EYB 2014-244176 – Résumé Cour supérieure Paul Albert Chevrolet

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EYB 2014-244176 – Résumé Cour supérieure Paul Albert Chevrolet
EYB 2014-244176 – Résumé
Cour supérieure
Paul Albert Chevrolet Buick Cadillac Inc. c. Savard
150-17-002408-133 (approx. 11 page(s))
22 octobre 2014
Décideur(s)
Lavoie, Manon
Type d'action
REQUÊTE pour outrage au tribunal. ACCUEILLIE.
Indexation
PROCÉDURE CIVILE; OUTRAGE AU TRIBUNAL; DÉSOBÉISSANCE À UNE
INJONCTION; TRAVAIL; CODE DU TRAVAIL; LOCK-OUT; conflit de travail;
concessionnaires automobiles du Saguenay-Lac-Saint-Jean; contraventions à
l'ordonnance d'injonction rendue par le juge Lachance le 25 mars 2013;
intimidation d'un représentant des demanderesses; poursuites automobiles;
preuve hors de tout doute raisonnable de l'actus reus; simple désir du défendeur
d'identifier les individus agissant en sous-traitance et les clients se faisant livrer
des pièces; preuve de la mens reafaite hors de tout doute raisonnable;
insouciance grossière du défendeur lors de la première poursuite; intention claire
du défendeur d'intimider le représentant de son employeur lors de sa deuxième
poursuite; défendeur trouvé coupable d'outrage au tribunal
Résumé
Le tribunal est saisi d'une autre requête pour outrage au tribunal dans le dossier
impliquant les 25 concessionnaires automobiles du Saguenay-Lac-Saint-Jean,
dont les salariés syndiqués sont en lock-out depuis le 4 mars 2013. Les
demanderesses allèguent que Denis Savard, qui est un mécanicien de la
demanderesse Automobiles du Royaume ltée, a contrevenu à l'ordonnance
d'injonction rendue par le juge Lachance le 25 mars 2013, et ce, à deux reprises.
Ils expliquent que, les 18 avril et 2 mai 2013, il a intimidé un représentant des
demanderesses en le suivant avec son véhicule automobile. Le défendeur plaide
non coupable. Il admet avoir suivi, aux deux dates indiquées, M. Olivier Blouin, le
directeur des opérations au service après-vente de son employeur, mais il
précise qu'il n'avait pas l'intention de l'intimider. Il voulait simplement identifier,
d'une part, les individus qui agissaient en sous-traitance dans le cadre du lockout et, d'autre part, les clients qui se faisaient livrer des pièces.
La partie demanderesse s'est acquittée de son premier fardeau, qui est de
démontrer hors de tout doute raisonnable l'existence, à la date de l'infraction
alléguée, d'une ordonnance claire et connue du défendeur. En effet, la clarté de
l'ordonnance prononcée par le juge Lachance n'est pas remise en cause. De
plus, il est admis que cette ordonnance a fait l'objet d'une communication
complète et suffisante aux syndiqués, incluant le défendeur. La partie
demanderesse a également démontré hors de tout doute raisonnable que le
défendeur n'avait pas respecté la partie de cette ordonnance qui enjoint à tous
les salariés des demanderesses de cesser et de s'abstenir d'intimider les
représentants des demanderesses (l'actus reus). C'est en fonction de la norme
de la personne raisonnable qu'il faut analyser si les gestes reprochés au
défendeur constituent de l'intimidation. Ce dernier a admis que, le 18 avril 2013,
lorsqu'il a vu M. Blouin quitter la propriété de l'employeur dans sa voiture, il l'a
suivi à bord de son propre véhicule. L'agent de sécurité appelé en renfort par M.
Blouin l'a d'ailleurs confirmé. Cet agent a suivi le véhicule du défendeur et il a
filmé la scène. Il a communiqué par téléphone avec M. Blouin pour l'informer qu'il
était derrière son poursuivant et lui dire quel chemin emprunter pour s'assurer
qu'il était bien suivi. Il lui a fait faire deux boucles. Au terme de la deuxième
boucle, le défendeur a abandonné sa poursuite. M. Blouin a clairement été
intimidé par cette poursuite. C'était la première fois que des employés quittaient
la ligne de piquetage le matin pour attendre dans un véhicule et le suivre ensuite.
