Commission d`enquête sur l`impact de la baisse des

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Commission d`enquête sur l`impact de la baisse des
COMMISSION D’ENQUETE
SUR L’IMPACT DE LA BAISSE
DES DOTATIONS DE L’ETAT
SYNTHESE DES INTERVENTIONS DE JEANINE
DUBIE
Ce document est un compte-rendu des interventions de Jeanine DUBIE, députée des HautesPyrénées dans le cadre de la Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur
l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État
aux communes et aux EPCI
[NOVEMBRE 2015]
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AUDITIONS
André Laignel, président du Comité des finances locales .................................................................................. 3
Philippe Laurent, secrétaire général de l’Association des maires de France ..................................................... 4
Charles-Éric Lemaignen, président de l’Assemblée des Communautés de France (AdCF), et Sébastien
Miossec, membre du conseil d’administration de l’AdCF. ................................................................................. 6
Vanik Berberian, président de l’Association des maires ruraux de France ........................................................ 8
Olivier Landel, délégué général de l’Association des communautés urbaines de France, et Franck Claeys,
directeur Économie et finances territoriales de l’Association des maires des grandes villes de France. ......... 11
Xavier RAGOT, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques, OFCE .......................... 13
Bruno CAVAGNÉ, président de la Fédération nationale des Travaux publics, et Alain PICQUET, viceprésident de la Fédération française du Bâtiment ........................................................................................... 15
Nadia BELLAOUI, présidente du Mouvement associatif, et Frédérique PFRUNDER, déléguée générale du
Mouvement associatif ...................................................................................................................................... 17
Gabrielle GAUTHEY, directrice des investissements et du développement local (Caisse des Dépôts et
Consignations) et Marc ABADIE, directeur du réseau et des territoires (Caisse des Dépôts et Consignations)
.......................................................................................................................................................................... 18
Serge BAYARD, président de La Banque postale Collectivités locales, et Jean-Sylvain RUGGIU, directeur du
marché « Secteur Public et PPP » (Groupe BPCE) ............................................................................................ 20
Bruno DELSOL, directeur général des collectivités locales ............................................................................... 22
Yoann IACONO, conseiller du président de l’Association des Administrateurs territoriaux de France (AATF) 24
Luc Alain Vervisch, professeur associé à l’université de Cergy-Pontoise, membre du conseil d’administration
de l’Association Finances-Gestion-Évaluation des collectivités territoriales (AFIGESE). .................................. 28
Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème : «Numérique – Réseaux d’initiative publique » ...... 31
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MARDI 1ER SEPTEMBRE 2015
ANDRE LAIGNEL, PRESIDENT DU COMITE DES FINANCES LOCALES
Mme Jeanine Dubié. On sait que, globalement, la suppression de la Taxe professionnelle (TP) a
entraîné une baisse importante des moyens alloués au bloc communal. Je ne suis pas spécialiste du
sujet, mais je rencontre beaucoup de maires et il me semble que la situation est très variable d’une
commune à une autre : pouvez-vous préciser ce point ?
D’autre part, la baisse des dotations risque d’entraîner aussi une baisse des attributions de fonds
européens : de nombreux projets ne pourront pas, par exemple, être accompagnés par le Fonds
européen de développement régional (FEDER) puisque les collectivités locales ne pourront pas
obtenir les contreparties nationales. Le Comité des Finances Locales (CFL) a-t-il travaillé sur ce
sujet ?
M. André Laignel. Les fonds européens constituent bien sûr pour nous une préoccupation.
L’utilisation du fonds Juncker, notamment, demandera que des sommes importantes – des dizaines
de millions d’euros – soient réunies : le Gouvernement en est conscient, et recherche des solutions,
notamment par la mutualisation. Plus généralement, il faudra surtout trouver des fonds à investir pour
amorcer la pompe, si vous me passez l’expression.
La réforme de la taxe professionnelle a paradoxalement été une bonne affaire pour les communes
dont le territoire ne comptait pas ou peu d’entreprises. Celles qui recevaient des fonds importants en
TP, en revanche, ont beaucoup perdu puisque les compensations ont été gelées à leur niveau de
2010. Ces recettes – qui augmentaient auparavant de façon régulière – sont donc non pas stables,
mais en baisse, du fait de l’inflation. Or il faut savoir que l’inflation n’est pas au même niveau pour les
collectivités locales que pour les ménages : nous avons lancé, avec l’AMF, un « panier des maires »
qui montre une hausse des prix souvent une fois et demie supérieure au chiffre national. Le ministère
ne reprend pas cette initiative à son compte, mais ne conteste pas qu’il s’agisse d’une approche
intéressante.
La seule bonne raison de faire cette réforme, c’était d’alléger les taxes payées par les entreprises
industrielles – cet objectif a d’ailleurs été en partie manqué puisque c’est parfois le tertiaire qui en a le
plus bénéficié. Mais le résultat, c’est que les villes industrielles sont les grandes perdantes de la
suppression de la taxe professionnelle. Or, souvent, ce ne sont pas des villes riches, bien au
contraire.
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MARDI 1ER SEPTEMBRE 2015
PHILIPPE LAURENT, SECRETAIRE GENERAL DE L’ASSOCIATION DES
MAIRES DE FRANCE
Mme Jeanine Dubié. En ce qui concerne le FCTVA, on a beaucoup évoqué ce qui s’est passé en
2009. La récupération anticipée des fonds avait vocation à s’appliquer à l’effort d’investissement
réalisé par les communes en 2009, en prenant pour base les dépenses réelles d’équipement
effectuées au cours des trois années précédentes. Un tel dispositif a eu pour conséquence une chute
des investissements en 2011, dans la mesure où les collectivités avaient réalisé certains
investissements par anticipation. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation bien différente, dans la
mesure où nous faisons face à un problème d’ordre structurel – la difficulté des collectivités locales à
s’autofinancer –, et non plus conjoncturel. Je comprends la nécessité pour les collectivités locales de
récupérer la TVA le plus tôt possible afin d’améliorer leur trésorerie ainsi que leur capacité
d’autofinancement : de ce point de vue, l’augmentation de 30 % de la DETR ne changera pas grandchose pour les communes rurales disposant de ressources extrêmement modestes et d’un
autofinancement fragile.
