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Travailleurs détachés: à peine lancée, la réforme est déjà mal partie
Ludovic Lamant
1,992 words
18 May 2016
Mediapart
MEDAP
French
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Onze États membres de l'UE, presque tous de l'Est, viennent de dire tout le mal qu’ils pensent du projet de
réforme du détachement des travailleurs. La commission pourrait revoir sa copie, dans ce dossier décisif
pour en finir avec le dumping social en Europe. Paris et ses alliés vont-ils oser aller à la confrontation ?
De notre envoyé spécial à Bruxelles.– La réunion a été convoquée à la dernière minute. La ministre du travail
française, Myriam El Khomri, se déplace ce jeudi 19 mai à Vienne pour une discussion informelle avec une
dizaine de ses homologues, afin d’aborder l’un de ces casse-tête sur lesquels se joue l’avenir de l’Union :
l’encadrement des travailleurs détachés. Ce sera sans doute l’occasion, pour les ministres présents, de
mesurer l’ampleur des désaccords au sein des 28 et de tenter d’élaborer une sortie de crise, après le «
carton jaune » dégainé début mai par onze États membres de l’Union. « On savait que cela n’allait pas être
une balade de santé », a réagi, le 13 mai, la commissaire européenne aux affaires sociales, la Belge
Marianne Thyssen. « Pour certains États, nos propositions ne vont pas assez loin. Pour d’autres, elles vont
trop loin », a-t-elle résumé avec une certaine dose de diplomatie. Cette figure des chrétiens démocrates, qui
sera présente à Vienne jeudi, a dévoilé en mars une proposition de révision de l’encadrement des travailleurs
détachés.
Son texte vise à améliorer la rémunération des détachés, pour qu’elle soit équivalente à celle des travailleurs
locaux, afin de freiner le « dumping social ». « À poste identique, dans un même endroit, salaire identique »,
avait promis Jean-Claude Juncker, le patron de la commission européenne, dans son discours sur l’état de
l’Union, en septembre 2015. Jusqu’à présent, la seule règle salariale qui pèse pour les employeurs sur les
détachés, c’est que ces derniers doivent toucher au moins le salaire minimum du pays d’accueil.À peine
rendue publique, la proposition Thyssen a déclenché l’ire de nombre de capitales, en particulier de tout le
bloc de l'Est. Ceux qu’on appelle le groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie)
et leurs alliés de circonstance (dont la Croatie, la Bulgarie, etc, mais aussi, bizarrement, le Danemark), jugent
officiellement que ce texte ne respecte pas le sacro-saint principe de « subsidiarité ». C’est-à-dire qu’il
empiète, à leurs yeux, sur les compétences des États-nations. Dans les faits, ils redoutent surtout de perdre
un « avantage compétitif » pour leurs travailleurs… Leurs parlements nationaux se sont emparés du dossier.
Ils ont fait jouer une procédure inconnue du grand public, dite du « carton jaune », prévue par le traité de
Lisbonne (et utilisée seulement deux fois par le passé), qui donne un droit de regard aux parlements
nationaux sur certaines décisions bruxelloises. Avec ce « carton », ils ont forcé l’exécutif de Bruxelles à revoir
sa copie.[Un élément multimedia s'affiche ici, dans ce même article en ligne sur Mediapart.fr.]