Il a eu peur jusqu'à ce qu'il reçoive l'appel de l'agent lui disant qu'il suivait le
défendeur. Il a témoigné que la poursuite, qui a duré quatre minutes, lui avait
paru s'éterniser pendant tout l'avant-midi. Cela faisait alors un mois et demi que
le lock-out avait été déclenché. Cette poursuite pouvait sans conteste être
intimidante. La poursuite du 2 mai, quant à elle, est difficilement explicable. Il
s'agissait de la deuxième poursuite en deux semaines et le tribunal s'interroge
sérieusement sur le but ultime du défendeur. En effet, M. Blouin explique que, ce
matin-là, il s'était rendu dans le stationnement d'un centre commercial pour
réparer la crevaison d'un pneu de la voiture appartenant à l'agente de sécurité
Dion. Il a observé le véhicule du défendeur derrière lui, qui le suivait. Pendant
qu'il procédait à la réparation, le défendeur a immobilisé son véhicule à
proximité. Il s'est assis sur le capot et il a fixé M. Blouin. Cette preuve faite, il
appartenait au défendeur de présenter les motifs pour lesquels il n'a pas
respecté l'ordonnance. Son explication qu'il souhaitait pouvoir identifier les
individus qui agissaient en sous-traitance et les clients qui se faisaient livrer des
pièces paraît crédible. Cependant, le tribunal est d'avis que le conflit de travail
opposant les parties ne permet pas de justifier des gestes qui pourraient à la
limite être qualifiés de criminels, car les poursuites automobiles auxquelles il a
participé relevaient de l'intimidation dans les circonstances.
La partie demanderesse a aussi fait la preuve hors de tout doute raisonnable de
l'intention coupable du défendeur (la mens rea). Le tribunal est prêt à admettre
que, le 18 avril, le défendeur n'avait pas l'intention spécifique de poser un geste
prohibé par l'ordonnance du juge Lachance, c'est-à-dire d'intimider M. Blouin. Il
voulait simplement savoir qui faisait le travail des syndiqués pendant le lock-out.
Mais on ne peut pas dire que le défendeur s'est soucié de respecter
l'ordonnance, sinon la lettre, du moins l'esprit dans lequel elle lui a été imposée.
Il avait un but en tête et il ne s'est pas préoccupé de savoir si les moyens
employés pour y parvenir s'inscrivaient en contravention ou non de l'ordonnance
en cause. Pourtant, il aurait dû se douter que, dans les circonstances du conflit
de travail en cours, ce qu'il faisait lui était spécifiquement, sinon implicitement
interdit par le tribunal, l'idée de l'ordonnance étant d'empêcher les syndiqués de
nuire au travail des demanderesses. En cela, le défendeur a été grossièrement
insouciant quant au respect de l'ordonnance en cause. Quant à la poursuite du 2
mai, le défendeur savait ou aurait dû savoir, encore plus cette fois, que son
comportement générerait un sentiment de peur et de crainte chez M. Blouin,
puisque les policiers l'avaient entre-temps avisé des conséquences de même
nature découlant de sa poursuite du 18 avril. Cela ne l'a pas empêché de
récidiver, ce qui en dit long sur son intention, le 2 mai, de contrevenir à
l'ordonnance d'injonction. Que le motif sous-tendant cette deuxième poursuite
soit l'identification de sous-traitants et de clients ne change rien au geste luimême, posé délibérément, en toute connaissance de cause.
Le tribunal déclare donc le défendeur coupable d'outrage au tribunal. Les
représentations sur la peine auront lieu subséquemment.
Paul Albert Chevrolet Buick Cadillac inc. c. Savard
2014 QCCS 5303
COUR SUPÉRIEURE
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE CHICOUTIMI
N° :
150-17-002408-133
DATE : Le 22 octobre 2014
______________________________________________________________________
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE MANON LAVOIE, j.c.s.
______________________________________________________________________
PAUL ALBERT CHEVROLET BUICK CADILLAC INC.,
ET
DUPONT AUTO (2174-1202 QUÉBEC INC.)
ET
ARNOLD CHEVROLET INC.
ET
LÉO AUTOMOBILE INC. (DIVISION AUTO)
ET
KIA HAROLD AUTO
ET
ALMA TOYOTA INC.
ET
AUTOMOBILES DU ROYAUME LTÉE
ET
AUTOMOBILES PERRON CHICOUTIMI INC.
ET
CHICOUTIMI CHRYSLER DODGE JEEP INC.