Le Gouvernement propose aujourd’hui un prêt à taux zéro accordé par la Caisse des dépôts et
consignations, ce qui me paraît étonnant, car tout emprunt a pour effet d’augmenter la dette : est-ce à
dire que la collectivité doit jouer le rôle de banquier de l’État ? En tout état de cause, cette réponse ne
me paraît pas adaptée, et j’aimerais connaître votre point de vue à ce sujet. Estimez-vous nécessaire
de mettre en œuvre une réforme structurelle du FCTVA, ayant pour objet de permettre le
remboursement de la TVA dans l’année, quel que soit l’investissement réalisé, afin d’améliorer à la
fois la trésorerie et la capacité d’autofinancement des collectivités locales ?
Par ailleurs, vous avez évoqué la récupération des frais de gestion. Les départements bénéficient déjà
de cette mesure par l’intermédiaire des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Pouvez-vous nous
donner des éléments supplémentaires sur ce point ?
M. Philippe Laurent. Pour ce qui est du FCTVA, notre position est qu’il s’agit d’un remboursement de
TVA et la logique veut donc que ce remboursement ait lieu dans les mois suivant la dépense
concernée : c’est ce qui va permettre de procurer aux collectivités locales de la ressource
supplémentaire réelle, à distinguer de celle provenant de l’emprunt. Cependant, cela engendre
également une dépense budgétaire réelle pour l’État, et le contexte qui justifiait un raccourcissement –
sous conditions – du délai de versement du FCTVA en 2009 n’existe plus aujourd’hui. En tout état de
cause, si l’on devait effectuer un remboursement anticipé de TVA au profit des collectivités locales
ayant réalisé en 2015 des investissements supérieurs à la moyenne des investissements réalisés
durant les trois dernières années, cela ne profiterait pas à grand monde, sauf à prévoir un ajustement,
par exemple l’application d’une décote de 10% à cette moyenne,. Un système de remboursement
anticipé plus général coûterait plusieurs milliards d’euros – et l’on comprend que l’État ne souhaite pas
le mettre en œuvre – mais il serait plus efficace puisqu’il permettrait de financer de l’investissement
sans augmenter l’emprunt malgré la baisse de l’autofinancement.
Le système du prêt à taux zéro qui a été évoqué est inimaginable, dans la mesure où il n’y a pas
actuellement de problème d’accès au crédit. Certes, le principe d’un prêt à taux zéro peut sembler
intéressant à première vue, mais il ne l’est pas tant que ça avec les taux d’intérêt extrêmement faibles
que nous avons actuellement – l’Euribor est actuellement inférieur à 1 % –, surtout sur les prêts à
court terme. Bref, cela ne sert à rien, tout en créant de la dette publique supplémentaire, puisque les
emprunts sont souscrits auprès de la Caisse des dépôts et consignations. Je me suis penché sur la
façon dont cette opération était comptabilisée dans le budget : elle n’est pas enregistrée comme un
titre de recette sur le compte 16, mais comme une avance sur le compte 10, qui présente l’avantage
de ne pas entrer dans la dette publique, bien qu’il s’agisse d’une dette – la constatation de cette
anomalie m’a d’ailleurs conduit à saisir le Conseil de normalisation des comptes publics (CNCP).
Pour ce qui est des frais de gestion, nous proposons de récupérer la partie des frais de gestion payée
par le contribuable au titre des impôts communaux et intercommunaux. Cela représente une perte de
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recettes de 1,1 milliard d’euros pour l’État, mais c’est aussi un moyen supplémentaire de renforcer les
ressources communales.
En ce qui concerne le fléchage du fonds d’investissement, nous estimons qu’il convient de donner la
priorité aux dépenses d’infrastructures et, parmi celles-ci, aux dépenses pouvant être engagées
rapidement, sans qu’il soit nécessaire d’effectuer de longues démarches administratives – je pense
notamment à l’éclairage public et au numérique. Bien évidemment, les dépenses permettant de
réaliser des économies de fonctionnement sont à privilégier.
L’AMF a le sentiment que la baisse des dotations vient s’ajouter à d’autres phénomènes ayant touché
les communes au cours de ces dernières années, qu’il s’agisse de la fermeture de services publics,
du fait que l’armée ait quitté certains territoires, ou encore du fait que certaines actions de
reconversion programmées n’aient pas eu lieu, ne soient pas terminées ou n’aient pas encore produit
leurs effets. De ce point de vue, ce sont certainement les villes de taille moyenne, un peu isolées, qui
se trouvent le plus touchées par cette nouvelle diminution de leurs ressources que constitue la baisse
des dotations. On voit bien, lorsqu’on parcourt la France, que les villes comprenant 10 000 à
15 000 habitants ont, dans l’ensemble, beaucoup souffert au cours des trente ou quarante dernières
années, à quelques rares exceptions, concernant des villes qui ont pu bénéficier d’une ressource
exceptionnelle – le tourisme, par exemple – ayant permis leur développement.
