary of popular sovereignty; it was synonymous with the
principle that government must be based on “the consent of the governed»29. Pour le président
Wilson, ce droit avait pour unique signification, le droit des peuples à choisir librement leur
gouvernement. Selon Antonio Cassese, cela se résume en des termes suivants « the principles
requires that peoples of each state be granted the right freely to select state authorities and
political leaders; self-determination meant self-government»30. Ces idées de Wilson
se
trouvaient dans son programme rendu public le 8 janvier 1918, programme qui comportait
quartoze points31. L’autodétermination telle que voulue par Wilson est d’abord interne, c’est
avec la première guerre mondiale que va être ajouté le caractère externe. Quelques critiques
peuvent cependant être faites à la vision qu’avait Wilson du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes32. La première guerre mondiale va contribuer à faire vivre ce principe, car les
alliés vont déclarer que leur objectif premier est de rétablir le respect du principe de
nationalité et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais les Traités de paix qui seront
conclus au lendemain de la première guerre mondiale (exemple : Traité de Brest-Litovsk,
Traité de Versailles, Traité de Saint-Germain, Traité de Neuilly) ne vont pas respecter ce droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes. En effet, différentes cessions seront faites sans au
préalable passer par une consultation du peuple. Les alliés vainqueurs vont plutôt agir dans
leur propre intérêt et non dans celui des peuples concernés. Il est important de souligner que le
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne figurera même pas dans le Pacte de la S.D.N. Un
différend assez important concernant les îles d’Aaland va opposer la Finlande à la Suède. En
28
Ibid, p. 14
29
Ibid., p. 19
30
Cassese, A. op. cit. p. 146
31
Jouve E., op.cit, p.11
32
Lire les critiques faites par Antonio Cassese sur la vision wilsonienne du droit des peuples à disposer d’eux-
mêmes dans son ouvrage précité, p.32
14
effet, la question était de savoir si les habitants des îles Aaland étaient libres de faire une
sécession de la Finlande pour rejoindre le Royaume de Suède ? Un rapport va être réalisé par
un groupe de juristes à la demande du Conseil de la S.D.N. Ce groupe de juristes va
recommander que les îles Aaland demeurent sous la souveraineté de la Finlande, mais que la
Finlande soit obligée d’émettre des garanties permettant aux habitants de l’île d’avoir une
autonomie. Il faut reconnaître qu’ici se posait la question du lien entre le droit à
l’autodétermination et la protection des minorités33.
C’est au lendemain, de la seconde guerre mondiale que le droit des peuples à la libre
détermination va prendre un élan remarquable. Mais il faut admettre que bien avant la seconde
guerre mondiale, ce droit avait déjà revêtu quatre principaux sens : « i) a criterion to be used
in the event of territorial changes of sovereign states… ii) a democratic principle legitimizing
the governments of modern states… iii) an anti-colonialist postulate…iv) a principle of
freedom for nations or ethnic or religion groups constituting minorities in sovereign
states »34.
Durant la seconde guerre mondiale déjà, les dirigeants anglais et américains faisaient
du principe de l’autodétermination un objectif à atteindre après la guerre. Le 15 août 1941, ils
« avaient dégagé plusieurs aspects importants du principe de l’autodétermination »35. Cette
volonté des deux hommes (Churchill et Roosevelt) va être reprise par d’autres chefs d’Etats et
de gouvernements et c’est certainement la raison de la mention, et ce dans le préambule même
de la Charte des Nations Unies, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Lors de la
conférence de San Francisco, il va être pour la première fois inscrit dans un document à portée
universelle36 le droit des peuples à la libre détermination. Il est important de souligner que
pour arriver à inscrire ce droit dans la Charte des Nations Unies, les débats ont été assez
houleux et il a fallu faire preuve de beaucoup de conciliation, surtout que les Etats ne
s’accordaient pas sur le sens à donner à ce droit. Pour certains Etats, le droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes était perçu comme : - permettant la lutte contre le colonialisme37. C’est
la thèse de Lénine qui était reprise et qui soutenait que le droit à l’autodétermination devait
33
Ibid, p. 30
34
Ibid, p.32
35
Jouve E., op cit, p. 12
36
Article 1, § 2 de la Charte des nations Unies « Développer entre les nations des relations amicales fondées sur
le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre
toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ; »
37
Guilhaudis JF., Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Presses Universitaires de Grenoble, 1976, p.22
15
premièrement servir à lutter contre le colonialisme38. La forme externe du droit à
l’autodétermination prenait ainsi le pas et ne devait s’appliquer qu’aux peuples colonisés.
Cette conception a été soutenue par le bloc de l’Est et les pays du Tiers monde39. Le groupe
du Tiers monde avait choisi d’une certaine façon d’ignorer les droits des minorités ou des
nationalités vivant dans les Etats souverains de choisir librement leur forme de gouvernement.
Les Etats occidentaux vont lier ce principe d’autodétermination aux droits fondamentaux de
l’homme. Pour les pays occidentaux, le principe de l’autodétermination était en étroit lien
avec celui de démocratie. On retrouvait ici la substance même de l’autodétermination interne.
Cette conception ne va pas bénéficier du soutien des Etats nouveaux qui ont des
gouvernements « mal établis et sont obnubilés par la crainte des coups d’Etat et de la
subversion »40. Il y avait à ce moment une vive opposition des « Etats moyens et petits »41 à
cette idée.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a donc pendant longtemps « perdu une
part importante de son ancienne signification »42 et ne recouvrant que « le droit pour des
populations non constituées en Etats, de faire sécession et d’accéder à l’indépendance et le
droit pour les Etats déjà établis de disposer d’eux-mêmes»43.
Les deux Pactes Internationaux de 1966 dans leurs deux premiers articles ne vont pas
s’éloigner de cette conception du droit à l’autodétermination. Mais il est important de
souligner que bien avant les Pactes de 1966, il y a eu la Déclaration universelle des droits de
l’homme de 1948 qui était restée aussi fidèle à cette interprétation majoritaire des Etats de
l’Est et des Etats du Tiers monde.
La rédaction des articles de ces Pactes n’a pas été aisée. Dès 1950, la Commission des
droits de l’homme avait pris la résolution d’accompagner la Déclaration universelle des droits
de l’homme par un traité, même si en 1954, l’option sera plutôt d’adjoindre à la Déclaration
deux Pactes. L’article 1er commun aux deux Pactes dispose : «1. Tous les peuples ont le droit
38
Cassese A., op cit, p. 44
39
Pour les pays du Tiers monde, Cassese souligne que le droit à l’autodétermination avait trois sens : « the fight
against colonialism and racism, the struggle against domination of any alien oppressor illegally occupying a
territory, the struggle against all manifestation of neo-colonialism and in particular the exploitation by alien
powers of the natural resources of developing countries”
40
Guilhaudis JF., op cit. p. 20
Ibid
42
Guilhaudis, J.F, op cit. p. 22
41
43
Ibid, p. 21
16
de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique
et assurent librement leur développement social et culturel.
2. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et
de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération
économique internationale, fondée sur le principe de l’intérêt mutuel, et du droit
international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de
subsistance ». Une lecture de cet article montre bien que ce sont les thèses soviétique et tiers
mondiste du droit à l’autodétermination qui ont été prises en compte dans la rédaction des
Pactes44, mais les Pactes de 1966 mentionnent aussi l’autodétermination interne. Malgré
l’adoption de ces articles des Etats vont continuer à manifester leur peur de voir ce principe
accorder des droits aux minorités nationales et fragiliser ainsi la souveraineté des Etats. Il faut
aussi savoir qu’ « au cours des discussions à l’O.N.U., pendant plus de onze ans, deux thèses
se sont affrontées quant à l’insertion dans les projets de Pactes relatifs aux droits de
l’homme, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »45. Pour les uns, le droit des peuples
ne faisait pas partie des droits de l’homme ; pour les autres les droits de l’homme et le droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes étant de même nature, ils étaient indissolublement liés et
devaient figurer ensemble dans les Pactes46. L’article 1er des Pactes « requires that the people
choose their legislators and political leaders free from any manipulation or undue influence
from the domestic authorities themselves »47. C’est donc l’autodétermination interne qui est
ainsi reconnue par les Pactes et qui permet aussi la réalisation d’autres droits tels : le droit de
prendre part à des affaires publiques, la liberté d’association. L’autodétermination des peuples
va aussi impliquer l’interdiction de toute ingérence extérieure dans les affaires d’un Etat ; le
droit pour les Etats de gérer eux-mêmes leurs richesses et leurs ressources naturelles, et pour
les peuples colonisés, le droit de décider de leur statut, c’est-à-dire de se constituer en Etats ou
de décider de s’associer à un Etat déjà existant.
Les articles des deux Pactes et plus précisément du Pacte sur les droits politiques et
civils ont essayé, pour ce concerne le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, de rassembler
les deux différentes idées qui étaient portées par les pays soviétiques, les pays du Tiersmonde et les pays de l’Ouest. Il est aussi important de souligner le rôle que les résolutions des
Nations Unies ont eu dans la cristallisation du principe de l’autodétermination des peuples. Le
5 février 1952, la Résolution 545 (VI) de l’Assemblée générale intitulée Insertion dans le
44
Cassese A., op.cit, p.48 et 49 et voir aussi les travaux préparatoires des deux Pactes
45
Calagorépoulos S., Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Bruylant, Bruxelles, 1973, p. 137
Ibid
47
Cassese A., op. cit., p. 53
46
17
Pacte ou les Pactes internationaux relatifs aux droits d’un article sur le droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes était adoptée. Cette résolution de l’A.G. a été à l’origine des
discussions faites dans le but d’insérer le droit à la libre détermination des peuples dans les
Pactes. La même année d’ailleurs, la résolution 637 A (VII) sur le droit des peuples et des
nations à disposer d’eux-mêmes qui énonçait que : « Les Etats membres de l’Organisation
doivent soutenir le principe de droit de tous les peuples et de toutes les nations à disposer
d’eux-mêmes ». Mais les résolutions les plus connues, les plus importantes, et les plus
retentissantes en ce qui concerne le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes sont les
résolutions 1514 et 2625 des Nations Unies48. Ces deux résolutions font partie d’un ensemble
qui permet de déterminer la nature juridique du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
B - Nature juridique du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
« Malgré l’évolution que ce principe a subi pendant plus d’un siècle et demi et les
diverses formes qu’il a revêtues dans son application, ainsi que les multiples violations dont
il a été l’objet, il a fini de devenir une règle du droit positif universellement reconnue »49.
C’est en ces termes que Jean François Guilhaudis aborde la question de la nature juridique du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Nous avons souligné en commençant notre travail
que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes avait une origine politique (Déclaration
américaine de 1776, la révolution française de 1789, les idées de Lénine et Wilson qui seront
reprises par Churchill et Roosevelt), ce qui n’exclut pas que ce droit ait pu au fil des années
acquérir un caractère juridique. Jean François Guilhaudis pense que « toute règle de droit a
son fondement dans une idéologie politique et dans des préceptes d’actions tendant à réaliser
des desiderata et les nécessités d’un milieu social »50. Bien que ne partageant pas totalement
cette idée de Jean François Guilhaudis, il est cependant honnête de reconnaître qu’elle est
juste pour ce qui est du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Même si à l’origine, le
48
Résolution 1514(XV).du 14 décembre 1960 : Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux
peuples coloniaux.
Résolution 2625(XXV) du 24 octobre 1970 : Déclaration relative aux principes du droit international touchant
les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément la Charte des Nations Unies.
49
Guilhaudis JF., op cit., p. 251
Ibid,
50
18
droit des peuples à l’autodétermination est un principe politique (pour certains auteurs, le droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes est un des principes politiques qui a exercé et exerce
encore une influence déterminante dans la vie des nations), ce principe a très vite évolué vers
la sphère juridique comme nous l’avons vu au cours des analyses précédentes à travers des
instruments juridiques, nous pensons aux plus anciens (Traité de Versailles51, Traité de
Neuilly52, Traité de Saint Germain en Laye53…) et à d’autres assez récents (Charte de
l’O.N.U., différentes résolutions de l’O.N.U. sur le droit à l’autodétermination des peuples, les
Pactes de 1966, Charte de l’O.U.A., la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples,
Conventions européenne et américaine des droits de l’homme…). Ce passage du droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes de la sphère politique à la sphère juridique s’est certainement
réalisé du fait de l’acceptation par les Etats de ce nouveau principe. En effet, les membres de
la société internationale ont consenti à ce que ce principe soit intégré dans des instruments
juridiques à portée internationale. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans sa
dimension externe a donc acquis en droit international aussi bien un caractère conventionnel
(1) que coutumier (2), et plus aujourd’hui pour une grande partie de la doctrine, ce droit est
devenu une norme de jus cogens (3).
1 -Le caractère conventionnel du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
dans sa dimension externe
Aujourd’hui, le caractère conventionnel du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
au niveau externe n’est plus un doute en droit international public. Nous avons jusqu’à ce
niveau de notre travail énuméré quelques-uns des multiples textes conventionnels qui ont été
jusque là consacrés au droit à l’autodétermination des peuples. Nous partageons même l’idée
selon laquelle ce droit est une règle générale à vocation universelle54, ce caractère lui ayant été
attribué par la Charte des Nations Unies de 1945, qui par la même occasion en a fait un de ses
objectifs principaux. En plus de la Charte, nous avons vu aussi que différentes résolutions de
l’Assemblée générale des Nations Unies ont contribué à l’affirmation de ce caractère
conventionnel du droit à l’autodétermination. En effet, quelques résolutions principales telles
la résolution 1514 du 14 décembre 1960 encore appelée Déclaration sur l’octroi de
51
28 juin 1919
27 novembre 1919
53
10 septembre 1919
54
Guilhaudis JF., op. cit., p. 129
52
19
l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux et notamment la résolution 2625 (XXV) du
24 octobre 1970 qui précisément affirmait que « le principe de l’égalité des droits des peuples
et de leur droit à disposer d’eux-mêmes constituent une contribution significative au droit
international contemporain et que son application effective est de la plus haute importance
pour promouvoir les relations amicales entre les Etats fondés sur le respect du principe de
l’égalité souveraine ». Il y a eu bien d’autres résolutions après celles-ci. Il est vrai qu’il ne faut
pas non plus oublier que les résolutions de certains organes des Nations Unies notamment de
l’Assemblée générale n’ont pas un caractère obligatoire55. Mais il ne faut pas minimiser le
transfert possible d’un droit au départ « mou »56 vers un droit « dur »57, autrement dit un
passage possible de la lex lata vers la lex ferenda.
Nous avons vu aussi que beaucoup de traités ont été conclus entre les Etats et que ces
traités laissaient apparaître une volonté ferme des Etats signataires de respecter le droit des
peuples à la libre détermination externe. Ce fut le cas de certains traités comme le Traité de
Versailles, ceux de Neuilly et de Saint Barthélemy. La majorité de ces traités portait sur la
cession des Etats ; en effet, la cession du territoire d’un Etat ne devait être validée que si elle
se faisait dans le respect du consentement ou de la volonté des populations concernées. La
Cour Internationale de Justice a apprécié le caractère conventionnel ou non de ce droit.
D’autres textes tels, la Charte de l’O.U.A, la Convention européenne des droits de l’Homme,
la Convention américaine des droits de l’Homme, consacrent aussi ce droit à la libre
détermination externe.
2- Le caractère coutumier du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes au
niveau externe
Il faut souligner que contrairement au caractère conventionnel du droit des peuples à
l’autodétermination qui est beaucoup plus ancien, le caractère coutumier du droit à
l’autodétermination externe n’est pas un fait assez ancien. En effet, jusqu’à la première guerre
mondiale, ce droit était resté assez conventionnel. Même la Société des Nations durant son
existence avait refusé de reconnaître à ce droit un caractère coutumier. On se souvient de la
célèbre affaire des îles Aaland opposant la Finlande à la suède58 où la S.D.N. a noté que ce
55
Calogéropoulos S., op.cit, p. 264
Dupuy, P-M, R.G.D.I.P 1980, tome I, p 462
57
58 Ibid
Calogeropoulos S., op.cit, p. 54
56
20
principe n’était pas un droit généralement reconnu, et qui plus est, que ce droit ne figurait pas
dans la Charte de la S.D.N.. A cette époque, ce droit avait un caractère beaucoup plus
conventionnel que coutumier. Mais entre les deux guerres, il sera reconnu au droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes dans sa dimension externe un caractère coutumier, même si
comme le souligne Stratis Calogéropoulos, ce droit était perçu comme étant une « règle de
droit d’exception 59». Le caractère coutumier du droit des peuples à l’autodétermination ne
pourrait résulter que de la présence de deux éléments60: matériel et psychologique. Stratis
Calogéropoulos analysant l’éventualité de l’existence du caractère coutumier du droit des
peuples va constater qu’entre les deux guerres, ce droit ne dispose pas de ces deux éléments
qui permettent d’identifier l’existence d’une règle coutumière. On rencontre bien évidemment
l’élément matériel (multiplication des cas de son application et élargissement de son domaine)
mais, « l’opinio juris ou la reconnaissance objective, ne peut être affirmée d’une façon
générale et ceci parce que cet élément doit exister chez les sujets destinataires, qui en
principe sont les Etats » 61. Pour certains auteurs, au sein même du droit coutumier, le droit
des peuples à l’autodétermination externe apparaissait comme une règle coutumière
particulière, étant donné que les sujets principaux que sont les Etats n’avaient accepté que par
exception l’application de cette règle. Les groupes d’individus avaient par exception été
reconnus comme les destinataires de cette règle62. Mais après la deuxième guerre mondiale, le
droit des peuples à l’autodétermination externe va commencer à acquérir un réel statut de
règle coutumière car plusieurs résolutions vont contribuer à l’ériger et à le faire parvenir au
stade de règle unanimement acceptée et appliquée par la communauté internationale. Son
application aux peuples colonisés ou dominés va se vouloir générale et acceptée par la quasitotalité des Etats. Même si dans les années 1970, des auteurs à l’instar de Stratis
Calogéropoulos pensaient qu’il était difficile de reconnaître que le droit des peuples à la libre
détermination externe avait été confirmé par le processus coutumier. Aujourd’hui, on peut au
regard des analyses précédentes estimer que c’est une règle coutumière, car ce principe
s’applique aujourd’hui de façon générale (forme externe), et c’est d’ailleurs au nom du respect
de ce principe aujourd’hui coutumier qu’a été mis en place par l’Assemblée générale des
Nations Unies, un Comité chargé de veiller au respect de ce principe : il s’agit du Comité des
59
60
Ibid, p. 59
Voir sur cette question P. Haggenmacher, « La doctrine du droit coutumier dans la pratique de la Cour
internationale », RGDIP 1986, n°1, p. 5-126
61
Calogéropoulos, S., op cit. p. 60-61
62
Ibid
21
2463 qui est le Comité spécial64 chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application
de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux . La Cour
internationale de justice s’est prononcée sur la résolution 2625 en notant que « …l’effet d’un
consentement au texte de telles résolutions ne peut être interprété comme celui d’un simple
rappel ou d’une simple spécification de l’engagement conventionnel pris dans la Charte. Il
peut au contraire s’interpréter comme une adhésion à la valeur de la règle ou de la série de
règles déclarées par la résolution et prises en elles-mêmes »65. La C.I.J. dans les arrêts
concernant le Sahara Occidental66, le Timor Oriental67et par son Avis sur la Namibie ou le
Sud-Ouest africain68, réaffirme le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans
sa dimension externe, et reconnaît aussi d’une certaine façon à ce principe le caractère de
règle coutumière.
Il est aussi important de souligner que le droit des peuples à l’autodétermination
externe en plus de ses deux principaux caractéristiques est aujourd’hui considéré par une
bonne partie de la doctrine69 comme étant une norme de jus cogens, et par ricochet comme
une norme qui s’impose à toute la communauté internationale.
3 - Le droit des peuples à l’autodétermination externe : une norme erga omnes
et une norme de jus cogens
Pour ce qui est de la règle erga omnes, on peut faire référence à l’arrêt de la C.I.J. de la
Barcelona Traction où la Cour parle d’une norme erga omnes comme étant celle dont
63
Le Comité a été créé en 1961. Il comporte 25 membres. De son vrai nom, Comité spécial chargé d’étudier la
situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples
coloniaux. Le mandat du Comité est de mettre en œuvre, les dispositions de la Déclaration de 1960 sur l’octroi de
l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. Le Comité tient aussi à jour une liste de territoires dont il
s’occupe (18 actuellement) et il étudie les conditions régnant dans les territoires et leur évolution, ainsi que les
activités militaires et les activités des intérêts économiques étrangers susceptibles d’entraver l’application de la
déclaration.
64
Le Comité des 24 a adopté plusieurs résolutions dont quelques unes plus récentes ont été prises sur la
Nouvelle-Calédonie, Tokélaou
65
Recueil, C.I.J., 1986, Nicaragua,§ 188
66
Recueil, C.I.J., 1975, p.6 et suivant
Recueil, C.I.J., 1995, p. 102
68
Voir Recueil, C.I.J., 1971
69
Calogéropoulos S. par contre refuse de reconnaître au droit des peuples à l’autodétermination le caractère de
67
norme de jus cogens (Voir Calogeropoulos S., op. cit., p. 269)
22
l’importance des droits en cause fait que « tous les Etats peuvent être considérés comme ayant
un intérêt juridique à ce que ses droits soient protégés »
70
, de ce fait, dit la Cour, les
obligations sont erga omnes. En effet, la Cour vient dire ici que certaines obligations sont
établies envers la communauté internationale des Etats dans son ensemble71. Pour la
Commission de Droit International, la responsabilité engagée par la violation de ses
obligations n’est pas seulement engagée envers l’Etat qui a été la victime directe de la
violation, mais elle se trouve aussi engagée envers tous les autres membres de la Communauté
internationale, tout Etat devant être considéré en cas de violation de ces obligations comme
justifié à faire valoir vraisemblablement par la voie judiciaire la responsabilité de l’Etat auteur
du fait internationalement illicite. Prosper Weil souligne que la théorie des obligations erga
omnes vise une protection universelle de certaines normes fondamentales relatives aux droits
de l’homme.
Antonio Cassese pense comme une bonne partie de la doctrine que : « First, the
obligation flowing from the principle and rules on self-determination are erga omnes, that is
they belong to that class of international legal obligation which are no bilateral or
reciprocal, but arise in favour of all members of the international community”72. Le droit des
peuples à une autodétermination externe devrait être respecté par toute la communauté
internationale, car c’est un principe qui s’impose à la communauté dans son ensemble. Dans
l’arrêt sur le Timor Oriental, la Cour « considère qu’il n’y a rien à redire à l’affirmation du
Portugal selon laquelle le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tel qu’il s’est développé
à partir de la Charte et de la pratique de l’organisation des Nations Unies, est un droit
opposable erga omnes »73. La Cour a rajouté que le principe du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes dans sa dimension externe a été reconnu par la Charte des Nations Unies et dans
la jurisprudence de la Cour. Solignons ce rapport74 du Secrétaire Général des Nations Unies
qui demande à tous les Etats et surtout au comité des 24 de faire à ce que d’ici 2010, il n’y ait
plus de peuples sous le joug de la colonisation.
La doctrine n’est pas unanime pour reconnaître le caractère de jus cogens à la
dimension externe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Cependant, pour certains
auteurs le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans sa dimension externe est une norme
70
C.I.J. Rec, 1970, Barcelona Traction, § p. 204
71
Weil P., « Vers une normativité relative en droit international », RGDIP 1982 p. 3 et suivant
72
Cassese A., op cit., p. 134
73
Recueil C.I.J., Timor Oriental, op. cit., p.102
74
SG/COL/205
23
impérative de droit international général et en vertu de l’article 64 du traité de Vienne, aucune
dérogation n’est possible à ce principe75. Théodore Christakis76 souligne (et sur ce point
rejoint Antonio Cassese) que le principe de l’autodétermination externe n’est pas seulement
une règle de jus cogens, mais qu’il a aussi largement contribué à la naissance de la notion de
norme impérative et à son inclusion dans la Convention de Vienne du 23 mai 1969. Il est vrai
que la Convention de Vienne ne fait pas une référence explicite au droit des peuples à
l’autodétermination comme étant une règle de jus cogens, mais c’est en lisant les discussions
sur le projet des articles de la Convention de Vienne portant sur le droit des traités qu’on
constate que quelques fois il a été fait allusion au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
dans la dimension externe comme étant une norme de jus cogens77. Selon Antonio Cassese,
l’arrêt de la C.I.J. sur le Sahara Occidental, même s’il réduit le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes au principe de décolonisation, lui accorde cependant le statut de jus cogens et il
ajoute aussi que « US statement constitutes an important contribution to the consolidation of
self-determination as a norm of jus cogens »78. Mais il faut malgré ceci reconnaître que même
les Etats ne sont pas de façon unanime d’accord sur ce point.
II - Les différentes formes du droit d’autodétermination des peuples
Jusqu’à ce stade de notre travail, nous avons aisément noté que deux types ou mieux deux
formes pouvaient être reconnues au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ces deux
formes sont l’autodétermination externe et l’autodétermination interne.
L’autodétermination externe consiste dans le droit des peuples de décider de leur statut
international et de leur constitution ou non en Etats indépendants. C’est aussi leur droit de
renoncer à l’indépendance et de préférer une forme d’association avec un autre Etat ou d’être
rattaché à un autre Etat79. C’est très souvent le droit des peuples colonisés ou dominés de
75
Cassese A. note que jusqu’à ce jour “no treaty bearing upon self-determination has been declared null and void
by the I.C.J as being in conflict with a peremptory norm of international law »
76
Christakis Th., op cit., p.28
77
Cassese A., op cit. p. 136
78
Ibid, pp. 138-140
Taxil B. « Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes en Nouvelle-Calédonie : l’Accord de Nouméa du 5
79
mai 1998 », ADI, novembre 1998 (http://www.ridi.org/adi)
24
décider de leur propre destinée : soit en devenant des Etats indépendants, soit en choisissant
de se lier à d’autres Etats déjà indépendants.
L’autodétermination interne « concerne les relations entre un peuple et son propre
Etat ou son propre gouvernement. Elle devrait aussi s’analyser comme l’obligation des
gouvernements de prendre en compte la volonté, clairement exprimée de leurs peuples »80.
Théodore Christakis rajoute que l’autodétermination interne pourrait aussi inclure un droit à
l’autonomie et à l’auto gouvernement de certains groupes à l’intérieur d’un Etat. Pour certains
auteurs, l’autodétermination interne se confond avec le principe de démocratie.
Nous avons constaté que l’autodétermination externe a été la première forme
d’autodétermination mise en pratique par le droit international public et la plus admise aussi
par la communauté internationale jusqu’ici. C’est d’ailleurs au nom de ce principe que
beaucoup de peuples coloniaux notamment en Afrique et en Amérique latine ont accédé à
l’indépendance. En effet, le droit à l’autodétermination a longtemps été perçu comme un
« droit à la décolonisation »81. Théodore Christakis est même très critique à l’égard de ce
qu’on peut considérer comme une vision réduite du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes,
surtout qu’au sein même de l’O.N.U., c’est cette vision qui a longtemps prévalu. Il justifie
cette attitude de l’O.N.U. par le fait que « Les Nations Unies, hantées par le démon de la
décolonisation ont fait de l’accession à l’indépendance la seule issue de la décolonisation, la
seule libre détermination authentique »82. Le droit à l’autodétermination externe a longtemps
été privilégié en droit international et ce, au détriment du droit à l’autodétermination interne.
Durant de nombreuses années, les Nations Unies se sont concentrées sur l’autodétermination
externe, mais il faut aussi reconnaître qu’à l’époque toute tentative faite par les Nations Unies
de s’interroger sur les régimes mis en place dans les Etats nouveaux recevait immédiatement
la critique selon laquelle, une atteinte était de ce fait portée au principe de non-ingérence dans
les affaires internes d’un pays donné.
80
Christakis Th., op cit., p.34
81
Ibid, p. 32, Christakis reprend ainsi une phrase de M. Bennouna
Ibid, p.43
82
25
III - Approche choisie et Raisons de ce choix.
Nous avons vu que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes revêtait deux formes.