ET
AUTOMOBILE CHICOUTIMI (1986) INC. (L’AMI JUNIOR)
ET
EXCELLENCE NISSAN (L’AMI JUNIOR NISSAN)
ET
L’ÉTOILE DODGE CHRYSLER INC.
ET
JL4437
ROCOTO LTÉE
ET
AUTOMOBILES DU FJORD (VOLVO DU FJORD)
ET
DOLBEAU AUTOMOBILES LTÉE
ET
L.D. AUTO DOLBEAU
ET
L.D. AUTO (1986) INC.
ET
L.G. AUTOMOBILES LTÉE FORD
ET
MISTASSINI DODGE CHRYSLER LTÉE (LA MAISON DE L’AUTO DOLBEAUMISTASSINI)
ET
LE MAISON MAZDA ENR.
ET
MAISON MITSUBISHI
ET
MAISON DE L’AUTO ROBERVAL
ET
LA MAISON DE L’AUTO ST-FÉLICIEN (1983) LTÉE
ET
PAUL DUMAS CHEVROLET LTÉE
ET
ROBERVAL PONTIAC BUICK INC.
ET
ST-FÉLICIEN TOYATA
Demanderesses
c.
DENIS SAVARD, domicilié et résidant au […], Jonquière, province de Québec, […]
Défendeur
______________________________________________________________________
JUGEMENT
______________________________________________________________________
[1]
La requête des demanderesses, plus particulièrement Automobiles du
Royaume ltée, s'inscrit dans le cadre du lock-out décrété le 4 mars 2013 par plus
de 25 concessionnaires automobiles de la région du Saguenay et à l'occasion
duquel plusieurs ordonnances d'injonction et de sauvegarde ont déjà été
prononcées1.
[2]
Le 17 juin 2013, monsieur Denis Savard est cité à comparaître pour
entendre la preuve des faits qui lui sont reprochés, soit d'avoir intimidé un
représentant des demanderesses, et faire valoir les moyens de défense qu'il peut
avoir pour éviter une condamnation pour outrage au tribunal, le tout à la suite de
la requête déposée par les demanderesses. Monsieur Denis Savard plaide non
coupable à l'accusation d'outrage au tribunal.
[3]
Le 19 septembre 2014 s’est tenue l'audience sur le verdict relativement à
l'accusation portée contre lui.
LE CONTEXTE ET LA PREUVE RETENUE
[4]
Les demanderesses sont des personnes morales exploitant des
entreprises de vente et de réparation de véhicules automobiles dans la région du
Saguenay.
[5]
Le défendeur, monsieur Denis Savard, est mécanicien chez Automobiles
du Royaume ltée depuis juin 2003. À l'instar de tous les employés syndiqués des
demanderesses, il est en lock-out depuis le 4 mars 2013.
[6]
Le 25 mars 2013, le juge Carl Lachance, j.c.s., ordonne à tous les salariés
des demanderesses de cesser et de s'abstenir, notamment, d'intimider,
menacer, entraver ou autrement nuire ou tenter de nuire, directement ou
indirectement, à la libre circulation et au travail des demanderesses ainsi qu'à
celles de leurs différents clients, consultants, fournisseurs et gardiens, ou toute
autre personne désirant entrer ou sortir des établissements desdites
demanderesses ou d'y exécuter librement leurs travaux ou activités.
Les événements du 18 avril 2013
[7]
Le 18 avril 2013, vers 8h30, monsieur Olivier Blouin, directeur des
opérations au service après-vente d'Automobiles du Royaume ltée, se rend dans
le stationnement derrière le garage pour mettre des pneus dans le véhicule d'une
cliente. Ceux-ci sont entreposés dans une remise.
[8]
Il aperçoit alors madame Nancy Girard, une autre gréviste, qui prend des
photographies de lui alors qu’il se rend à l’extérieur du garage pour aller chercher
les pneus. Madame Girard le filme d’un côté et de l’autre du stationnement, soit
lorsqu’il met les pneus dans le coffre du véhicule et lorsqu’il amène le véhicule
de l’autre côté du garage. Voyant qu’il a été pris en photo ou filmé plus
intensément qu’auparavant, il décide alors de téléphoner à un agent de la
compagnie Garda afin qu’il l’escorte sur la route.