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MARDI 1ER SEPTEMBRE 2015
CHARLES-ÉRIC LEMAIGNEN, PRESIDENT DE L’ASSEMBLEE DES
COMMUNAUTES DE FRANCE (ADCF), ET SEBASTIEN MIOSSEC, MEMBRE
DU CONSEIL D’ADMINISTRATION DE L’ADCF.
Mme Jeanine Dubié. Je souhaiterais, monsieur Miossec, que vous prolongiez votre propos
concernant les nouveaux outils de financement des investissements. Avez-vous, dans ce domaine,
des pistes de réflexion à nous suggérer pour préserver les capacités d’investissement des
intercommunalités sur le long terme ? Par ailleurs, force est de constater que l’élaboration des
schémas de coopération intercommunale et l’agrandissement des intercommunalités provoquent
parfois la colère des élus. Je souhaiterais donc savoir si l’AdCF mène des actions pédagogiques pour
favoriser, sur le terrain, l’appropriation par ces derniers de l’intercommunalité et de la notion de projet
de territoire et pour éviter que les élus communaux ne désertent les conseils communautaires parce
qu’ils se sentent exclus de la décision.
M. Sébastien Miossec. Il est vrai qu’en Bretagne, comme dans d’autres régions, l’intercommunalité a
une histoire. Qu’en est-il de la mutualisation dans ces régions ? Dans mon territoire, par exemple,
lorsque des marges ont été dégagées, elles ont été réinvesties pour développer des services
nouveaux. Il est donc vrai que l’intercommunalité n’a pas produit d’économies, au contraire. Mais elle
a permis d’offrir un niveau de service bien différent de ce qu’il était auparavant. Aujourd’hui, l’enjeu est
tout autre : il est nécessaire d’économiser la dépense publique. C’est pourquoi je crois qu’il faut cesser
d’utiliser les bonus de DGF pour encourager la mutualisation de manière générale et privilégier plutôt
les incitations à réaliser des mutualisations propices aux économies. Il est vrai néanmoins que la
mutualisation ne permet pas de dégager des marges immédiates, notamment parce que les
harmonisations sont, dans un premier temps, coûteuses.
M. le rapporteur a précisé à juste titre que, sans autofinancement, on ne fera rien et que les
intercommunalités ont davantage de marges de manœuvre que les communes. Mais les relations
entre communes et intercommunalités sont fondées sur des accords, qui peuvent être revus. Le
pilotage collectif de la dépense sur les territoires intercommunaux par les communes et les
intercommunalités, voilà le défi de demain ! C’est pourquoi les PPI – dans lesquels il faut en en effet
intégrer les coûts de fonctionnement, monsieur Alauzet – font partie des outils que nous proposons à
nos adhérents. Nous avons en effet besoin de ces plans, ainsi que des pactes financiers et fiscaux,
qui seront encore plus utiles demain qu’ils ne l’étaient hier, dès lors que les recettes diminuent.
M. Pellois et Mme Dubié ont souligné combien les élus communaux pouvaient être perplexes ou
démotivés. Ils sont d’abord, c’est vrai, élus de leur commune, sur des listes communales, et j’ai pu
constater que l’objet intercommunal paraissait assez éloigné de leurs préoccupations, en particulier
pour les nouveaux élus. Toutefois, il faut faire en sorte que ces outils – PPI et pacte financier – ne
soient pas réservés aux seuls élus communautaires. Les élus intercommunaux ont le devoir
d’expliquer ces dispositifs aux élus communaux. Le pacte financier et fiscal ne doit pas être piloté par
les maires et par eux seuls.
M. Charles-Éric Lemaignen. Je crois quant à moi que la conscience communautaire, qui est certes
inégalement répartie sur le territoire, progresse, et la loi NOTRe y contribuera. En 2020, les politiques
« grenelliennes » seront en effet presque toutes gérées par l’intercommunalité. Or, ce sont des
politiques de proximité, qu’il s’agisse des transports ou de la collecte des déchets.
Par ailleurs, je précise que les schémas de mutualisation ont été rendus obligatoires pour éviter, à la
suite du rapport Richard de 2005, de créer un bonus-malus de DGF en fonction des progrès des
mutualisations. Il s’agit donc plutôt d’une bonne démarche. Au demeurant, il ne s’agit pas d’imposer le
contenu du schéma, mais de susciter une réflexion sur cette question. J’ajoute qu’il est très courant
que des réunions se tiennent avec les conseillers municipaux. Pour ma part, j’ai présenté le schéma
de mutualisation dans 21 des 22 communes de l’agglomération – l’une d’entre elles ne m’avait pas
invité.
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Il est un point que j’ai omis de mentionner. Actuellement, les syndicats spécialisés ne sont pas
concernés par la baisse des dotations, et l’on peut se demander s’il ne serait pas utile d’étendre le
périmètre de cette mesure afin de les y inclure. Je rappelle en effet que certains d’entre eux génèrent
des flux financiers non négligeables, c’est le moins que l’on puisse dire.
S’agissant de la réforme de la DGF, je suis contre les incitations, mais il est évident qu’une réforme
est indispensable, car la DGF est actuellement incompréhensible non seulement pour le profane, mais
aussi pour le spécialiste. La bonne formule consisterait, selon moi, à définir des principes dans la loi
de finances pour 2016, et à les préciser au cours de l’année prochaine en associant l’ensemble des
acteurs concernés.
Quant à l’État, je n’ai pas le sentiment que, dans nos territoires, il se limite à ses missions régaliennes.
Je ne suis pas convaincu que la DIRECCTE et la DREAL, par exemple, participent de ces missions.
Ce qui est certain, en revanche, c’est que les doublons sont nombreux avec les compétences des
départements, des régions, des intercommunalités et des communes. Les supprimer allégerait non
seulement les dépenses de l’État, mais également les nôtres, car les contrôleurs sont parfois un peu
dangereux lorsqu’ils ne sont pas les payeurs.