La commission a désormais trois options devant elle. Elle peut jeter le texte à la poubelle, tout simplement :
c’est l’option la moins probable, à moins de faire une croix sur l’Europe sociale pour le reste du mandat. Elle
peut aussi le maintenir à l’identique, et tenter de passer en force, en misant sur les vertus du débat au
parlement européen (prévu pour l’automne). Elle peut enfin amender – plus ou moins – sa copie. En l’état,
Marianne Thyssen n’a presque rien dit de ses intentions. « Je ne dois pas suivre [les États] qui crient le plus
fort, je dois être objective », s’est-elle contentée de dire au quotidien belge L’Écho. Elle sait le sujet explosif,
et va sans doute prendre son temps avant de trancher. C’est que l’Europe est déjà dans un état limite,
bousculé par des crises en tout genre (réfugiés, Brexit, zone euro, retour des nationalismes, etc.). Le dossier
des travailleurs détachés, si cher au Front national et à d’autres formations anti-UE, pourrait, à lui seul, ouvrir
un nouveau front Est-Ouest qui pourrait achever le projet européen. « Ce “carton jaune” n’est absolument
pas une surprise. La révision des détachés, c’est le texte fondamental de cette législature. On ne découvre
pas que l’affaire est compliquée », réagit ÉlisabethMorin-Chartier, jointe par Mediapart. Cette eurodéputée
LR (membre du groupe PPE à Strasbourg, le premier de l’hémicycle) a été désignée co-rapporteure du texte
pour l'examen à venir au parlement européen. « Ce “carton” est un très mauvais signal, évidemment, pour la
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suite des débats. Mais ce n’est pas étonnant : c’est la réalité très concrète de la division de l’Europe sur ce
sujet », renchérit un autre eurodéputé, socialiste celui-là, Guillaume Balas, qui suit de près ces questions. À
Vienne jeudi, la majorité des présents soutient la proposition de la commissaire, mais la République tchèque,
qui s’y est opposée, devait également participer au débat.De l’avis quasi général, la directive en place, qui
date de 1996, est caduque. Elle visait en priorité à lutter contre le dumping social provoqué par l’arrivée de
travailleurs espagnols, portugais ou grecs, dans les pays d’Europe du Nord. Mais l’élargissement à l’Est, à
partir de 2004, a tout changé, et les abus se sont multipliés. « À l’époque, nous n’étions que 15 États
membres, et les écarts de salaires allaient de 1 à 3. Aujourd’hui, à 28, ces écarts vont de un à dix. Il faut
adapter la législation », juge Morin-Chartier.
Des aménagements ont été apportés au texte de 1996 dans une « directive d’application » conclue, dans la
plus grande difficulté, en 2014 (lire notre analyse). À l’époque, la commission Barroso n’avait pas osé
engager une révision en bonne et due forme du texte de 1996, sachant le sujet houleux. Cette fois, Juncker
en a fait l’une des priorités de son mandat. Mais dans l’esprit des pays d’Europe de l’Est, il faudrait plutôt
attendre de mesurer les effets de la transposition de la directive de 2014 au cours des années à venir, avant
d’enclencher tout nouveau chantier. Sur le papier, l’affaire est donc très mal engagée.
Le patronat européen pour l'abandon du texte
Le détachement ne concerne qu’une toute petite minorité des travailleurs sur le continent. Un peu moins de
deux millions d’entre eux, soit 0,7 % de la main-d’œuvre totale, si l'on en croit Eurostat. Mais cette population
est en forte augmentation chaque année. Et surtout, elle se concentre dans certains secteurs sensibles dont,
bien sûr, le BTP. Contrairement à certaines idées reçues, la France n’est pas seulement l’un des trois pays
de l’UE qui reçoivent le plus de « détachés » : elle est aussi l’un des trois qui en envoient le plus à l’étranger.
Et si l’on rapporte à la taille du marché du travail national, ce sont la Belgique, le Luxembourg et l’Autriche qui
sont les trois pays les plus touchés par le phénomène.[Un élément multimedia s'affiche ici, dans ce même
article en ligne sur Mediapart.fr.]Pour la commission, il n’est bien sûr pas question d’en finir avec le statut de
détaché : c’est l’un des piliers du « marché unique » et donc du projet européen. Le détaché garantit la « libre
prestation des services ». Dans les faits, il profite d’un noyau dur de droits et de lois en vigueur dans le pays
d’accueil (temps de travail, congés pays, normes de sécurité, etc.). Mais les cotisations de sécurité sociale,
elles, sont versées par l’employeur au pays d’origine. Pour nombre d’entreprises, c’est une manière
d’économiser, en toute légalité. Sur les salaires comme sur les cotisations sociales. On se souvient du cas
emblématique du chantier de l’EPR de Flamanville, en France, où Bouygues avait été accusé de payer moitié
moins des travailleurs détachés polonais, que des salariés français. Les Polonais en question étaient
envoyés par une filiale d’une agence d’intérim irlandaise, basée… à Chypre.
