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III
LE RENOUVEAU SYMPHONIQUE EN FRANCE
au XIXe siècle
III – MUSIQUE ET ARGUMENT
Le poème symphonique
La musique est-elle un art abstrait ou porteur de sens ? Le débat a dû être ouvert très
tôt. En témoignent dès le XVIe siècles, les variations instrumentales sur les chants
d'oiseaux, notamment le coucou, ainsi que les « batailles » vocales (JANEQUIN – La
Guerre, dite aussi La Bataille de Marignan) ou instrumentales, en particulier pour l'orgue.
A la fin du XVIIe siècle une étonnante série de pièces de caractère, tirées d'une Suite
pour viole du gambiste et compositeur Marin MARAIS : le Tableau de l'Opération de la
Taille préfigure curieusement le « poème symphonique dont il va être question.
Au XIXe siècle, les choix se précisent. Bien qu'il ait voulu, comme il le mentionne
essentiellement traduire ses sentiments, BEETHOVEN résiste pas, avec la VIe Symphonie,
dite Symphonie pastorale, à l'envie d'évoquer le murmure du ruisseau, un orage ou d'imiter
le chant « du rossignol, de la caille et du coucou » (ainsi noté dans la partition).
Hector BERLIOZ franchit un grand pas en donnant comme support à sa Symphonie
fantastique un argument, dont la musique épouse les moindres détails. Toutefois, si l'on fait
abstraction de tout l'appareil littéraire, il reste une « symphonie » de forme tout à fait
traditionnelle.
Franz LISZT reprenant l'idée de BERLIOZ crée une forme nouvelle : le poème
symphonique, qu'il dégage de toute contrainte formelle, hormis celle qu'impose l'argument.
C'est le poème symphonique lisztien que SAINT-SAËNS reprend à son compte. Il en a
composé quatre : Le Rouet d'Omphale, La Jeunesse d'Hercule, Phaéton et la Danse
macabre.
La Danse macabre, d'abord composée sous forme d'une mélodie avant d'être
transformée en poème symphonique s'inspire d'une poésie d'Henri CAZALIS, médecin et
poète symboliste apprécié des poètes parnassiens et de MALLARME.
Morceau choisi
SAINT-SAËNS – La Danse macabre
Après qu'ont retenti les douze coups de minuit, suivis d'un bref épisode empli de mystère,
la Mort accorde son violon et entraîne les défunts dans une danse grinçante à trois temps
(« La Mort à minuit joue un air de danse, zig et zig et zag sur son violon »).
Outre ce thème de danse, l'auteur en utilise deux autres : un thème plaintif chromatique
descendant (la gamme chromatique, c'est-à-dire par demi-tons a, de tout temps, suggéré la
douleur. (Cf les madrigaux italiens du XVIe siècle) et le motif du Dies irae de la messe des
morts.
Après le développement de ces trois thèmes ponctué de plusieurs interventions du
xylophone (« On entend claquer les os des danseurs »), la ronde infernale s'estompe peu à
peu, tandis que le hautbois imite le coq à son réveil (« Mais Pst ! Tout à coup on quitte la
ronde, on se pousse on fuit, le coq a chanté »).
La musique de scène
Cette forme musicale tellement appréciée à l'époque romantique, puise ses origines en
remontant très loin dans le temps. Les didascalies 1 des livrets des œuvres de
SHAKESPEARE, sont suffisamment explicites. D'ailleurs des musicologues ont retrouvé
quelques-unes de ces musiques. BETTHOVEN et les grands romantiques ont laissé un
certain nombre de musiques de scènes. Mais le fait qu'elles se trouvent étroitement liées à
des pièces que plus personne n'est tenté de monter les a fait inexorablement sombrer dans
l'oubli. Ne surnagent guère de nos jours qu'Egmont de GOETHE et BEETHOVEN,
Rosamunde d'Helmina von CHEZY et SCHUBERT, Manfred de Lord BYRON et
SCHUMANN.
On ne joue plus guère non plus le drame d'Alphonse DAUDET : L'Arlésienne. Mais
Georges BIZET qui s'est chargé de l'illustrer a eu la bonne idée d'en tirer une Suite de quatre
des pages sélectionnées parmi les plus remarquables. Ernest GUIRAUD, ami de l'auteur
constituera plus tard une seconde Suite de quatre pièces également.