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MERCREDI 2 SEPTEMBRE 2015
VANIK BERBERIAN, PRESIDENT DE L’ASSOCIATION DES MAIRES
RURAUX DE FRANCE
Mme Jeanine Dubié. Vous portez la parole des élus et des maires de petites communes qui, au
quotidien, assument la gestion communale avec toutes les difficultés que cela comporte. J’y suis
d’autant plus sensible que je suis moi-même élue dans un territoire rural et de montagne, et nous
devons ensemble plaider pour que la ruralité existe encore dans la France de 2030.
Je suis, comme vous, inquiète de la façon dont s’est organisée cette réforme territoriale – assurément
nécessaire –, qui ne procède d’aucune vision globale de l’aménagement du territoire intégrant les
particularismes locaux et qui, surtout, témoigne d’un manque de confiance envers les élus.
Les évolutions sociétales font que les élus ruraux ne seront plus, demain, corvéables à merci comme
ils le sont aujourd’hui, et certains services doivent être assumés au-delà de la commune, au niveau de
l’intercommunalité, de manière à faciliter l’exercice du mandat communal. Cela pourtant ne se décrète
pas et doit se faire en concertation avec les élus de terrain. Tout en défendant l’existence de la
commune , il faut à la fois repenser le service rendu au citoyen mais aussi préserver l’envie d’exercer
un mandat local, qui devient de plus en plus contraignant et de plus en plus difficile.
Le rapport Pires Beaune préconise une DGF à trois niveaux : une dotation universelle de
fonctionnement, une dotation de centralité et une dotation de ruralité. Qu’en pensez-vous ?
Par ailleurs, il semble que, dans le cadre de la réforme du périmètre des intercommunalités, certaines
petites intercommunalités réfléchissent à se transformer en communes nouvelles pour mieux exister
au sein du grand ensemble auquel elles vont être intégrées. Pouvez-vous nous le confirmer ?
M. Vanik Berberian. Certains maires ruraux sont contre les intercommunalités mais ils sont une
minorité, et ce n’est pas la position de l’AMRF. Les élus des communes rurales sont des gens
pragmatiques : depuis belle lurette, ils ont compris qu’ils ne pouvaient pas tout faire tout seuls. Dans
de nombreux domaines, les compétences ont donc été transférées à l’intercommunalité dans le souci
de mieux répondre aux besoins de la population. Encore faut-il être honnête jusqu’au bout. Pour
certains – et c’est la position de l’AMRF –, l’intercommunalité est un outil au service de la commune ;
pour d’autres, elle a vocation, à terme, à se substituer à l’échelon communal. Il faut donc être clair sur
les objectifs que l’on poursuit. Je tiens à préciser que nous n’avons jamais été contre le plan local
d’urbanisme intercommunal, mais contre son caractère obligatoire. Tout le monde a conscience que la
commune d’aujourd’hui n’est pas la commune d’hier. Comme le disait mon prédécesseur, l’époque de
la commune toute seule avec son clocher tout seul et son maire tout seul est révolue. En ce sens,
l’intercommunalité est une réponse. Mais comme la tendance est de systématiquement dépouiller
l’échelon de proximité au profit de l’échelon supérieur, certains utilisent l’intercommunalité pour
parvenir à cette fin. Certains en font même une théorie, comme Mme Agnès Verdier-Molinié, qui
préconise de limiter le nombre de communes à cinq mille… L’OCDE a fait des observations similaires.
Je veux bien que l’on regarde les choses sur une carte, à cinq cents kilomètres de distance… Mais ce
n’est pas cela, la réalité.
En ce qui concerne la DGF, elle doit rester communale et ne pas devenir « territoriale ». Nous nous
méfions de la technique du saucisson, qui consiste à faire disparaître quelque chose rondelle par
rondelle, et nous pensons que certaines mesures, intéressantes en apparence – je pense par
exemple à l’élection des représentants intercommunaux au suffrage universel –, n’ont d’autre objet
que de conduire à terme à la disparition des communes. On peut donc envisager une DGF
intercommunale, mais à condition qu’elle bénéficie directement aux communes et que ce ne soit pas à
l’intercommunalité de la répartir entre ses membres.
M. le rapporteur. Vous voulez éviter les guerres de tranchées.
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M. Vanik Berberian. La commune ne doit pas se retrouver dans un rapport de vassalité avec le
président de l’intercommunalité.
Pour une meilleure répartition de la DGF, il faut que chacun fasse des efforts et que ceux qui en ont
les moyens acceptent le principe de partager, ce qui n’est pas gagné. Lorsque l’on proteste qu’il est
anormal qu’un rural vaille la moitié d’un citadin, on nous rétorque que le citadin assume des charges
de centralité. Certes, mais les communes rurales supportent des charges de ruralité, liées par
exemple à l’importance du nombre de mètres linéaires de travaux nécessaires à l’entretien des
réseaux ou de la voirie, et nous sommes reconnaissants à Mme Christine Pires Beaune d’avoir
explicitement inscrit dans son rapport la formule de « charges de ruralité ». Mais si, à partir de là,
certains imaginent, pour y faire pièce, des « charges d’urbanité », nous n’en sortirons pas…
[…]
Mme Jeanine Dubié. La convention avec l’éducation nationale est l’exemple parfait d’un outil
détourné de son objectif initial. Si mon département des Hautes-Pyrénées est le deuxième à l’avoir
signée, après le Cantal, c’était à l’origine pour protéger le milieu rural. En effet, en Midi-Pyrénées,
malgré les créations de postes, Toulouse et sa banlieue absorbaient tout le flux, ainsi que les deux
départements – le Tarn-et-Garonne et le Tarn – dont la population augmentait notablement, tandis
que les autres départements devaient chaque année rendre des postes pour rééquilibrer le fameux
ratio professeurs/élèves : le nôtre tournait autour de dix-sept profs pour cent élèves alors qu’il est de
vingt-six ou vingt-sept à Toulouse : du coup, nous sommes toujours perdants. La convention nous a
permis de geler le nombre de postes pendant trois ans ; en contrepartie, nous nous sommes engagés,
avec l’Association des maires de France et les parlementaires, à travailler à une réorganisation de
l’offre scolaire sur le territoire. Le but n’était pas de créer des réseaux de réseaux, mais de préserver
les effectifs d’enseignants pour maintenir les écoles de montagne, y compris lorsqu’il n’y avait que dix
élèves et dans des communes très reculées.