Nous pensons à l’autodétermination externe et l’autodétermination interne. Nous ne nous
pencherons dans la suite de ce travail et ce de façon assez détaillée que sur
l’autodétermination interne car nous avons dans notre introduction analysé la forme externe de
l’autodétermination des peuples. Il est certes vrai que depuis la grande vague de
décolonisation, nous pensons notamment à la vague des années 1960, le droit des peuples à
l’autodétermination externe a perdu une bonne partie de son intérêt. Même si nous comme
avons constaté dans les rapports83 du Comité des Nations Unies chargé de la décolonisation
qu’il existe encore aujourd’hui sur la scène internationale des peuples « colonisés » ou encore
des peuples qui sont placés sous la tutelle d’un ou plusieurs Etats et dans ces cas, les Nations
Unies se sont données pour but d’aider ces peuples ou mieux de les conduire vers un
processus d’autodétermination. Nous ne sommes cependant plus au lendemain de la deuxième
guerre mondiale où les Nations Unies avaient fait de ce droit un de ses objectifs principaux,
même si cette autodétermination externe reste d’actualité. Il faut noter aussi que beaucoup
d’auteurs et d’instances tant nationales qu’internationales se sont penchés sur la forme externe
de l’autodétermination et leurs développements sont assez fournis et prononcés sur la
question. Le vingt et unième siècle a ses exigences et de ces exigences, on peut souligner la
démocratie ou l’Etat de droit. En effet, la démocratie et l’Etat de droit sont devenus des mots
ou groupes de mots les plus prononcés à notre avis dans les instances onusiennes et même
dans les instances nationales, et ce depuis la chute du mur de Berlin ou la fin de la guerre
froide. Les pays africains comme beaucoup d’autres pays du Tiers-Monde n’ont pas échappé
83
AG/COL/200, AG/COL/202, AG/COL/213….
26
à ce que d’aucuns ont appelé le « vent d’est »84 dont l’une des caractéristiques majeures est
l’exigence de la démocratie. Le respect de la démocratie est aujourd’hui devenu un « gage de
maturité »85 pour les Etats, mais c’est surtout une garantie majeure pour le respect des droits et
libertés de l’homme. La démocratie est devenue même une condition nécessaire que doivent
remplir les Etats demandeurs (très souvent les Etats du Tiers-Monde ) pour pouvoir bénéficier
de certaines aides au niveau onusien ou mondial (exemple F.M.I). Même les missions
onusiennes sont maintenant marquées par un désir impératif d’établir ou de rétablir la
démocratie et pour mieux satisfaire cet impératif, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
au niveau interne est l’un des principes assez anciens du droit international général qui milite
en faveur de la démocratie. Pour Théodore Christakis, « le droit à l’autodétermination interne
est un droit à la démocratie »86. Existe-t-il une connexion aussi forte entre l’autodétermination
interne et la démocratie ou l’Etat de droit comme l’affirment plusieurs auteurs et rapports
onusiens, régionaux et nationaux ? Mais une autre interrogation s’avère aussi importante :
c’est celle de la possible conciliation ou non entre le droit à l’autodétermination interne et
certains principes du droit international, nous pensons notamment au sacro-saint principe de
non-ingérence notamment dans les affaires politiques d’un Etat ?
En plus de ces deux
questions, une autre nous apparaît aussi assez importante et porte sur le statut juridique du
principe de l’autodétermination interne.
Nous essaierons dans le cadre de ce travail de répondre à ces interrogations, ce qui
nous amènera certainement à nous pencher sur la substance même de l’autodétermination
interne (Partie I) avant de voir que l’autodétermination interne peut constituer un facteur
d’évolution du droit international contemporain (Partie II).
84
C’est nous qui mettons en italique ces mots
85
On retrouve de plus en plus les expressions « vieilles démocraties » et « nouvelles démocraties ».
86
Christakis Th., op. cit., p. 360
27
PREMIERE PARTIE
LA SUBSTANCE DE L’AUTODETERMINATION
INTERNE
28
L’autodétermination interne comme nous l’avons précédemment noté concerne les
relations entre un peuple et son propre Etat ou encore son propre gouvernement. Le principe
ou la règle de l’autodétermination interne vient ainsi énoncer que les relations entre les
peuples et leurs gouvernements doivent se dérouler dans le respect de certaines exigences
notamment l’exigence du respect d’une démocratie politique (I), mais au delà cette exigence,
nous sommes aussi conduits à nous rendre compte que l’autodétermination interne se présente
et ce au moyen de certaines obligations qui lui sont rattachées comme un complément
nécessaire à la démocratie politique (II).
I- L’exigence d’une démocratie politique
L’autodétermination ou le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est envisagé du
moins dans sa dimension interne comme un principe qui se confond avec le principe de
légitimité démocratique. Sur la scène internationale, il est possible de constater ce que
d’aucuns appellent le grand succès de la démocratie libérale ou encore ce que LinosAlexandre Sicilianos qualifie comme étant « l’émergence du principe de légitimité
démocratique»87. En effet, il y a un accroissement des démocraties électorales dans le monde.
Mais il faut garder à l’esprit que « pour les Nations Unies, il n’ y a pas de modèle
démocratique préétabli à imposer ou à transposer»88, même si force est cependant de
87
Sicilianos, L.A. op cit., p. 32
88
Christakis, Th. op cit., p.330
29
constater que le droit des peuples à une autonomie interne passe comme la démocratie par
quelques standards qui somme toute peuvent être librement mis en place par les Etats. C’est
par exemple l’obligation pour les Etats de respecter le pluralisme politique (B) et d’autres
standards démocratiques notamment la tenue d’élections libres, justes et honnêtes afin de
mettre en place un ou des gouvernements démocratiques (A).
A - L’exigence du respect des standards démocratiques en matière
d’élections et de formation de gouvernements
L’autodétermination interne « concerne les relations entre un peuple et son propre Etat ou
son propre gouvernement. Elle devrait aussi s’analyser comme l’obligation des
gouvernements de prendre en compte la volonté, clairement exprimée de leurs peuples »89.
Lorsque nous nous attardons un moment sur cette définition de l’autodétermination interne, il
en ressort deux grandes exigences que sont : le gouvernement qui doit être propre au peuple
ou tenir sa légitimité du peuple (2) et la volonté de ce peuple qui doit être clairement et
librement exprimée. Pour ceci cette volonté doit s’obtenir par le biais ou le moyen d’ élections
libres, justes ou honnêtes et régulières (1).
1 - L’exigence d’élections démocratiques
Pour nombre d’auteurs, « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un principe
démocratique du fait que le consentement librement exprimé des populations intéressées y
joue un rôle déterminant »90. La résolution 1514 qui a été baptisée Déclaration sur l’octroi de
l’indépendance aux peuples coloniaux, montrait déjà bien ce désir d’évoluer vers un schéma
ou seul désormais le peuple pouvait déterminer librement son statut politique. Il est vrai qu’à
l’époque, la nécessité immédiate du moment était de parvenir le plus vite possible à sortir les
peuples coloniaux de l’état dans lequel ils se trouvaient, c’est pourquoi le côté anti-colonial de
la Déclaration qui a été le plus exploité et mis en exergue ou en lumière. Le paragraphe 2 de la
89
Christakis Th., op. cit, p.34
90
Sikondo, M., Droit international public, p. 478
30
résolution 1514 qui déclare que « 2. Tous les peuples ont le droit de libre détermination ; en
vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique… » n’a pas été exploité ou
pris souvent en compte après le phénomène colonial. Pourtant il y avait déjà dans cette
disposition, l’idée de laisser le peuple, quel que soit sa qualité, décider librement de son
destin politique. C’est la résolution 2625 de l’A.G de l’O.N.U. qui sera beaucoup plus
expressive sur le sujet. En effet, dans le préambule de la Résolution, il est dit clairement
qu’ « En vertu du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’euxmêmes, principe consacré dans la Charte des Nations Unies, tous les peuples ont le droit de
déterminer leur statut politique, en toute liberté et sans ingérence extérieure […] et tout Etat
a le devoir de respecter ce droit conformément aux dispositions de la Charte», plus loin la
même résolution ajoute que « Tout Etat a le devoir de favoriser, conjointement avec d’autres
Etats ou séparément, le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés
fondamentales conformément à la Charte ».
Nous pouvons ainsi dire que pour parvenir à une libre détermination des peuples, il
paraissait important, mieux il satisfaisait d’une exigence de la démocratie91, de laisser le
peuple choisir lui même son propre gouvernement. Ce choix de gouvernement passe
forcément par des élections ou par tout autre procédé qui puissent permettre d’arriver à
l’établissement d’institutions politiques ayant un caractère démocratique, c’est-à-dire émanant
de la volonté des peuples concernés. Pour Jean-Michel Ducompte, le peuple est un acteur
principal de la démocratie qui conserve une part de son mystère, il poursuit en disant que
selon qu’on l’aborde au travers des droits civiques qui lui sont conférés ou dans sa complexité
sociologique, selon également les moments de l’histoire, le peuple peut apparaître comme la
source de la légitimité d’un pouvoir qu’il a institué ou comme une force de subversion d’un
pouvoir qu’il rejette92.
La plupart des Etats du monde notamment lorsqu’ils se sont lancés dans un modèle
démocratique ont opté pour des élections qui, lorsqu’elles sont bien organisées et ce dans le
respect d’un minimum de règles constituent de nos jours le moyen le plus fiable permettant
aux peuples de mieux faire connaître leur volonté. Nous pouvons même nous demander
91
On se souvient de la célèbre définition de la démocratie donnée par le président Abraham
Lincoln : « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » , lors du discours de Gettysburg, le 19
novembre 1863
92
Ducompte, J.M., La démocratie, Les essentiels MILAN, p.15
31
comme Michel Kaiser, « quel outil démocratique est-il susceptible d’assurer la légitimation
du pouvoir aussi bien que l’élection ? » 93
Pour que les élections soient représentatives de la volonté du peuple, encore elles
devraient respecter possèdent certains caractères : Il faut que ces élections soient honnêtes et
libres et aussi qu’elles soient organisées à des intervalles réguliers.
L’exigence d’élections honnêtes comme élément permettant de pouvoir déterminer la
volonté politique des peuples ou populations concernés semble logique. Il faut d’abord
reconnaître que les textes internationaux ou les résolutions des Nations Unies même si tous
d’accord sur l’importance des élections pour déterminer la volonté des peuples n’ont pas les
mêmes exigences en matière d’élections, nous pensons par exemple au mode de scrutin94.
Selon André-Paul Frognier, « la formule électorale comprend plusieurs dimensions, dont
celle de son orientation de base (formule majoritaire ou proportionnelle), celle encore du
caractère uninominal ou de liste de scrutin ou encore celle du nombre de voix revenant à
l’électeur » 95 et Michel Kaiser de conclure que ce sont ces différentes dimensions que l’on
qualifie de « mode de scrutin »96.
L’exigence d’un scrutin périodique apparaît aujourd’hui comme essentielle au bon
fonctionnement de la démocratie et par la même occasion permet de déterminer la volonté du
peuple. Pour Théodore Christakis, il ressort du Pacte sur les droits politiques et civils de 1966
que seules les élections garantissent « l’expression régulière de la volonté librement consentie
du peuple et permet un contrôle systématique de la façon dont ses représentants s’acquittent
des pouvoirs législatifs ou exécutifs qui leur sont dévolus »97. Le Pacte sur les droits civils et
politiques en son article 25 énonce que les Etats parties au Pacte se sont engagés « à organiser
des élections libres et honnêtes, à assurer la participation de tous les citoyens à la vie
politique et finalement à avoir un système démocratique qui garantit l’expression libre et
93
Kaiser, M. «Le droit à des élections libres … l’application timide d’une disposition ambitieuse », in Les droits
de l’homme au seuil du troisième millénaire : Mélanges en hommage à Pierre Lambert, Bruylant Bruxelles, 2000,
p. 435
94
Pour Cadoux Charles, « le mode de scrutin est un procédé technique de décompte des voix qui permet de
répartir les sièges à pourvoir entre les candidats en fonction des suffrages exprimés par les électeurs. », voir son
ouvrage : Droit constitutionnel et institutions politiques Théorie générale des institutions, Cujas, 4ème édition,
1995, p. 289
95
Pour André-Paul Frognier, « la formule électorale » est le « moyen de transformer, pour une élection un
ensemble de voix en un ensemble de sièges dans une assemblée » in « Les systèmes électoraux : types et effets
politiques », A.P.T., 1998, p. 3
96
97
Kaiser, M., op cit., p. 458
Christakis, Th., op cit, P 374
32
périodique de la volonté du peuple ». Il est important de souligner que pour les Etats parties
au Pacte, c’est un engagement qui a été pris et qu’ils sont tenus de le respecter. Les Etats
doivent ainsi respecter cette obligation. La Déclaration universelle des droits de l’homme de
1948 aussi s’était prononcée dans le même sens en énonçant au paragraphe 3 de l’article 21 de
la Déclaration que : « La volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs
publics ; cette volonté doit s'exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu
périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure
équivalente assurant la liberté du vote ».
Le Comité des droits de l’homme98, organe mis en place pour assurer le respect du
Pacte de 1966 portant sur les droits civils et politiques, a affirmé dans l’une de ses
observations générales de 1996 que les élections devraient être organisées de façon
périodique, « à des intervalles suffisamment rapprochés » 99, ceci dans le but de permettre au
gouvernement mis en place de toujours bénéficier de l’expression libre de la volonté du
peuple.
L’article 3 du premier protocole à la Convention européenne des droits de l’homme
énonce à son tour que les élections libres sont organisées par les hautes parties contractantes à
des intervalles réguliers (article 3 du premier protocole : « Les Hautes Parties contractantes
s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret,
dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du
corps législatif »). Pour Silvio Marcus Helmons100, repris par Michel Kaiser, « le critère
raisonnable est relatif : il dépend des Etats et des législations nationales ». Et il rajoute qu’il
convient d’apprécier l’intervalle raisonnable dans le cas d’espèce, ce qui pourrait amener à
conclure qu’il s’agit naturellement de se conformer aux usages normaux pratiqués par les
98
Le Comité des droits de l'homme a été institué pour surveiller l'application du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques et des Protocoles s'y rapportant. Le Comité se compose de dix-huit personnalités de
haute moralité et possédant une compétence reconnue dans le domaine des droits de l'homme ; ils sont élus pour
quatre ans par les Etats parties. Le Comité tient normalement trois sessions par an, d'une durée de trois semaines
chacune, l'une à New York et les deux autres à Genève. Chacune des sessions du Comité est précédée par des
groupes de travail qui se réunissent pendant une semaine. Ils ont notamment pour tâche de présenter des
recommandations au Comité sur les communications reçues en vertu du Protocole facultatif, et de préparer des
listes concises de questions relatives aux rapports des Etats qui seront examinées dans la session du Comité.
99
Observation générale n° 25 (1996) du Comité des droits de l’homme
100
Helmons Marcus, S., « Article 3 du premier protocole additionnel », in L.E. Pettiti, E.Decaux et P.H. Imbert, la Convention européenne
des droits de l’homme, Paris ; Economica, 1995, p. 1012
33
Etats démocratiques, ce qui implique qu’un intervalle de dix ou quinze ans ne peut
évidemment plus être considéré comme raisonnable surtout à cette époque. La Commission
européenne a saisi plusieurs fois l’occasion qui lui était offerte pour se pencher sur la question
de la périodicité et en ce sens, elle a déclaré que « Le caractère régulier des intervalles entre
les élections au parlement doit s’apprécier à la lumière de l’objet de ces élections, c’est-àdire garantir que les idées des représentants du peuple traduisent les évolutions
fondamentales de l’opinion dominante […].Un intervalle trop court entre les élections
pourrait entraver les stratégies politiques visant à mettre en œuvre les volontés de
l’électorat ; un intervalle trop long peut conduire à l’absence de renouvellement de la
représentation parlementaire, laquelle risque, avec le temps de ne plus correspondre aux
aspirations dominantes des électeurs »101. La Convention américaine des droits de l’homme a
elle aussi fait figurer dans ses dispositions l’exigence de respecter ce caractère régulier des
élections. En effet, l’article 23 de ladite convention qui se trouve dans la partie consacrée aux
droits politiques dispose que « 1. Tous les citoyens doivent jouir des droits et facultés ciaprès énumérés :…. b) élire et d'être élus dans le cadre de consultations périodiques
authentiques, tenues au suffrage universel et égal, et par scrutin secret garantissant la libre
expression de la volonté des électeurs, … ». La Convention américaine en plus d’exiger que
soit respecter le caractère régulier des élections s’étend aussi sur les caractères du suffrage : en
effet, les élections doivent aussi avoir d’autres caractères que sont l’universalité et l’égalité.
La Charte africaine des droits de l’homme en son article 13 impose aussi à quelques détails
près les mêmes exigences. Il nous semble juste de dire que le caractère libre, honnête et
régulier des élections est d’une « importance capitale »102 et qu’il s’agit là d’une
caractéristique principale d’un régime véritablement démocratique, caractéristique essentielle
aussi bien pour la constitution des Etats que pour la garantie des droits et libertés
individuels103.
Qu’elles soient libres, honnêtes et régulières, une certitude reste que les élections
constituent un moyen important pour permettre aux peuples de faire valoir leur droit à une
autodétermination interne.
101
Commission européenne des droits de l’homme, décembre 1995, Timke c. Allemagne, requête. n° 27311/95,
D.R. 82-A, p.160
102
Sudre, F., Droit international et européen des droits de l’homme, PUF , 1989, p. 314
103
Ibid.
34
Nous constatons aujourd’hui sur la scène internationale, en matière d’opérations de
maintien de la paix104, notamment dans leurs volets Peace inforcement (imposition de la paix)
et Peace building (consolidation de la paix), que la prise en charge de l’organisation des
élections est devenue une partie importante de ces opérations105 réalisées sous le couvert des
Nations Unies. Linos-Alexandre Sicilianos pense que « L’implication de plus en plus
fréquente des Nations Unies dans les conflits d’ordre essentiellement interne a entraîné une
transformation spectaculaire des opérations dites de maintien de la paix dont le mandat
polyvalent et complexe, et parfois même contradictoire dépasse de loin celui généralement
clair et univoque, des opérations traditionnelles lancées pour contenir des conflits
interétatiques »106.
Cette nouvelle orientation en matière d’opérations de maintien de la paix est le fruit
d’une volonté manifeste des Nations Unies et c’est d’ailleurs ce qu’a souligné le président du
Conseil de Sécurité lors de sa déclaration du 30 mai 1990 en ces termes : « Les membres du
Conseil de sécurité notent que les tâches de l’O.N.U. en matière de maintien de la paix se
sont considérablement accrues et élargies ces dernières années. La surveillance des élections,
la vérification du respect des droits de l’homme et le rapatriement des réfugiés ont été, dans
le règlement de certains conflits régionaux, et à la demande ou avec l’accord des parties
concernées, partie intégrante d’une action plus large du Conseil de Sécurité visant à
maintenir la paix et la sécurité internationales »107. Pour qualifier ce type d’opérations, on
parle aussi des « opérations de maintien de la paix dites de deuxième génération »108. Au
niveau onusien et notamment en matière d’opérations de maintien de la paix, l’organisation
des élections démocratiques, honnêtes, libres est apparue aux différents membres du système
onusien comme un gage de paix et de stabilité. En effet, c’est un moyen important pour
garantir l’expression politique des peuples concernés et cette fois de manière pacifique, c’est104
Une opération de maintien de la paix est une « Opération non coercitive des Nations Unies réalisée par des
contingents nationaux volontaires décidée par le Conseil de sécurité ou l’Assemblée Générale et consistant en
l’observation ou l’interposition lors d’un différend pour sauvegarder ou garantir la paix sur le territoire d’un
Etat qui a donné son consentement à l’opération » in Dictionnaire de Droit International public précité.
105
« L’objectif ultime d’une opération de maintien de la paix est la réalisation d’une paix durable » Voir
Rapport du S.G des Nations Unies(A/55/502) du 21 octobre 2000 sur la mise en œuvre du rapport du groupe
d’étude sur les opérations de paix de l’O.N.U., ou rapport BRAHIMI
106
Sicilianos L-A, op. cit., p 219
107
Déclaration du président du Conseil de Sécurité, 2924e séance, 30 mai 1990
108
Boutros- Boutros Ghali : Les Nations Unies et la Somalie, 1992-1996, Série Livres Bleus, N.U, New York
1996
35
à-dire par le canal des urnes. C’est ainsi qu’on a noté dans quelques opérations de maintien
de la paix comme celles réalisées au Timor Oriental et au Kosovo, que le but des Nations
Unies une fois la sécurité et la paix rétablies dans ces territoires était d’organiser des élections
justes et honnêtes afin de permettre au peuple souverain de pouvoir décider sur les questions
politiques le concernant.
Au Timor Oriental par exemple, les premières élections ont été organisées afin de
permettre au peuple timorais d’obtenir leur indépendance109, car le Timor Oriental avait été
envahi en 1975 par l’Indonésie. C’était là l’application externe même du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes en vertu de la Charte des Nations Unies et des résolutions comme la
Résolution 1415 de l’Assemblée Générale. Une fois l’indépendance devenue effective, encore
fallait-il permettre au peuple timorais de choisir par des élections libres et honnêtes les
nouveaux dirigeants qui devaient désormais le représenter. Et ces différentes élections, il faut
le souligner, ont été organisées sous la protection, la conduite et la surveillance des Nations
Unies. Pour ce qui est du Timor Oriental, toute la communauté internationale a d’ailleurs été
unanime pour saluer « L’action inédite des Nations Unies au Timor Oriental »110. Il faut noter
aussi qu’en matière de droits de l’homme, cette mission a apporté une grande contribution à la
réalisation d’un objectif non moins important qui était d’obtenir une généralisation de la
prééminence des droits de l’homme, ce qui est d’ailleurs assez important, car on ne peut
cesser de souligner que le droit à une autodétermination interne participe d’une certaine façon
de l’essence même des droits de l’homme. Les Nations Unies toujours dans le cadre des
opérations de maintien de la paix, cette fois pour ce qui est du Kosovo111 avaient, à travers la
résolution 1244 du Conseil de sécurité attribué différentes missions à la MINUK (Mission
Intérimaire des Nations Unies au Kosovo), et notamment la responsabilité d’ « organiser et
superviser la mise en place d’institutions provisoires pour une auto-administration autonome
et démocratique en attendant un règlement politique, notamment la tenue d’élections » 112. De
109
Pour l’indépendance du Timor Oriental, voir article de Jean Pierre dans le Monde Diplomatique, décembre
1996, www.monde-diplomatique.fr et Gaël Abline, RGDIP 2003, tom 107, p. 347, « L’indépendance au Timor
Oriental ».
110
Les rapports du S.G. de l’O.N.U sur le Timor Oriental : Rapport S/2002/432/Add.1 du 24 avril 2002, Rapport
S/2002/1223 du 6 novembre 2002 et voir aussi le Rapport du Conseil de Sécurité S/PRST/2002/13 du 20 mai
2002
111
Voir site officiel de l’OTAN pour un historique sur la guerre du Kosovo et l’intervention de l’OTAN et la
mise en place d’une administration territoriale des Nations Unies au Kosovo : www.otan.org/docs/french/1999
Résolution 1244 du Conseil de Sécurité du 10 juin 1999 (définition du statut futur du Kosovo et mise en place
112
de la MINUK et de ses responsabilités)
36
façon claire, était ainsi affirmé le rôle que devait jouer la MINUK dans la préparation du
scrutin et l’organisation de la tenue des élections libres et honnêtes. Pour ce qui est de
l’organisation de ces élections, la MINUK a par exemple proposé s’agissant des élections
communales de 2000113 qui constituaient une première étape de la décentralisation de
nombreuses fonctions administratives vers les communes et de l’élection des dirigeants
kosovars, la création d’une commission électorale multiethnique, l’inscription des kosovars
sur les listes électorales et l’organisation des campagnes et des élections114. Le même schéma
ou la même démarche ont été retrouvés dans les opérations de maintien de paix qui se sont
déroulées en Afghanistan, à Haïti, en République centrafricaine, au Libéria, au Guatemala
(notre liste n’est pas exhaustive). L’objectif important étant de parvenir le plus vite possible à
obtenir une expression de la volonté du peuple concerné à travers l’organisation des élections
libres et honnêtes. Il est vrai que cela demande toujours un temps d’organisation assez long,
surtout qu’il faut d’abord sécuriser le territoire, procéder aux rapatriements des réfugiés,
réinstaller une administration transitoire ou provisoire. Ensuite, il faut créer un climat qui
puisse favoriser ou permettre et même encourager la participation de tout le peuple aux dites
élections, ce qui passe par l’inscription sur les listes électorales, la mise en place des
commissions électorales neutres, et tout autre détail qui contribue à la réalisation des élections
honnêtes et libres. L’organisation des élections doit aussi permettre à toutes les différentes
composantes politiques d’un peuple de pouvoir s’exprimer sans aucun risque et aucune
crainte, en général dans le respect strict des libertés publiques. Nous pouvons résumer l’action
des Nations Unies en matière électorale en plusieurs volets : l’appui aux élections périodiques
et honnêtes et l’accompagnement vers une consolidation des résultats de ces élections.
L’assistance électorale comme nous l’avons souligner peut consister en l’organisation et la
conduite des élections115, la supervision et la vérification des dites élections, la coordination et
le soutien des observateurs internationaux, ainsi que des observateurs nationaux, l’assistance
technique (car très souvent ces Etats qui sortent d’une longue ou courte période de crise ont
113
RGDIP 2000-1, p. 64, article de Thierry Garcia
114
Rapport S/1999/779 du S.G du 12 juillet 1999
115
Dans ses résolutions A/Res. 43/157 du 8 décembre 1988 et A/Res. 44/146 du 15 décembre 1989, l’Assemblée
générale a posé trois principes fondamentaux, à savoir que : 1° Les élections périodiques et honnêtes sont un
élément « nécessaire et indispensable » pour protéger les droits et intérêts des administrés ; 2° le droit de
participer à la direction des affaires publiques est un facteur crucial de la jouissance effective par tous d’un grand
nombre d’autres droits de l’homme ; 3° la détermination de la volonté du peuple présuppose un processus
électoral qui offre à tous les citoyens des chances égales de devenir candidats et de faire valoir leurs opinions
politiques
37
du mal à mettre en place et surtout sans soutien extérieur un système fiable d’organisation
d’élections), ainsi que l’observation116. Des pays comme le Cambodge, la Croatie ou la
Slovénie ont aussi bénéficié de l’assistance électorale des Nations Unies. Il faut aussi savoir
que cette assistance électorale des Nations Unies peut se faire comme dans les cas précédents
avec le consentement des Etats, mais elle peut aussi se réaliser sans le consentement des Etats
concernés et ceci dans le cadre des mesures coercitives prises par le Conseil de sécurité des
Nations Unies dans le cadre du chapitre 7 de la Charte. Il est vrai que le but visé est le
rétablissement de la paix et de la sécurité internationales, mais il faut constater que ceci passe
par l’établissement d’une légitimité démocratique. Les Nations Unies ont ainsi réagi en Haïti
afin de rétablir l’autorité du président Aristide qui tirait sa légitimité d’élections libres et
honnêtes organisées à Haïti. Les Nations Unies sont ainsi intervenues pour rappeler leur
attachement au respect des principes démocratiques notamment le respect des résultats
d’élections libres et honnêtes. Pour Yves Daudet117, c’est la défense de la démocratie et le
respect de la volonté du peuple haïtien librement exprimée qui vont constituer les fondements
de l’action des Nations Unies, action qui va s’inscrire dans une sorte de continuum de
l’opération électorale. Les Nations Unies ont aussi intervenu en Sierra Léone avec le soutien
de l’OUA et la CEDEAO pour imposer le respect des élections dont le caractère régulier et
libre était établi118. Aujourd’hui une certaine pratique des Nations Unies s’installe en faveur de
l’exigence et de la régularité des élections et de nombreux textes sur l’administration de l’Etat
dans le cadre des Nations Unies s’accordent pour parler de l’organisation ou du respect
d’élections libres et honnêtes. Pour ce qui est de la liberté et de l’honnêteté des élections, « le
Comité insiste sur les garanties contre toute influence indue, toute forme de coercition, de
violence ou d’interventions manipulatrices »119et insiste aussi sur le fait que les dépenses pour
la campagne électorale doivent être raisonnables afin de garantir le libre choix des électeurs.
Faute de structures démocratiques dans certains Etats, les Nations Unies ont dû parfois
comme le souligne Linos-Alexandre Sicilianos, aider les Etats à légiférer, voire organiser
elles-mêmes les élections et mettre en place les mécanismes pour assurer leur déroulement
normal.
116
Voir A/Res 43/157 du 8 décembre 1988, A/Res 44/146 du 15 décembre 1969, A/Res 50/185 du 22 décembre
1995 et A/Res 52/129 du 12 décembre 1997
117
Daudet, Y., Rapport introductif : la restauration de l’Etat, nouvelle mission des Nations Unies ? in Les Nations
Unies et la restauration de l’Etat, Pedone, 1995
118
Voir déclaration du secrétaire général des Nations Unies, S/1997/776 du 7 octobre 1997
119
Sicilianos, L-A, op cit., p. 133
38
La réalisation d’élections libres et honnêtes constitue dès lors l’une des garanties
importantes pour la réalisation d’une paix durable, pour la protection des droits de l’homme et
aussi la preuve de la mise en place d’un processus de démocratisation. C’est ce que semble
avoir compris les organes des Nations Unies120, mais aussi d’autres organisations régionales à
l’instar de l’Union Européenne (exemple du rôle joué par l’Union européenne dans
l’organisation des élections au Kosovo)121, l’Union Africaine (ancienne O.U.A qui a participé
à l’organisation des élections dans les pays africains comme la Sierra Léone, la Namibie…),
l’O.E.A. pour ne citer que celles-ci.
