G. Laoust-Chantréaux, Kabylie côté femmes. La vie féminine à AÏt
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G. Laoust-Chantréaux, Kabylie côté femmes. La vie féminine à AÏt
Jean-Pierre Digard G. Laoust-Chantréaux, Kabylie côté femmes. La vie féminine à AÏt Hichem, 1937-1939 In: L'Homme, 1994, tome 34 n°129. pp. 204-206. Citer ce document / Cite this document : Digard Jean-Pierre. G. Laoust-Chantréaux, Kabylie côté femmes. La vie féminine à AÏt Hichem, 1937-1939. In: L'Homme, 1994, tome 34 n°129. pp. 204-206. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1994_num_34_129_369707 204 Comptes rendus recettes, de la magie et du savoir-faire d'un gynécologue particulièrement ouvert aux idées et usages de son temps. Quant à l'édition critique, les hébraïsants avertis apprécieront la numérotation des lignes du manuscrit pour chaque folio recto-verso, ainsi que l'apparat critique avec les variantes des trois manuscrits existants et des notes précises éclairant les versions latines des œuvres de Mucio. Ce travail important appelle néanmoins quelques réserves. L'absence de bibliographie en fin d'ouvrage banalise les sources de la première partie, surtout celles qui sont inédites (manuscrits), et rend les références savantes, parfois incomplètes, difficilement utilisables. Dans la deuxième partie, l'hébraïsant aurait aimé trouver dans la traduction française les repères correspondant à ceux du texte hébreu et de ses notes. Tel quel, le recours au texte original est très difficile, d'autant que l'hébreu suit la pagination française — peu justifiable puisque la traduction n'est pas en regard. Dans le texte hébreu, les notes (entre 24 et 73 par page !) sont microscopiques et pratiquement illisibles. De plus, le glossaire occitan serait plus utile en caractères hébraïques et s'il était indexé. Ces quelques remarques ne remettent pas en cause l'intérêt manifeste de ce livre dont la lecture est de surcroît fort agréable. Patricia Hidiroglou Université de Paris I Panthéon — Sorbonne Germaine LAOUST-CHANTRÉAUX, Kabylie côté femmes. La vie féminine à Ait Hichem, 1937-1939. Notes d'ethnographie. Présentation par Camille LACOSTE-DuJARDIN. Aix-enProvence, IREMAM (Institut de Recherches et d'Études sur le Monde Arabe et Musulman) & Édisud, 1990, 304 p., bibl., index, ill. (« Archives maghrébines »). Il y a les livres dont on parle — cela dure une saison ou deux — et il y a ceux que l'on utilise, qui naissent bien souvent en silence mais qui restent, parfois durant de nombreuses décennies, les ouvrages de référence obligés des spécialistes d'un domaine de recherche. Celui de Germaine Laoust-Chantréaux, qui paraît cinquante ans après avoir été conçu, appartient incontestablement à cette dernière catégorie. C'est en vain qu'on y chercherait la moindre référence aux débats actuels de l'anthropologie. On y trouve, en revanche, des descriptions d'une densité et d'une précision auxquelles nous ne sommes plus habitués, en ces temps où les concessions à la mode et à la productivité tirent de plus en plus l'écriture et l'informa tion ethnologiques vers le journalisme. Dans une substantielle présentation (pp. 5-17), Camille Lacoste-Dujardin situe à la fois l'auteur dans le cadre de l'Algérie de l' entre-deux-guerres et l'ouvrage dans le champ des études berbères. Avant de devenir l'épouse du grand arabisant Henri Laoust (lui-même issu d'une lignée d'instituteurs), Germaine Chantréaux est d'abord la petite-fille d'Eugène Scheer, créateur et organisateur des premières « écoles ministérielles », destinées aux Algériens, que Jules Ferry l'avait chargé de mettre en place. En digne héritière des pionniers de 1'« Ensei gnement des indigènes » — laïques authentiques, qui « ne se permettaient jamais la moindre critique à l'égard des doctrines du Coran [et] regardaient la religion comme une chose d'ordre privé, intime, comme une chose aussi inviolable et sacrée que la