En outre, nous sommes comptables de l’argent public, qui est en réalité toujours celui du contribuable.
Dès lors, il est révoltant que l’éducation nationale puisse annoncer la fermeture d’une classe deux ans
seulement après que la commune a réalisé d’importants travaux dans l’école. À quoi bon avoir investi
200 000 ou 300 000 euros dans la réfection du bâtiment et l’ouverture d’une cantine ? Grâce à la
convention, les projets d’investissement sont désormais connus du directeur académique des services
de l’éducation nationale (DASEN), qui s’engage à maintenir des moyens en conséquence. Ainsi peuton mieux articuler des politiques d’investissement et de fonctionnement qui émanent de différentes
instances – d’un côté l’éducation nationale, de l’autre l’État qui verse la DETR, le conseil général, la
commune, etc.
M. le président Alain Fauré. Comment l’AMRF perçoit-elle le levier fiscal en milieu rural ? En est-on
arrivé au point où la pression fiscale devient insupportable ?
Avez-vous eu le sentiment que des investissements étaient remis en cause à la suite des élections ?
M. Vanik Berberian. Les investissements diminuent souvent au moment du changement de
municipalité ; ce phénomène n’est pas nouveau.
La question de la fiscalité est complexe. On a cité l’exemple de communes où la pression fiscale est
faible mais dont les habitants bénéficient de véritables charges de centralité. Les communes dont la
situation financière est très confortable et qui ne font rien existent assurément ; mais sont-elles aussi
nombreuses qu’on le croit ? C’est à vérifier. Les règles, qui datent des années 1960, méritent d’être
revues, mais le sujet est si sensible que personne ne s’y risque.
Pour ce qui est des charges de centralité, soyons précis : pour moi, c’est la charge que représente un
équipement dont bénéficie la population dans un périmètre très vaste. Elle doit être distinguée
d’autres charges qui ne sont pas toujours justifiées mais que les communes tiennent à maintenir pour
maintenir leur standing dans la compétition qui les oppose à leurs voisines. C’est une perversion de la
loi : chacun veut avoir le meilleur équipement, le tramway dernier cri, etc. Faut-il en venir à changer
régulièrement les candélabres au nom de l’attractivité ?
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Quant à l’école, nous devons, nous, ruraux, faire un effort intellectuel pour la considérer non plus
comme l’école du village mais comme celle de tout un territoire. C’est tout le sens du RPI. Encore
faut-il aller jusqu’au bout de la démarche. Certains de mes collègues maires sont bien contents que
l’école ne se trouve pas sur le territoire de leur commune : les enfants de la commune sont scolarisés
dans le cadre du RPI, et eux s’en lavent les mains. Il importe donc d’œuvrer auprès des élus pour
qu’ils continuent de s’investir dans la vie de l’école – l’école des communes, au pluriel. L’éducation
nationale doit elle aussi changer ses disquettes, par exemple en écrivant à tous les maires concernés
et non plus au seul maire de la commune où l’école est implantée, comme je le réclame à chaque
conseil départemental de l’éducation nationale (CDEN).
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MERCREDI 2 SEPTEMBRE 2015
OLIVIER LANDEL, DELEGUE GENERAL DE L’ASSOCIATION DES
COMMUNAUTES URBAINES DE FRANCE, ET FRANCK CLAEYS,
DIRECTEUR ÉCONOMIE ET FINANCES TERRITORIALES DE L’ASSOCIATION
DES MAIRES DES GRANDES VILLES DE FRANCE.
Mme Jeanine Dubié. Je vous remercie pour cette présentation très utile pour une élue des territoires
ruraux et de montagne, plus habituée à défendre les intérêts de ces territoires que je croyais, peutêtre à tort, plus maltraités que le milieu urbain.
Le Gouvernement a proposé de solliciter la Caisse des dépôts au travers d’un prêt à taux zéro. Que
pensez-vous de cette solution ?
Les grandes collectivités sont d’importants donneurs d’ordres en matière de commande publique. Le
secteur du bâtiment et des travaux publics exprime de vives inquiétudes. Depuis deux ans – certes,
l’année électorale a pesé – et l’annonce de la baisse de 11 milliards sur trois ans, combien d’élus, qui
sont malgré tout des gens réfléchis, ont pris la décision de ne pas engager de travaux ? Pouvez-vous
déjà constater sur les territoires les effets désastreux pour l’emploi de ces décisions ?
M. Olivier Landel. Vous avez probablement observé nos moues lorsque vous avez parlé du prêt à
taux zéro : cela permet de faire une annonce… Je crois que la Caisse des dépôts elle-même n’est pas
convaincue de l’utilité de l’opération… Ce n’est rien d’autre qu’une ligne de trésorerie. Pourquoi pas ?