[9]
Toutefois, comme il doit aller rejoindre son patron, il ne peut attendre
l’arrivée de l’agent. Il quitte alors le stationnement du concessionnaire après
avoir remarqué préalablement que deux employés, soit madame Girard et le
1
Paul Albert Chevrolet Buick Cadillac inc. et als c. Mario Auclair, C.S. Chicoutimi, no 150-17002408-133, 3 avril 2014, j. Bergeron. et Paul Albert Chevrolet Buick Cadillac inc. et als c.
Simon Tremblay, C.S. Chicoutimi, no 150-17-002408-133, 8 janvier 2014, j. Bergeron.
défendeur Denis Savard, semblent l’attendre dans le véhicule de ce dernier dans
le stationnement utilisé par les grévistes devant le garage.
[10] Après s’être engagé sur la route, il aperçoit alors le véhicule de monsieur
Savard, soit une Nissan Quest, de couleur gris, immatriculée Z15 DRT, qui le
suit. Il identifie ce dernier comme étant le conducteur, lequel est accompagné de
madame Girard.
[11] Monsieur Michaël Lapointe, qui a une formation en technique policière et
qui travaille pour Garda depuis août 2012, assiste à la scène, qu'il filme
d'ailleurs, puisqu'il arrive immédiatement après le départ de monsieur Blouin. Il
s’engage ainsi derrière eux afin d’escorter monsieur Blouin.
[12] Les véhicules roulent sur environ 15 kilomètres, à une vitesse variant
entre 25 à 30 km/h, à une distance de deux ou trois véhicules, jusqu'à ce que
monsieur Blouin entre dans un quartier résidentiel et fasse deux boucles.
Monsieur Savard et madame Girard abandonnent alors leur poursuite.
[13] Les demanderesses voient en ces agissements de monsieur Denis
Savard, le 18 avril 2013, une contravention directe à l'ordonnance d'injonction
interlocutoire émise le 25 mars 2013.
Les événements du 2 mai 2013
[14] Le matin du 2 mai 2013, vers 8h12, monsieur Blouin se rend dans le
stationnement du magasin Costco pour réparer la crevaison d'un pneu de la
voiture appartenant à l'agente de sécurité, madame Julie Dion. Il observe alors
un véhicule de marque Nissan Quest de couleur gris derrière lui, qui le suit. Il
s'agit du véhicule conduit par monsieur Denis Savard.
[15] Pendant qu'il procède à la réparation, monsieur Blouin constate que le
défendeur Denis Savard a immobilisé sa voiture à proximité, s'est assis sur le
capot de celle-ci et le fixe.
[16]
Madame Julie Dion est témoin.
[17] Les demanderesses voient également en ces agissements de monsieur
Denis Savard, le 2 mai 2013, une contravention directe à l'ordonnance
d'injonction interlocutoire émise le 25 mars 2013.
LA POSITION DES PARTIES
[18] Les demanderesses reprochent en effet à Denis Savard d’avoir à deux (2)
reprises, soit les 18 avril 2013 et 2 mai 2013, intimidé monsieur Olivier Blouin,
directeur des opérations au service après-vente d'Automobiles du Royaume ltée,
en le suivant en automobile.
[19] Pour sa part, le défendeur Denis Savard, bien qu'il admette avoir suivi
monsieur Blouin, prétend toutefois ne pas avoir eu l'intention ce faisant de
l'intimider. Il voulait simplement, dit-il, identifier d'une part les individus qui
agissaient en sous-traitance dans le cadre du lock-out et d'autre part, les clients
qui se faisaient livrer des pièces.
LES PRINCIPES APPLICABLES
[20] L’outrage au tribunal est une infraction contre l’administration de la justice
qui permet aux tribunaux de faire observer leurs procédures et de maintenir leur
dignité2.
[21] Elle a pour but de sauvegarder la confiance du public dans l’administration
de la justice3 et d'assurer la primauté du droit, fondement de notre société, sur
l'arbitraire, l'ordre social sur le chaos.
[22] L'outrage au tribunal est régi par les articles 50 et suivants du Code de
procédure civile:
50. Est coupable d'outrage au tribunal celui qui contrevient à une
ordonnance ou à une injonction du tribunal ou d'un de ses juges, ou qui
agit de manière, soit à entraver le cours normal de l'administration de la
justice, soit à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité du tribunal.
En particulier, est coupable d'outrage au tribunal l'officier de justice qui
manque à son devoir, y compris le shérif ou huissier qui n'exécute pas un
bref sans retard ou n'en fait pas rapport ou enfreint, en l'exécutant, une
règle dont la violation le rend passible de sanction.