« Nous sommes dans un moment de vérité. Si la commission retire le texte, c’est un désastre absolu », juge
le socialiste Balas, qui plaide pour le maintien tel quel du texte : « Il y a des choses qui vont dans le bon sens
dans la proposition Thyssen, même si ce n’est pas la révolution non plus. » La proposition de la commission,
en particulier, s’attaque au volet des rémunérations, mais ne dit rien sur un autre enjeu clé, celui des
cotisations sociales : les travailleurs détachés resteront assujettis à leur pays d’origine en ce qui concerne la
sécurité sociale.
Quoi qu'il en soit, pour Balas, c’est à Paris de monter au créneau : « On est au pied du mur. Si la France est
à l’avant-garde sur le détachement comme elle prétend l'être, il faut qu’elle joue un rôle moteur. Elle doit
accepter la confrontation », estime-t-il. À ce stade, la ministre El Khomri a été absorbée par les débats sur
« sa » loi travail (dont l’un des articles, le 45, prévoit le renforcement des contrôles pour détecter certains
abus liés au détachement dans les chaînes de sous-traitants). Sa stratégie européenne semble, jusqu’à
présent, bégayante. La perte d’influence de Paris dans les grands dossiers européens ne va pas lui faciliter
les choses. Des élus comme le communiste Patrick Le Hyaric ou le libéral Dominique Riquet (UDI-Modem)
espèrent eux aussi que la commissaire ne fera pas marche arrière. ÉlisabethMorin-Chartier (LR), de son
côté, préfère insister sur le fait que ce « carton jaune » n’aura pas d’impact sur le processus parallèle qui
s’engage côté parlement. Le débat y sera sans doute très musclé. En 2014 déjà, les grands groupes de
l’hémicycle, PPE (droite) et S&D (sociaux-démocrates), s’étaient fortement divisés, selon la même ligne de
fracture Est-Ouest. Ce sera l’un des enjeux des discussions à venir, de réussir à dépasser ce clivage… Sans
surprise, la Confédération européenne des syndicats (CES, qui regroupe les syndicats majoritaires de l’UE)
exhorte elle aussi Juncker et Thyssen à maintenir leur proposition : « En Europe, tous les syndicats, y
compris ceux des pays dont les parlements ont défendu la procédure du carton jaune, soutiennent
vigoureusement la révision de la directive sur le détachement des travailleurs », a déclaré son secrétaire
général.À l’inverse, Business Europe, le représentant du patronat européen à Bruxelles (dont le Medef),
plaide pour le retrait du texte : « Modifier la législation renforcerait encore l’incertitude pour l’activité
économique en Europe. Cela creuserait une nouvelle ligne de division au sein des États membres de l’UE. Il
faut mettre l’accent sur la lutte contre les pratiques illégales, à travers l’application des règles existantes »,
juge le patron du lobby patronal. Autre acteur clé dans le débat, le bureau des caisses de sécurité à
Bruxelles, lui, n'est pas contre la modification du projet initial, si cela permet d'intégrer des éléments
d'harmonisation avec le droit de la sécurité sociale. Dans ce contexte très sensible, il y a peu de chances que
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la commission fasse connaître sa décision d’ici à l’été, et la tenue du référendum britannique sur
l’appartenance à l’UE, le 23 juin.
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Voir aussi article : Travailleurs détachés: la fin du «dumping social» n'est pas pour demain, sur mediapart.fr"
Voir aussi article : Pourquoi l'Union peine à lutter contre le « dumping social », sur mediapart.fr"
Voir aussi article : Les travailleurs européens low cost des chantiers français, sur mediapart.fr"
Voir aussi article : En Allemagne, le vent tourne pour la « mafia du cochon » , sur mediapart.fr"
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