Indépendamment de ces deux Suites existe toujours la partition originale qui
comprend 27 numéros dont plusieurs avec chœurs. Ils pouvaient soit meubler le temps d'un
changement de décor, soit sous le nom de mélodrame accompagner un jeu se scène, soit
soutenir une scène dialoguée.
BIZET – L'Arlésienne
Fragments présentés : Extraits de la musique de scène proprement dite.
Prélude
Il se divise en trois parties :
1. Thème et 4 variation sur le Noël provençal de la Marche des rois (également
Marche du régiment de Turenne) ;
2. Thème de l'un des personnages : l'Innocent, cantilène émouvante exécutée par un
saxophone alto dont c’était l'un des premiers emplois dans l'orchestre symphonique ;
3. Thème passionné et désespéré de Frédéri, le héros du drame.
Mélodrame (andante) et Adagietto
Le mélodrame, de style pastoral, introduit un doux balancement ponctué de
savoureuses dissonances. L'adagietto est un chant pudique et ému : page
exceptionnelle dans l’œuvre de Bizet pour mettre en valeur les retrouvailles de deux
deux personnages âgés qui s'étaient aimés il y a longtemps et que la vie a séparés.
Mélodrame et Farandole (avec chœur)
Frédéri croit pouvoir apaiser ses amours impossibles pour l'insaisissable Arlésienne
en épousant Vivette une amie d'enfance. Répondant aux règles de composition du
drame, le 4e acte est un acte festif contrastant avec le suivant, très sombre, qui
culminera avec le suicide du héros.
1
Notes manuscrites rédigées par l'auteur en marge du texte à l'usage des comédiens et du metteur en scène
Saint-Saëns au piano en 1921
Partition de Bizet
Les pages symphoniques de l'opéra
Elles se résument essentiellement à l'ouverture et au ballet
Dès la création de l'opéra au début du XVIIe siècle (MONTEVERDI - Orfeo), le
besoin s'est fait sentir de «préparer » d'une certaine manière l'auditeur par une page
symphonique exécutée avant le lever du rideau. La forme est loin d'être fixe, oscillant entre
une simple fanfare, un premier mouvement de symphonie ou une juxtaposition de thèmes
empruntés à l'ouvrage proprement dit. Au XIXe siècle, Carl-Maria von WEBER fait de
l'ouverture un résumé de l'action (présentation du lieu, des personnages et d'un moment
marquant de l'intrigue).
C'est ce type d'ouverture qu’Édouard LALO choisit de placer avant le lever de rideau
de son opéra Le Roi d'Ys. L’œuvre est dominée par la menace impitoyable de l'océan et la
véhémence des passions. L'Ouverture du Roi d'Ys a été exécutée en concert bien avant que
l'opéra n'ait été créé.
LALO – Ouverture du Roi d'Ys
L'auteur met en évidence les différents aspects de l'ouvrage.
Le motif de « désolation » : en introduction nous entendons un unisson lugubre et
l'intervention affligé du hautbois. Qu'est ce que le compositeur a cherché à
exprimer : la détresse de l'âme ou l'âpreté du site ?
Le motif de « véhémence » : c'est l'évocation de la mer avec ses mouvements
imprévisibles, ses coups de boutoir, menace permanente ici pour la cité que
protègent de simples portes d'écluse.
Le motif d'« amour » : beau chant élégiaque délivré par un violoncelle solo.
Le motif de « guerre » : à plusieurs reprises et dans la péroraison finale,
l'intervention des cuivres donne à l’œuvre sa dimension épique.
On notera qu'à la même époque, les compositeurs privilégieront plutôt le Prélude, plus
succinct (Après Tannhäuser, WAGNE à titre d'exemple n'écrira plus que des Préludes,
exception faite pour les Maîtres chanteurs de Nuremberg - Il arrive à BERLIOZ d'entrer
directement dans le vif du sujet (Cf. : Les Troyens)
L'autre page symphonique d'importance est l'incontournable ballet, une spécificité
française.
Les Français ont toujours aimé la danse : danses de cour des XVe et XVIe siècles, le
ballet de cour sous les règne d'Henri IV et plus encore de Louis XIII. On danse dans les
opéra de LULLY, créateur même avec MOLIERE de la « comédie-ballet ». On danse plus
encore dans le opéras de RAMEAU, créateur aussi de l'opéra-ballet.