conscience même »1 — , Comptes rendus 205 Germaine Chantréaux a déjà appris l'arabe et le berbère lorsqu'à vingt-cinq ans elle rejoint, à dos de mulet, son premier poste d'institutrice, en 1937, à l'école de filles d'Aït Hichem, près de Fort-National, en Kabylie. Et c'est tout naturellement que Lalla Tama'zuzt (« Dame Aimée ») — c'est le nom qui lui sera donné — partagera les activités et, peu à peu, jusqu'en 1939, les connaissances et les confidences des habitantes de ce village déjà vidé d'un grand nombre de ses hommes par l'émigration de travail en France. La moisson d'informations qui en résulte « est sans aucun doute », écrit Camille LacosteDujardin, « le plus large et le plus ancien tableau ethnographique de la vie féminine kabyle, le plus fiable témoignage que seule une femme était en mesure d'apporter » (p. 13). Accompag nées de dessins minutieux et de photographies d'une qualité remarquable pour l'époque, ces « notes ethnographiques », comme les intitule modestement Germaine Laoust-Chantréaux, nous sont livrées dans l'ordre, empirique, où la jeune institutrice les a saisies sur le terrain : du proche au lointain (habitation, mobilier et objets usuels, vêtements et parures^, travaux domestiques, travaux agricoles, fêtes et divertissements), de la naissance à la mort (en passant par l'enfance, l'adolescence, le mariage, etc.), à quoi s'ajoutent une bibliographie actualisée et deux index, onomastique et lexical. Ce ratissage croisé ne laisse à peu près rien échapper de la culture des Imesdourar (« Gens de la haute montagne », fraction de la tribu des Ait Yahya) qui peuplent Ait Hichem, de ses aspects les plus triviaux à ses aspects les plus insolites, comme cette « trace de cynophagie » qui a survécu ici sous la forme de « consommation de jeunes chiots, non sevrés, contre la syphilis » (p. 87). Pourtant, Germaine Laoust-Chantréaux, avec une modestie d'autant plus touchante qu'elle est démentie par sa culture ethnologique, s'excuse presque (pp. 20 et 253) de n'avoir traité que des femmes, laissant de côté, de ce fait, des pans entiers de la vie économique et sociale du village. L'organisation sociale, au sens où nous l'entendons aujourd'hui, est en effet la grande absente du livre. Mais ce manque résulte moins, me semble-t-il, des fréquentations surtout féminines de l'auteur que des dates (1937-1939) de son travail. Que devrait-on dire, au demeurant, de l'androcentrisme d'un grand nombre d'études ethnologiques sur des sociétés musulmanes, dont les auteurs, hommes, n'ont probablement jamais adressé la parole à une femme sur leur terrain... ni conçu pour autant de doute particulier quant à la validité de leurs matériaux et de leurs analyses ! Si, dans les années 30, l'organisation sociale ne figurait pas encore à l'ordinaire des recherches ethnographiques, le problème des femmes en Islam, en revanche, agitait déjà les esprits. Le travail de Germaine Laoust-Chantréaux intervient en effet à un moment où l'on polémiquait fort, en Algérie coloniale, sur la question de savoir lesquelles, des femmes kabyles ou des femmes arabes, étaient les plus défavorisées par leur statut. Sans prendre nettement position dans ce débat, l'auteur lui apporte plusieurs contributions notables. Germaine LaoustChantréaux souligne en effet le rôle primordial joué par les femmes dans la vie économique et sociale kabyle, rôle qui contredit, selon elle, les jugements d'infériorité souvent portés, de l'extérieur, à leur endroit. Si, précise-t-elle cependant, la société kabyle maintient parfois encore la femme dans une position de mineure, c'est plus en dépit qu'à cause de l'islam, parce que les dispositions du droit musulman (notamment en matière d'héritage) n'y sont pas respectées. En fait, en 1939, dans la majorité des cas et malgré certaines apparences, ce sont les femmes qui dominent à Ait Hichem. Et si elles dominent, c'est parce qu'elles demeurent au village alors