Des organes découlant des Pactes, Protocoles ou Conventions sur les droits de
l’homme à l’exemple du Comité des droits de l’homme ont aussi entériné dans leurs différents
rapports l’importance que constitue l’organisation des élections libres et honnêtes en vue de
déterminer la volonté des populations ou peuples. Ces différentes élections contribuent ainsi à
la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes au niveau interne. La tenue des
élections permet la mise en place d’une administration autonome et démocratique selon les
aspirations ou la volonté du peuple. Il est con possible aussi de constater la mise en place, et
ce notamment au niveau régional de différents observatoires chargés de veiller au bon
déroulement c’est-à-dire dans le respect des règles démocratiques, des opérations électorales
ou des élections. C’est par exemple le cas au niveau européen.
Le secret du vote est l’une des garanties à respecter pour assurer au peuple concerné le
caractère honnête du vote. En effet, si la population ne peut pas bénéficier de l’assurance que
son vote sera secret, il est beaucoup plus facile pour elle de craindre que des pressions ou des
intimidations soient faites à son endroit et ce du fait de la connaissance de son vote. Sur la
scène internationale et notamment dans les pays moins avancés sur le plan démocratique, nous
pensons par exemple à certains pays africains et d’Amérique latine, les élections bien
qu’organisées sont très souvent contestées par les populations du fait de l’absence de garantie
du secret du vote. Et c’est d’ailleurs pour cette raison que les populations demandent de plus
en plus à la communauté internationale à travers des organisations internationales ou des
organes internationaux (nous pensons au Comité des droits de l’homme, la Commission
européenne pour ne citer que ceux-ci) que des Commissions internationales ou des
observatoires chargés de superviser le vote dans leur territoire ou pays soient mis en place (en
raison de la grande suspicion qu’ils nourrissent à l’égard de leur gouvernement du moment,
120
Voir aussi le Mémorandum adressé au secrétaire général adjoint pour les questions politiques spéciales… ;
Nations Unies, annuaire juridique 1990, pp. 290-291
121
Article de Thierry Garcia op cit.
39
gouvernement à qui revient très souvent la charge d’organiser les élections). Un exemple
assez récent est celui de l’Algérie où l’Union Européenne à la demande des algériens a
mandaté une commission en Algérie afin de veiller au respect des conditions favorables et
notamment du caractère secret du vote ce dans le but d’obtenir des élections libres et honnêtes
lors des élections présidentielles qui ont eu lieu récemment dans ce pays. Il n’est pas toujours
évident d’organiser ou de mettre en place des commissions chargées de l’observation des
élections, c’est d’ailleurs ce que souligne John Hartland : « If there were to be large
contingents of international observers at elections in countries which, it was hoped, were
moving to democracy, the questions facing governments both in national capitals and within
the frame of sponsoring international organisation was : how should their presence be
organised and regulated ? One step could be to give the practice a basis in international
law »122.
Pour le Comité des droits de l’Homme le respect du caractère secret du vote a une
importance fondamentale dans l’autodétermination interne des peuples et le Comité pense
d’ailleurs que « toute renonciation au droit à un vote secret est incompatible avec l’article 25
du Pacte »123.
Mais il faut aussi se poser la question de savoir si ce vote doit se dérouler
obligatoirement dans le cadre d’un suffrage universel direct ou indirect ? Ou est-ce que tout
autre type de suffrage est permis ? Ce sont là des questions beaucoup plus délicates car il est
difficile d’imposer de façon arrêtée un mode de suffrage à un peuple donné, il en est de même
pour le système électoral. On peut au moins penser que le mode de suffrage mis en place doit
permettre aux peuples du moins dans leur globalité de se prononcer et faire ainsi connaître
leur volonté. Jusque là, il a été constaté de façon assez générale que le suffrage universel est
celui qui favorise l’expression de la volonté générale de la population en sachant que même le
suffrage universel reste toujours limité car il y a toujours une partie de la population, qui bien
qu’infime ne participe pas aux élections (c’est assez souvent le cas des mineurs et des
personnes déclarées incapables), de même qu’il est important que le suffrage soit égal (une
personne, un vote) et secret. Ce caractère est d’ailleurs consacré par le Pacte qui pose
clairement l’exigence d’un vote égal, ceci dans le but d’interdire à tout Etat ayant ratifié le
Pacte de mettre en place un vote inégalitaire à travers des systèmes de vote plural ou de vote
pondéré permettant à un seul électeur de disposer de plusieurs voix.
122
Hartland, J., « The right to free elections » in Les droits de l’homme à l’aube du XXIe siècle, Bruylant,
Bruxelles, 1999, p. 246
123
Christakis, Th., op cit., p. 417
40
D’autres textes et notamment la Convention européenne des droits de l’homme124 en
son protocole n° 1 et plus précisément dans l’article 3 consacre le droit à des élections libres
en précisant que les dites élections doivent se dérouler au scrutin secret : « Les Hautes Parties
contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au
scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur
le choix du corps législatif. ». La Commission européenne des droits de l’homme avait assez
souvent été appelée à se prononcer sur le respect ou non de cet article par les Etats parties à la
Convention tout comme la Cour européenne des droits de l’homme continue encore
aujourd’hui à être saisie à ce sujet125. La Cour a d’ailleurs déclaré que cet article 3 du
Protocole additionnel à la Convention ne pouvait pas être interprété comme « imposant un
système électoral déterminé qui garantirait que le nombre total de suffrages exprimés pour
chaque candidat ou chaque groupe de candidats doit nécessairement et toujours se refléter
dans la composition de l’Assemblée législative ». Selon Théodore Christakis, « L’exigence
d’un suffrage égal offre d’ailleurs une autre garantie importante contre les abus du
gouvernement ou du parti au pouvoir lors du processus électoral »126. Le Comité des droits
de l’homme comme la Commission européenne des droits de l’homme et d’autres organes se
penchant sur la question se contentent très souvent de noter que les systèmes électoraux
doivent représenter « de manière approximativement fidèle les opinions du peuple »127. C’est
dire ainsi que ce n’est pas le type de système en lui même qui est primordial mais plutôt sa
capacité à représenter la volonté du peuple. Il ne faut pas un système qui puisse prendre en
compte de façon minimale la volonté de ce peuple ou encore sous représenter cette volonté.
Antonio Cassese souligne d’ailleurs en ce sens que « Self-determination was further
advocated as a democratic principle calling for the consent of the governed in any sovereign
State : the people should always have the right freely to choose their own rulers”128. Revenant
un instant à l’article 3 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de
l’homme, soulignons que nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec l’idée assez restreinte
de certains auteurs qui consiste à dire que l’article 3 du protocole est uniquement applicable
124
Pour la cohabitation entre les Pactes des Nations Unies et la Convention européenne des droits de l’homme,
lire l’article de Dhommeaux Jean, « Les Etats parties à la Convention européenne des droits de l’homme et le
Comité des droits de l’homme de l’O.N.U. : De la cohabitation du système universel de protection des droits de
l’homme avec le système européen », in Liber amicorum Marc-André Eisses, Bruylant Bruxelles, 1995, pp. 118139
125
C.E.D.H. X c. Royaume-Uni, décision du 6 octobre 1976
C.E.D.H. Parti libéral c. Royaume-Uni, décision du 18 décembre 1980
126
Christakis, Th. op cit, p. 419
127
ibid.
128
Cassese, A. op cit., p. 317
41
aux élections et qu « il ne garantit pas le droit à l’autodétermination »129. Nous pensons que
de telles affirmations n’ont tout leur sens que si, d’une part on refuse de reconnaître le second
volet du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui est l’autodétermination interne c’est-àdire un droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui s’exerce à l’intérieur même d’un Etat
donné, et d’autre part que si l’on dénie à l’autodétermination interne tout le lien qu’il a avec
la légitimité démocratique. Les élections telles qu’envisagées par l’article 3 du Protocole sont
à notre sens un moyen de réaliser l’autodétermination interne.
On peut ainsi dire que l’exigence d’élections honnêtes, libres ou justes et régulières
constitue un élément important pour assurer l’autodétermination interne des peuples, de même
que le respect de cette exigence renforce le sentiment de légitimité chez les gouvernants.
2 - L’exigence d’un gouvernement démocratique
Il est vrai que la tenue d’élections honnêtes, libres et régulières favorise la constitution
d’un gouvernement selon les désirs ou la volonté du peuple. En effet, le gouvernement doit
être représentatif de la volonté dûment exprimée du peuple. C’est la caractéristique majeure
de tout gouvernement démocratique. Nous pouvons reprendre à notre compte cette pensée
selon laquelle, « Il n’y a, en démocratie, d’autorité politique qu’issue de l’élection. Celle-ci
fournit aux gouvernants un titre pour agir et commander. Elle fonde et justifie leur pouvoir.
Elle assure leur autorité »130. On retrouve ainsi l’idée de l’autodétermination interne en tant
que droit de l’ensemble de la population d’un Etat donné à un gouvernement démocratique
qui était préconisée lors de la Révolution française de 1789, idée qui a été reprise par le
président Wilson et a été aussi mentionnée dans la Charte de l’Atlantique du 14 août 1941. La
Déclaration universelle énonce de façon claire que le gouvernement doit émaner de la volonté
populaire. C’est ce qui ressort de l’article 21 de la Déclaration qui dans son alinéa 3 dispose
que « 3. La volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs publics ; ». Le
gouvernement se présente comme « la forme juridique du pouvoir politique, dont il manifeste
à la fois la permanence et l’effectivité »131. Tout gouvernement ne tire ainsi sa légitimité que
de la volonté du peuple et de cette seule volonté qui se manifeste à travers des élections. Pour
129
Goy, R ., « La garantie européenne du droit à des libres élections législatives : l’article 3 du Premier
protocole additionnel à la Convention de Rome », R.D.P., 1986, pp. 1278-1290
130
131
Masclet, J-C., Droit électoral, Paris, P.U.F. , 1989, p. 14
Sikondo, M., op. cit., p. 268
42
reprendre Paul Valéry, nous pensons que les gouvernements sont les locuteurs privilégiés du
peuple. Mais il est vrai que cette exigence d’un gouvernement démocratique et représentant la
volonté du peuple n’a pas toujours été respectée, notamment dans la plupart des pays africains
qui se sont caractérisés au lendemain des indépendances par la mise en place des dictatures
farouches et autoritaires, dictatures méconnaissant souvent de façon flagrante la volonté des
peuples. Force est aussi de noter que quand bien même des élections ont été organisées dans
des Etats soucieux de donner une apparence beaucoup plus respectueuse de la Déclaration
universelle des droits de l’homme, ces élections ne constituaient que très souvent une
mascarade car elles étaient truquées et la volonté du peuple encore moins respectée, ce qui
entraînait logiquement la mise en place d’un gouvernement qui ne reflétait nullement la
volonté du peuple. Certains ont regretté que la Cour internationale de justice dans l’affaire
Nicaragua ait déclaré s’agissant du Nicaragua que : « La Cour ne découvre aucun instrument
ayant une valeur juridique, unilatéral ou synallagmatique, par lequel le Nicaragua se serait
engagé quant au principe et aux modalités de la tenue d’élections ».132 Cet attendu de la Cour
est assez regrettable, même si certains auteurs ont justifié cet attendu par le fait que l’organe
judiciaire principal des Nations Unies n’a fait que constater une pratique étatique courante à
cette époque133. Comme le souligne Jean Salmon, la politique traditionnelle des organes de
l’Organisation a pendant longtemps été d’accepter le pouvoir des gouvernements effectifs134.
Ce qui constitue aussi un rejet de la doctrine Tobar135 « qui préconisait aussi le refus de
reconnaissance des gouvernements dont la légitimité n’a pas été établie par un vote d’une
assemblée élue »136. Il faut garder cependant à l’esprit que lors des travaux préparatoires des
Pactes de 1966, « The US proposal, designed to further the concept of political democracy,
stated : the existence of a sovereign and independent State possessing a representative
Government, effectively functioning as such to all distinct peoples within its territory, is
132
Rec., CIJ, arrêt du 27 juin 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique
133
Pour Théodore Christakis, le principe de l’autonomie constitutionnelle et de l’indifférence du droit
international vis-à-vis de la forme interne de gouvernement a, de manière générale, étouffé l’aspect interne de
l’autodétermination, le « voile de la souveraineté » n’étant levé que pour un cas particulièrement préoccupant de
gouvernement fondé sur la discrimination raciale, à savoir pour le régime d’apartheid en Afrique du Sud.
134
Salmon, J. « Vers l’adoption d’un principe de légitimité démocratique ? » in A la recherche du nouvel ordre
mondial-Tome I : le droit international à l’épreuve, p. 63-65
135
Le Docteur Tobar était ministre des affaires étrangères du Mexique en 1907
136
Rafâa Ben Achour, « Egalité souveraine des Etats, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et liberté de choix
du système politique, économique, culturel et social » in Frederico Mayor Amicorum Liber, Bruylant, Bruxelles,
1995, Tome II
43
presumed to satisfy the principle of equal rights and self-determination as regards these
peoples »137. Même si cette proposition des Etats-Unis138 prise en compte par le Pacte
international sur les droits politiques et civils de 1966, n’a pas longtemps été respectée au
niveau onusien, il est juste aujourd’hui de constater que sur la scène internationale, sont de
plus en plus condamnés les gouvernements qui sont mis en place et qui n’ont aucun soupçon
de légitimité, du fait de toute absence de participation du peuple à leur investiture. Marcel
Sikondo souligne d’ailleurs que « L’époque où le droit international était indifférent à la
légitimité des gouvernements est sans doute entrée dans sa phase de déclin, même si la
pratique internationale est encore hésitante et erratique »139. Il existe de plus en plus des
Constitutions nationales qui adhérent à cette idée qui voudrait que le gouvernement émane de
la volonté seule du peuple. C’est notamment l’exemple de la Constitution de la République de
Tanzanie qui dans sa Section 2 consacrée aux « Objectifs importants et structures de base de
la direction des affaires du gouvernement » souligne que : « 1. La république unie de
Tanzanie est une nation qui adhère aux valeurs de la démocratie et de la justice sociale ; par
conséquent :
a) le peuple est le fondement de toute autorité, et le gouvernement reçoit son autorité et
l’ensemble de ses pouvoirs du peuple, conformément à la présente Constitution ;
b) le principal objectif du gouvernement est le bien être du peuple ;
c) le gouvernement est responsable devant le peuple ;… »140
Le principe de l’autodétermination interne des peuples suppose que le peuple puisse
choisir son gouvernement car le peuple est la source du pouvoir et ce à travers l’expression de
sa volonté. Or, il n’y a de choix véritable que si le peuple peut se prononcer entre différentes
possibilités, « ce qui implique d’une part, qu’il n’existe pas d’orthodoxie idéologique, d’autre
part, que les parties puissent se former et agir librement »141.
Il est important de souligner que l’une des exigences qui est faite aux différents
régimes politiques est que ces derniers soient des régimes pluralistes, car ce sont ces régimes
qui impliquent la pluralité des opinions, des courants et par conséquent des partis politiques,
tout en favorisant aussi la libre compétition de ces partis politiques à l’accession et l’exercice
du pouvoir.
137
Cassese, A., op cit., p. 115
138
UN Doc. A/AC. 125/L.32,2 (para. B)
139
Sikondo, M., op cit., p. 269
140
Tavernier P., Recueil juridique des droits de l’homme en Afrique, p. 1170
141
Pactet, P., Institutions politiques, droit constitutionnel, Armand Colin, p. 85
44
B - Le respect du pluralisme politique
Il devient de plus en plus impossible sur la scène internationale de parler de
démocratie sans que celle ci soit de façon réelle apparentée au pluralisme politique. En effet,
qui dit aujourd’hui démocratie, dit pluralisme politique. Si l’autodétermination interne des
peuples est ainsi associée à la démocratie, c’est dire qu’elle doit aussi de façon réelle être
reliée au pluralisme politique. Le pluralisme politique qui est indissociable du libéralisme
politique implique certainement le pluralisme des formations politiques ou partis politiques au
sein d’une entité étatique.
Nous pouvons reprendre à notre compte la définition que Charles Cadoux donne sur le
parti politique. « Le parti politique est une association d’individus, plus ou moins nombreux
et plus ou moins organisés, qui a pour objet d’exprimer les opinions, les aspirations et les
préférences politiques de ses adhérents (membres du parti) et sympathisants, et de leur
permettre une participation effective à l’exercice du pouvoir. »142et il souligne aussi que le
multipartisme ou le système multi partisan se caractérise par l’existence de plusieurs partis
politiques de force à peu près égale, qui s’affrontent dans la compétition pour l’exercice du
pouvoir.
La Cour européenne des droits de l’homme a souligné dans des arrêts ayant un rapport
avec le fonctionnement de la démocratie dans un Etat membre du Conseil de l’Europe, qu’ « il
n’est pas de démocratie sans pluralisme »143. La démocratie pluraliste se reconnaît à travers
quelques éléments principaux que sont : le pluralisme idéologique, le pluralisme organique et
le pluralisme politique.
Le pluralisme idéologique pour reprendre les propos de Théodore Christakis, implique
le rejet de toute doctrine officielle unique, la liberté d’expression et d’opinion jouant dans ce
domaine un rôle primordial. Il ajoute que l’expression des opinions divergentes et le libre
142
Cadoux C., op. cit., p. 302
143
Arrêt du 30 janvier 1998, Parti unifié de Turquie et autres c. Turquie et arrêt du 25 mai 1998, Parti socialiste
et autres c. Turquie
45
déroulement du débat politique permet l’accomplissement de la démocratie et l’émergence du
compromis sur la base du principe majoritaire tout en garantissant la libre expression des
convictions minoritaires144. La Cour européenne des droits de l’homme considère que le
pluralisme idéologique est « l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une
des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun »145. Le
pluralisme idéologique peut se résumer comme consistant dans le refus de toute pensée ou
toute opinion unique ; les libertés d’opinion, d’expression ou d’association consacrées par la
quasi totalité des textes internationaux, régionaux comme nationaux sur les droits de l’homme
militent en faveur de ce pluralisme idéologique.
Le pluralisme politique « est directement lié au pluralisme idéologique » et « repose
sur la nécessité absolue des partis politiques et autres corps intermédiaires pour l’expression
des opinions divergentes »146, « pour la définition des programmes d’action dans le domaine
politique, social, économique etc., et finalement pour la possibilité d’un véritable choix des
électeurs parmi plusieurs options »147.
Le pluralisme organique repose quant à lui sur la séparation des pouvoirs si chère à
Montesquieu, ceci afin d’éviter tout empiètement ou toute transgression flagrante d’un
pouvoir sur un autre dans l’optique d’éviter qu’un seul pouvoir n’exerce une dictature sur les
autres pouvoirs148.
Tous les instruments internationaux ne promeuvent pas un modèle de démocratie
pluraliste et libérale, cependant il existe quelques principaux textes internationaux qui
consacrent le modèle démocratique pluraliste.
Le pluralisme politique comme nous l’avons constaté va permettre la création de partis
politiques, ceci dans le but de rendre évident et effectif le multipartisme. « Pour éclairer ses
choix, le citoyen ne doit pas seulement être en mesure de comprendre le monde qui l’entoure,
il doit inscrire sa compréhension dans un cadre de référence idéologique. Telle est la
fonction des partis politiques. Porteurs d’un projet idéologique global, ils ont pour rôle, à
l’occasion des élections, de susciter le vote des citoyens au profit des candidats qui s’en
réclament »149. On comprend ainsi que la présence et le rôle des partis politiques soient
144
Christakis, Th. op cit, pp. 384-385
145
Arrêt Parti unifié de Turquie op. cit., § 27
146
Cadoux, C ; op cit., p 289
147
Ibid.
148
C’est le cas notamment dans quelques dictatures africaines où le pouvoir de l’exécutif ou pour être plus précis
du chef de l’Etat est tellement fort ou puissant qu’il entrave l’exercice des autres pouvoirs, nous pensons
notamment aux pouvoirs législatif et judiciaire.
149
Ducompte J.M., op. cit., p. 19
46
importants pour l’effectivité du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans sa dimension
interne. En effet, le multipartisme est un élément déterminant qui favorise l’expression entière
ou totale du droit des peuples à l’autodétermination interne. Les travaux préparatoires des
Pactes des Nations Unies montrent que les Etats qui ont participé à la rédaction des Pactes ne
se sont pas longuement penchés sur la question du pluralisme politique. Seuls les travaux
préparatoires de la Déclaration universelle montrent bien qu’il y a eu un débat assez important
sur la question du multipartisme. Nous pensons d’ailleurs que dans certains articles de la
Déclaration universelle des droits de l’homme, cette idée de pluralisme politique ou
idéologique était visible. C’est le cas de l’article 2 lorsqu’il énonce que « 1.Chacun peut se
prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration,
sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion,
d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de
naissance ou de toute autre situation». Même si ce pluralisme ne semble concerner que les
droits protégés par la Déclaration universelle des droits de l’homme, on retrouve tout de
même cette volonté de favoriser ou d’encourager les Etats à laisser les peuples qui les
constituent à avoir des opinions et des idées politiques différentes ; ceci se perçoit aussi
aisément à travers d’autres articles de la Déclaration, notamment l’article 19 qui énonce
que : « Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de
ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans
considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que
ce soit». D’autres textes régionaux sont assez silencieux sur la question du multipartisme,
nous pensons ainsi à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Il est difficile
de déceler dans l’article 8 de la dite Charte africaine150 toute possibilité ouverte au
multipartisme. Au moment de l’élaboration de la Charte africaine, soit dans les années 1980,
l’idée de démocratie est loin d’animer les Etats africains, leur seul objectif à ce moment reste
assez identique de celui qui les rassemble au lendemain des indépendances et qui consiste à
faire naître le sentiment de nations dans leurs nouveaux Etats encore assez fragilisés. Pour
beaucoup de dirigeants africains de cette époque, le régime à parti unique restait ou était le
seul type de régime admissible dans les sociétés africaines. Or, on sait très bien que ces
régimes de parti unique ne favorisaient aucune expression de la volonté du peuple car toute
dissidence était considérée comme une trahison et sanctionnée de la plus grande façon. Rien
150
Article 8 de la Charte africaine des droits de l’homme « La liberté de conscience, la profession et la pratique
libre de la religion sont garanties. Sous réserve de l'ordre public, nul ne peut être l'objet de mesures de
contrainte visant à restreindre la manifestation de ces libertés ».
47
dans la Charte africaine des droits de l’homme151 ne laisse apparaître une certaine volonté de
la part des dirigeants africains de permettre aux peuples africains d’affirmer leur libre
détermination au niveau interne et notamment par le moyen de plusieurs partis politiques
chargés de représenter les différentes opinions des peuples152. Les Etats africains étaient
d’ailleurs soutenus dans ce sens par certains grands hommes politiques153 européens qui
estimaient qu’effectivement les pays africains n’étaient pas encore prêts pour la démocratie et
toutes ses caractéristiques, faisant ainsi allusion au multipartisme. Il a fallu attendre le vent
d’est154 dans les années 1990 pour voir les Etats africains de façon involontaire ou presque
sous la contrainte s’ouvrir au multipartisme, ceci surtout parce que les revendications
populaires se sont faites de plus en plus pressantes et même violentes. En effet, à ce propos,
Zahir Fares souligne que « dans tous les pays, les hommes au pouvoir depuis plus d’une
décennie, sentant venir le vent, ont proposé de mener à bien le processus démocratique en
révisant la Constitution, en autorisant les partis politiques, en promettant des élections libres
et enfin, en nommant un premier ministre »155. Pour Boubacar Issa Abdourhamane « Les Etats
africains dans leur grande majorité ont connu à partir des années 1990 des changements
politiques qui ont bouleversé leurs architectures institutionnelles et politiques internes au
point de justifier une lecture sous le paradigme de la démocratisation. »156.
Aujourd’hui nous pouvons dire que même s’il s’est installé avec beaucoup de
violence, le multipartisme, du moins de façon apparente, est présent dans la quasi totalité des
Etats africains, et permet ainsi aux différents peuples qui très souvent constituent ces Etats de
faire connaître leur volonté. Notons que le Comité des droits de l’homme est beaucoup plus
exigent aujourd’hui sur la question du multipartisme qu’il ne l’était il y a quelques années.
Hier, il était encore très difficile pour le Comité de reconnaître de façon publique que
l’absence de multipartisme consistait une atteinte portée au Pacte de 1966 sur les droits
151
Pour les comparaisons entre la Charte africaine des droits de l’homme et autres textes internationaux, lire l’
article de Tshimpanga Matala Kabangu « les droits de l’homme en Afrique : énoncé, garanties et application » in
Les droits de l’homme à l’aube du XXIe siècle, op cit. pp. 633-654
152
D’ailleurs dans un rapport initial de 1998 sur le Togo (CCPR/C/36/Add.5§22), le Togo soulignait qu’il avait
décidé d’exclure le système multipartite compte tenu de son inhabilité fonctionnelle de construire la nation.
153
Discours de Jacques Chirac en février 1990 en Côte d’Ivoire, discours cité par Yakemtchouck, R., « Une
démocratie pour l’Afrique » in Studia Diplomatica, vol. XLIV, 1991, n° 2, p.34
154
C’est nous qui mettons ce terme en italique
155
Zahir Fares, Afrique et démocratie : espoir et illusions, L’harmattan ; 1992, p. 8
156
« Les Cours constitutionnelles dans le processus de démocratisation », Thèse pour le doctorat en droit ;
BOUBACAR ISSA ABDOURHAMANE, p. 10.
48
politiques et civils, mais aujourd’hui le Comité condamne de plus en plus les Etats pour la
raison qu’ils ne favorisent pas la réalisation sur leur territoire d’un multipartisme effectif ou
pour des entraves ou atteintes qu’ils portent aux partis politiques qui sont crées dans leurs
territoires ou encore aux hommes qui décident de créer des partis politiques. Ce qui amène
aujourd’hui les Etats à être un peu plus entreprenants par rapport à cette exigence de
multipartisme ; en effet, de nombreux Etats manifestent progressivement la volonté d’adopter
une attitude qui semble favorable au multipartisme. Théodore Christakis souligne d’ailleurs,
ce qui est tout à fait juste à notre sens, qu’ : « ainsi pour ne donner que quelques exemples
tirés des rapports présentés ces quatre dernières années, on constate que les Etats ressentent
l’obligation d’informer le Comité sous l’angle de l’article premier que la démocratie et le
pluralisme ont été restaurés dans leur pays […] que leur forme de gouvernement est la
démocratie représentative, directe et pluraliste ou que l’instauration d’une démocratie
pluraliste a parachevé la réalisation du droit à l’autodétermination obtenu trente ans
auparavant avec leur accession à l’indépendance. Dans leur pays, soulignent plusieurs Etats,
le droit à l’autodétermination du peuple est garanti par le système démocratique, par la tenue
d’élections démocratiques, par les différentes dispositions constitutionnelles qui garantissent
que le pouvoir émane du peuple ou par l’obligation constitutionnelle du gouvernement
fédéral d’assurer que chaque Etat fédéré sera gouverné par des personnes élues par le
peuple»157. L’influence du vent d’est s’est ainsi faite ressentir aussi au niveau du Comité, qui
a commencé à partir des années 1990 à affirmer qu’un régime de parti unique peut poser des
problèmes en ce qui concerne le droit des peuples à jouir d’une autodétermination interne. Le
Comité est même allé plus loin en concluant qu’il existe une « incompatibilité apparente de
l’Etat à parti unique avec l’article 25 du Pacte »158. Dans l’affaire des douze parlementaires
zaïrois159, le Comité n’avait pas hésité à condamner le Zaïre160 qui avait porté atteinte à
l’article 25 du pacte, mais aussi à d’autres articles du pacte, comme l’article 22 sus-cité.