Mais le sujet est ailleurs. Dans deux ans, le problème se reposera à l’identique. Dans la masse des
emprunts, cela va alléger d’un ou deux points de base – même pas de l’épaisseur du trait. Cela aura à
peu près le même effet que la consigne invitant à moins imprimer… Mais cela permet de dire des
choses, d’annoncer, là où il aurait fallu travailler.
Si cette mesure avait été conçue comme le point d’entrée d’une réduction progressive de la durée de
remboursement du FCTVA – ce que nous avions proposé –, elle pouvait se comprendre. Nous
pouvons entendre que le report d’un an est trop coûteux, mais dans ce cas, lissons-le dans le temps
et facilitons-le : préfinançons par un prêt à taux zéro et lissons le remboursement dans le temps. Cela
aurait pu avoir du sens, mais pas le prêt à taux zéro pris isolément. Par ailleurs, on me dit que le
produit n’est pas tellement consommé.
M. Franck Claeys. Ce qui nous a le plus gênés dans cette histoire, c’est d’essayer de travailler avec
nos amis de la Caisse des dépôts qui l’étaient eux-mêmes énormément… On a fait le job, passons à
autre chose !
S’agissant des donneurs d’ordres, la réponse est dans votre question : c’est la première fois que l’on
voit nombre de collectivités, indépendamment des étiquettes politiques, communiquer non sur ce
qu’elles vont faire, mais sur les projets qu’elles ont décidé d’abandonner. J’ai commencé par compiler
les exemples avant de me rendre compte que ce n’était pas un épiphénomène : c’est un flot continu !
C’est le symbole d’une inflexion de comportement qui caractérise bien le sujet qui nous occupe
aujourd’hui.
Les élus parlent beaucoup d’investissements alors que nous essayons aujourd’hui de vous convaincre
que le problème est ailleurs, dans la consolidation de l’autofinancement et la section de
fonctionnement. Cette apparente contradiction s’explique par deux raisons : premièrement, vis-à-vis
des médias, nous avons échoué à imposer un autre sujet. Le vocabulaire est terrible : pour le grand
public, « fonctionnement » renvoie aux fêtes et aux cérémonies alors qu’il s’agit en fait de production
de service public. Du coup, médiatiquement, il était plus facile de parler d’investissement. Deuxième
raison, plus concrète : les représentants du bâtiment et des travaux publics font antichambre dans les
mairies. C’est ce que nous rapportent nos élus, et nous pouvons le confirmer. Nous n’avons jamais
autant travaillé avec la fédération nationale des travaux publics et la fédération du bâtiment, nous
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avons engagé des actions communes. Cette présence est sans doute plus visible dans les grandes
collectivités, mais le phénomène est général.
M. Olivier Landel. Je suis intervenu lors d’un congrès des représentants de l’artisanat en France au
cours duquel deux tables rondes étaient organisées. Dans la première, les discussions tournaient
autour des thèmes : les dépenses publiques sont trop importantes, il faut réduire la voilure, les
fonctionnaires sont des fainéants, etc. Dans la seconde, à laquelle je participais, mes interlocuteurs
redoutaient que la création des métropoles et des grandes régions ne favorisent les grosses
entreprises au détriment de l’artisanat… Je me suis permis dans mon propos introductif, de leur poser
la question : si nos fonctionnaires doivent être plus mobilisés, si nous mettons au travail nos
plombiers, nos peintres, que vous restera-t-il à faire, messieurs les artisans ?
Cet exemple, caricatural j’en conviens, illustre la schizophrénie à laquelle nous sommes confrontés :
d’un côté, tout le monde veut moins de dépenses publiques – sans s’interroger pour autant sur ses
vertus et son utilité –, et de l’autre, il faut plus de commandes parce que les artisans ont besoin de
travailler !
Les positions défendues témoignent rarement d’une vision globale des choses.
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MARDI 15 SEPTEMBRE 2015
XAVIER RAGOT, PRESIDENT DE L’OBSERVATOIRE FRANÇAIS DES
CONJONCTURES ECONOMIQUES, OFCE
Mme Jeanine Dubié. Au mois d’avril dernier, l’un des membres de l’OFCE s’exprimant dans la presse
s’était montré beaucoup plus optimiste que l’État en matière de croissance, prévoyant des taux de
1,5 % pour 2015 et de 2,1 % pour 2016 – censée être l’année de la reprise. Que pensez-vous
aujourd’hui de cette évaluation ?
Par ailleurs, on sait que la baisse des dotations au niveau des communes et intercommunalités pèse
sur la commande publique, notamment sur le bâtiment et les travaux publics. Pour vous, cela pourraitil contribuer – même s’il faut prendre en compte d’autres facteurs comme le niveau de l’euro et le prix
du pétrole – à tuer dans l’œuf la reprise que certains annonçaient ?
M. Xavier Ragot. La réflexion que vous évoquez est d’actualité, car nous sommes justement en train
de mettre au point les prévisions que nous allons publier à la mi-octobre. Deux éléments sont à
prendre en compte : d’une part, la dimension conjoncturelle – le niveau de l’euro, le prix du pétrole, la
baisse des dépenses publiques –, d’autre part, l’état du tissu productif français, la croissance
potentielle et la capacité exportatrice de notre pays, facteurs autour desquels la conjoncture oscille en
fonction des effets de ralentissement ou de stimulation de l’activité publique.
De notre point de vue, la tendance de long terme se caractérise par une érosion du tissu productif
français. Notre situation est très inquiétante par rapport à celle de l’Allemagne si l’on se place du point
de vue de la dynamique européenne et, à moyen terme – trois à cinq ans –, le tissu productif a
souffert d’une baisse d’investissement ayant eu des effets aussi bien sur la demande – par effet
d’entraînement – que sur l’offre – c’est-à-dire la capacité de production et de conquête des parts de
marché. Cette érosion est assez marquée mais réversible : on peut espérer que rien ne soit cassé
durablement et que la capacité exportatrice de la France se restaure en cas de reprise de l’activité.