Au XIXe siècle, le goûts ont changé. Le public a tendance à rejeter ces danses isolées
qui jalonnent le déroulement de l'action. La mode est au ballet-divertissement qui interrompt
l'action au IIIe ou au IVe acte, voire au Ve. Toute œuvre admise à l'Opéra de Paris doit
obligatoirement en comporter un. Giuseppe VERDI et Richard WAGNER eux-mêmes
devront se conformer à cette exigence et ajouter, s'agissant du premier, un ballet qui
pourtant ne s'impose pas (représentations parisiennes d'Otello).
Même si le cahier des charges impose au directeur de l'Opéra d'assurer des créations, il
est très difficile pour un jeune compositeur en mal de consécration de franchir la porte de
cette forteresse. Heureusement le directeur de l'Opéra-comique et surtout celui du ThéâtreLyrique se montrent plus compréhensifs à l'égard des jeunes compositeurs
Seize années de franc succès s'écouleront à partir de sa création au Théâtre-Lyrique
avant que l'Opéra ne daigne s'intéresser au chef-d’œuvre de Charles GOUNOD : Faust. Et
encore l'auteur devra-t-il procéder à quelques remaniements et surtout adjoindre le sacrosaint ballet à l'acte V.
Il est de bon ton de nos jours de dénigrer ces pages de rajout. Hormis le fait qu'elles
n'ajoutent rien à l'action et sont assez maladroitement introduites par la faute des librettistes,
elles s'apparentent à tout ce qui s'écrivait dans le genre à cette époque.
GOUNOD – Ballet de Faust
Fragments présentés : Danse antique – Variation du miroir – Danse de Phryné.
Après le véritable massacre de l'épisode de la Nuit de Walpurgis, scène pourtant capitale
dans la tragédie de GOETHE , les librettistes, en particulier Jules BARBIER nous offrent une
aimable réception de salon où, pour distraire Faust, ont inexplicablement pris place reines et
courtisanes de l'Antiquité. Mais ces dames dansent ! Ceci explique sans doute cela.
Se succèdent donc 7 numéros, certes datés, mais que des chefs parmi les plus grands (H.
von Karajan) n'ont pas hésité à enregistrer.
Gounod – Ballet de Faust
Par la suite, sans renoncer à la composante chorégraphique tellement appréciée, les
compositeurs s'ingénieront à introduire les danses en situation. Deux œuvres peuvent
illustrer cet aspect : la Danse bohémienne de La Jolie fille de Perth de Georges BIZET et la
Bacchanale de Samson et Dalila de Camille SAINT-SAËNS
BIZET – La Jolie fille de Perth
Fragment présenté : Danse bohémienne
Elle nous arrache soudain au caractère un peu convenu de l'intrigue par l'originalité de la
phrase mélodique, son ambiguïté tonale, sa couleur orchestrale et l'emploi d'un chœur qui
n'est que murmure.
SAINT-SAËNS - Samson et Dalila
Fragment présenté : Bacchanale
C'est un page débridée couronnant la scène du culte rendu à Dagon, le dieu des Philistins,
une page délicieusement orientale, souvenir sans doute des fréquents séjours que le
compositeur effectuait en Algérie .
Références :
- clichés Wikipedia
- documentation : sites sur le web et sources diverses personnelles sur les compositeurs cités.
- Danse macabre de Saint-Saëns par Michel Plasson. & Capitole Toulouse – (EMI)
- L'Arlésienne (musique de scène) par Michel Plasson. & Capitole Toulouse – (EMI)
- Le Roi d'Ys – ouverture par Armin Jordan & Orch Philharmonique de Radio-France (ERATO)
- Faust – ballet de Gounod par Michel Plasson. & Capitole Toulouse – (EMI)
- La Jolie fille de Perth - danse bohémienne de Bizet par Jérôme Pillement & Orchestre de
chambre de l'Opéra d’État Hongrois (Éditions du Théâtre Impérial de Compiègne)
- Samson et Dalila – Bacchanale de Saint-Saëns par Myung-Whun Chung & Orchetre de
l'Opéra-Bastille (EMI)