Même s’il est vrai qu’on peut critiquer l’attitude assez ambiguë du Comité qui a dans ces
différentes affaires sur le Zaïre recouru à l’article 25 du Pacte (« Tout citoyen a le droit et la
157
Christakis, Th., op. cit., p. 339
158
Aduayom et al. c. Togo, com. N° 422-424/1990, décision du 12 juillet 1996, in A/51/40, p. 23, § 7.5
159
Dans l’affaire des Anciens parlementaires zaïrois, il était question de douze ex-parlementaires de Mobutu qui
parce qu’ils avaient voulu créer un parti politique avaient été arrêtés sous les ordres de Mobutu en 1982 et
condamnés par la Cour de sécurité du Zaïre à des peines d’emprisonnement
160
Mpandanjila et consorts c. Zaïre, com. N° 138/1983, décision du comité du 26 mars 1986
Mpaka-Nsusu c. Zaïre, com. n° 157/1983, décision du Comité du 26 mars 1986
49
possibilité, sans aucune des discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions
déraisonnables :
a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par
l'intermédiaire de représentants librement choisis ;
b) De voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et
égal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs ;
c) D'accéder, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques de son pays »)
au lieu de se servir de l’article 22 du Pacte qui concerne beaucoup plus le multipartisme. Très
souvent aussi, le Comité s’appuie sur le fait que l’interdiction des partis politiques porte
atteinte à d’autres droits notamment le droit à la liberté d’opinion, la liberté d’association, la
liberté d’expression et la liberté de réunion. L’insistance du Comité « sur la nécessité de la
pleine réalisation des articles 19, 21 et 22 du Pacte pour la mise en œuvre de l’article 25,
indique une dimension pluraliste du Pacte qui s’accommode mal avec le monolithisme du
parti unique »161. Dans une observation de juillet 1996 sur le Togo, le Comité note qu’ « Il
serait de surcroît contraire au Pacte d’obliger tous les citoyens d’un Etat d’appartenir volens
nolens au parti unique » 162, il rajoute que les Etats doivent pleinement respecter « la liberté
de se livrer à une activité politique, à titre individuel ou par l’intermédiaire de partis
politiques et d’autres organisations, la liberté de débattre des affaires publiques, de tenir des
manifestations et des réunions pacifiques, de critiquer et de manifester son opposition, de
publier des textes politiques, de mener campagne en vue d’une élection et de diffuser des
idées politiques»163. Le Comité va plus loin et ajoute que « le droit à la liberté d’association,
qui comprend le droit de constituer des organisations et des associations s’intéressant aux
affaires politiques et publiques est un élément accessoire essentiel pour les droits protégés
par l’article 25. Les partis politiques et l’appartenance à des partis jouent un rôle important
dans la direction des affaires publiques et dans le processus électoral […] les Etats devraient
veiller à ce que, dans leur gestion interne, les partis politiques respectent les dispositions
applicables de l’article 25 pour permettre aux citoyens d’exercer les droits qui les sont
reconnus dans cet article »164.
Le Comité n’a pas toujours eu une attitude unique pour ce qui est du pluralisme
politique, même s’il s’est accommodé très vite du multipartisme en vigueur dans les vieilles
démocraties occidentales, il a au gré des situations et des époques eu une attitude évolutive
161
Christakis, Th., op cit., p. 397
162
Com n° 422-424/1990, A/51/40 du 12 juillet 1996
163
Ibid.
164
Ibid
50
pour ce qui est de la plupart des Etats africains et autres Etats qui n’avaient pas encore adhéré
totalement aux idées de démocratie et à toutes les exigences qu’elles entraînent. « Le Comité
interprète l’article 25 comme imposant en principe un modèle d’élections concurrentielles
offrant un véritable choix aux électeurs quant à la désignation des personnes chargées de la
direction des affaires publiques. Pour la réalisation de ce modèle les partis politiques qui
constituent le cadre principal de la compétition pour le pouvoir, jouent un rôle fondamental
et il est caractéristique que ces dernières années les membres du Comité n’ont pas hésité à
souligner qu’une l’instauration du multipartisme doit être sincère, et non une simple vitrine
destinée à légitimer un régime autoritaire »165.
Ces dispositions du Comité ont une portée capitale et on comprend encore mieux le
rôle ou l’importance des communications ou observations générales qui sont faites au niveau
du Comité et qui renseignent sur l’état de la démocratie dans les Etats parties au Pacte des
Nations Unies sur les droits civils et politiques. La démocratie n’étant pas un acquis, d’un
gouvernement à un autre, il est possible de passer d’un Etat démocratique à un Etat qui rejette
la démocratie. Cette situation est d’ailleurs assez courante dans les Etats africains, où on note
encore et ce malheureusement, des situations de coup d’Etat166. Il est donc important que le
Comité continue à garder un œil critique sur le respect de ces exigences démocratiques et
aussi que les peuples ou les citoyens continuent à veiller à ce que les Etats respectent les
engagements auxquels ils sont tenus à travers notamment le Pacte des Nations Unies et
d’autres textes internationaux ou régionaux garantissant le pluralisme politique. C’est là un
gage important pour l’effectivité du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans sa
dimension interne et il faut toujours garder à l’esprit que « the realization of the right of self
determination is a condition sine qua non for the effective guarantee and observance of
individual human rights »167. Le multipartisme est aujourd’hui une effectivité dans bon
nombre d’Etats du monde, ce qui peut faire penser que tous les peuples bénéficient
aujourd’hui du droit de faire valoir leur opinion ou leur pensée par le moyen de partis
politiques librement créés par eux. Hélas, il ne faut pas se tromper, mais se rendre compte de
cette autre réalité qui voudrait que très souvent, malgré le foisonnement des partis politiques
rencontré dans certains Etats, le jeu politique reste assez faussé car très souvent un seul parti
politique conserve le monopole du jeu politique, et ne lésine pas sur les moyens pour entraver
165
Christakis, Th., op cit, p. 397
166
« Contrairement à ce qui s’est passé en Europe ou en Amérique, les Etats africains n’ont pas voulu s’engager
au sein de l’O.U.A. ou ailleurs, à respecter le principe de légitimité démocratique, ni évidemment à créer un
mécanisme quelconque permettant à l’Organisation d’intervenir pour restaurer la démocratie »
167
Raic, D., op cit., p. 240
51
l’expression des autres partis concurrents, ce parti étant très souvent le parti politique du
dirigeant au pouvoir. Cette attitude est condamnable car elle fausse le jeu électoral et peut
contribuer au rétablissement de la pensée unique, ce qui serait contraire à la démocratie.
On peut se réjouir de la protection ou de la garantie que d’autres textes comme la
Convention européenne des droits de l’homme accordent au pluralisme et par là même à la
démocratie168. Nous pensons ici une fois de plus à l’article 3 du protocole additionnel n°1 de
la Convention qui déclare que « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à
des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui
assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif ». Nous
avons remarqué que pour la Convention européenne des droits de l’homme, l’exigence d’un
multipartisme n’est plus une question mais par contre une réalité que doivent respecter les
Hautes Parties contractantes. La Cour européenne et la Commission se sont d’ailleurs assez
tôt engagées à veiller au respect de cette exigence de multipartisme. La Grèce à l’époque des
colonels avait été jugée par la Commission et la Cour Européenne des droits de l’homme169
qui avaient considéré qu’en interdisant les partis politiques, la Grèce avait de ce fait violé
l’article 3 du protocole additionnel à la Convention. La Cour européenne des droits de
l’homme a plusieurs fois réaffirmé l’importance pour les Etats parties à la Convention de
respecter cette exigence170. Selon la Cour, la présence des partis politiques est capitale pour
tout système qui se veut démocratique car « pareille expression ne saurait se concevoir sans
le concours d’une pluralité de partis politiques représentant les courants d’opinion qui
traversent la population d’un pays. En répercutant ceux-ci, non seulement dans les
institutions politiques mais aussi grâce aux médias, à tous les niveaux de la société, ils
apportent une contribution irremplaçable au débat politique, lequel se trouve au cœur même
de la notion de société démocratique »171.
La Cour européenne des droits de l’homme se montre même encore plus exigeante que
le Comité international des droits de l’homme sur la question de multipartisme. Selon certains
auteurs, c’est parce que les partis politiques sont indispensables au bon fonctionnement de la
démocratie et sont d’une grande importance pour la Convention dont on connaît le grand
attachement à la démocratie que la Cour estime qu’ils font l’objet d’une garantie légale et
168
« La démocratie se présente, à cet égard comme le standard majeur de la civilisation occidentale, à l’image
des critères d’adhésion à l’Union européenne », phrase tirée de l’ouvrage de Gicquel Jean, Droit constitutionnel
et institutions politiques, Montchestien, 19 édition, 2003, p. 185
169
Danemark, Norvège, Suède et Pays-Bas c. Grèce, Req. N° 3321, 3322, 3323 et 3344/67, rapport du 5
novembre 1969, § 416, Annuaire, t. 12, p. 179
170
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité § 89
171
ibid.
52
d’une protection conventionnelle bien précises. Comme nous l’avons noté, même les Nations
Unies ont renoncé au principe de l’équivalence des régimes politiques appliqué à l’époque de
la guerre froide pour les nécessités de la coexistence pacifique et ont affirmé que la
démocratie pluraliste est un moyen ou procédé que les Etats peuvent utiliser pour respecter le
principe de l’autodétermination interne des peuples.
Nous pouvons ainsi conclure que les différents aspects du principe d’élections libres,
périodiques et honnêtes, constituent le fondement de l’autorité et de la légitimité de tout
gouvernement, surtout si le respect d’un pluralisme politique est assuré, et tout ceci ajouté aux
principes de justice contribuent à former le noyau de la démocratie et partant de l’Etat de
droit. Ce qui implique d’une façon tout à fait logique à notre sens, que l’autodétermination
dans sa composante interne est un complément nécessaire à la démocratie politique, autrement
dit, il est impossible de nos jours de parler de démocratie sans que cela passe par le respect
des règles qui concourent aussi à l’autodétermination interne des peuples.
53
II
L’autodétermination interne : complément nécessaire à
l’existence et à la pérennité d’un Etat démocratique ou d’un Etat
de droit
Il est juste de partir de l’idée que « la démocratie est un élément inhérent à l’Etat de
droit » et de reconnaître aussi que la démocratie pluraliste et l’Etat de droit172 sont essentiels
pour garantir le respect de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales.
Selon Hans Kelsen « on emploie ce terme [Etat de droit] pour désigner un type d’Etat
particulier, qui répond aux postulats de la démocratie et de la sécurité juridique. En ce sens
spécifique, l’Etat de droit est un ordre juridique relativement centralisé qui présente les traits
suivants : la juridiction et l’administration y sont liées par des lois, c’est-à-dire par des
normes générales qui sont décidées par un Parlement élu par le peuple, avec ou sans la
collaboration d’un chef d’Etat qui est placé à la tête du gouvernement ; les membres du
gouvernement y sont responsables de leurs actes ; les tribunaux y sont indépendants ; et les
citoyens s’y voient garantir certains droits et libertés, en particulier la liberté de conscience
172
« L’Etat de droit ne signifie pas simplement une légalité formelle assurant régularité et cohérence dans
l’instauration et la mise en œuvre de l’ordre démocratique, mais bien la justice fondée sur la reconnaissance et
la pleine acceptation de la valeur suprême de la personne humaine et garantie par les institutions offrant un
cadre pour son expression la plus complète », phrase citée par Linos-Alexandre Sicilianos, op. cit., p. 92
54
et de croyance, et la liberté d’exprimer leurs opinions »173. Le principe de l’autodétermination
interne des peuples est considéré comme un complément nécessaire à la démocratie ou à
l’Etat de droit en ce sens qu’il implique le respect de certaines libertés publiques, lesquelles
libertés sont de plus en plus internationalisées (A) et l’obligation de respecter le principe de la
séparation des pouvoirs qui lui aussi devient ou est devenu un principe dont le respect est
exigé par le droit international public (B).
A- L’internationalisation de certaines libertés politiques ou
civiles
Jean Riveiro souligne que la protection internationale des libertés publiques est une
adhésion de la conscience collective aux libertés.
La démocratie ou le droit à l’autodétermination interne implique le respect de
différentes libertés. En effet, un peuple ne peut librement exprimer sa volonté et choisir ses
gouvernants que si et seulement si, ce peuple se sent protégé. Il s’agit dans ce sens de
reconnaître aux peuples des libertés174 mais aussi et surtout de garantir la protection et
l’exercice de ces libertés, car il ne sert à rien d’avoir une liberté dont l’exercice ne peut être
effectif. C’est pour permettre une réelle démocratie ou une autonomie interne que certaines
libertés sont reconnues aux personnes ou individus dont l’ensemble peut constituer à former
un peuple. Cette exigence de reconnaître de façon effective aux peuples des libertés publiques
est de plus en plus affirmée sur la scène internationale car, les textes, déclarations et
conventions internationaux, plus nombreux que par le passé, s’ajoutant les uns aux autres ont
imposé une référence plus fréquente dans tous les domaines du droit, aux libertés publiques. Il
en est ainsi par exemple de la participation des citoyens à l’activité politique par l’électorat ou
l’éligibilité. Très souvent, il s’agit soit de protéger des libertés que d’aucuns qualifient aussi
de fondamentales, soit des droits de l’homme. Comme le note Frédéric Sudre, au niveau
173
Ibid
174
Comme le souligne François Terré, « Jadis en prenant la Bastille, la liberté c’était de pouvoir aller et venir,
de n’être pas arbitrairement enfermé, d’avoir un domicile inviolable, de participer aux élections, bref d’avoir la
liberté de conscience, d’opinion et d’expression ».
55
international, c’est la Déclaration universelle des droits de l’homme qui va marquer
« l’irruption de l’individu et de ses droits dans la sphère des relations interétatiques frappée,
jusqu’alors du sceau de la souveraineté »175. Le sacro saint principe de non-ingérence dans les
affaires intérieures d’un Etat est ainsi battu en brèche, car les libertés publiques ou droits de
l’homme ont une place beaucoup plus importante en droit international que le principe de
souveraineté. Mais il faut reconnaître que la Déclaration universelle des droits de l’homme
n’inscrit pas à proprement parler les libertés publiques ou les droits de l’homme dans le
corpus juridique international, car elle n’est pas un instrument contraignant. Il est juste de
noter une certaine internationalisation dans la protection de certaines libertés politiques et très
souvent ces libertés publiques protégées sont en étroite relation avec le principe de libre
détermination au niveau interne des peuples ; de ces différents droits ou libertés, nous
étudieront de plus près quelques principaux notamment la liberté ou le droit de vote (1), le
droit d’être élu ou de participer aux affaires politiques ou publiques dans son pays (2), les
libertés d’expression, d’opinion, de presse (3), et les libertés d’association et de réunion (4).
1 - La liberté du vote ou le droit de vote
L’existence et la protection de certaines libertés publiques concourent à la réalisation
de cette autodétermination interne. Ce sont ces quelques libertés publiques que nous
essayerons d’analyser dans cette partie. Nous nous sommes longuement penchés sur l’idée que
l’expression réelle de la volonté du peuple et de sa possibilité de choisir ses gouvernants
passaient forcément par l’organisation des élections, qui doivent revêtir certains caractères
(justes, libres, honnêtes, régulières…). Mais pour que ces élections puissent se dérouler et être
représentatives de la volonté d’un peuple donné, encore faudrait-il que le droit de vote puisse
être reconnu de façon générale aux personnes constituant ce peuple. Si le droit au vote est
respecté, la satisfaction des besoins d’un peuple n’a plus besoin de passer par l’insurrection ou
la violence, mais plutôt par le bulletin de vote ou le suffrage universel. Pour Dominique
Rousseau, le droit de vote « symbolise la puissance ou le pouvoir du peuple »176. Le droit de
vote se présente ainsi comme une force du peuple et permet aussi de pouvoir qualifier un
régime politique de démocratique ou non. Le vote est normalement un droit qui appartient à
chaque citoyen. Dominique Rousseau note en ce sens que « Pour chacun, le vote est un droit
175
176
Sudre, F., Droit international et européen des droits de l’homme, PUF, 1989, p. 209
Rousseau, D., « Libertés politiques et droit de vote » in Libertés et droits fondamentaux, p.265
56
qui appartient au citoyen et qui définit la démocratie »177 et il rajoute que pendant longtemps,
le paradigme démocratique reposait sur l’assimilation de la démocratie au vote. La liberté du
vote est ainsi « considérée par tous les auteurs comme l’élément capital d’un régime
démocratique et signifie la possibilité pour tous les électeurs de choisir entre plusieurs
candidatures, voire même de ne pas choisir, c’est-à-dire être libre de ne pas voter »178. Le
vote doit être égal, c’est-à-dire : un électeur = une voix. Ce vote doit aussi être libre, ce qui
implique qu’il faut respecter le secret du vote car ceci évite toute possibilité d’infliger des
mesures de rétorsion à l’encontre du citoyen. Le droit de vote doit ainsi s’exercer librement et
s’exprimer également de façon sincère, même si cette dernière caractéristique est difficile à
prouver. Et si le droit de vote est exercé, la liberté de choix des électeurs doit être
intégralement respectée, sans aucune falsification ou altération. Le Pacte international sur les
droits civils et politiques consacre le principe démocratique du suffrage universel. En effet,
l’article 25 du Pacte énonce que « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des
discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions déraisonnables […] de voter ». La
Commission des droits de l’homme a à propos de l’article 3 du Protocole n°1 à la Convention
européenne des droits de l’homme souligné que l’article 3 impliquait le droit à un suffrage
universel. Il en est de même de l’article 3 de la Charte américaine des droits de l’homme qui
pose l’exigence d’un suffrage universel. Dès lors, pour ces différents organes et notamment
pour le Comité des droits de l’homme179, « les Etats doivent prendre des mesures efficaces
pour faire en sorte que toutes les personnes qui remplissent les conditions pour être électeurs
aient la possibilité d’exercer ce droit »180. On comprend dès lors que pour le Comité
international chargé de veiller au respect du Pacte sur les droits civils et politiques, soient
prohibées toutes mesures ayant pour but d’introduire un suffrage censitaire ou un suffrage
fondé sur la fortune. Il en est de même des discriminations ou toutes exclusions, telles les
exclusions fondées sur les femmes, les minorités nationales et linguistiques. Pour Théodore
Christakis, « Les Etats doivent donc légiférer, non seulement pour garantir les droits et
obligations prévus au deuxième alinéa de l’article 25, mais aussi pour interdire toute
177
ibid.
178
Rousseau, D. op. cit., p. 267
179
Il faut souligner que le Comité des droits de l’homme mis en place par le Pacte de 1966 sur les droits
politiques n’est pas un organe de protection juridictionnelle des libertés. Certes, les particuliers peuvent saisir le
Comité à la condition qu’il y ait une violation des droits prévus par le Pacte et que l’individu ait épuisé toutes les
voies de recours interne ; le Comité lorsqu’il est saisi peut simplement faire une constatation auprès de l’Etat
concerné. Il n’a pas de force juridique, ce qui implique une garantie limitée des droits consacrés par le Pacte.
180
Observation générale du Comité n°25 du 12 juillet 1996, op.cit, §10
57
immixtion dans le processus d’inscription ou le scrutin ainsi que toute intimidation ou
coercition des électeurs »181.
Nous avons remarqué par exemple que dans certains pays africains, durant des
campagnes électorales, beaucoup de manœuvres étaient réalisées dans le but d’influencer le
choix des électeurs. Comme participant de ces manœuvres, il faut citer la fermeture anticipée
des bureaux de vote, la diffusion des fausses informations, les dépouillements secrets des
votes. Dans le cadre de l’autodétermination interne, le droit de vote est d’une grande
importance car il permet au peuple de participer directement à la vie politique de l’Etat dans
lequel il se trouve ; l’effectivité du droit de vote doit ainsi être garantie. C’est ainsi le droit de
décision électorale qui est accordé au peuple. Mais soulignons que l’exercice du droit de vote
doit rester libre et surtout ce droit de vote ne doit pas être orienté dans un certain sens c’est-àdire en vue d’obtenir un résultat précis. Le peuple ne doit pas être obligé d’exercer son droit
de vote. De même que des restrictions raisonnables au droit de vote sont tout de même
admises. C’est le cas des conditions portant sur l’exigence d’un âge minimum. Il est de même
des restrictions concernant les malades mentaux ou les personnes condamnées. La seule
condition étant que lesdites restrictions soient raisonnables.
Le droit de vote ou la liberté de vote permet aussi au peuple de déléguer son pouvoir
aux représentants qui agiront à sa place. « Le vote est donc à l’origine de la forme
représentative de la démocratie, c’est-à-dire d’une forme où ceux qui vont prendre les
décisions sont les représentants élus par le peuple »182. Le droit de vote est vraiment le moyen
adéquat qui en démocratie, permet à un peuple de déterminer librement sa volonté. Même s’il
faut reconnaître que les violations faites à cette liberté de vote continuent à être courantes sur
la scène internationale, ce qui fait dès lors que « l’origine électorale ne garantit pas
nécessairement le caractère démocratique d’un régime »183. Le droit de vote demeure
cependant un élément important de classification d’un régime dans la catégorie de régime
démocratique. Le Comité des droits de l’homme a à plusieurs reprises insisté sur le caractère
universel du droit de vote, car le Comité considère ce droit comme étant un droit dont « tout
citoyen adulte devrait jouir »184.
2 - Le droit d’être élu ou de participer aux affaires politiques ou publiques
181
Christakis, Th., op. cit., p. 379
182
Christakis, op. cit. p 375
183
Carreau D., op. cit., p. 274
184
Rapport du Comité des droits de l’homme, AGDO, 51e session, supplément n°40(A/51/40), 1996, annexe V
58
L’article 3 de la Charte américaine parle de l’ « accès au pouvoir » et l’article 23 de la
Convention américaine parle du droit d’être élu et du droit d’accéder aux fonctions publiques
de leurs pays ou de participer aux affaires publiques. Ce même droit est garanti par la
Convention européenne des droits de l’homme et par le Pacte sur les droits civils et politiques
à son article 25 précité. Même la Charte africaine des droits de l’homme n’est pas en reste
dans la garantie de ces deux droits. L’article 13 de ladite charte énonce que « 1. Tous les
citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays,
soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis, ce,
conformément aux règles édictées ». Pour que l’autodétermination interne des peuples soit
effective, il faut que chaque citoyen sache qu’il peut se porter candidat à une charge élective,
et ce sans courir de risque (même s’il faut reconnaître que des restrictions raisonnables seules
peuvent être admises pour limiter la participation aux affaires publiques ou la capacité de se
porter candidat ; on pense ici par exemple aux incompatibilités).
Le Comité des droits de l’Homme estime que pour être compatible avec l’article 25 du
Pacte sur les droits politiques et civils, toute restriction au droit de se porter candidat doit
pouvoir dès lors reposer sur des critères objectifs et raisonnables. Nous pouvons ajouter que
« Cela vaut également pour les conditions relatives aux dates de présentation des
candidatures, aux redevances ou dépôts exigibles, aux incompatibilités avec d’autres
fonctions, ainsi que pour les motifs de destitution des personnes élues à une charge
officielle »185. Il n’est pas aussi question d’exclure un candidat pour l’unique motif que ce
dernier n’appartiendrait pas à un parti politique. Des manœuvres ne devraient pas être mises
en place pour empêcher des personnes quelconques de se porter candidates à des postes
publics. Pour le Comité des droits de l’homme, la participation aux affaires publiques est
favorisée en garantissant le droit à la liberté d’expression, de réunion et d’association186.
La résolution 43/157 du 8 décembre 1988 de l’Assemblée générale qui insiste sur
l’autonomie de la démocratie par rapport aux autres questions de la société montre ainsi que la
démocratie est non seulement un idéal mais affirme aussi en ce sens que « le droit de chacun
de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays est un facteur crucial de la
jouissance effective par tous d’un grand nombre d’autres droits de l’homme et libertés
fondamentales, y compris les droits politiques économiques, sociaux et culturels ». Il est ainsi
185
Sicilianos L-A, op. cit. p. 133
186
Rapport du Comité des droits de l’homme : Observation générale 25(57), AGDO, 51e session, supplément n°
40 (A/51/40), 1996 para 8
59
prohibé toute possibilité d’exclure des personnes de la participation aux affaires publiques de
leur pays en se basant sur leur opinion politique. La participation aux affaires publiques doit
être le plus largement ouverte afin de permettre une large expression au niveau interne de la
volonté des citoyens. Il en est de même du droit d’être élu. Les organisations régionales telles
l’O.E.A vont même jusqu’à essayer de garantir une présence encore plus effective d’une
couche jusque là assez marginalisée dans la participation aux affaires publiques et politiques :
il s’agit des femmes. En effet, l’article 28 de la Charte démocratique interaméricaine énonce
que « Les États encouragent la participation pleine et égale de la femme aux structures
politiques dans leurs pays respectifs, en tant qu'élément essentiel à la promotion et la
pratique de la culture démocratique ». Nous constatons ainsi que « le droit d’être élu
constitue l’autre face du droit à des élections »187.
Le Comité reconnaît que l’ensemble formé des libertés d’expression, de réunion et
d’association constitue une condition essentielle au droit de vote et que pour cette raison ces
différentes libertés doivent être pleinement protégées. Mais il est important de souligner
qu’afin que la liberté de vote et le droit d’être élu puissent être effectifs, il faut aussi la
réalisation d’autres libertés, telle la liberté d’opinion qui constitue elle aussi un droit
fondamental de la personne humaine. En effet, dans une vraie démocratie, il faut que les idées
ou la communication puissent circuler, et pour ceci, il faut que chacun puisse exprimer son
opinion, ou défendre et argumenter cette opinion.
3 - La liberté d’expression, la liberté d’opinion et la liberté de la presse
Ces différentes libertés sont garanties par le Pacte des Nations Unies sur les droits
civils et politiques qui énonce en son article 19 que « 1. Nul ne peut être inquiété pour ses
opinions.
2. Toute personne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté de
rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans
considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout
autre moyen de son choix.
3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs
spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines
restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires :
187
Christakis, Th., op. cit., p. 381
60
a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui ;
b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité
publiques ». Cet article 19 du Pacte sur les droits civils et politiques reprend à quelques détails
près l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Patrick Wachsmann souligne que La Commission européenne des droits de l’homme, dans
son rapport du 30 novembre 1993, fait de la liberté d’expression « la pierre angulaire des
principes de la démocratie et des droits de l’homme protégés par la Convention » 188. On ne
saurait ainsi dissocier la liberté d’expression des valeurs les plus fondamentales de la
démocratie libérale. La presse, selon les termes souvent employés par la Cour européenne des
droits de l’homme joue un rôle de « chien de garde »189, en permettant d’alerter le public sur
les menaces pesant sur les libertés, qu’elles soient le fait des gouvernants ou d’autres
puissances. Il est dès lors important de souligner que la liberté de la presse et celle de la
communication audiovisuelle sont aussi essentielles que les libertés reconnues aux individus
et aux partis politiques. Pour que les partis qui sont dans l’opposition puissent être à même de
mieux exposer leur opinion, il faut qu’ils disposent de moyens comme la presse. C’est l’un
des moyens les plus adéquats pour garantir la liberté d’information. Pour la Cour européenne,
la liberté d’expression est extensive et peut dès lors s’appliquer à « ceux qui créent,
interprètent, diffusent ou exposent une œuvre d’art » ceci du fait qu’ils « contribuent à
l’échange d’idées et d’opinions indispensables à une société démocratique »190.
Le groupe international des experts mis en place par les Nations Unies s’est basé sur
l’article 19 du Pacte sur les droits civils et politiques, et a élaboré en 1996 les principes de
Johannesburg, ceci au cours d’une conférence qui portait sur les thèmes suivants : « Sécurité
Nationale, Liberté d’Expression et Accès à l’Information »191; dans le préambule de ce texte, il
semble important pour les experts de réaffirmer « leur conviction que la liberté d'expression
et la liberté d'information sont essentielles dans une société démocratique pour son progrès
et afin que d'autres droits humains et libertés fondamentales puissent être exercés ; » et le
Principe 1er qui est énoncé par le texte porte sur la liberté d’expression, d’opinion et de
presse : « a. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions.
b. Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de
rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans
188
Wachsmann, « la liberté d’expression » in Libertés et droits fondamentaux, op.cit, p. 339
189
CEDH, arrêt Miller du 24 mai 1998
190
Ibid.
191
http://www.article19.org/docimages/838.htm
61
considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout
autre moyen de son choix ».
La liberté d’expression est cependant une liberté dont la proclamation s’accompagne
immanquablement de limitations, mais ces limitations doivent s’exercer dans une mesure
jugée acceptable. L’article 10 de la Convention européenne réglemente les ingérences
étatiques dans la liberté d’expression. Les exceptions doivent avoir été prévues par la loi
(c’est-à-dire une norme générale, écrite ou jurisprudentielle, antérieure aux faits litigieux et
satisfaisant à des exigences d’accessibilité et de prévisibilité ) ; viser l’un des buts reconnus
comme légitimes par l’article 10 paragraphe 2 (la sécurité nationale, l’intégrité territoriale, ou
la sûreté publique, la défense de l’ordre ou la prévention du crime, la garantie de l’autorité et
de l’impartialité du pouvoir judiciaire…) et être nécessaires dans une société démocratique à
la réalisation de ces buts192. La Cour européenne dans l’arrêt Handyside193 a souligné que la
société démocratique se caractérisait par le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture et
que dès lors la liberté d’expression ne valait pas seulement pour les informations ou idées
accueillies favorablement ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi
pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la
population. Pour les différents textes des Nations Unies et d’autres textes régionaux telles la
Convention américaine et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, « a. Toute
restriction portée à l’expression ou à l’information doit être prévue par la loi. La loi doit être
accessible, sans ambiguïté, écrite de manière précise et étroite de façon à permettre aux
individus de savoir si une action précise est illégale.
b. La loi doit fournir des garanties appropriées contre les abus, y compris un examen
judiciaire minutieux et rapide, complet et efficace de la validité de la restriction par une cour
ou un tribunal indépendant »194.