[ soulignements ajoutés ]
[23] Une condamnation pour outrage au tribunal peut emporter une peine
d'emprisonnement. Voici ce que prévoit l'article 761 C.p.c. en cas de
transgression d'une ordonnance d'injonction:
761. Toute personne nommée ou désignée dans une ordonnance
d'injonction, qui la transgresse ou refuse d'y obéir, de même que toute
personne non désignée qui y contrevient sciemment, se rendent
coupables d'outrage au tribunal et peuvent être condamnées à une
amende n'excédant pas 50 000 $, avec ou sans emprisonnement pour
une durée d'au plus un an, et sans préjudice à tous recours en
dommages-intérêts. Ces pénalités peuvent être infligées derechef jusqu'à
ce que le contrevenant se soit conformé à l'injonction.
[24] Il s'agit donc d'un régime d'exception, d'une institution exorbitante du droit
judiciaire privé et, en cela, d'une procédure de nature quasi pénale qui doit être
respectée rigoureusement. En ce domaine, la procédure est strictissimi juris4, ce
qui ne signifie toutefois pas que « la Cour doi[ve] tolérer la violation de ces
ordonnances ou qu'elle doi[ve] permettre à une partie de faire fi à une injonction
au nom d'un formalisme artificiel et excessif »5.
2
3
4
5
United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901.
Paul-Arthur GENDREAU et als, L'injonction, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 350;
Adrian POPOVICI, L’outrage au Tribunal, Montréal, Les Éditions Thémis, 1977, p. 98 et 99.
P.-A. GENDREAU et als, préc., note 3, p. 360; Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits
Électroniques inc., [1987] R.J.Q. 1246 (C.A.), paragr. 23 et ss.
Procom Immobilier inc. c. Commission des valeurs mobilières du Québec, [1992] R.D.J 561
(C.A.).
[25] La preuve des éléments de l'outrage ne doit laisser place à aucun doute
raisonnable (art. 53.1 C.p.c.). Ainsi la partie poursuivante doit-elle établir, hors de
tout doute raisonnable, que l'ordonnance dont elle allègue la violation est claire
et sans ambiguïté, que la partie défenderesse connaissait les termes de
l'ordonnance, qu'elle a posé les gestes que l'ordonnance lui défendait de poser
(actus reus) et qu'elle a intentionnellement contrevenu à l'ordonnance (mens
rea), c’est-à-dire qu'elle a sciemment et délibérément posé un geste en
contravention de l'ordonnance du tribunal:
47. In a case of civil contempt the following elements must be establish
beyond a reasonable doubt:
(1) the terms of the order must be clear and unambiguous;
(ii) proper notice must be given to the contemnor of the terms of the
order;
(iii) there must be clear proof that the contemnor intentionally committed
an act which is in fact prohibited be the terms of the order; and;
(iv) mens rea must be proven which, in the context of civil contempt
proceedings, means that while it is not necessary to prove a specific
intent to bring the court into disrepute, flout a court order, or interfere with
the due course of justice, it is essential to prove an intention to knowingly
and wilfully do some act which is contrary to a court order.6
[26]
Tout doute doit bénéficier à la partie défenderesse.
[27] L'analyse de la preuve en contexte d'outrage au tribunal comportera donc
quatre (4) étapes:
a) le demandeur doit démontrer qu'une ordonnance claire et connue du
défendeur est en vigueur;
b) le demandeur doit ensuite démontrer le non-respect de l'ordonnance
par le défendeur, soit l'actus reus;
c) il y a alors renversement du fardeau de preuve sur les épaules du
défendeur qui doit présenter les motifs pour lesquels il n'a pas
respecté l'ordonnance [ce fardeau se limite à celui de la présentation
des motifs];
d) en dernier lieu, le fardeau revient sur le demandeur qui doit démontrer
que le défendeur avait l'intention de ne pas respecter l'ordonnance ou
qu'il a été grossièrement insouciant quant à son respect, la mens
rea;7
L'ANALYSE ET LA DÉCISION
a) La portée et la connaissance de l'ordonnance
6
7
Droit de la famille-122875, 2012 QCCA 1855.
Centre de santé et de services sociaux de St-Jérôme c. Syndicat des professionnelles en
soins de St-Jérôme (FIQ), 2012 QCCS 310, par. 22. Voir également: Daigle c. St-Gabriel-deBrandon, [1991] R.D.J. 249 (C.A.).