Nous maintenons donc une perspective de croissance potentielle sur le long terme supérieure à 1,
mais inférieure à 1,5.
M. Éric Heyer. Pour ce qui est de l’évolution des perspectives de croissance pour 2015 et 2016, le
taux de 1,5 % pour 2015 auquel vous faites référence n’était pas un chiffre officiel : la précédente
prévision de l’OFCE était en fait de 1,4 %. Elle se basait sur l’hypothèse d’un prix du pétrole et de taux
d’intérêt restant à un niveau peu élevé, qui s’est trouvée vérifiée ; en revanche, notre hypothèse d’une
forte appréciation du dollar et d’une baisse de l’euro – 0,95 dollar en 2016 – s’est révélée fausse,
puisque l’euro se situe actuellement à 1,15 dollar. L’évaluation des taux de change est l’une des
choses les plus complexes qui soient, ce qui s’explique par le fait que ces taux dépendent de facteurs
très difficiles à anticiper – je pense notamment aux décisions des banques centrales.
Notre prochaine estimation de croissance devrait donc se situer aux environs de 1,1 %, la différence
avec notre précédente estimation – 1,4 % – s’expliquant essentiellement par la révision du taux de
change euro-dollar, passé de 0,95 à 1,15. Selon le ministère de l’économie et des finances, une
baisse de 10 % de l’euro se traduit par une hausse supplémentaire de croissance de 1,2 % la
première année ; pour notre part, nous n’évaluons cette hausse qu’à 0,8 %, ce qui est déjà
considérable. Comme on le voit, toute erreur sur l’évolution des taux de change se traduit par un écart
conséquent sur l’estimation du taux de croissance, y compris à court terme.
Pour ce qui est de la conjoncture, elle est difficile à cerner tant les indicateurs actuels soufflent le
chaud et le froid. Avec un PIB en hausse de 0,7 % au premier trimestre, nous sommes le meilleur
élève de la zone euro, mais nous dégringolons à la dernière place au deuxième trimestre :
globalement, sans doute la vérité est-elle entre ces deux extrêmes. Pour ce qui est de l’indice de
production industrielle, il montre une incapacité à repartir. Dans le même temps, on note un rebond
extraordinaire du climat de confiance au sein des chefs d’entreprise, qui estiment que l’activité est en
train de repartir. La reprise est spectaculaire dans le secteur des services et assez marquée dans
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l’industrie – seule la construction restant en retrait –, et les crédits des ménages et des entreprises
repartent assez fortement.
Nous sommes donc partagés en découvrant au fil des mois les publications de l’INSEE, tantôt
extraordinairement positives, tantôt décevantes. On peut penser que la croissance sera insuffisante
pour être considérée comme la vraie reprise économique que l’on pouvait espérer après un tel
effondrement de la conjoncture, mais assez marquée pour témoigner d’un mouvement d’accélération
de la croissance – nous allons atteindre 1 % de cette croissance cette année, alors que nous étions
bloqués à 0,3 % depuis trois ans. Pour 2016, notre prévision s’établit légèrement au-dessous de 2 %
de croissance. Progressivement, l’investissement devrait compenser les chocs exogènes constitués
par le prix du pétrole et le niveau de l’euro : c’est un mieux, mais insuffisant pour se traduire par une
baisse significative du chômage.
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MARDI 15 SEPTEMBRE 2015
BRUNO CAVAGNÉ, PRESIDENT DE LA FEDERATION NATIONALE DES
TRAVAUX PUBLICS, ET ALAIN PICQUET, VICE-PRESIDENT DE LA
FEDERATION FRANÇAISE DU BATIMENT
Mme Jeanine Dubié. Je vous remercie, messieurs, pour la présentation que vous avez faite de votre
secteur d’activité. Moi qui suis élue d’une circonscription rurale et montagnarde, je sais que ce que
vous avez dit est vrai, au moins pour les 300 000 entreprises de moins de dix salariés.
Je tiens également à témoigner, monsieur le président de la FNTP, de l’esprit de responsabilité dont
ont fait preuve la fédération départementale des Hautes-Pyrénées et ses entreprises, au moment des
graves inondations qui ont détruit tous les accès des ouvrages d’art sur des territoires de montagne,
en juillet 2013. Le lendemain de cette catastrophe, le président du conseil général a reçu le président
de la fédération départementale des travaux publics. Ensemble, ils ont mis en place un protocole
d’accord à partir d’un bordereau unique d’intervention. Les entreprises sont parties sur le terrain, et,
en l’espace de deux mois, tous les accès ont été rétablis. Aujourd’hui, deux ans après, le paysage a
changé. Les entreprises de travaux publics y ont largement contribué. Ainsi, on a su répondre à un
état d’urgence et à une situation de crise en se mettant d’accord entre donneurs d’ordre et
entreprises, en s’organisant et en simplifiant les procédures, dans l’intérêt des citoyens.
Je crois qu’il est nécessaire de faciliter l’accès à la commande publique, notamment en simplifiant les
démarches pour les petites entreprises. Et cela ne peut qu’améliorer la situation de vos secteurs
d’activité.
Enfin, je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il faut absolument travailler à une extension du FCTVA
aux travaux d’entretien et de réhabilitation. Si on laisse à l’abandon notre patrimoine, qu’il s’agisse de
routes ou de bâtiments, on en paiera cher les conséquences.