La liberté d’opinion et la liberté d’expression contribuent au respect du pluralisme
idéologique. Pour la Cour européenne des droits de l’homme, elles constituent « l’un des
fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son
progrès et de l’épanouissement de chacun »195. Les libertés d’expression et d’opinion sont
garanties par presque tous les textes universels sur les droits politiques et civils, mais aussi par
moult textes régionaux sur les droits de l’homme. Selon Christakis, « L’expression des
192
Le Togo a très souvent été pointé du doigt par le Comité des droits de l’homme en raison des violations faites
par ce pays à l’encontre de l’article 19 du Pacte portant sur les libertés d’expression, d’opinion.
193
194
195
CEDH, arrêt Handyside du 7 décembre 1976
Principes de Johannesburg, op. cit. « Principe 1.1 : Prévu par la loi »
CEDH, arrêt Parti unifié de Turquie et autres c. Turquie, du 30 janvier 1998
62
opinions divergentes et le libre déroulement du débat politique permettent donc
l’accomplissement de la démocratie. Elle permet l’émergence du compromis sur la base du
principe majoritaire tout en garantissant la libre expression des convictions minoritaires »196.
La liberté d’accès aux médias permet aussi de garantir les libertés d’expression et d’opinion.
C’est pourquoi, pour que ceci puisse se faire, il faut que la presse elle-même ne soit pas
muselée. C’est ainsi que de plus en plus, notamment dans les Etats où la démocratie se
consolide ou bien l’est déjà, la liberté de la presse197 est mieux garantie, car c’est l’une des
conditions pour rendre possible l’exercice effectif du droit des peuples à une libre
détermination au niveau interne198. Plusieurs résolutions de l’Assemblée générale des Nations
Unies telles la Résolution 58/101199 rappellent l’attachement du système des Nations Unies à
la liberté d’information, de la presse et de la diversité des médias, et le rôle que ces libertés
peuvent jouer dans l’expression du droit des peuples à une autodétermination interne ou en
démocratie. Pour ce qui concerne le pluralisme politique, nous avons souligné l’importance
qu’il y avait à ce que le citoyen puisse choisir entre différents partis politiques ; cette
exigence ne peut être réalisée que si les libertés d’opinion et d’expression sont à leur tour
garanties. La Cour américaine des droits de l’homme s’est prononcée sur l’article 13 de la
Convention en notant que la liberté d’expression a une « valeur extrêmement élevée »200 et la
Cour va même plus loin car elle conclut que « Freedom of expression is a cornerstone upon
which the very existence of a democratic society rests. It is indispensable for the formation of
public opinion… »201.
4 - Les libertés d’association et de réunion
La liberté d’association est très souvent liée à la liberté de réunion. La liberté d’association
est inscrite dans plusieurs textes internationaux notamment dans la Déclaration universelle des
droits de l’homme en l’article 20, et aux articles 21 et 22 du Pacte sur les droits civils et
politiques, mais aussi dans des textes régionaux (Convention européenne des droits de
l’homme article 11 ; articles 10 et 11 de la Charte africaine sur les droits de l’homme et des
196
197
Christakis, op. cit., p. 385
Il existe une journée de la presse qui a été instaurée par l’Assemblée Générale des Nations Unies depuis
décembre1993 (3 mai) et aussi un Comité mondial de la liberté de la presse (www.wpfc.org/index.jsp.UNESCO)
198
ONU et liberté de presse, http://www.unhchr.ch/udhr/lang/frn.htm
Res. 58/101 A-B de l’Assemblée Générale du 17 décembre 2003
200
Compulsory membership, avis consultatif, IAYBHR 1985, p. 1176, par. 50
201
Ibid, p. 1186
199
63
peuples ; articles 21 et 22 de la Déclaration américaine des droits de l’homme ; articles 15 et
16 de la Convention américaine sur les droits de l’homme ). Ce qu’on peut retenir de ces
différents textes est que toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et que toute
personne a aussi le droit de s’associer avec d’autres afin de favoriser et de protéger ses intérêts
légitimes, d’ordre politique notamment pour ce qui est de l’autodétermination interne, mais
aussi des intérêts d’ordre économique, religieux, social, culturel, professionnel, syndical ou
autre.
Pour Elie Alfandi, « la réunion de citoyens pose de nombreux pouvoirs en place : d’abord
indépendamment de l’objet poursuivi, elle tend à constituer un corps intermédiaire exerçant
un pouvoir ou un contre pouvoir » 202. Comme le soulignent Rémy Cabrillac et Marie-Anne
Frison-Roche, « la liberté d’association a un double visage : d’une part, elle est une liberté
individuelle, et concerne la relation entre les sociétaires, et entre les sociétaires et le
groupement ; mais elle est aussi une liberté collective »203. Cette liberté s’identifie le mieux à
une liberté politique.
La garantie des libertés d’association ou de réunion est importante en ce sens que la libre
détermination de la volonté d’un peuple ne peut être effective que si ce peuple peut librement
s’associer ou se réunir afin de débattre des questions politiques le concernant et ce sans crainte
de subir des répressions, de même que ces libertés pour qu’elles soient effectives doivent être
libres et voulues par les populations (on peut penser à l’ère communiste où des peuples étaient
souvent contraints de s’associer à telle ou telle formation politique ou syndicale). A ce titre,
les articles 20§2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et 10§2 de la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples soulignent que «Nul ne peut être obligé de
faire partie d’une association ». Le droit à la liberté de réunion pacifique se traduit par la
formation de groupes momentanés dans le but de permettre l’échange en commun d’idées et la
manifestation collective de l’activité politique204. Ces libertés comme les précédentes peuvent
faire l’objet de restrictions mais à condition que ces restrictions205 soient prévues par la loi et
soient nécessaires à la sécurité de l’Etat, à la sûreté ou à l’ordre public206, pour ne citer que ces
quelques restrictions.
202
Alfandi, E., « La liberté d’association » in Libertés et droits fondamentaux, op. cit., p. 367
203
Ibid., p. 372
204
Sudre, F. op. cit., p. 308
205
Le juge européen a bâti un régime très protecteur de la liberté de réunion, qu’il considère comme l’ « élément
essentiel » de la vie politique et sociale d’un Etat (Commission, Affaire Grecque op. cit., Ann. 1968, vol. XI) et
la Cour a aussi une appréciation très rigoureuse de la « nécessité » des restrictions aux dites libertés.
206
Rouget D., Le guide de la protection internationale des droits de l’homme, Editions La pensée sauvage, 2000,
pp. 83-84
64
L’autodétermination interne comme nous l’avons constaté exige pour son effectivité le
respect de certains droits civils et politiques, mais va aussi au delà, car l’autodétermination
interne nécessite aussi pour sa réalisation ou son respect, une certaine attitude de la part des
différents pouvoirs que l’on doit retrouver dans un Etat qui se veut démocratique ou de droit ;
nous pensons ici au trois pouvoirs que sont : le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Nous
retrouvons ici aussi une internationalisation de la constitutionnalité, à travers l’exigence du
respect au niveau international de la séparation des pouvoirs.
B - Une internationalisation d’un principe constitutionnel : La
séparation des pouvoirs
Le pluralisme organique est une exigence qui s’impose à des sociétés démocratiques et
qui favorise la libre détermination des peuples. En effet, le pluralisme organique repose sur
le « respect de la séparation des pouvoirs dans le but d’éviter qu’un seul organe ne parvienne
à exercer une dictature »207. Nous nous rendons ainsi compte que par le moyen du droit des
peuples à une autodétermination interne, la théorie de la séparation des pouvoirs préconisée
par Locke à la fin du XVIIe siècle et reprise par Montesquieu au XVIIIe siècle s’est
aujourd’hui internationalisée, car c’est un élément important de la démocratie. Comme le
souligne Pierre Pactet, cette théorie procède de « la distinction de trois fonctions : la fonction
d’édiction des règles générales ou fonction législative, la fonction d’exécution de ces mêmes
règles ou fonction exécutive, la fonction de règlement des litiges ou fonction juridictionnelle.
Elle postule ensuite qu’à l’exercice de chaque fonction correspond un pouvoir : le pouvoir
législatif, le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire. Elle implique enfin, et surtout, que chaque
pouvoir soit confié à des organes distincts : assemblées représentatives pour le législatif, chef
de l’Etat et éventuellement chef de gouvernement, ministres pour l’exécutif, juridictions pour
le judiciaire »208.
Il s’agit de rendre effectif ici l’équilibre des pouvoirs prôné par Montesquieu qui
estimait que pour éviter qu’un pouvoir n’abuse d’un autre pouvoir, il fallait que par la
disposition des choses, le pouvoir puisse arrêter le pouvoir . Il faut voir dans cette théorie plus
207
Christakis, Th. op cit., p. 385
208
Pactet, P., op. cit., p. 110
65
la recherche d’un équilibre des pouvoirs qu’une séparation beaucoup plus stricte des pouvoirs
comme certains l’ont envisagé. En effet, une séparation stricte des pouvoirs entraînerait
certainement une paralysie de tous les pouvoirs. L’idée ici est que les différents pouvoirs
puissent collaborer sans que l’un des pouvoirs n’exerce une emprise beaucoup plus forte sur
l’autre. Cette séparation des pouvoirs est largement appliquée par les régimes pluralistes. Le
but étant dans une large mesure de respecter la libre expression des peuples au niveau interne.
Dans les sociétés politiques occidentales, le juge remplit une fonction démocratique,
pas parce qu’il est plus démocratique que les autres acteurs institutionnels, mais parce que sa
fonction de juge l’oblige à faire respecter entre deux moments électoraux les droits
fondamentaux qu’une majorité politique pourrait être tentée de diminuer209. Pour le Secrétaire
général des Nations Unies, Kofi Annan, « on ne peut vraiment parler de démocratisation que
lorsque règne l’Etat de droit, et il ne saurait y avoir de pluralisme politique tant qu’un
appareil juridique efficace n’a pas été mis en place. Pour fonctionner efficacement, un
système juridique doit reposer non seulement sur une législation appropriée mais également
sur des institutions chargées d’élaborer des lois et les appliquer »210.
Il existe une volonté de plus en plus grande qui anime les Etats et qui se traduit par la
mise en place d’une justice constitutionnelle ayant pour objectif de garantir le respect de la
séparation des pouvoirs par les différents organes de l’Etat. Dans les vieilles démocraties
occidentales, ceci est devenue une réalité certaine. Remarquons la présence par exemple au
niveau européen de différents organes chargés d’encourager ou de veiller au respect des
principes démocratiques notamment la séparation des pouvoirs. C’est le cas de L'IEDDH
(Initiative Européenne pour la Démocratie et les Droits de l'Homme – 1999 - 2004) qui
cofinance les projets visant au développement et à la consolidation de la démocratie et de
l'Etat de droit ainsi qu'au respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les
pays tiers de l'Union européenne. L’IEDDH s’engage entre autres à la « promotion de la
séparation des pouvoirs et soutien des réformes institutionnelles et législatives ; »211
Les autres pays et notamment les pays d’Afrique et d’Amérique Latine sont dans un
processus de mise en place des moyens pour assurer le respect de la séparation des pouvoirs.
C’est le cas notamment de la multiplication de plus en plus accrue sur la scène internationale
des juridictions constitutionnelles.
209
Carreau D. op. cit., p. 275
210
Doc. A/51/512, § 44-45
211
http://europa.eu.int/comm/europeaid/projects/eidhr/index en.htm
66
Il faut noter que cette volonté de mettre en place un contrôle de constitutionnalité dans
l’esprit de ses initiateurs (américains, autrichiens…et français), avait comme objectif premier
de renforcer le pouvoir exécutif contre les empiétements du parlement ou dans certains pays
de lutter contre l’empiétement de l’exécutif souvent très fort, et ce qui était le cas de
beaucoup de pays africains : « Aussi, au début des années 90, le fait pour la plupart des
constituants africains francophones d’introduire ou de dynamiser le contrôle de
constitutionnalité et par-là même la fonction du juge constitutionnel reposait sur deux
constats majeurs.
D’une part, les parlements n’ont jamais pu jouer, à quelques rares exceptions et sur
des périodes limitées, leur rôle de dépositaire de la volonté générale. Dans ces conditions,
c’est le statut de la loi même qui était en cause. D’autre part, la très grande majorité des
systèmes politiques évoluait sous le présidentialisme, c’est-à-dire sous la prééminence du
Chef de l’Etat, militaire ou civil, qui concentrait l’essentiel des pouvoirs entre ses mains »212 .
Le contrôle de constitutionnalité a été instauré dans plusieurs pays africains dans le but de
faire disparaître le pouvoir de « juge suprême de la constitutionnalité »213 jusque là conserver
entre les mains des chefs d’Etats africains et donc les différents abus dans l’histoire des pays
africains, notamment dans le domaine du droit des peuples à la libre détermination interne
sont une triste réalité.
On remarque de plus en plus sur la scène internationale la mise en place par les
organes onusiens ou régionaux d’une assistance constitutionnelle afin d’aider les Etats qui n’y
sont pas encore parvenus, à élaborer des Constitutions qui puissent s’aligner sur les
instruments internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme et aux principes
fondamentaux de l’Etat de droit auquel appartient la séparation des pouvoirs. Pour le
Secrétaire général des Nations Unies ( s’exprimant après la Conférence mondiale de Vienne),
l’assistance constitutionnelle « est devenue ces dernières années une partie importante du
programme de services consultatifs, en raison de la tendance globale croissante d’assurer le
passage à la démocratie »214. C’est ainsi que des observations sur le projet de constitution ont
été faites à l’Etat du Malawi par le Haut Commissariat des droits de l’homme et par le Centre
pour les droits de l’homme afin que la nouvelle constitution du Malawi puisse favoriser la
212
Boubacar Issa Abdhourhamane, « Les Cours constitutionnelles dans le processus de démocratisation en
Afrique », op. cit. p. 37
213
Gérard CONAC « Le juge constitutionnel en Afrique. Censeur ou pédagogue ? », in : Les Cours suprêmes en
Afrique (1989)
214
Rapport du secrétaire général des N.U, doc. E/CN.4/1994/78, § 66
67
répartition et la séparation des pouvoirs et d’autres principes démocratiques tel le pluralisme
démocratique215.
La Déclaration de Vienne adoptée en 1993 à la Conférence mondiale des droits de la
personne humaine, proclamait que la démocratie, le développement et le respect des droits de
la personne et des libertés fondamentales sont interdépendants et qu’ils se renforcent
mutuellement, et nous pouvons ajouter que ces différents droits et libertés contribuent aussi à
la libre détermination des peuples au niveau interne. La Conférence de Vienne a mis en place
un certain nombre de mesures que les Nations Unies devraient adopter pour améliorer la
situation des droits de la personne humaine. Au cours des cinquante dernières années, l’ONU
a exercé une influence déterminante sur l’élaboration de normes juridiques lesquelles normes
ont conduit un nombre grandissant de personnes et de groupes et surtout de peuples à exiger
ou à attendre un traitement démocratique et équitable de la part de leurs gouvernements
respectifs et surtout que ces mesures qui sont prises par les Etats ou leurs gouvernements
visent à permettre leur libre détermination au niveau interne.
Nous avons essayé d’étudier mais surtout de montrer dans cette première partie
consacrée à l’étude de la substance même du principe de l’autodétermination interne ou du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans sa dimension interne que l’autodétermination
interne entretenait un lien de plus en plus étroit avec d’autres notions que sont la démocratie
ou l’Etat de droit. Le principe de l’autodétermination interne va même jusqu’à se poser
comme étant en continuité ou dans la même droite ligne que ces notions. Il est possible
surtout lorsqu’on porte un regard assez attentif sur la scène internationale de constater que le
principe de l’autodétermination interne des peuples comme la démocratie et l’Etat de droit
sont devenus des notions de droit international public qui s’imposent à tous les Etats et dont
l’objectif est de permettre le respect ou la protection des droits des peuples ; et qui dit droits
des peuples parle aussi incidemment de droits de l’homme. Comme nous l’avons noté,
plusieurs organisations onusiennes ou internationales, ainsi que des organisations régionales
ont fait leur la mission de pouvoir mieux encadrer le principe de l’autodétermination interne
des peuples, mais aussi et surtout de veiller à ce que les Etats dans leurs législations et dans la
pratique respectent ce principe. Ce principe se présente aujourd’hui sur la scène internationale
comme un principe dont l’importance n’est plus à prouver surtout que ce principe participe à
sa façon à l’évolution du droit international public.
215
Sicilianos, L-A, op. cit., p. 271
68
69
DEUXIEME PARTIE
L’AUTODETERMINATION INTERNE : FACTEUR
D’EVOLUTION
DU
DROIT
INTERNATIONAL
CONTEMPORAIN
Le statut juridique de l’autodétermination interne des peuples mérite d’être connu. En
effet, on peut penser vu l’importance de ce droit que son encadrement juridique soit réel, ce
qui n’est pas faux, car il y a en droit international une réelle émergence d’un statut juridique
de l’autodétermination interne des peuples (I), même si cette protection juridique du droit des
70
peuples à une autodétermination interne, n’empêche pas que ce droit soit confronté à d’autres
principes du droit international public, nous pensons notamment au principe de non-ingérence
dans les affaires politiques. Il nous semble donc intéressant de voir comment le principe des
peuples à une autodétermination interne peut ou a pu conduire à une redéfinition du principe
de non-ingérence dans les affaires politiques (II).
I-
Emergence d’un statut juridique internationalement protégé
Le droit des peuples à une autodétermination interne bénéficie de nos jours d’un statut
conventionnel réel, bien que récent (A), même si l’existence d’un statut coutumier du droit
des peuples à une autodétermination interne est beaucoup plus problématique. En effet, il reste
assez difficile de pouvoir affirmer aujourd’hui le caractère coutumier de ce principe, ce qui
nous fait dire que ce statut coutumier reste encore incertain (B).
A
Un statut conventionnel récent
71
Le droit des peuples à la libre détermination interne dispose à notre avis aujourd’hui
d’un statut conventionnel qu’il semble difficile de contester. Au cours de nos précédents
développements notamment dans notre première partie, nous nous sommes servis de
nombreux textes régionaux et internationaux pour montrer que l’autodétermination interne se
confondait à la démocratie politique, mais aussi qu’elle était un complément nécessaire à cette
démocratie politique. Evidemment, plusieurs textes à portée différente et à niveau différent
ont consacré cette autodétermination interne. Au niveau universel, le Pacte sur les droits civils
et politiques se présente comme l’instrument conventionnel universel le plus abouti sur la
question. Mais cela ne devrait pas non plus conduire à sous-estimer ou à oublier les autres
textes universels qui traitent de l’autodétermination interne ou de la démocratie. Les
organisations
régionales
ont consacré
de
nombreux
textes
sur
la question
de
l’autodétermination interne des peuples. Quelques uns de ces textes qui contribuent à fournir à
l’autodétermination interne un caractère conventionnel devraient être soulignés (même si nous
n’avons pas la prétention de pouvoir passer en revue tous les textes existant sur la question). Il
faut aussi savoir que, c’est particulièrement la nature du texte ou le caractère qui lui sera
reconnu ou attribué, qui nous permettra de savoir de quelle façon ce texte peut lier les Etats en
matière de respect de l’autodétermination interne des peuples. En droit international général,
nous savons bien que, pour qu’un Etat soit lié par une règle de droit international, il faut que
cet Etat ait librement consenti par un acte positif (par exemple en ratifiant un traité ou une
convention ou une charte) ou négatif à respecter certaines règles. Cette règle du droit
international repose sur un autre principe de droit international public qui est le principe de la
souveraineté et qui a pour corollaire un autre principe de droit international qui est le principe
de l’égalité des Etats. Un Etat ne peut ainsi être engagé ou lié sans que sa volonté ou son
consentement ait été valablement exprimé. Une fois que l’Etat a accordé son consentement, il
est lié et ce en vertu du principe Pacta sunt servanda216. En droit international public, la règle
générale jusque là encore assez pratiquée était que les affaires internes d’un Etat notamment
dans le domaine politique (un domaine qui reste encore assez sacré en relations
internationales) ressortaient de sa propre compétence, et dès lors toute intervention extérieure
d’un Etat tiers était très souvent considérée comme étant de l’ingérence dans les affaires
intérieures de cet Etat. Même la Cour internationale de justice a plusieurs fois rappelé
que « Les orientations politiques internes d’un Etat relèvent de la compétence exclusive de
216
Selon l’article 26 de la Convention de Vienne, «Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par
elle de bonne foi ». A ce propos, la Cour internationale de justice dans les arrêts : Affaire du différend frontalier
entre la Libye et le Tchad, a rappelé que quelles que puissent être les incertitudes tenant à la rédaction du traité,
les parties n’en sont pas moins tenues d’en respecter les obligations.
72
celui-ci pour autant qu’elles ne violent aucune obligation de droit international. Chaque Etat
possède le droit fondamental de choisir et de mettre en œuvre comme il l’entend son système
politique, économique et social »217. Mais comme nous le soulignions, il est possible pour un
Etat de limiter sa compétence dans la gestion des affaires internes concernant son pays. La
Cour internationale de justice reconnaît qu’il est possible pour un Etat de se lier par voie
d’accord sur une question de politique interne, ce qui implique ainsi qu’un Etat peut s’engager
au niveau international à respecter des principes démocratiques ou le droit des peuples à une
autodétermination interne. Nous pouvons par exemple penser que les Etats qui sont devenus
membres des Nations Unies notamment en ratifiant la Charte de l’Organisation des Nations
Unies signée à San Francisco le 26 juin 1945, entrée en vigueur le 24 octobre 1945 et qui
consacre la proclamation de la foi des Nations Unies « dans les droits fondamentaux de
l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des
hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites », se sont engagés d’une
certaine façon à tout mettre en œuvre pour que ces droits soient respectés. L’article 1er du
paragraphe 2 de ladite Charte énonce d’ailleurs comme étant un des buts principaux des
Nations Unies le fait de : « Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le
respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes,
et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ». Il est vrai que
plusieurs auteurs comme Antonio Cassese ont souligné que le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes dans la Charte
précisément à travers cet article 1er §2 « était proclamé
seulement comme une des fins de l’organisation, non comme une obligation précise de la
Charte »218 ou « is only a principle suggesting that States should grant self-government as
much as possible to the communities over which they exercise jurisdiction”. Rosalyn Higgins
souligne aussi que l’autodétermination des peuples est mentionnée dans la Charte comme
« but général, non comme droit subjectif »219 .
Mais pour nous, la Charte va plus loin pour ce qui est du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes, c’est-à-dire qu’elle dépasse la volonté de faire du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes au niveau interne un simple but de l’organisation. Mentionnons aussi l’ article
76 du Chapitre XII de la Charte qui porte sur le régime international de tutelle et qui énonce
que : « Conformément aux buts des Nations Unies, énoncés à l’article 1 de la présente
Charte, les fins essentielles du régime de tutelle sont les suivantes :
217
218
Recueil de la CIJ 1986, Activités militaires et paramilitaires, arrêt précité
Cassese, A. et Bedjaoui, M, Commentaires des articles 1, § 2, et 73 in J.-P. Cot et A. Pellet, dir., La Charte
des Nations Unies, Economica, 1991, p. 43
219
Higgins, R., in Cours généraux de droit international public de l’Académie de la Haye, p.867
73
a. affermir la paix et la sécurité internationales ;
b. favoriser le progrès politique, économique et social des populations des territoires sous
tutelle ainsi que le développement de leur instruction ; favoriser également leur évolution
progressive vers la capacité à s’administrer eux-mêmes ou l’indépendance, compte tenu des
conditions particulières à chaque territoire et à ses populations, des aspirations librement
exprimées des populations intéressées et des dispositions qui pourront être prévues dans
chaque accord de tutelle ; »
Une lecture de ces deux articles de la Charte de l’O.N.U. montre bien que les Etats
avaient effectivement en ratifiant la Charte consenti à prendre en compte le droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes. Même si la dimension interne dans ces deux articles semble moins
visible, elle est cependant présumée y être intégrée car on se souvient que lors des travaux
préparatoires220 de la Charte, les deux dimensions coexistaient déjà dans les différents rapports
étatiques (C’est certainement pour éviter un statu quo que la Charte a opté pour une approche
générale sans trop expliquer en quoi pouvait consister ce droit des peuples à disposer d’euxmêmes au niveau interne, ou sans exactement dire ce qui entrait ou non dans cette notion221). Il
n’est pas faux de penser que la Charte des Nations Unies peut par exemple à elle seule suffire
à prouver l’engagement d’un Etat au respect des principes démocratiques, mais c’est sans
compter que le caractère trop général ou du moins peu explicite de la Charte sur la question de
l’autodétermination interne rend difficile la possibilité d’établir l’existence de tout
engagement réel. Nous pouvons dire sans grand risque de nous tromper que
l’autodétermination interne des peuples était déjà envisagée par la Charte. Antonio Cassese
note que pour la Commission « responsible of the drafting of the relevant provision agreed on
four points…the principles conformed to the purposes of the Charter only insofar as it
implied the right of self-government of people and not the right of secession”222.
L’article 76 du chapitre XII de la Charte portant sur le régime de tutelle internationale,
énonce une idée déjà beaucoup plus avancée sur l’autodétermination interne des peuples,
notamment lorsqu’on peut lire dans cet article que le pays chargé de la tutelle devrait tenir
compte de la volonté ou des aspirations des populations intéressées librement exprimées.
L’obligation qui caractérise l’autodétermination interne et qui est celle de la consultation des
populations intéressées pour la mise en place de tout gouvernement ou régime chargé de les
220
Débats des 12, 13, 14 et 15 mai de la Première Commission de la Conférence de San Francisco repris et cités
par Antonio Cassese.
221
Il faut noter qu’aucun Etat à part la Belgique n’était totalement critique quant au fait de voir le droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes figurer dans la Charte des Nations Unies.
222
Cassese, A. op. cit. p. 172
74
administrer se retrouve dans cet article 76. Même si cette disposition a été beaucoup plus
interprétée pour la cause coloniale, on est aussi en droit de pouvoir penser qu’elle pourrait
s’étendre et justifier ainsi l’organisation d’élections, le choix de gouvernement et la possibilité
pour les peuples concernés de participer aux élections afin de choisir leurs dirigeants, ou
même de se présenter à des élections et le respect des différentes libertés démocratiques des
peuples.
Les Etats membres de l’O.N.U. devraient cependant respecter et se conformer à ces
dispositions de la Charte sur le droit des peuples à une autodétermination interne quelles que
puissent être les incertitudes pouvant exister dans la Charte à propos de cette
autodétermination interne. C’est un engagement auquel ils ont consenti en ratifiant la Charte
des Nations Unies. Mais comme nous le remarquions, il est difficile de se servir dans ce
domaine des articles de la Charte pour condamner le non respect des obligations
démocratiques ou du principe de libre détermination interne ainsi que des libertés publiques.
Même les organes des Nations Unies sont souvent obligés de se servir de la raison selon
laquelle les violations des principes démocratiques ou des droits des hommes ou des peuples
peuvent conduire à rompre la paix et la stabilité internationales d’un Etat ou d’une région pour
pouvoir intervenir afin de rétablir la démocratique et tous les autres droits s’y rattachant.
En dehors de la Charte, il est cependant important de noter qu’un Etat peut par voie
conventionnelle s’engager de façon explicite à organiser des élections libres et honnêtes, mais
aussi à avoir un gouvernement démocratique, c’est-à-dire fondé sur la volonté librement
exprimée de sa population ou des peuples qui le composent et de respecter les libertés
publiques ou fondamentales ainsi que d’autres principes démocratiques ou des principes qui
permettent d’asseoir un Etat de droit.
La Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l´Assemblée générale
dans sa résolution 217 A (III) du 10 décembre 1948 énonce dans son article 21 § 3 (que
nous avons cité plus haut) que « La volonté est le fondement de l’autorité des pouvoirs
publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu
périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure
équivalente assurant la liberté du vote ». La Déclaration universelle des droits de l’Homme
(article 21) et la Charte de l’O.N.U. constituent les premiers textes de portée universelle qui
font apparaître cette reconnaissance aux peuples de leur droit de déterminer, et ce de façon
libre, leur volonté. Les deux premiers paragraphes de la Déclaration se lisent comme suit : «1.
Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays,
soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis.
75
2. Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d'égalité, aux fonctions publiques de
son pays. »
Il est vrai qu’avant la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte de
l’Atlantique du 14 août 1941 renfermait déjà comme nous l’avons précédemment souligné
cette idée de libre détermination au niveau interne223 en ces termes : Les Etats signataires
« respectent le droit qu’a chaque peuple de choisir la forme de gouvernement sous laquelle il
doit vivre »224.
Selon Théodore Christakis, l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de
l’homme « a consacré non seulement le principe selon lequel le gouvernement doit émaner de
la volonté populaire, mais aussi son corollaire, à savoir le principe d’élections périodiques et
honnêtes qui permettent aux peuples d’exprimer sa volonté et d’exercer son contrôle sur les
gouvernants ».225 Mais il faut aussi remarquer que la Déclaration universelle bien que destinée
à mettre en exergue les droits de l’Homme, ne manque pas de faire le lien entre le principe de
l’autodétermination interne et la teneur même des droits de l’Homme, notamment à travers
toutes les libertés civiles ou politiques ayant un caractère fondamental qui y sont consacrées.