[28] La clarté de l'ordonnance émise par le juge Carl Lachance, j.c.s., n'est pas
remise en cause par les parties.
[29] Il est également admis qu'elle a fait l’objet d’une communication complète
et suffisante aux syndiqués, dont monsieur Denis Savard.
b) Le non-respect de l'ordonnance par le défendeur (actus reus)
[30] Les 18 avril 2013 et 2 mai 2013, monsieur Denis Savard a-t-il, en le
poursuivant en automobile, intimidé monsieur Olivier Blouin, acte interdit par
l'ordonnance en cause? Telle est la question à cette étape de l'analyse de la
preuve.
[31]
Le Dictionnaire de droit québécois et canadien définit ainsi l'intimidation8:
Infraction par laquelle une personne, dans le but de forcer
illégalement une autre personne à poser des actes ou
s'abstenir de le faire, use notamment de violence envers elle ou
envers sa famille, endommage ses biens, la suit avec
persistance d'un endroit à un autre ou cerne sa résidence ou le
lieu de son travail.
[32]
À cette définition doit s'ajouter une analyse contextuelle.
[33] En effet, selon les autorités consultées, les gestes en cause relèveront de
l'intimidation si une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances
et possédant les mêmes attributs que la victime, ressentait également de la
crainte:
[78]
Une analyse plus objective apparaît nécessaire pour éviter un
débat de perceptions. Cependant, les circonstances dans lesquelles se
trouve la personne faisant l’objet d’intimidation doivent aussi être prises
en compte. Le critère serait donc celui de la personne raisonnable,
placée dans les mêmes circonstances et possédant les mêmes attributs,
critère d’appréciation retenu par les tribunaux dans les cas de
discrimination et de harcèlement (Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et
de l’Immigration), 1999 CanLII 675 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 497; Centre
hospitalier régional de Trois-Rivières (Pavillon Saint-Joseph) c. Syndicat
professionnel des infirmières et infirmiers de Trois-Rivières, AZ50350462, F. Hamelin, arbitre).
[79
En résumé, l’intimidation consiste donc en une contrainte ou une
pression, qui peut revêtir diverses formes, tels gestes, paroles,
comportement, et qui crée un sentiment de crainte chez une personne.
L’appréciation de cette crainte doit se faire selon le point de vue de la
9
personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances.
[Nos soulignements]
[34] Ainsi a-t-on déjà qualifié d'intimidation le fait de prendre en chasse un
camion à la sortie d'une usine et de provoquer son immobilisation sur l'autoroute
8
9
Hubert REID, Dictionnaire de droit québécois et canadien, Montréal, Wilson & Lafleur, 2010,
au mot « intimidation ».
L’Union internationale des employés de service, local 740 c. Odorico-Beaupré, 2008 QCCRT
114.
par des manoeuvres inconsidérées et agressives, menaçant la vie et la sécurité
des passagers10; la poursuite automobile systématique des ambulances qui
quittent pour répondre aux appels dans le but ultime d'amener les ambulanciers
à abandonner leur travail11; le fait, dans un contexte de conflit de travail, de filmer
son employeur à quelques centimètres de la fenêtre de son véhicule, de le
poursuivre avec persistance et de l'épier dans ses déplacements12; de même
que la simple présence de plusieurs hommes imposants dans le stationnement à
la fin d'un quart de travail13.
[35] D'ailleurs, en matière criminelle et pénale, il est bien établi que des gestes
à première vue non menaçants, non intimidants, c’est-à-dire à la lumière de la
norme objective de la personne raisonnable, pourront néanmoins constituer des
menaces ou de l'intimidation dépendamment du contexte dans lequel ils ont été
posés, de la manière dont ils ont été posés et de la situation dans laquelle se
trouvait le destinataire14.
[36] Monsieur Denis Savard admet en l'espèce avoir effectivement suivi
monsieur Blouin en automobile les 18 avril 2013 et 2 mai 2013.
[37] L'agent de la compagnie Garda, monsieur Michaël Lapointe, qui a escorté
monsieur Blouin lors de la poursuite du 18 avril 2013, a d'ailleurs filmé cette
scène.
[38] Monsieur Blouin a clairement été intimidé par l'une et l'autre de ces
poursuites automobiles. Il en témoignera de même que monsieur Lapointe, pour
la poursuite du 18 avril 2013, et madame Julie Dion, pour les événements du 2
mai 2013. Il était nerveux et tremblait.