que les hommes sont de plus en plus nombreux à partir ailleurs chercher du travail ; c'est aussi parce que l'influence féminine s'exerce dans un sens essentiellement conservateur : face aux hommes acculturés ou, plus banalement, déculturés par leur exil, en tout cas vecteurs d'importants bouleversements, les femmes apparaissent comme les gar diennes incontestables de la tradition, de la cohésion familiale et de l'identité collective. Fina lement, cet exode des travailleurs, qui n'en était alors qu'à son « premier âge » mais touchait 206 Comptes rendus déjà une grande partie de la population masculine, coupait celle-ci de la société féminine restée sur place beaucoup plus sûrement encore que la traditionnelle opposition des sexes. Les quelques rides de l'ouvrage, tardivement mais heureusement publié, de Germaine Laoust-Chantréaux n'affectent donc en rien sa valeur documentaire et de témoignage sur une époque désormais révolue de la société et de l'ethnographie kabyles. Jean-Pierre Digard CNRS, UPR 252, Ivry 1. Ch.-R. Ageron, Les Algériens et la France, Paris, PUF, 1968 : 541. 2. Signalons ici un album abondamment illustré — et tout aussi sérieux que luxueux — , paru presque en même temps et qui vient utilement compléter, pour ce qui concerne la parure, celui de Germaine LaoustChantréaux : Henriette Camps-Fabrer, Bijoux berbères d'Algérie. Grande Kabylie-Aurès, Aix-enProvence, Édisud, 1990, 145 p., bibl., lexique, ill. Wendy JAMES & Douglas H. JOHNSON, eds., Vernacular Christianity. Essays in the Social Anthropology of Religion Presented to Godfrey Lienhardt. Oxford, JASO, 1988, XIV+198 p., index, fig., ill., ph. (« JASO Occasional Papers » 7). La publication d'un volume d'hommages à Godfrey Lienhardt ne peut a priori que susciter l'intérêt et la sympathie. Si, à notre sens, l'auteur de Divinity and Experience n'a pas eu en France toute l'audience qu'il méritait, son influence auprès des chercheurs anglo-saxons a été importante. Les contributeurs du volume ont presque tous été étudiants à Oxford ; il est vraisemblable qu'ils ont été, pour nombre d'entre eux, élèves de Godfrey Lienhardt, et il est en tout cas certain que tous ont bénéficié, à un moment ou à un autre, d'un contact personnel avec lui. À ce titre, ce volume donne sans doute une bonne idée du rôle qui a été le sien comme chercheur et comme enseignant. On peut être surpris de l'exiguïté du thème autour duquel les contributions ont été regroupées, mais les éditeurs la justifient de deux manières. D'une part Godfrey Lienhardt s'est intéressé aux Dinka convertis au christianisme. De l'autre est rappelée sa formule : « Religious knowledge and practice are ways in which men apprehend some truths, and adjust themselves to their condition in the light of that apprehension » (p. 2). Il était certes inté ressant de mettre celle-ci à l'épreuve en faisant varier les « conditions », les « vérités » restant les mêmes. Mais, même ainsi justifié, ce choix a automatiquement exclu du volume plusieurs jeunes et brillants étudiants de Godfrey Lienhardt dont les travaux ne faisaient aucune place à des croyances chrétiennes, et on peut le regretter ; de plus, il nous semble qu'il donne une vision un peu étriquée de l'apport de Godfrey Lienhardt, qui est malheureusement celle qu'en ont souvent les anthropologues anglo-saxons. On oublie trop que Divinity and Experience reste, malgré son sous-titre, The Religion of the Dinka, un exemple de monographie exhaustive où l'auteur, décrivant admirablement la société dinka comme un tout, a rendu raison dans un même mouvement de la morphologie sociale, de la vie matérielle et de la relation aux êtres surnaturels. Dans cette démarche, la référence à Durkheim, quoique rarement aperçue, est évidente et parfois presque explicite ; elle est vivifiée et débarrassée de toute lourdeur et de tout dogmatisme par la magie du style et une finesse ethnographique hors pair. On