Mais contrairement à la Charte des Nations Unies qui possède un caractère
obligatoire, la Déclaration universelle des droits de l’homme a pendant longtemps été
reconnue comme ayant simplement un caractère déclaratoire car n’imposant aucune obligation
aux Etats. Il revient aux Etats de décider ou non de l’insertion de ladite Déclaration dans leur
droit interne afin de la rendre obligatoire. Mais même dans ces cas, l’engagement de l’Etat
concerné n’est pas basé sur un accord du moins sur un accord international, car l’Etat
concerné a en quelque sorte pris cet engagement envers lui-même (par exemple l’intégration
de ce droit dans son droit interne). L’Etat concerné reste ainsi libre de décider des modalités
de mise en œuvre ou non des principes démocratiques, par exemple du déroulement d’une
consultation électorale. Il est donc difficile dans le cadre du statut juridique conventionnel de
retenir la Déclaration universelle des droits de l’homme, du fait de son caractère non
obligatoire qui dès lors rend inexistant tout engagement effectif et réel. Mais il faut aussi
souligner que pour une partie de la doctrine, la Déclaration a un caractère conventionnel parce
qu’elle serait « un prolongement des dispositions de la Charte des Nations Unies qui
223
« The Atlantic Charter drafted by president F. D. Roosevelt and Winston Churchill, and made public on 14
August 1941, proclaimed self-determination as a general standard governing territorial changes, as well as a
principle concerning the free choice of rulers in every sovereign State (internal self-determination)”, Cassese A.,
op cit., p. 37
224
Charte de l’Atlantique du 14 août 1941
225
Christakis, Th., op cit., p. 327
76
conféraient, idéalement, aux droits de l’homme une manière de portée constitutionnelle dans
l’ordre international contemporain »226et cette partie de la doctrine s’appuie aussi sur l’arrêt
de la Cour internationale de justice du 24 mai 1980 portant sur l’affaire du Personnel
diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran qui souligne que «le fait de priver
abusivement de leur liberté des êtres humains […] est manifestement incompatible avec les
principes de la Charte et les droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration universelle
des droits de l’homme»227. Nous pouvons aussi dire avec Linos-Alexandre Sicilianos que « la
Déclaration universelle des droits de l’homme est à la source de l’ensemble du dispositif
normatif universel en matière de droits de l’homme, en ce sens que la très grande majorité
des instruments conventionnels non seulement s’inspire de la Déclaration, mais analyse et
développe les droits et les libertés reconnus par celle-ci »228.
Au niveau universel toujours, le texte conventionnel le plus important en matière
d’autodétermination interne est le Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques.
L’article 1er est commun aux deux Pactes énonce que : « 1. Tous les peuples ont le droit de
disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et
assurent librement leur développement économique, social et culturel.
2. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et
de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération
économique internationale, fondée sur le principe de l’intérêt mutuel, et du droit
international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de
subsistance ».
Cet article 1er commun aux deux Pactes de 1966 ne peut pas être suffisant pour justifier
la présence de l’autodétermination interne. Mais nous avons constaté dans notre première
partie et ce en lisant l’article 25 propre au Pacte sur les droits civils et politiques, qu’il est
certain de dire que les Etats qui ont ratifié le Pacte des droits civils et politiques de 1966229se
sont engagés « à organiser des élections libres et honnêtes, à assurer la participation de tous
les citoyens à la vie politique et finalement à avoir un système démocratique qui permette
l’expression libre et périodique de la volonté du peuple »230. Il en de même de l’article 22 du
226
Juan-Antonio Carillo-Salcedo, La Déclaration universelle des droits de l’homme « Les valeurs juridiques de
la Déclaration dans l’ordre national », p. 290
227
Rec. CIJ 1980, paragraphe 91 de l’arrêt
228
Juan-Antonio Carillo-Salcedo, La Déclaration universelle des droits de l’homme, op.cit, p. 322
229
Il faut savoir que tous les Etats qui ont ratifié le Pacte sur les droits civils et politiques n’ont pas forcément
ratifié le Pacte sur les droits économiques et sociaux. La ratification des deux Pactes se fait donc de façon
séparée. En 1999 142 Etats avaient ratifié le Pacte sur les droits civils et politiques.
230
Christakis, Th., op cit, p. 358
77
même pacte que nous avons cité et qui énonçait que « 1. Toute personne a le droit de
s'associer librement avec d'autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d'y
adhérer pour la protection de ses intérêts.
2. L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et
qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de
la sûreté publique, de l'ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou
les droits et les libertés d'autrui. Le présent article n'empêche pas de soumettre à des
restrictions légales l'exercice de ce droit par les membres des forces armées et de la police. ».
Les Etats qui ont ratifié le Pacte des Nations Unies sur les droits politiques (142 Etats ont au
jour d’aujourd’hui ratifié ce pacte) ont dès lors par voie conventionnelle, pris l’engagement de
respecter ces obligations qui consistent à mettre en place des gouvernements démocratiques,
mais surtout de laisser les peuples exprimer librement leur volonté. Le Pacte des Nations
Unies pour rendre justement réel et permettre que ces engagements soient respectés, a
notamment mis en place le Comité des droits de l’homme afin que ce dernier puisse opérer
des contrôles par rapport au respect des dispositions du pacte sur les règles démocratiques et
ses corollaires, ce en se basant non seulement sur ses propres constats mais aussi sur les
rapports périodiques des Etats, les plaintes individuelles et les plaintes interétatiques. Ce
mécanisme bien qu’important, est comme nous le remarquions assez limité car le Comité ne
peut faire que des observations. Le Comité ne dispose d’aucun moyen de contrôle. Il n’est
possible de dire que le droit à l’autodétermination interne possède à travers le Pacte sur les
droits civils et politiques un statut conventionnel.
D’autres instruments, notamment « certaines conventions à portée universelle
viennent compléter la protection offerte pas le Pacte des droits civils et politiques en insistant
sur le principe de non discrimination et en garantissant la participation politique de certains
groupes de la population souvent défavorisés dans la pratique »231.
De ces Conventions universelles ou internationales, mentionnons la Convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale qui se penche sur la non
discrimination de certains groupes de la population dans leur participation à la vie politique.
L’alinéa c de l’article 5 de cette Convention demande aux Etats de garantir, sans aucune
distinction de race, de couleur, d’origine nationale ou ethnique, la jouissance de : « Droits
politiques, notamment le droit de participer à des élections-de voter et d’être candidat-selon
le système du suffrage universel et égal, droit de prendre part au gouvernement ainsi qu’à la
direction des affaires publiques, à tous les échelons, et droit d’accéder, dans des conditions
231
Christakis, Th., op cit, p. 347
78
d’égalité aux fonctions publiques »232. Le but de la Convention sur l’élimination des formes de
discrimination raciale est certainement de garantir la participation des minorités ethniques ou
raciales à la libre détermination. C’est le droit de ces minorités à exprimer librement leur
volonté au niveau interne. Bien qu’elles ne constituent que des minorités linguistiques,
ethniques ou raciales, ces minorités ont le droit en tant que composante du peuple, mais aussi
en tant que citoyens de participer à la désignation de leurs gouvernants et d’exprimer aussi
librement leur volonté. Il existe également un Comité233 chargé de veiller au respect de la
Convention sur l’élimination des formes de discrimination raciale. Le rôle de ce comité est
très souvent de constater le pourcentage de représentation des minorités dans les organes de
décision, les assemblées parlementaires et les organes élus de l’Etat concerné. Selon le
comité, la Convention protège le droit des peuples à la démocratie ou à la libre détermination
interne. Le comité a souligné que « le droit à l’autodétermination comporte un aspect
intérieur, qui est le droit de tous les peuples de poursuivre librement leur développement
économique, social et culturel sans ingérence extérieure. A cet égard, il existe un lien avec le
droit de tout citoyen de prendre part à la conduite des affaires publiques à tous les échelons,
conformément au paragraphe c) de l’article 5 de la Convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. En conséquence, les
gouvernements doivent représenter l’ensemble de la population, sans distinction de race, de
couleur, d’origine ou d’appartenance nationale ou ethnique ». Le rôle de ce Comité est
spécifié dans les articles 8 à 16 de la Convention. La Convention sur l’élimination des formes
de discrimination raciale est donc un instrument conventionnel qui protège le droit à la
démocratie et les libertés publiques.
La Convention sur les droits politiques de la femme234 du 20 décembre 1952 entrée en
vigueur le 7 juillet 1954 est un autre instrument conventionnel qui encadre dans une moindre
mesure le droit des peuples à une autodétermination interne. Cette Convention a été ratifiée
par 110 Etats. Cette Convention vise à encourager la participation des femmes à la vie
232
233
http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/d_icerd_fr.htm
Article 8 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
« 1. Il est constitué un Comité pour l'élimination de la discrimination raciale (ci-après dénommé le Comité)
composé de dix-huit experts connus pour leur haute moralité et leur impartialité, qui sont élus par les Etats
parties parmi leurs ressortissants et qui siègent à titre individuel, compte tenu d'une répartition géographique
équitable et de la représentation des différentes formes de civilisation ainsi que des principaux systèmes
juridiques »
234
http://www.unhchr-ch/french/html/menu3/b/22_fr.htm
79
politique et publique, car on sait que dans beaucoup de pays la participation des femmes à la
vie politique reste encore assez faible. Or, les femmes constituent dans la quasi totalité des
Etats du monde plus de la moitié de la population. La Convention dans son préambule
souligne que « Les Parties contractantes, Souhaitant mettre en oeuvre le principe de l'égalité
de droits des hommes et des femmes contenu dans la Charte des Nations Unies,
Reconnaissant que toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires
publiques de son pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement
choisis, et d'accéder, dans des conditions d'égalité, aux fonctions publiques de son pays, et
désirant accorder aux hommes et aux femmes l'égalité dans la jouissance et l'exercice des
droits politiques, conformément à la Charte des Nations Unies et aux dispositions de la
Déclaration universelle des droits de l'homme ,. ». Les articles 1, 2 et 3 de cette Convention,
sur les droits politiques de la femme se penchent plus explicitement sur les droits politiques et
les libertés politiques de la femme.
Par ailleurs, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à
l’égard des femmes235 du 18 décembre 1979 auxquels sont parties 161 Etats, a aussi pour but
d’assurer la participation politique des femmes à la vie politique et publique. L’article 7 de
cette Convention est d’ailleurs assez explicite sur la question : « Les Etats parties prennent
toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans la
vie politique et publique du pays et, en particulier, leur assurent, dans des conditions
d’égalité avec les hommes, le droit :
a) De voter à toutes les élections et dans tous les referendums publics et d’être éligibles
à tous les organismes publiquement élus ;
b) De prendre part à l’élaboration de la politique de l’Etat et à son exécution, occuper
des emplois publics et exercer toutes les fonctions publiques à tous les échelons du
gouvernement ; … »
Un comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes236 a d’ailleurs été
crée (article 17 de la Convention) et doit trouver des mesures ou proposer des moyens qui
puissent permettre aux femmes de participer à la vie politique. Le Comité a par exemple pu se
rendre compte que lors des rendez-vous politiques, les femmes sont souvent peu nombreuses
tant au niveau des candidats qui se présentent, qu’au niveau des personnes qui rempliront
235
http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/e1cedow_fr.htm
236
Pour plus d’informations sur le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, lire le
Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
(http://www.unhchr.ch/french/html/menu2/8/over_fr.htm
80
effectivement leur devoir de vote. Le Comité demande ainsi aux Etats parties à la Convention,
de garantir une représentation des femmes égale à celle des hommes au niveau des instances
politiques de l’Etat, car l’exclusion des femmes de la vie politique ne respecte pas les
exigences démocratiques. En effet, la démocratie implique bien la participation de tout le
peuple à la vie politique, or, si les femmes qui constituent plus de la moitié de la population
mondiale ne participent pas de façon effective à la politique, c’est dire que les décisions qui
sont prises acquièrent dans ce cas difficilement le caractère démocratique.
En plus de ces instruments universels, d’autres instruments conventionnels, mais cette fois
à caractère régional encadrent le droit des peuples à la libre détermination interne des peuples.
Certains ont fait l’objet d’une étude de notre part, d’autres non. La Convention européenne
des droits de l’homme fait partie de ces textes conventionnels qui au niveau régional protège
le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans sa dimension interne, notamment à travers
les exigences démocratiques qu’elle impose aux Etats. Nous pensons ainsi par exemple à
l’exigence de l’organisation des élections libres et honnêtes, à la protection des libertés telles
la liberté de réunion, d’association, d’opinion. Cette Convention fait de l’autodétermination
interne, et ce à travers la notion de démocratie, un de ses objectifs principaux. Le Conseil de
l’Europe est d’ailleurs à ce sens très souvent qualifié de « club des démocraties occidentales ».
En effet, on peut même aller jusqu’à dire comme certains auteurs que la démocratie est
l’unique modèle politique envisagé par la Convention. Une lecture du préambule de la
Convention montre bien que les Etats manifestent « leur profond attachement à ces libertés
fondamentales qui constituent les assises même de la justice et la paix dans le monde et donc
le maintien repose essentiellement sur un régime politique véritablement démocratique, d’une
part et d’autre part, sur une conception commune et un commun respect des droits de
l’Homme dont ils se réclament »237. En effet, l’article 3 du Protocole n° 1 de la Convention
traite comme nous l’avons vu précédemment du droit à des élections libres reprenant ainsi
l’idée qu’on retrouvait déjà dans l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de
l’homme. Certains auteurs ont critiqué le fait que l’article 3 du Protocole n° 1 n’ait pas été
rédigé dans le texte même de la Convention. Mais les travaux préparatoires de la Convention
montrent que le Comité des ministres n’arrivait pas à être unanime
238
(réticence de certains
pays comme le Royaume-Uni) quant à l’inscription dans le texte même de la Convention
237
238
Convention Européenne des Droits de l’Homme, 1950, Préambule
Goy, R. « La garantie européenne du droit à de libres élections législatives : l’article 3 du premier protocole
additionnel à la Convention de Rome », RDP, 1986, pp. 1275-1326
81
d’une disposition relative au droit à des élections libres et à un gouvernement démocratique239.
Quelques critiques peuvent être formulées à l’endroit de cet article 3 du Protocole n° 1 : en
effet, cet article ne mentionne pas le droit de participer à la direction des affaires publiques, ni
d’ailleurs le droit d’accéder à la fonction publique. De même que certains contestent l’idée
que la libre expression de l’opinion du peuple ne se fasse que sur le choix du corps législatif,
sans se prononcer d’ailleurs sur la possible exigence ou non d’un suffrage universel et égal.
Au delà de ces quelques critiques, nous nos rendons cependant compte que
l’autodétermination interne en tant que règle permettant aux peuples de prendre part aux
décisions concernant leur avenir politique est bien contenue dans la Convention européenne
des droits de l’homme et se manifeste par l’organisation des élections libres et régulières ou
fréquentes. Il faut noter que dès lors sont bénéficiaires de ces droits tous les peuples vivant au
sein des Etats parties à la Convention. Dans la Convention européenne, Il semble avoir ainsi
une véritable confusion entre l’autodétermination interne et l’idée même de démocratie. Cette
caractéristique est soulignée par Jean Gicquel qui note que « La démocratie se présente, à cet
égard comme le standard majeur de la civilisation occidentale, à l’image des critères
d’adhésion à l’Union européenne »240.
L’Acte final d’Helsinki du 1er août 1975 est aussi un important instrument conventionnel
qui garantit la démocratie ou l’autodétermination interne. En effet, dans cet acte final de la
Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe, les Etats se sont engagés à avoir des
gouvernements démocratiques issus de la volonté librement exprimée des peuples. L’article
VII de l’Acte final d’Helsinki241 qui porte sur le respect des droits de l’homme et des libertés
fondamentales énonce que « Les Etats participants respectent les droits de l'homme et les
libertés fondamentales, y compris la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de
conviction pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion.
Ils favorisent et encouragent l'exercice effectif des libertés et droits civils, politiques,
économiques, sociaux, culturels et autres qui découlent tous de la dignité inhérente à la
personne humaine et qui sont essentiels à son épanouissement libre et intégral ». Cet article
VII poursuit en imposant aux Etats participants de respecter les droits des minorités nationales
c’est-à-dire en leur donnant la possibilité de jouir effectivement des droits de l’homme et des
libertés fondamentales, ce qui contribue à protéger leurs intérêts légitimes.
239
La Convention européenne des droits de l’homme. Commentaire article par article, Paris Economica, 1995,
pp. 1012 et suivant
240
Gicquel J., op cit. p. 185
241
http://www.osce.org/docs/french/1990-1999/summits/helfa75.htm
82
Les Etats participants reconnaissent ainsi l'importance universelle des droits de
l'homme et des libertés fondamentales dont le respect est un facteur essentiel de la paix, de la
justice et du bien-être nécessaires pour assurer le développement de relations amicales et de la
coopération entre eux, comme entre tous les Etats. Les Etats s’engagent ainsi à respecter ces
droits et libertés dans leurs relations mutuelles et à s'efforcer conjointement et séparément, y
compris en coopération avec les Nations Unies, à promouvoir le respect universel et effectif
de ces droits. La Charte de l’Atlantique en plus d’établir ces obligations demande aussi aux
Etats de l’OSCE de respecter en matière de droits de l’homme et des libertés fondamentales,
les autres textes, accords, pactes et déclarations internationaux. Et dans un chapitre VIII
consacré à l’égalité de droits des peuples et au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, les
Etats participants s’engagent à respecter «l'égalité de droits des peuples et leur droit à
disposer d'eux-mêmes, en agissant à tout moment conformément aux buts et aux principes de
la Charte des Nations Unies et aux normes pertinentes du droit international, y compris
celles qui ont trait à l'intégrité territoriale des Etats ». Cet article VIII de l’Acte final poursuit
en ces termes : « En vertu du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à
disposer d'eux-mêmes, tous les peuples ont toujours le droit, en toute liberté, de déterminer,
lorsqu’ils le désirent et comme ils le désirent, leur statut politique interne et externe, sans
ingérence extérieure, et de poursuivre à leur gré leur développement politique, économique,
social et culturel ». Les Etats participants reconnaissent ainsi l’importance universelle du
respect et de l'exercice effectif par les peuples de droits égaux et de leur droit à disposer d'euxmêmes, pour le développement de relations amicales entre tous les Etats. C’est dire toute
l’importance d’interdire toute violation de ce principe.
La lecture de ces différents articles nous amène à partager l’idée de Théodore
Christakis selon laquelle l’Organisation sur la Sécurité en Europe a très fortement contribué à
l’expansion du principe de l’autodétermination en dehors des situations coloniales et il rajoute
que ceci s’est plus précisément fait quant à l’affermissement du droit de l’ensemble de la
population d’un Etat à un gouvernement démocratique. Comme le souligne Antonio Cassese,
l’Acte final d’Helsinki «…applies to both external and internal self-determination, it
substantially reflects the western view and, in particular, the Dutch proposal »242.
Il faut souligner de façon assez succincte que l’engagement déjà fort en faveur des
principes démocratiques (même si l’Acte ne parle pas explicitement de démocratie) a été assez
important dans l’Acte final d’Helsinki et que cet engagement a été poursuivi et nous pouvons
même ajouter, qu’il a été confirmé lors de la réunion de Copenhague de 1990. En effet, en
242
Cassese, A., op. cit., p. 285
83
1990 les Etats membres de l’OSCE243 ont réaffirmé leur engagement en faveur du respect des
principes démocratiques et des libertés politiques. Pour les Etats membres de l’OSCE, « la
volonté du peuple, exprimée librement et équitablement dans le cadre d’élections périodiques
et honnêtes, est le fondement de l’autorité et de la légitimité de tout gouvernement »244. Les
Etats membres de l’OSCE estiment que l’Etat de droit exige le respect des principes
démocratiques ; « Ils reconnaissent que la démocratie pluraliste et l'Etat de droit sont
essentiels pour garantir le respect de tous les droits de l'homme et de toutes les libertés
fondamentales, le développement des contacts entre les personnes et la recherche de solutions
à d'autres questions d'ordre humanitaire connexes. Par conséquent, ils se félicitent de
l'engagement pris par tous les Etats participants de parvenir aux idéaux de la démocratie et
du pluralisme politique, ainsi que de leur détermination commune d'instaurer des sociétés
démocratiques reposant sur des élections libres et sur l'Etat de droit »245. L’article 3 du
rapport de la Réunion de Copenhague de la Conférence sur la dimension humaine de l’OSCE
du 29 juin 1990 affirme que la démocratie est un élément inhérent à l’Etat de droit. Il faut
savoir que ces engagements pris par les Etats de l’O.S.C.E ont aussi été réaffirmés dans la
Charte de Paris pour une nouvelle Europe246. Cette charte de Paris marque un engagement très
fort des Etats en faveur de la démocratie surtout lorsque ces derniers s’engagent à « édifier,
consolider et raffermir la démocratie comme seul système de gouvernement » de leurs
nations. Les Etats qui ont signé la Charte de Paris pour une nouvelle Europe « reconnaissent
que la démocratie pluraliste et l'Etat de droit sont essentiels pour garantir le respect de tous
les droits de l'homme et de toutes les libertés fondamentales, le développement des contacts
entre les personnes et la recherche de solutions à d'autres questions d'ordre humanitaire
connexes. Par conséquent, ils se félicitent de l'engagement pris par tous les Etats participants
de parvenir aux idéaux de la démocratie et du pluralisme politique, ainsi que de leur
243
L’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe est un organisme paneuropéen de sécurité dont
les 55 « Etats participants couvrent une région géographique qui s’étend de Vancouver à Vladivostok.
Reconnue en tant qu’accord régional au sens du Chapitre VIII de la Charte de la Charte des Nations Unies,
l’OSCE est un instrument de premier recours pour l’alerte précoce, la prévention des conflits, la gestion des
crises
et
le
relèvement
après
un
conflit
dans
sa
région. »,.http://www.osce.org/documents/sg/2004/03/2380_fr.pdf.
244
Réunion
de
Copenhague
de
la
Conférence
sur
la
Dimension
Humaine
de
la
CSCE :
http://www.hrni.org/files/instruments/HRNI_FR_793.rtf.html
245
246
Document de la réunion de Copenhague de la conférence sur la dimension humaine de la CSCE
Charte de Paris pour une nouvelle Europe adoptée le 21 novembre 1990 par les chefs d’Etats et de
gouvernements des Etats membres de l’OSCE
84
détermination commune d'instaurer des sociétés démocratiques reposant sur des élections
libres et sur l'Etat de droit » 247.
La création d’un Bureau des Institutions Démocratiques des Droits de l’Homme
(BIDDH) ou d’un Bureau des élections libres montre qu’en plus de leur engagement à
respecter les principes démocratiques, les Etats membres de l’OSCE se donnent par la mise en
place de ce bureau, les moyens de s’assurer que ces engagements démocratiques pris par les
Etats seront respectés. Il est en même de la création de la Commission pour la démocratie par
le droit qui s’est faite sous les auspices du Conseil de l’Europe. Cette commission est encore
appelée « Commission de Venise »248. Et la création de cette commission a été justifiée par des
raisons importantes : « Deux raisons essentielles ont inspiré la création d'une Commission
européenne pour la démocratie par le droit. La première était le besoin pressant d'une
structure institutionnelle capable d'apporter une assistance immédiate aux pays récemment
libérés du joug de la dictature. L'un des rôles cruciaux de la Commission de Venise était
d'aider ces nations sœurs à mettre en place les infrastructures politiques et juridiques
nécessaires en vue de la réalisation de la démocratie pluraliste, des droits de l'homme et de
l'Etat de droit »249. L’Acte Final d’Helsinki et la plupart des textes de l’O.S.C.E qui lui ont
succédé sont des textes conventionnels qui encadrent le droit à la libre détermination interne
des peuples ou le droit à la démocratie.
La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples fait aussi partie de ces
instruments conventionnels qui encadrent ces principes. Quand on connaît la situation du
continent africain au lendemain des indépendances, il est difficile de penser que vingt ans plus
tard (1981) la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples250 n’ait pu entrevoir une
possibilité de faire de la démocratie la caractéristique principale des Etats africains : en effet,
ces Etats constituaient dans les années 1970 et 1980 de véritables dictatures. Pourtant, quand
on regarde l’intitulé de cette Charte, c’est l’une des rares chartes qui au niveau régional fait
cohabiter les droits de l’homme et les droits des peuples. Ce qui est tout à fait compréhensible
dans le contexte africain où on assiste à un foisonnement de populations qui ont été réunies ou
ramassées sur une notion beaucoup moins aisée à gérer et à cerner qui est celle de peuples (il
ne faut pas oublier qu’ici le but est d’éviter un problème non moindre qui est celui des
247
http://www.osce.org/docs/french/1990-1999/summits/paris90f.htm
248
http://www.venice.coe.int/docs/1991/CDL (1991)031.f.html
249
250
ibid.
La Charte africaine des droits de l’homme a été adoptée le 26 juin 1981 et est entrée en vigueur le 21 octobre
1986
85
frontières, et toute la difficulté vient de ce que le même peuple peut être disséminé sous divers
espaces territoriaux). Cependant la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples est
soucieuse de respecter les engagements pris dans d’autres textes internationaux qui la
précèdent : c’est ainsi qu’on peut lire dans le préambule de cette Charte que les Etats africains
réaffirment « leur attachement aux libertés et aux droits de l'Homme et des peuples contenus
dans les déclarations, conventions et autres instruments adoptés dans le cadre de
l'Organisation de l'Unité Africaine, du Mouvement des Pays Non-Alignés et de l'Organisation
des Nations Unies ». C’est certainement l’une des raisons qui va justifier la présence dans le
texte de la Charte de l’article 13 qui dispose que « 1. Tous les citoyens ont le droit de
participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit
par l’intermédiaire de représentants librement choisis, ce, conformément aux règles édictées.
2. Tous les citoyens ont également le droit d'accéder aux fonctions publiques de leurs pays.
3. Toute personne a le droit d’user des biens et services publics dans la stricte égalité de tous
devant la loi. ». Remarquons que même si la Charte africaine s’est voulue flexible sur
l’exigence du respect de l’autodétermination interne des peuples, elle n’est cependant pas
allée assez loin, surtout si une comparaison est faite avec d’autres instruments juridiques au
niveau régional, nous pensons notamment à l’article 3 du Protocole n°1 de la Convention
européenne sur les droits de l’homme. L’article 13 de la Charte africaine ne fait nullement
allusion à l’importance qu’il y a à garantir aux peuples le droit à des élections libres, au
suffrage universel et au scrutin secret. Pour Théodore Christakis, « cette lacune est d’autant
plus suspecte que l’on réalise que la Charte est le dernier instrument »251 parmi les textes
régionaux sur les droits de l’homme. Mais la Charte africaine réalise dans le domaine de la
démocratie, quelques avancées qui ne sont pas à négliger. Il faut espérer que la Cour africaine
des droits de l’homme puisse participer à la consolidation de la démocratie en Afrique.
La Charte de l’OEA encore connue sous le nom de Charte démocratique
interaméricaine252 affirme aussi son attachement au droit des peuples à la libre détermination
ou à la démocratie. La première partie de la Charte de l’OEA est consacrée à la démocratie.
L’article 1 énonce que « Les peuples des Amériques ont droit à la démocratie et leurs
gouvernements ont pour obligation de la promouvoir et de la défendre. La démocratie est
essentielle au développement social, politique et économique des peuples des Amériques » et
l’article 2 souligne que « L'exercice effectif de la démocratie représentative constitue le
fondement de l'État de droit et des régimes constitutionnels des États membres de
251
Christakis, Th., op. cit., p. 357
252
http://www.oas.org/juridico/fran%C3%A7ais/charte.html
86
l'Organisation des Etats Américains. La démocratie représentative est renforcée et
approfondie grâce à la participation permanente, éthique et responsable des citoyens dans un
cadre de légalité conforme à l'ordre constitutionnel respectif ». Cette volonté des Etats
américains de militer en faveur des principes démocratiques est notoire et explicite et
s’exprime à l’article 3 de la même Charte qui déclare qu’ « Au nombre des composantes
essentielles de la démocratie représentative figurent, entre autres, le respect des droits de
l'homme et des libertés fondamentales, l'accès au pouvoir et son exercice assujetti à l'État de
droit, la tenue d'élections périodiques, libres, justes et basées sur le suffrage universel et
secret, à titre d'expression de la souveraineté populaire, le régime plural de partis et
d'organisations politiques, ainsi que la séparation et l'indépendance des pouvoirs publics ».
La Charte de l’OEA énonce parmi les obligations de l’Organisation le fait d’ «Encourager et
consolider la démocratie représentative »253. La partie II de la Charte qui concerne la
démocratie et les droits de la personne est aussi extrêmement riche, car elle établit bien le lien
entre la démocratie et les libertés fondamentales. La Charte américaine des droits de l’homme
s’étend de façon assez explicite sur la démocratie et tous les principes qui s’y rattachent. C’est
une des chartes les plus prononcées sur le domaine de l’autodétermination interne des peuples.