[39] Si en soi le fait d'être suivi par un véhicule, à une vitesse normale, à une
distance acceptable, sans manoeuvre dangereuse, ne constitue pas de
l'intimidation, le contexte dans lequel ces poursuites interviennent et le
déroulement des événements sont toutefois de nature à créer un sentiment de
crainte chez une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances et
possédant les mêmes attributs.
[40] Monsieur Blouin témoigne en effet que le 18 avril 2013 c'est la première
fois que des employés quittent la ligne de piquetage le matin pour attendre dans
un véhicule; il a alors le très fort pressentiment qu'on le suivra. Il n'a jamais vu
madame Girard et monsieur Savard se véhiculer ensemble auparavant.
Personne ne peut l'accompagner. Il téléphone à un agent de sécurité de la
compagnie Garda. Bien que celui-ci ne soit pas encore arrivé, il quitte le
stationnement. Les deux acolytes l’attendent et le suivent immédiatement. Il est
10
11
12
13
14
Compagnie de profilés Reynolds c. Syndicat des travailleurs de la Reynolds de Ste-Thérèse
(CSN), D.T.Q. 91T-615 (C.S.).
Ambulance Saint-Raymond inc. c. Carrière, 2003 CanLII 33239 (C.S.).
Paul Albert Chevrolet Buick Cadillac inc. c. Tremblay, 2014 QCCS 188, j. Bergeron.
2007 QCCRT 0582.
R. c. McCraw, [1991] 3 R.C.S. 72; R. c. Clemente, [1994] 2 R.C.S. 758; Directeur des
poursuites criminelles et pénales c. Bezeau, 2012 QCCQ 2588; Roy c. La Reine, 2006
QCCA 2628; R. c. McRae, 2013 CSC 68.
seul dans son véhicule alors que dans le véhicule qui le suit; ils sont deux. Il
reçoit alors un appel du gardien Lapointe. Ce dernier l’informe qu’il est sur la
route, qu’il a identifié son véhicule et lui indique sa position derrière lui. Ils
conviennent qu’ils resteront constamment en contact. Le gardien lui explique
quelle route il doit emprunter afin qu’il soit en mesure de confirmer l’intention des
employés de le suivre. Il se rendra ainsi dans un quartier résidentiel et effectuera
deux boucles, ce stratagème permet au gardien de confirmer que le véhicule des
employés suit monsieur Blouin. Cette poursuite durera quatre (4) minutes qui lui
ont paru s’éterniser tout l'avant-midi.
[41] Le lock-out est déclenché depuis seulement un mois et demi. Cette
poursuite pouvait sans conteste être intimidante.
[42] La poursuite du 2 mai 2013 est, quant à elle, difficilement explicable. Il
s'agit de la deuxième en deux (2) semaines. Pourquoi le suit-on de nouveau?
Quel est le but ultime du défendeur Savard? Autant de questions qui pouvaient
plonger monsieur Blouin dans la peur.
[43] Dans l’ensemble, les demanderesses ont-elles convaincu le tribunal que
monsieur Denis Savard a intimidé monsieur Olivier Blouin en le poursuivant en
automobile les 18 avril 2013 et 2 mai 2013 et que, ce faisant, il n'a pas respecté
l'ordonnance émise le 25 mars 2013.
[44] Il revenait dès lors à monsieur Savard de présenter les motifs pour
lesquels il n'a pas respecté l'ordonnance.
c) Les motifs du non-respect de l'ordonnance par le défendeur
[45] Monsieur Savard explique avoir suivi monsieur Blouin le matin du 18 avril
2013 afin de pouvoir identifier les individus qui agissaient en sous-traitance dans
le cadre du lock-out. Cette explication paraît crédible.
[46] Quant aux événements du 2 mai 2013, monsieur Savard dit avoir suivi
monsieur Blouin afin de pouvoir identifier les clients qui se faisaient livrer des
pièces.