La Convention américaine sur les droits de l’homme n’est pas en reste sur la question. Dès
son préambule, les Etats Américains signataires de la Convention réaffirment « leur propos
de consolider sur ce continent, dans le cadre des institutions démocratiques, un régime de
liberté individuelle et de justice sociale, fondé sur le respect des droits fondamentaux de
l'homme ; » et les articles 12 à 16 de la Convention militent pour la protection des libertés
publiques et l’article 23 pour les droits politiques. La Commission interaméricaine des droits
de l’homme254 a d’ailleurs été créée par l’O.E.A dans le but de promouvoir le respect et la
défense des droits de l’homme et de servir d’organe consultatif à l’O.E.A en matière de droits
de l’homme.
Ces quelques instruments conventionnels montrent bien que la libre détermination
interne des peuples ou la démocratie ont effectivement acquis un statut conventionnel dont il
est aujourd’hui difficile de contester. Ce statut conventionnel est effectif et se confirme par
cette volonté de plus en plus accrue au niveau mondial d’universaliser la démocratie. La
démocratie est aujourd’hui considérée malgré quelques minces contestations comme un
principe qui a vocation à s’universaliser, mais peut-on à l’heure actuelle parler d’un statut
coutumier inhérent au principe de la libre détermination interne des peuples ?
253
Article 2 de la Charte démocratique interaméricaine
254
http://www.droitshumains.org.Biblio/Txt_Sud_A/convent_69.htm
87
B
Un statut coutumier incertain
La question principale à laquelle il faut répondre ici est celle de savoir si on peut parler
aujourd’hui d’un statut coutumier du droit des peuples à une autodétermination interne ? En
effet, peut-on au regard de la pratique internationale et de l’existence de différents textes
régionaux ou encore internationaux encadrant ce principe, déclarer sans risque de voir notre
affirmation contestée que le droit des peuples à l’autodétermination interne a aujourd’hui
acquis ce statut assez important auquel peut aspirer toute règle de droit international ?
Pour parler d’une règle coutumière, on doit pouvoir justifier de la réunion de deux
principaux éléments que sont la pratique constante et l’opinio juris. C’est la présence de ces
deux éléments, l’un matériel et l’autre moral qu’il faut pouvoir prouver. Commençons par
souligner qu’au niveau de la doctrine, cette question n’est pas encore réglée et que deux points
de vue continuent à s’affronter : d’une part ceux qui pensent que le droit des peuples à
l’autodétermination interne a atteint le statut de principe coutumier et d’autre part, ceux qui
88
estiment que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes au niveau interne est loin d’avoir
atteint le statut de règle coutumière.
S’il faut revenir sur la définition qui est donnée sur la coutume, nous pouvons retenir
celle qui énonce que la coutume est « le résultat de la conjoncture d’une pratique effective et
de l’acceptation par les Etats du caractère juridique – et donc obligatoire – des conduites
constitutives d’une telle pratique (opinio juris sive necessitatis)»255.
Il faut donc que ce soit une règle acceptée par l’ensemble de la communauté
internationale comme étant du droit et que dans la pratique, cette règle soit effectivement
appliquée256. Au cours de nos développements nous avons remarqué que le droit des peuples à
une autodétermination interne n’avait pas eu le même cheminement selon qu’on se trouvait
dans les différents systèmes régionaux qui coexistaient et coexistent encore sur la scène
internationale. Même l’attitude des organisations onusiennes n’est pas identique à ce sujet.
C’est tout ceci qui contribue à rendre assez difficile toute possibilité ou volonté de pouvoir se
prononcer sur l’existence d’un statut coutumier pour ce qui est du droit des peuples à une
autodétermination interne. La démocratie ne bénéficie pas d’une application unique et
généralisée sur la scène internationale. Dans certains systèmes régionaux, nous pensons par
exemple aux systèmes européen ou américain, la place qui était faite à la démocratie ou à
l’autodétermination interne des peuples est par exemple beaucoup plus grande et beaucoup
plus importante que celle qui lui est réservée au niveau des organisations régionales africaines,
nous pensons spécialement ici à l’O.U.A. ou U.A. Tout le système de l’Union européenne
repose sur une exigence du respect de la démocratie ou de l’Etat de droit. Dans la Convention
européenne, il y a une véritable confusion entre l’autodétermination interne et l’idée même de
démocratie. Cette caractéristique est soulignée par Jean Gicquel qui note que : « La
démocratie se présente, à cet égard comme le standard majeur de la civilisation occidentale,
à l’image des critères d’adhésion à l’Union européenne »257. En effet, les textes sur l’Union
européenne affirment de façon notoire et précise le fait que l’Union soit fondée sur des
principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, ainsi que sur une autre caractéristique qui est celle de l’Etat de droit258. Il faut
souligner que c’est le Traité de Maastricht qui le premier en son préambule a fait ce
255
256
Salmon J., Dictionnaire de droit international public, op.cit, p. 284
Voir avis du 8 juillet 1996 de la C.I.J., Licéité de la menace de l’emploi de l’arme nucléaire in Rec. 1996, p.
253, § 164
257
258
Gicquel, J., op. cit., p. 463
Pour la notion d’Etat de droit, voir thèse publiée de Heushling Luc intitulée : Etat de droit, State of law,
Rechtsstaat
89
rattachement entre la Communauté européenne et l’exigence de démocratie. Aujourd’hui, tous
les organes de l’Union européenne ne manquent aucune occasion pour rappeler l’attachement
de l’Union aux principes démocratiques. Nous avons par exemple constaté que la
Commission259 ne manquait pas de rappeler cette exigence, et qu’elle était ensuite reléguée par
la Cour européenne des droits de l’homme. Les réactions des membres et institutions de
l’Union ont été fortes et violentes chaque fois que l’exigence de démocratie a été remise en
question dans un Etat membre de l’Union. Ce fut le cas avec la Grèce à l’époque où les
colonels ont pris le pouvoir, il en a été de même du Portugal et de l’Espagne lorsqu’ils ont été
dirigés par des dictatures. Un regard sur les conditions actuelles d’adhésion à l’Union
européenne montre bien que le respect de la démocratie ou de l’Etat de droit est une condition
très importante que doivent respecter les Etats qui veulent entrer dans l’Union. Les Etats qui
ont fait le 1er mai 2004 leur entrée dans l’Union, ont dû au préalable procéder à un toilettage et
modifier ou améliorer leurs institutions politiques afin que celles–ci soient respectueuses des
exigences de démocratie. Le Traité d’Amsterdam énonce ainsi en son article 6
que « l’adhésion requiert de la part du candidat […] qu’il ait des institutions stables
garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l’homme et le respect des
minorités et leur protection ». Cette exigence de la démocratie n’est pas une simple formalité,
mais c’est vraiment une condition importante à laquelle doivent satisfaire les futurs Etats de
l’Union. Les organes de l’Union veillent scrupuleusement au respect de cette condition260.
Bien que n’étant pas partie à l’Union européenne, la Russie a en matière de démocratie, ou de
libre détermination des peuples une attitude qui reste assez critiquable. On peut penser de
façon assez triste à la situation des droits de l’Homme ou des peuples et notamment aux
violations qui sont faites à la démocratie au sein même de la confédération russe (les dernières
élections présidentielles en Russie ont été assez contestées par le peuple russe du fait des
intimidations et autres politiques de rétorsion qui ont été opérées par le gouvernement russe),
mais encore plus condamnable est la violation du droit du peuple tchétchène à leur libre
détermination au niveau interne. Même si cette attitude de la Russie est condamnée par la
communauté internationale, les réactions plus concrètes de cette communauté restent
attendues et semblent beaucoup plus difficiles notamment au niveau du Conseil de Sécurité où
259
La Commission a souligné que la construction européenne était « un projet à vocation démocratique issu de la
volonté politique d’Etats démocratiques de s’associer dans une organisation d’Etats » in Les droits de l’homme,
la démocratie et les libertés fondamentales sur le site http://europa.eu.int
260
Un Etat comme la Slovaquie s’est vu opposer le non respect de cette exigence de démocratie, lire avis de la
Commission sur la demande d’adhésion de la Slovaquie à l’Union européenne
90
il y a une crainte de l’usage du veto russe. L’Union européenne ne cesse de condamner et
d’appeler sans trop de résultats la Russie à de bons sentiments en matière de démocratie et de
droits de l’homme.
L’Union européenne elle–même à travers ses organes fonctionne sur un modèle
démocratique et l’exigence de l’Union en matière de démocratie est beaucoup plus grande
parce qu’elle se fait parfois à l’endroit de ses partenaires. Nous pensons aux pays A.C.P
(Afrique, Caraïbes, Pacifique). « La conditionnalité démocratique constitue depuis le début de
cette décennie un élément nouveau dans les nombreux accords externes de coopération, de
partenariat et d’association de l’Union européenne »261. Aujourd’hui, une aide très importante
de la Communauté européenne à l’égard des Etats notamment des Etats en voie de
développement est subordonnée au respect des principes démocratiques. C’est l’exigence du
respect des fameuses clauses de conditionnalité262. La Communauté européenne se comporte
aujourd’hui comme un véritable disséminateur ou gardien des principes démocratiques et
notamment du droit des peuples à une autodétermination interne. La Communauté encourage
les Etats qui s’efforcent de respecter les principes de démocratie et de l’Etat de droit en les
attribuant d’importantes aides au développement. L’Union n’hésite pas à interrompre ou à
réduire sa coopération lorsque les Etats avec lesquels elle coopère ne respectent pas ces
principes démocratiques. Le non respect par exemple par le Togo des exigences
démocratiques a conduit l’Union à passer des accords de Lomé (Togo) aux accords de
Cotonou (Bénin) et même à suspendre ses relations avec les Etats qui ne respectaient pas les
principes démocratiques tels que consacrés dans les accords. En effet, les accords de Lomé IV
stipulaient que les Etats parties aux dits accords devaient respecter les droits de l’homme ou
les libertés fondamentales de l’homme, les principes démocratiques et l’Etat de droit sur
lesquels se sont fondés les relations entre les Etats ACP et la Communauté. Pour la
Communauté, il semblait illogique que de tels accords puissent être intitulés accords de Lomé
alors que le Togo jusque là ne manifestait aucune ambition de parvenir au stade d’un Etat
démocratique. Le Bénin est en Afrique un pays dont la transition démocratique s’est effectuée
et qui se construit et ce avec beaucoup de conviction un caractère démocratique. La
Communauté européenne a presque un comportement identique dans ses rapports ou dans sa
coopération avec les pays de la Méditerranée. Certains pays, nous pensons notamment à la
France, n’hésitent plus dans leurs rapports bilatéraux ou multilatéraux à rappeler aux Etats
partenaires l’importance qu’ils ont à respecter les principes démocratiques. On peut faire
261
Christakis, Th., op cit, p. 431
262
Voir les différentes Conventions de Cotonou et aussi la Convention de Lomé IV
91
allusion ici au discours de Mitterrand aux pays africains. Ce discours appelé discours de la
Baule prononcé lors du sommet franco-africain par François Mitterrand, discours à travers
lequel le président français de l’époque sermonnait « ses confrères africains, comme le ferait
un bon père de famille, sur la gouvernance des pays qu’ils mettaient impunément à sac. Pas
de démocratisation de la vie publique = Pas d’Aide française ! »263.
Une telle analyse montre bien qu’il est difficile de parler d’un principe coutumier du
droit des peuples à l’autodétermination interne. Au niveau européen, on peut dire que ce
principe a un caractère coutumier, encore même qu’il y existe un bémol. En effet, tous les
pays de l’Europe ne sont pas concernés. Pour les pays hors de la Communauté européenne ou
de l’Union européenne, cet encrage de la démocratie n’est pas aussi important. C’est dire que
la pratique de la démocratie dans le continent européen n’est pas aussi généralisée que cela
peut paraître, même si une présomption de l’existence d’une opinio juris peut être établie,
c’est-à-dire que tous les Etats européens s’accordent pour penser du moins dans leurs discours
officiels que le droit des peuples à l’autodétermination interne est une règle de droit
international et même interne qui doit être respectée par tous les Etats.
Les Etats africains s’accordent de plus en plus sur la prééminence et l’importance du
respect des droits de l’homme et du droit des peuples à la démocratie ou à une
autodétermination interne. Lors des communications officielles des gouvernements africains
au niveau international et même régional, les représentants des Etats affirment de façon
croissante leur volonté à respecter les droits de l’homme ou les principes démocratiques. Nous
pouvons citer le cas des rapports ou communications qui sont faites devant le Comité des
droits de l’homme par les Etats dans le cadre des rapports périodiques. « L’examen des
rapports soumis depuis la fin des années quatre vingt et jusqu’à aujourd’hui témoigne de la
place de plus en plus importante qu’occupe l’autodétermination interne dans les rapports
étatiques qui en ont fait progressivement l’idée centrale de l’article premier du Pacte »264.
Théodore Christakis poursuit en disant que dans ces rapports, il est possible de remarquer que
les Etats ressentent de façon assez récurrente l’obligation d’informer le Comité que la
démocratie et le pluralisme ont été restaurés dans leurs pays, que leur forme de gouvernement
est la démocratie représentative, directe et pluraliste et que cette instauration de la démocratie
pluraliste a parachevé la réalisation du droit à l’autodétermination (nous ajouterons externe)
obtenu auparavant. Il faut cependant se rendre à l’évidence qu’une dizaine d’années après le
vent d’est, période qui a certainement apporté une certaine lueur quant à l’instauration ou
263
Machiodi DISSOU, Le Bénin et l’épreuve démocratique, p. 78
264
Christakis, Th. Op. cit., p. 415
92
l’implantation de la démocratie dans les pays africains, la réalité aujourd’hui paraît tout autre,
du moins elle ne peut pas conduire à parler d’une généralisation de la démocratie dans tous les
pays africains. Il faut tout de même admettre que certains Etats africains que ce soit par leur
volonté propre ou sous la pression des Etats ou des organisations donateurs, ont amorcé un
réel processus de démocratisation qu’ils poursuivent encore aujourd’hui. De même qu’une
condamnation beaucoup moins nuancée est de plus en plus faite par l’U.A. à l’égard des coups
d’Etats sapant tout processus ou toute aspiration démocratique. Cette nouvelle participation de
certaines organisations sous régionales africaines dans la restauration du processus
démocratique dans les Etats africains en crise est à saluer à sa juste valeur. Soulignons en ce
sens la participation de la CEDEAO dans la restauration de la démocratie en Sierra Léone.
L’U.A. est devenue un peu plus interventionniste sur ce domaine qu’avant. Le principe de
non-ingérence a certainement longtemps contribué à cette inertie. On remarque que les Etats
africains ou du moins leurs dirigeants ne se servent plus de la belle excuse qui consistait à dire
que les Etats africains ne pouvaient pas encore se payer le luxe de s’ériger en Etats
démocratiques car n’y étant pas encore prêts. Même l’ex-secrétaire général de l’O.U.A, Salim
Ahmed Salim s’est opposé à cette vieille idée en déclarant que « les principes fondamentaux
de la démocratie étaient universels et dès lors applicables pour tous y compris les pays
africains ». Il est aussi important de savoir que le respect de ces principes démocratiques ont
une conséquence non moins importante qui est la réalisation de la paix et d’une stabilité
durables. Cet engagement de plus en plus prononcé des pays africains au respect des principes
démocratiques conduit tout de même difficilement à conclure qu’il existe une généralisation
de la pratique de la démocratie dans les pays africains. En effet, il est difficile de dire que les
pratiques démocratiques ont été acceptées et intégrées par tous ou la majorité des Etats
africains. Il faudra certainement attendre encore un bon moment pour parvenir à ce stade. Il
n’est ainsi pas évident de conclure que l’autodétermination interne des peuples constitue une
règle coutumière en droit international public.
Il ne faut pas pour autant négliger les grandes évolutions qui ont été opérées par
exemple au niveau de l’O.E.A en matière d’autodétermination interne ou des principes de
légitimité démocratique. L’O.E.A comme l’Union européenne affirme de façon claire et
précise son attachement aux idéaux démocratiques. L’influence de la France ou l’exigence de
la France en faveur de l’instauration de la démocratie dans ce qu’on avait jusqu’ici appelé
communément le pré-carré français (ensemble de pays ayant subi plus ou moins, pour
multiples raisons l’influence française), ressemble un petit peu à l’interventionnisme
unilatéral qui a caractérisé jusqu’ici les Etats-Unis à l’égard d’autres pays du continent
93
américain. Cet engagement de l’O.E.A vis-à-vis de la démocratie a été évolutive et a d’ailleurs
contribué à l’amendement de la Charte de l’O.E.A par le Protocole de Cartagena de Indias.
Nous pouvons lire dans ce Protocole que « la démocratie représentative constitue une
condition indispensable à la stabilité, à la paix et au développement de la région » et que « la
solidarité des Etats américains et les buts élevés qu’ils poursuivent exigent de ces Etats une
organisation
politique
basée
sur
le
fonctionnement
effectif
de
la
démocratie
représentative »265. Il est aussi vrai que les cas de dictature dans le continent américain, nous
pensons par exemple à la dictature chilienne, ont conduit les Etats membres de l’O.E.A à
réaffirmer leur engagement à l’égard de la démocratie et l’exigence faite aux Etats membres
de l’O.E.A de respecter cette obligation. En effet, dans sa résolution 1080266élaborée à
l’époque du vent d’est ou de la chute du bloc soviétique, époque où beaucoup de pays
américains à l’instar des pays africains s’engagent dans d’énormes processus de
démocratisation, l’Organisation des Etats Américains a saisi l’opportunité qui lui était ainsi
offerte pour affirmer son attachement aux principes de droits et libertés de l’homme ainsi
qu’aux principes démocratiques. De façon précise, l’O.E.A. déclare son « engagement
indéfectible à la défense et à la promotion de la démocratie représentative et des droits de
l’homme dans la région »267. Cette résolution 1080 va même plus loin car elle prévoit un
mécanisme de réaction au cas où survenait toute situation ou tout fait entraînant une rupture
de la démocratie ou de ses principes dans un Etat membre de l’organisation. En effet, la
résolution va donner au Secrétaire général de l’O.E.A le droit de réunir immédiatement le
Conseil permanent de l’organisation. Et le Conseil une fois qu’il est saisi dispose de deux
alternatives : soit il convoque une réunion ad hoc des ministres des affaires étrangères afin que
ceux-ci puissent ensemble voir quelles mesures ou quelles solutions adoptées ; soit aussi il
convoque une session spéciale de l’Assemblée générale de l’organisation. Ce mécanisme
important mis en place par l’O.E.A montre bien que l’Organisation s’attache vraiment à ce
que le modèle démocratique soit respecté par les Etats membres de l’organisation. La Cour
américaine des droits de l’homme comme la Cour européenne des droits de l’homme ne
manque pas de rappeler ou de condamner les Etats lorsque cette exigence du respect des
principes démocratiques subie des violations. L’O.E.A est allée plus loin en prévoyant dans le
Protocole de Washington de 1992 la possibilité que puisse être suspendu de l’organisation un
Etat qui ne respecterait plus les exigences démocratiques : « Les Etats membres de l’OEA ont
265
Protocole de Cartagena de Indias
266
A.G Res. 1080 (XXI-0/91), OEA/ser.P.
267
ibid.
94
d’ailleurs procédé fin 1992 à la révision de la Charte de l’Organisation afin de créer une
base juridique pour l’adoption d’un autre type de mesures, à savoir la suspension de la
participation d’un Etat à l’Organisation lorsque son gouvernement ne respecte pas le
principe de légitimité démocratique »268. On retrouve là des mécanismes assez semblables à
ceux qui sont utilisés par l’Union européenne pour éviter que ne puissent exister dans des
organisations liées à l’Union ou qui lui sont rattachées, des Etats qui violent les principes
démocratiques. Ces deux organisations contrairement à l’Organisation africaine semblent
réfuter de façon claire la validité de tout gouvernement au nom du seul principe que ce
gouvernement est effectif. L’effectivité d’un gouvernement est ainsi moins importante, ce qui
compte c’est la capacité et la possibilité de ce gouvernement à se poser comme un
gouvernement démocratique. L’O.E.A n’a pas manqué, face à des situations de crise qui ont
existé dans le continent américain de condamner ou de réaffirmer son engagement envers les
principes démocratiques269. Les coups d’Etat à Haïti, au Pérou, au Guatemala ainsi que le
putsch militaire avorté au Paraguay ont constitué diverses situations qui ont mis en branle la
démocratie ou le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ces différentes situations ont été
très souvent l’occasion pour l’O.E.A de rappeler son attachement aux principes de légitimité
démocratique270 et ont aussi permis la mise en pratique des mécanismes suscités dans le but
d’amener les Etats ou les dirigeants des Etats en crise à revenir à des situations démocratiques.
Même si ceci doit se faire comme l’indique la Charte de l’OEA dans le respect du principe de
non-ingérence. En effet, « la Charte de l'OEA établit que la démocratie représentative est une
condition indispensable à la stabilité, à la paix et au développement de la région et que l'un
des buts essentiels de l'Organisation est de promouvoir et de consolider la démocratie
représentative dans le respect intégral du principe de non-intervention »271.
L’OEA a créé en 1990 une Unité pour la Promotion de la Démocratie afin d’aider les
Etats qui en ont besoin à acquérir des connaissances et à obtenir une assistance pour mettre en
place, pour consolider ou pour préserver les institutions politiques et permettre ainsi que
celles-ci demeurent le plus démocratiques possible. Ceci passe par exemple par des
commissions de surveillance électorale comme celles citées plus haut. L’O.E.A comme
l’Union européenne et dans une moindre mesure l’U.A ont fait de la démocratie ou des
268
Christakis, Th., op cit, p. 449
269
Déclaration de Managa du 10 juin 1993, Déclarations finales des deux sommets des Amériques de 1994 et de
1998
270
Voir les Résolutions 806 et 822 de l’OEA sur le cas d’Haïti (sur le fonctionnement et le renforcement de la
démocratie à Haïti)
271
Résolution 806 de l’OEA op.cit
95
principes de légitimité démocratique un champ de bataille assez important au sein de leurs
différentes organisations. C’est une preuve importante de leur attachement à la libre
détermination interne des peuples. Ces attitudes semblables des organisations en faveur de
l’autodétermination interne pourraient faire penser que ce principe tend à se généraliser et à
être admis par la majorité des Etats comme étant une règle de droit international. Pourtant, il
faut constater que ce droit des peuples à l’autodétermination ne s’est pas encore tout à fait
cristallisé en droit international public. Dans certaines régions du monde, nous pensons par
exemple à l’Asie, notamment aux Etats asiatiques qui ont subi une forte expansion
communiste, la libre détermination interne des peuples demeure encore assez virtuelle.
L’appareil étatique y est encore assez fort et puissant, ceci au mépris bien évidemment des
droits de l’homme ou des peuples notamment de leur droit à disposer d’eux-mêmes. Des
organisations telles l’ASEAN (Association des pays du Sud-Est asiatique) ont encore
beaucoup de mal et de difficultés à respecter les principes démocratiques dont nous espérons
l’universalité.
Les pays asiatiques ont jusque là d’ailleurs pour la plupart toujours mal
supporté toute critique à l’égard de leur système politique car ils estiment que la démocratie
n’est pas universelle et ne devrait pas être considérée comme un standard auquel devraient se
conformer tous les Etats du monde. Pour beaucoup d’entre eux, la démocratie reste une affaire
des pays occidentaux, et ne devrait pas remplacer ce qu’ils n’hésitent pas à qualifier de
« valeurs et traditions asiatiques »272. Soulignons l’attitude qui a longtemps été celle de
l’Indonésie. Pendant longtemps et ce jusqu’à la récente intervention des Nations Unies,
l’Indonésie a tout mis en œuvre pour empêcher le peuple timorais de parvenir à une libre
détermination tant externe qu’interne. L’état de la démocratie dans beaucoup de pays de
l’Asie du Sud-Est laisse à désirer. C’est le cas des pays comme la Birmanie, même s’il ne faut
pas pour autant ignorer les quelques progrès qui sont en train d’être réalisés dans d’autres pays
comme la Thaïlande, les Philippines ; progrès qui sont d’ailleurs assez salués par la
communauté internationale. D’autres pays par contre et c’est le cas de la Chine (on peut se
souvenir des récentes contestations et manifestations qui ont marqué la visite en France du
dirigeant chinois) commencent tout doucement à opérer des avancées en matière de droits de
l’homme notamment dans le domaine des libertés publiques. Mais ces régimes sont encore
loin d’être qualifiés de démocratiques car ils conservent encore quelques réminiscences de
leur comportement durant la période communiste. Espérons que l’ouverture de plus en plus
effective de cette partie du monde sur l’extérieur, ainsi que la pression toujours effective des
Nations Unies et de certaines organisations internationales ou régionales (exemple de l’Union
272
Sicilianos, L-A, op. cit. p. 275
96
européenne et de l’OEA) pourront contribuer à aider ces Etats à assurer leur marche vers la
mise en place et la consolidation de la démocratie et des principes qui lui sont corollaires.
Nous pouvons aussi noter que le Royaume-Uni dans le cadre de ses relations avec les autres
pays membres du Common wealth s’engage très souvent en faveur des principes
démocratiques notamment du droit des peuples à une autodétermination interne.
Les Nations Unies comme nous le remarquions plus haut dans le cadre des opérations
de maintien de la paix qu’elles organisent ne sont pas non plus en reste dans ce processus qui
à long terme pourra contribuer à faire de l’autodétermination interne des peuples, une règle
coutumière. Théodore Christakis souligne que « l’examen de l’ensemble des travaux onusiens
dans ce domaine montre que cet intérêt nouveau pour la démocratie n’est pas seulement dû à
la volonté de revaloriser et de promouvoir l’autodétermination interne des peuples, et n’est
pas seulement un but per se, mais est également lié à la conviction que la réalisation de
l’autodétermination interne contribuera à la réalisation d’autres objectifs de l’organisation,
à savoir le maintien de la paix et de la sécurité […], le respect des droits de l’homme et le
développement économique et social »273. Cet engagement des Nations Unies envers la
démocratisation de l’Etat pour reprendre des termes chers à Linos-Alexandre Sicilianos
montre bien que la libre détermination interne des peuples figure bel et bien dans les objectifs
principaux de l’Organisation des Nations Unies ou du moins permet à l’Organisation de
parvenir à d’autres objectifs qui n’en sont pas moins importants : la paix et le développement.
Le droit à la paix et le droit au développement sont devenus deux droits importants qui
doivent être garantis tant par les Etats pris individuellement que par toute la Communauté
internationale ou le système onusien. Ces deux droits ont aussi un rapport immédiat avec les
droits de l’homme. La Déclaration et le programme d’action de Vienne rappellent que « la
démocratie, le développement et le respect des droits de l’homme et des libertés
fondamentales sont interdépendants et se renforcent mutuellement. La démocratie est fondée
sur la volonté, librement exprimée, du peuple qui détermine le système politique, économique,
social et culturel qui sera le sien et sur sa pleine participation à tous les aspects de la vie et
de la société »274. Le respect de la démocratie contribue de façon directe au respect des droits
de l’homme. En effet, respecter le droit des peuples à une libre détermination interne, c’est par
exemple permettre à chaque homme de pouvoir participer à la désignation des dirigeants de
son pays, ce qui implique donc l’exercice de son droit de vote, de sa liberté d’opinion. Pour
qu’il puisse choisir les dirigeants qui lui semblent représentatifs de son opinion, il faut bien
273
Christakis , op. cit. p. 469
274
Les Nations Unies et les droits de l’homme (1945-1995)
97
qu’au préalable il puisse réaliser sa liberté d’association, de réunion et bien d’autres libertés.
Nous pouvons ainsi affirmer clairement que la démocratie et les droits de l’homme vont
ensemble. Et il est tout à fait juste de noter que « La conférence mondiale sur les droits de
l’homme qui s’est tenue à Vienne en juin 1993 a constitué un tournant à cet égard puisqu’elle
a formellement affirmé l’interdépendance de la démocratie, du développement et des droits de
l’homme »275. Pour ce qui est du droit au développement276, même si le lien avec le droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes peut paraître moins apparent, tenons nous en au fait qu’un
pays démocratique est propice à la paix et à la stabilité et dès lors tout projet de
développement a des chances d’être envisagé, maintenu et poursuivi à son terme sans risque
d’être interrompu à cause d’une situation de crise ou de l’instabilité du pays.
L’engagement croissant du système onusien (Sicilianos souligne par exemple que ces
dernières années et notamment depuis la Conférence mondiale de Vienne, beaucoup de
résolutions des organes de l’ONU se réfèrent de façon explicite au processus de
démocratisation, ce qui justifie que l’actuel secrétaire général des Nations Unies puisse
conclure que la démocratisation fait partie des objectifs prioritaires de l’organisation277), des
organisations régionales et des Etats. Cette action en faveur de la libre détermination des
peuples ou encore de la démocratie et des libertés publiques conduit cependant difficilement à
conclure à la consécration d’une règle coutumière nouvelle. Il est vrai que ce n’est pas en
analysant la durée de l’existence du processus démocratique
que nous parviendrons à
déterminer de façon réelle l’existence de la consolidation de la pratique ou du respect des
principes démocratiques. L’évolution et l’acceptation des règles démocratiques par les pays
n’est pas identique et est loin d’être généralisée. Les Etats occidentaux ont un passé beaucoup
plus important en matière de respect de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés
publiques, alors que la plupart des Etats africains et asiatiques ont encore des avancées
considérables à faire sur ce domaine. A notre sens, et fort des développements précédents, il
nous semble prématuré de parler de la consécration d’un statut coutumier pour ce qui est du
principe de la légitimité démocratique ou de l’autodétermination interne des peuples. C’est
dire qu’il est difficile d’affirmer aujourd’hui que le principe de l’autodétermination interne
des peuples est parvenu au stade de règle coutumière. Même si nous espérons que cette
tendance à la démocratie ou à l’autodétermination interne «pourrait un jour conduire à la
275
Sicilianos, L-A, op cit., p. 135
276
Lire Seydou Madani Sy « Démocratie et développement » in Boutros Boutros Amicorum op cit., p. 1227
277
L’agenda pour la démocratisation qui avait été initié par le Secrétaire Boutros Boutros- Ghali participait aussi
de cet effort de faire de la démocratie une réalité assez effective sur la scène internationale.
98
cristallisation d’un principe du droit coutumier »278. Mais, la seule certitude aujourd’hui est
que ce principe s’affronte sur le terrain du droit international public avec un autre principe qui
est celui de la non-ingérence dans les affaires politiques.
278
Christakis, Th., op. cit. p. 504
99
II - Une redéfinition du principe de non-ingérence
Nous analyserons dans cette partie la signification même du principe de non-ingérence
dans les affaires politiques d’un Etat (A) avant de voir dans une autre sous-partie le lien ou les
connexions qui peuvent exister entre le principe de non-ingérence dans les affaires politiques
et l’autodétermination interne, autrement dit le lien possible entre le principe de non-ingérence
dans les affaires politiques et l’exigence du respect par tout Etat ou gouvernement des
principes démocratiques (B).
A-
Le principe de non-ingérence dans les affaires politiques
Le principe de non-ingérence ou non-intervention279 tire sa paternité de deux autres
principes très chers au droit international que sont les principes de souveraineté et d’égalité
des Etats.
« Dans les relations interétatiques, l’intervention est le fait d’un Etat qui cherche à
pénétrer dans la sphère de compétence exclusivement réservée à un autre Etat, soit pour
l’aider à régler ses affaires propres, soit pour les régler à sa place ou l’obliger à les régler
conformément à ses vœux »280. En dehors des relations interétatiques, il est aussi possible de
parler d’ingérence ou d’intervention (les deux termes sont interchangeables) lorsque c’est une
organisation internationale, universelle ou régionale qui interfère dans les affaires d’un Etat.
C’est dire qu’en droit international, il existe des domaines dits réservés de l’Etat où
l’intervention extérieure n’est pas possible. Pour l’Institut de Droit International, « le domaine
279
Pour Salmon, J. (voir préface de l’ ouvrage de Jacques Noël intitulé : Le principe de non-intervention :
théorie et pratique dans les relations inter-américaines, Editions de l’université de Bruxelles, 1981) l’Amérique
latine a été un précurseur de l’établissement de la règle de non-intervention dans les affaires politiques.
280
Dailler, P., Pellet, A., op.cit, p. 947
100
réservé est celui des activités étatiques où la compétence de l’Etat n’est pas liée par le droit
international »281, l’Institut rajoute que l’étendue de ce domaine dépend du droit international
et varie selon le développement toujours du droit international282. Il faut noter que la notion de
domaine réservé n’est pas assez reprise par les textes constitutifs d’organisations
internationales qui, assez souvent préfèrent parler de non-intervention ou non-ingérence.
Selon Pellet et Daillier, même si le principe de non-intervention des Etats ou des
organisations internationales dans les affaires d’un autre Etat, « est, indiscutablement,
consacré par le droit positif, ses contours précis n’en sont pas moins incertains »283. Le
principe de non-ingérence pris dans son sens le plus large implique l’ « interdiction faite à
tout Etat, comme corollaire du principe d’égalité souveraine de s’immiscer dans les affaires
internes ou externes relevant de la compétence exclusive de l’Etat »284 et il faut souligner que
très souvent le principe de non-ingérence est mis à côté d’un autre principe de droit
international qui a d’abord connu une consécration conventionnelle, puis dans le droit
international général285 : c’est le principe d’interdiction de l’emploi de la force dans les
relations internationales (ce principe figure à l’article 2 § 4 de la Charte des Nations Unies).
Linos-Alexandre Sicilianos relève que « le choix du régime politique a toujours été
considéré comme une matière relevant par excellence de la compétence nationale des Etats
au sens de l’article 2 paragraphe7 de la Charte »286. La Cour internationale de justice a
rappelé que le principe de non-ingérence dans les affaires politiques fait partie intégrante du
droit international coutumier287. Dans le cadre de notre travail, l’accent sera mis sur les
affaires intérieures des Etats ou d’un pays donné, car l’autodétermination interne et la
démocratie ou l’Etat de droit touchent très souvent à des domaines qui ressortissent des
affaires intérieures d’un Etat. C’est le cas par exemple de l’organisation des élections, de la
séparation des pouvoirs, des libertés publiques. Et le principe de non-intervention comme
nous le remarquions a principalement pour objectif d’affirmer la liberté des Etats dans la
gestion de toutes ses affaires qui ressortissent du domaine politique. Ce principe a pendant
281
Ann, I.D.I., 1954, vol.45-II, p.292
282
Des critiques ont été faites à cette définition de l’Institut du fait que ce dernier ne prend en compte que les
engagements conventionnels des Etats, en négligeant l’influence de plus en plus grande des décisions émises par
les Organisations internationales
283
Daillet, Pellet, op.cit, p. 441
Salmon, J., op. cit., p . 746
285
Combacau, J et Sur S., Droit international public, p. 430
286
Sicilianos, L-A, op. cit., p. 28
284
287
Rec., C.I.J. 1949, arrêt du 9 avril 1949, p. 35, Détroit de Corfou
101
longtemps favorisé « les choix des gouvernements en place, autrement dit l’ordre établi,
souvent au détriment des aspirations du peuple »288.
La Charte des Nations Unies, notamment en son article 2 paragraphe 7, rappelle que le
choix du régime politique est considéré comme relevant de la seule compétence des Etats, et
interdit aux Nations Unies d’intervenir sur ce sujet. L’Assemblée générale des Nations Unies,
ainsi que d’autres organes du système onusien et organisations internationales ont aussi
réaffirmé le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays notamment sur le
plan politique. Prenons l’exemple de la Déclaration annexée à la résolution 2625 du 24
octobre 1970 relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre les Etats qui dispose que « chaque Etat a le devoir de respecter la
personnalité des autres Etats » et que « les Etats sont juridiquement égaux »289 et cette
Déclaration poursuit en notant que « Tout Etat a le droit inaliénable de choisir son système
politique, économique, social et culturel sans aucune forme d’ingérence de la part d’un autre
Etat »290. La Cour internationale de justice a aussi en ce sens rappelé que le principe de non
intervention visait à interdire « à tout Etat ou groupe d’Etats d’intervenir directement ou
indirectement dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre Etat. L’intervention
interdite doit donc porter sur des matières à propos desquelles le principe de souveraineté
des Etats permet à chacun d’entre eux de se décider librement. Il en ainsi du choix du système
politique,… »291. La Cour internationale de justice ajoute que les « orientations politiques
internes d’un Etat relèvent de la compétence exclusive de celui-ci pour autant, bien entendu,
qu’elles ne violent pas le droit international. Chaque Etat possède le droit fondamental de
choisir et de mettre en œuvre comme il l’entend son système politique, économique et
social »292 et même culturel. La Cour a ainsi noté que l’adhésion d’un Etat à une doctrine
particulière ne pourrait constituer une violation du droit international coutumier. Dans ces
différents passages, la Cour met l’accent sur le principe de souveraineté des Etats ; principe
qui constitue en son sens et nous nous permettons aussi de rajouter à cette époque (guerre
froide) la règle fondamentale sur laquelle repose le droit international public. Tous les
288
Sicilianos, L-A., op. cit., p. 29
289
Voir aussi résolution 2131(XX) de l’AG des Nations Unies du 21 décembre 1961 intitulée « Déclaration sur
l’inadmissibilité de l’intervention dans les affaires intérieures des Etats et la protection de leur indépendance et
de leur souveraineté ». (Il faut souligner que cette résolution ne se prononce pas sur le fondement du principe de
non-intervention dans la Charte des Nations-Unies, mais dit que la pratique de l’intervention, sous quelque forme
que ce soit, constitue une violation de l’esprit et de la lettre de la Charte.)
290
Ibid.
Recueil CIJ, Arrêt Activités militaires et paramilitaires op cit., p.108
292
CIJ, Affaire Nicaragua précitée
291
102
principaux textes du droit international public de cette époque sont presque d’accord sur
l’importance que revêt le principe de souveraineté de l’Etat. Pour Linos-Alexandre Sicilianos,
que c’est ce caractère souverain des Etats sur leur domaine politique qui a longtemps entraîné
toute non ingérence dans les affaires politiques d’un Etat ; ce qui a contribué à dépouiller le
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes de ses aspects internes notamment l’aspect ayant
trait à la légitimité démocratique et « a contribué également à limiter la portée de la clause»
293
faisant référence à une société démocratique ; clause contenue dans différents instruments
des Nations Unies sur la protection des droits de l’homme294. Il faut cependant reconnaître que
certaines organisations régionales, nous pensons par exemple à l’Organisation des Etats
américains (Conférences de Panam de 1939, et de La Havane de 1940) n’ont pas souvent
manqué de rappeler l’existence du principe de non-ingérence, tout en soulignant que chaque
Etat devait veiller, et sans aucune ingérence sur son territoire, au respect des normes et
institutions démocratiques295 en rappelant que l’ingérence dans les affaires politiques était
possible sur la seule demande de l’Etat lui-même. D’autres résolutions de l’Assemblée
générale des Nations Unies telle la résolution 36/103 portant sur l’inadmissibilité de
l’intervention et de l’ingérence dans les affaires intérieures des Etats, indique qu’il revient à
l’Etat « le droit souverain et inaliénable de déterminer librement son propre système
politique » 296 et il faut souligner que cette résolution 36/103 ajoute bien évidemment que ceci
doit se faire conformément à la volonté du peuple. Remarquons tout de même que toutes ces
résolutions sur le principe de non-ingérence dans les affaires politiques peuvent difficilement
résister à la critique selon laquelle l’accent est beaucoup plus porté sur l’Etat que sur les
peuples. Les peuples sont très souvent les parents pauvres de ces résolutions; en effet, ces
résolutions ont le défaut d’asseoir assez souvent les droits de l’Etat sur ceux des peuples.
Autrement dit, les droits de l’Etat paraissent énormément mis en valeur par rapport aux droits
des peuples notamment leur droit à une autodétermination interne. Les droits des peuples ne
sont très souvent mentionnés que de façon incidente et assez succincte dans ces résolutions.
Mais il est important de rappeler que, malgré toute l’importance qui est accordée au
principe de non-ingérence dans les affaires politiques et à travers ce principe celui de la
souveraineté des Etats dans leurs affaires politiques, il existe une autre règle de droit
international public qui énonce que l’Etat n’est souverain que s’il est soumis directement,
immédiatement au droit international. Le principe de l’immédiateté a d’ailleurs été entériné
293
Sicilianos, L-A., op cit., p. 33
294
Ibid.
295
Noël J., Le principe de non-intervention, op. cit., p. 154
A/Res. 36/103 du 9 décembre 1981
296
103
par la Cour internationale de justice qui dans l’Avis concernant la réparation des dommages
subis au service des Nations Unies a rappelé que l’Etat était une entité relevant directement du
droit international, ce qui implique que les Etats sont titulaires de droits et d’obligations en
vertu du droit international. On est ainsi arrivé aujourd’hui en droit international à la
conclusion que la protection des droits fondamentaux des individus ou des peuples échappe
depuis longtemps au domaine réservé des Etats, et de ces droits fondamentaux des peuples
figurent à une bonne place, le droit des peuples à une autodétermination interne et leur droit à
la démocratie. Nous pouvons ainsi pousser notre analyse dans cette logique et dire que le droit
des peuples à une autodétermination interne et les principes démocratiques ou qui sont liés à
la légitimité démocratique doivent être respectés, même si pour y parvenir des atteintes ou des
violations devraient être portées au principe de non-ingérence dans les affaires politiques.
B - Le principe de non-ingérence et le respect des principes démocratiques
Nous avons vu précédemment que différentes résolutions de l’Assemblée générale des
Nations Unies garantissaient le principe de non-ingérence dans les affaires politiques d’un
Etat. Mais il est important de savoir que cette affirmation de la seule souveraineté des Etats
sur leur régime politique souvent rappelée par l’instance onusienne est depuis quelques
décennies accompagnée aussi du rappel de l’article 21 § 3 de la Déclaration universelle des
droits de l’homme qui exige que de la seule volonté du peuple puisse naître la légitimité d’une
autorité ou d’un gouvernement, cette volonté doit pouvoir être exprimée librement à travers
des élections. Jusque dans les années 1980, il était difficile de concevoir qu’on puisse
intervenir ou émettre des critiques à l’égard d’un Etat du fait que ce dernier ne respectait pas
des principes démocratiques, notamment le droit des peuples à des élections justes, honnêtes
et libres, la séparation des pouvoirs, ou violait de façon massive les libertés individuelles.
Aujourd’hui la situation a bien changé et les différents Comités mis en place pour
accompagner l’effectivité des Conventions signées par les Etats afin de protéger ou garantir le
principe de l’autodétermination interne ou les règles démocratiques, se prononcent de plus en
plus à l’encontre des Etats qui violent ces différentes Conventions. Certains auteurs ont même
fait le constat selon lequel : « les références par l’Assemblée générale au principe de la
liberté quasi-absolue des Etats de choisir leur système politique se raréfient
progressivement »297 et ce depuis la fin des années 1980 ; même si, dans presque toutes ces
297
Sicilianos, L-A, op. cit., p. 29
104
résolutions portant sur l’exigence du respect par les Etats des principes démocratiques (par
exemple le principe d’élections honnêtes et périodiques), l’Assemblée générale rappelle aussi
presque toujours que : « les efforts déployés par la communauté internationale pour renforcer
l’efficacité du principe d’élections périodiques et honnêtes ne doivent pas remettre en
question le droit souverain qu’a chaque Etat de choisir et d’élaborer librement ses systèmes
politique… »298. Il ne faut pas sous-estimer, et nous le soulignions déjà dans nos
développements précédents, que des Etats, surtout les « grands »299 Etats démocratiques ne
manquent plus de condamner à des tribunes officielles et de façon audible les Etats qui ne
respectent pas les principes démocratiques ou qui bafouent les libertés publiques. Le droit des
peuples à une autodétermination interne n’est pas encore une règle coutumière, mais tend
cependant à devenir une exigence générale en droit international, ce qui fait lors que les
revendications exigeant le respect par les Etats de ce principe, revendications portées par
certains Etats, organisations internationales ou régionales, par les peuples et les individus et
aussi par les organisations non gouvernementales, ne sont plus ou sont très peu souvent
qualifiées aujourd’hui comme étant des atteintes au principe de non-ingérence dans les
affaires politiques. On revient ainsi à cette idée déjà existante en droit international que
certains principes ont vocation de part leur importance à devenir des supra-normes300, ou des
supra-principes. Le droit à l’autodétermination interne des peuples et ses composants que sont
les principes de légitimité et autres principes démocratiques tendent aujourd’hui à être
classés au stade de règles ou de principes à « autorité renforcée »301. La tentation est donc
forte de pouvoir dire que le principe de l’autodétermination interne des peuples a atteint
comme ça a précédemment été le cas avec le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes au
niveau externe le stade de norme de jus cogens302. Ceci reste tout de même encore assez
discutable, et est loin de faire l’unanimité de la communauté internationale. Il serait pourtant
souhaitable que le droit des peuples à une autodétermination interne devienne une norme de
jus cogens303, ce qui permettrait d’accroître la défense ou la protection de ce principe, et
298
A/Res. 44/146, §4 du dispositif
299
C’est nous qui soulignons ce terme
300
Voir article de Weil, P., Vers une normativité relative en droit international, RCADI 1992 VI, p. 131 et
suivants
301
Combacau, J et Sur, S, op. cit., p. 50
302
Pour Cassese ( voir son ouvrage International law, Oxford press University 2001, p. 139), l’idée est que « …
certain norms governing relations between states should be given a higher status and rank than ordinary rules
deriving from treaties and customs »
303
Article 53 de la Convention de Vienne, « …Aux fins de la présente convention, une norme impérative est une
norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à
105
amoindrirait la crainte de voir le principe de non-ingérence dans les affaires politiques être
brandi comme justification de la violation du droit des peuples à l’autodétermination304. Il y va
de l’intérêt des droits des peuples en général et en particulier du droit qui fait l’objet de notre
étude. Il y va aussi certainement de l’intérêt des droits de l’homme.
Le phénomène de juridicisation de plus en plus grandissant sur la scène internationale
(Cour américaine des droits de l’homme, Cour européenne des droits de l’homme, Cour
africaine des droits de l’homme, Cour pénale internationale, différents tribunaux
internationaux spécialisés notamment en matière pénale, et autres) permette de réaliser un
constat : ce constat est que les droits de l’homme ou des peuples arrivent de façon croissante à
prendre le pas sur les principes de souveraineté de l’Etat et de non-ingérence dans les affaires
politiques. Cette l’influence n’est pas seulement due au phénomène de juridicisation, mais elle
découle aussi de la pression accrue des organisations internationales, des organisations
régionales et voire même nationales en faveur des principes démocratiques ; pression non
moindre aussi des peuples pour le respect de leurs droits. Le FMI par exemple impose à
l’endroit des Etats africains au niveau économique dans le cadre des Plans d’Ajustement
Structurel (PAS) de plus en plus d’exigences démocratiques ; le FMI demande très souvent
aux Etats qui souhaitent l’application de ce plan de s’engager à respecter un minimum de
règles ou principes démocratiques. Les ONG comme nous le remarquions jouent aussi un rôle
important dans la défense du droit des peuples à une autodétermination interne.
Roberto Garreton305 note que les différentes instances de l’ONU et notamment le
secrétariat général des Nations Unies ont souligné la nécessité de renforcer l’emprise
mondiale des droits de l’homme au point que les Etats doivent accepter le droit d’ingérence de
la communauté internationale lorsque les violations sont brutales et systématiques306.
La Conférence mondiale de Vienne a permis de ratifier cette idée que le caractère
universel des droits de l’homme « n’admet pas de remise en question », mais le difficile
consensus fut obtenu en ajoutant qu’il « faut tenir compte des particularités nationales et
régionales ainsi, que des différents patrimoines historiques, culturels et religieux, mais les
Etats ont le devoir, quels que soient leurs systèmes politiques, économiques et culturels, de
laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme de droit
international général ayant le même caractère».
304
Il faut cependant souligner que la définition de l’article 53 de la Convention de Vienne pose quelques
problèmes qui sont repris par Pierre-Marie Dupuy, in RGDIP 1980, tome I, p. 462
305
Avocat chilien, ambassadeur du Chili auprès des organisations internationales des droits de l’homme (1990-
1994), membre du groupe de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies sur la détention arbitraire.
306
Extrait du discours de Javier Pérez de Cuellar en 1991 à l’Université de Salamanca
106
promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et les libertés fondamentales »307 et
parmi ces droits fondamentaux figure le droit des peuples à une autodétermination interne.
L’Assemblée générale a aussi rappelé que les efforts pour renforcer l’efficacité du
principe d’élections périodiques et honnêtes ne devraient pas « remettre en question le droit
souverain qu’a chaque Etat de choisir et d’élaborer librement ses systèmes politique,… »308.
Or, réaffirmer d’une part, le droit des peuples à une autodétermination interne entouré des
garanties mentionnées ci-dessus et, d’autre part, le droit absolu et inaliénable des Etats de
choisir leur système politique, revient à évoquer simultanément deux conceptions différentes,
voire opposées du droit à l’autodétermination309. Mais une chose semble aujourd’hui certaine
en droit international ; c’est l’importance accrue ou croissante qu’ont les droits de l’homme,
les droits des peuples ainsi que les principes ou les standards démocratiques. Ceci n’est pas
sans conséquence, car cette nouvelle importance accordée à ces droits a par ricochet fait
perdre ou disparaître l’énorme pouvoir que d’autres principes du droit international public
avaient acquis jusque là. Nous pensons notamment au principe de non-ingérence dans les
affaires politiques.
Conclusion
Au terme de ce travail, qui nous aura permis de nous pencher sur ce principe non
moins important du droit international public qu’est le droit des peuples à une
307
Dispositions de la Convention de Vienne de 1993 sur les droits de la personne humaine citées par Roberto
Garreton in « La Déclaration universelle des droits de l’homme 1948-1998 », La documentation française, 1998,
p. 274
308
A/51/761, 17 janvier 1997 §104-114
309
Sicilianos, L-A, op. cit., p. 163
107
autodétermination interne, nous avons constaté que ce second volet du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes, qui a jadis souffert d’une certaine marginalisation au profit de son
premier aspect externe, a aujourd’hui repris un intérêt assez accru sur la scène internationale,
ceci notamment avec le soutien d’une bonne partie de la communauté internationale. Nous
avons remarqué aussi que le droit des peuples à une autodétermination interne entretenait des
rapports très étroits avec la démocratie, nous pensons ainsi à des standards démocratiques, tels
que l’organisation des élections justes, honnêtes et régulières (qui permet l’expression de la
volonté des peuples), la mise en place des gouvernements bénéficiant d’une légitimité
démocratique, la séparation des pouvoirs et le respect de certaines libertés politiques,
lesquelles libertés si elles sont respectées sont ou constituent le gage du respect du droit des
peuples à une autodétermination interne. Nous avons noté aussi tout au long de ce travail que
l’exercice effectif du droit à l’autodétermination interne des peuples exigeait que soient
reconnus et respectés les droits tels celui de voter, d’être élu, le droit de participer aux affaires
publiques, la liberté d’expression, la liberté d’association ainsi que la liberté de la presse, la
liberté de réunion et d’opinion et d’autres libertés. Le respect de l’autodétermination interne
suppose ainsi le respect de ces droits et libertés mais encore faudrait-il que cela se puisse se
faire au sein d’un territoire ou le multipartisme a droit de cité. Il faudrait aussi que la
séparation des pouvoirs ou le respect par chaque pouvoir de ses limites soit effectif et
constamment assuré. Sicilianos pense que le « droit à l’autodétermination interne se fonde
sur la légitimité démocratique »310 et qu’il est ainsi conceptuellement lié à la clause « dans
une société démocratique »311 qui figure dans différents instruments onusiens. Nous pouvons
affirmer que le droit des peuples à une autodétermination interne a sans aucun doute acquis
une consécration conventionnelle, mais que son accession au sein du droit international
général ou coutumier reste encore à attendre, du moins à notre sens. Mais, le droit des peuples
à une autodétermination interne, a cependant et nous l’avons constaté le mérite et ce en vertu
de l’importance que renferme ce droit tant pour les individus que pour les peuples, d’avoir
favoriser une évolution du droit international public. Aujourd’hui les principes ou standards
démocratiques, notamment les libertés fondamentales prennent de plus en plus le pas sur des
principes qui jusque là étaient encore considérés comme des principes forts, non-immuables et
inviolables du droit international, nous pensons ainsi aux principes de non-ingérence et de
souveraineté
310
Sicilianos, L-A, op. cit., p.39
311
Déclaration universelle des droits de l’homme
108
Le droit des peuples à l’autodétermination interne a longtemps souffert de cet accent
mis sur la liberté des Etats de choisir leur système politique ou de l’approche « étatiste des
relations internationales »312, mais aujourd’hui ce droit est réhabilité et « le droit à
l’autodétermination interne ne peut devenir une réalité que par le biais de l’exercice effectif
des droits politiques »313.
Au fil des années les organisations internationales et régionales, par le biais de leurs
principaux organes, sont passées d’une attitude de neutralité ou de réserve au sujet de la
constitution des régimes politiques à un autre discours ou attitude qui devient d’ailleurs de
plus en plus dominant et qui milite en faveur de la démocratie et des principes qui lui sont
corollaires. Cette « corrélation entre Démocratisation et Organisation des Nations Unies
s’est manifestée principalement par la tenue des grandes conférences internationales de la fin
du XX siècle et par l’Agenda pour la démocratie »314. L’Agenda pour la démocratisation du 20
décembre 1996 est la concrétisation en termes de projets de l’ « appui du système des Nations
Unies aux efforts déployés par les gouvernements pour promouvoir et consolider les
démocraties : nouvelles ou rétablies » 315. Ce rapport adressé au président de l’Assemblée
générale par le secrétaire général Boutros Boutros-Ghali, présente des moyens et des
réflexions destinés à aider l’organisation à répondre aux aides sollicitées par les Etats
membres. On assiste ainsi à un « recentrage démocratique du principe de la liberté de choix
du système politique et à un passage, selon l’expression de René-Jean Dupuy »316, « de
l’équivalence des régimes politiques à la légitimité exclusive de la démocratie libérale »317.
Nous avons constaté aussi dans ce travail que « le droit international contemporain est
fortement marqué par l’apport normatif des organisations internationales, universelles et
régionales »318. Ces organisations contribuent à la consécration ou la consolidation des
principes démocratiques et partant de l’autodétermination interne des peuples.Cette nouvelle
extension
des
principes
démocratiques
et
notamment
du
droit
des
peuples
à
l’autodétermination interne est à saluer. Ainsi, différentes élections s’organisent sur la scène
312
313
Sicilianos, op. cit., p. 130
Ibid.
314
Ranjeva, R., « Démocratisation des institutions politiques » in
Boutros Boutros-Ghali Amicorum
Discipulorumque Liber, Paix, développement, démocratie, p. 1302
315
Doc. A/51/761
316
Rafâa Ben Achour, « Droit international de la démocratie », in Boutros Boutros-Ghali Amicorum op cit., p.
910
317
René-Jean Dupuy, « Concept de démocratie et action des Nations Unies. Rapport introductif ». Colloque de
l’A.F.N.U. (23 octobre 1993), Bulletin du centre d’information des N.U. 1993 ; N°7-8, pp. 59-62
318
Daillet, P., Pellet,A., op cit., p. 609
109
internationale et ce, dans un certain respect des principes démocratiques (nous pensons par
exemple à la succession d’élections en Asie). Il faut savoir que la plupart des « évolutions
politiques de ces pays ont été le fait des peuples eux-mêmes »319 et que les avancées sur le
domaine du droit des peuples à une autodétermination interne ou sur la démocratie concourent
aussi à la satisfaction d’autres droits tels le droit à la paix et le droit au développement. C’est
ainsi que même les experts économiques reconnaissent au niveau international qu’il y a une
« corrélation étroite entre développement et régime politique libéral »320 et nous ajouterons
aussi le troisième élément qui est la paix, ce qui nous permet d’avoir ce triptyque assez
connu : démocratie, paix et développement.
TABLE DES MATIERES
SIGLES ET ABREVIATIONS……...……………………………………………………….5
SOMMAIRE…………………………………………………………………………………..7
INTRODUCTION………………………...…………………………………………………..8
Première Partie : La substance de l’autodétermination interne………………………...29
I
L’exigence d’une démocratie politique…………………………………………….30
319
Enjeux, Les Echos, n° 203, juin 2004, p 15.
320
ibid.
110
A) l’exigence du respect des standards démocratiques en matière d’élections et de formation
de gouvernements…………………………………………………………………………….31
B) Le respect du pluralisme politique……………………………………………………..…46
II
L’autodétermination interne : élément nécessaire à l’existence et à la pérennité
d’un Etat démocratique ou d’un Etat de droit……………………………………………56
A) L’internationalisation de certaines libertés politiques ou civiles………………………….57
B) Une internationalisation d’un principe constitutionnel : La séparation des pouvoirs......…67
Deuxième
partie :
L’autodétermination
interne :facteur
d’évolution
du
droit
international contemporain…………………………………………………………………72
I
Emergence d’un statut juridique internationalement protégé……………….….73
A) Un statut conventionnel récent…………………………………….……………………..74
B) Un statut coutumier incertain……………………………………………………………..91
II
Une redéfinition du principe de non-ingérence dans les affaires politiques……103
A) Le principe de non-ingérence dans les affaires politiques………………………………103
B) Le principe de non-ingérence et le respect des principes démocratiques……..…………107
Conclusion…………………………………………………….………………………….…111
Bibliographie……………………………………………………………….………………115
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