[47] Le tribunal est néanmoins d'avis que le conflit de travail opposant les
parties ne permet pas de justifier des gestes qui pourraient à la limite être
qualifiés de criminels, car, rappelons-le, les poursuites automobiles auxquelles a
participé le défendeur monsieur Savard relevaient de l'intimidation dans les
circonstances:
73 […] Les tribunaux peuvent intervenir et protéger les intérêts des tiers
ou de l’employeur frappé par le conflit lorsque le piquetage dépasse
les bornes et revêt un caractère délictuel ou criminel. C’est dans ce
sens que les tiers sont protégés contre le préjudice «indu» dans un
conflit de travail. L’existence de délits tels que l’intrusion,
l’intimidation, la nuisance et l’incitation à la rupture de contrat permet
de protéger les droits de propriété et de garantir la liberté d’accès aux
lieux privés.»15
15
S.D.G.M.R. c. Pepsi-Cola, [2002] 1 R.C.S. 156.
d) L'intention du défendeur (mens rea)
[48] Monsieur Denis Savard avait-il l'intention de ne pas respecter
l'ordonnance ou, du moins, a-t-il été grossièrement insouciant quant à son
respect les 18 avril 2013 et 2 mai 2013?
[49] Le tribunal ne croit pas que le 18 avril 2013, monsieur Savard ait eu
l'intention spécifique de poser un geste prohibé par l'ordonnance émise le 25
mars 2013, à savoir d'intimider monsieur Blouin.
[50]
Il voulait simplement savoir qui faisait leur travail pendant le lock-out.
[51] À ce sujet, on ne peut pas dire non plus que monsieur Savard se soit
soucié de respecter l'ordonnance, sinon la lettre, du moins l'esprit dans lequel
elle lui a été imposée. Il n'avait qu'un seul but en tête et il ne s'est pas soucié de
savoir si les moyens employés pour y parvenir s'inscrivaient en contravention ou
non de l'ordonnance en cause.
[52] Pourtant, il aurait dû se douter que, dans les circonstances, en raison du
conflit de travail en cours, ce qu'il faisait lui était spécifiquement ou implicitement
interdit par la Cour, l'idée étant de ne pas nuire au travail des demanderesses.
En cela, monsieur Savard a, le 18 avril 2013, été grossièrement insouciant quant
au respect de l'ordonnance émise le 25 mars 2013.
[53] Quant à la poursuite du 2 mai 2013, monsieur Savard savait ou aurait dû
savoir, encore plus cette fois, que son comportement générerait un sentiment de
peur et de crainte chez monsieur Blouin puisque les policiers l'avaient entretemps avisé des conséquences de même nature découlant de la poursuite du 18
avril 2013. Cela ne l'a toutefois pas empêché de récidiver, ce qui en dit long sur
l'intention de monsieur Savard, le 2 mai 2013, de contrevenir à l'ordonnance
d'injonction, voire d'intimider monsieur Blouin.
[54] Que le motif sous-tendant la poursuite soit l'identification de sous-traitants
ou celle de clients ne change par ailleurs rien au geste lui-même, posé
délibérément, en toute connaissance de cause, après avertissement des
policiers.
[55] En conséquence, le tribunal conclut que monsieur Denis Savard a commis
un outrage au tribunal le 18 avril 2013 et un autre le 2 mai 2013 pour lesquels il
doit être déclaré coupable. Il devra se présenter à nouveau devant le tribunal
pour les représentations sur sentence et, le cas échéant, le prononcé de la
sentence.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[56] CONDAMNE monsieur Denis Savard d’outrage au tribunal pour avoir
contrevenu à l'Ordonnance d'injonction interlocutoire émise le 25 mars 2013, à
savoir; en date du 18 avril 2013, a intimidé un employé de la demanderesse en
le poursuivant en compagnie de madame Nancy Gilbert;
[57] CONDAMNE monsieur Denis Savard d’outrage au tribunal pour avoir
contrevenu à l'Ordonnance d'injonction interlocutoire émise le 25 mars 2013, à
savoir; en date du 2 mai 2013, a intimidé un employé de la demanderesse en le
poursuivant;
[58]
ORDONNE la signification du présent jugement à monsieur Denis
Savard;
[59]
ORDONNE à monsieur Denis Savard de comparaître au palais de justice
de Chicoutimi le 11 février 2015 afin qu'il soit procédé aux représentations sur
sentence et, le cas échéant, pour le prononcé de la sentence.
[60]
LE TOUT avec frais contre le défendeur.
__________________________________
MANON LAVOIE, j.c.s.
Me Karine Dubois
Beauvais Truchon, S.E.N.C.
Procureurs des demanderesses
Me Pascale Racicot
Poudrier Bradet
Procureurs de défendeur
Date d’audience : Le 19 septembre 2014