Dans le bulletin de conjoncture du deuxième trimestre, j’ai lu qu’il y aurait une légère reprise dans le
bâtiment. Je voudrais savoir si cela se confirme.
J’ai également lu que, lorsqu’elles connaissaient des difficultés en raison de l’état de leur trésorerie,
les entreprises du bâtiment étaient directement mises en liquidation judiciaire, sans passer par la
procédure de redressement judiciaire. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions ?
J’observe qu’on a pris des mesures en matière de rénovation énergétique, qui concernent les
particuliers. Ceux-ci peuvent également solliciter l’aide de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH). Cela
vous semble-t-il aller dans le bon sens ?
Je tiens, d’autre part, à vous rassurer : les conseils départementaux, que nous avons réussi à sauver,
remplaceront les services de l’État pour apporter conseil et assistance aux petites communes et
continueront à assurer l’ingénierie. C’est en tous cas ce qui se passe dans les Hautes-Pyrénées.
Je fais remarquer par ailleurs qu’il ne suffit pas d’augmenter la DETR pour aider une commune à
investir : il faut aussi que celle-ci puisse s’autofinancer ou recourir à l’emprunt. Qu’on le veuille ou non,
les subventions d’investissement ne dépassent pas 50 % d’un projet ; la commune doit donc trouver
les autres 50 %. Pour autant, il est important d’augmenter les aides à l’investissement, comme cela a
été fait en 2014 pour la DETR – à hauteur de 30 %. Et je pense, monsieur le président de la FNTP,
que, sur le milliard d’euros du fonds d’investissement dont nous avons parlé en début d’audition,
500 millions seront en effet destinés au monde rural. Vous devriez en récupérer une bonne partie.
Après tout, il y a 36 000 communes en France, ce qui représente 36 000 mairies, clochers et salles
des fêtes…
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M. le président Alain Fauré. Vous avez déclaré tout à l’heure que vous aviez l’impression de ne pas
être entendus. Pourtant, les choses bougent, même si tout n’est pas encore acquis. Je pense, par
exemple, à la récupération de la TVA sur les travaux de réparation – peut-être pas sur les ponts, mais
dans les bâtiments, pour des raisons d’économies d’énergie.
M. Bruno Cavagné. Merci, madame la députée, pour les mots que vous avez prononcés. Je crois en
effet que, dans votre département, que je connais très bien, les entreprises de travaux publics ont
répondu présentes. Malheureusement, on parle surtout de travaux publics ou d’infrastructures lorsque
des catastrophes naturelles se produisent. Et celles-ci risquent d’être de plus en plus fréquentes.
Par ailleurs, j’observe que les subventions au bloc communal sont en forte diminution : moins 7,5 %
dans les budgets primitifs 2015 pour les infrastructures. Depuis 2007, la chute est de 36 %, ce qui
constitue un réel problème.
Quant à la DETR dont vous parliez, j’espère que nous allons pouvoir en bénéficier. Le problème est
que, dans son discours, le Président de la République fait allusion au bâtiment, mais pas forcément
aux travaux publics. Nous aurions donc bien besoin de quelques précisions, et que la référence aux
travaux publics figure dans la loi de finances. Il faudra donc veiller, mesdames et messieurs les
députés, à ce que le secteur des travaux publics bénéficie de la DETR – comme du FCTVA.
Je terminerai sur les liquidations d’entreprises, qui s’accélèrent en effet. Il y a quelques années,
c’étaient plutôt des petites entreprises peu structurées qui déposaient le bilan. Maintenant, c’est aussi
le cas d’entreprises plus importantes. Toutes vont directement à la liquidation, sans passer par le
redressement judiciaire, tant leurs difficultés sont importantes, tant leur trésorerie est exsangue.
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MARDI 15 SEPTEMBRE 2015
NADIA BELLAOUI, PRESIDENTE DU MOUVEMENT ASSOCIATIF, ET
FREDERIQUE PFRUNDER, DELEGUEE GENERALE DU MOUVEMENT
ASSOCIATIF
Mme Jeanine Dubié. Au début de votre intervention, vous avez insisté sur le caractère très
hétérogène du monde associatif. Pour simplifier, on peut dire qu’il y a, d’un côté, un univers constitué
essentiellement de bénévoles qui contribuent à maintenir du lien social dans les communes grâce à
des activités sportives ou culturelles, et, de l’autre, des associations qui sont délégataires de service
public. Ces dernières œuvrent non seulement dans le service aux personnes âgées, dont nous avons
parlé, mais aussi dans les domaines de l’insertion ou de la sauvegarde de l’enfance, où le financeur
est le département et non plus la commune ou l’intercommunalité. Dans ce cas, le financement prend
rarement la forme d’une subvention et passe le plus souvent par des dotations ou une tarification
horaire.
Au sein de votre mouvement, compilez-vous aussi les informations concernant ces associations qui
sont souvent organisées en fédérations nationales ? Nous sommes en train de mesurer les baisses de
subventions accordées aux clubs de sport, aux associations culturelles et autres MJC. Mais les
restrictions budgétaires pourraient aussi affecter ces autres formes de financement que sont les
tarifications horaires et les dotations. Je m’en inquiète, car, d’une part, ce secteur est le plus grand
pourvoyeur d’emplois du monde associatif, et, d’autre part, les effets pourraient se faire sentir en
matière de service public. Pourriez-vous nous apporter des éléments un peu plus précis sur ces
associations délégataires de service public ?
Mme Nadia Bellaoui. Pour vous répondre de manière plus complète, nous solliciterons plus
particulièrement l’un de nos membres, l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes
privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS), qui fédère ce secteur des associations délégataires de
service public. Nous avons l’occasion d’en discuter régulièrement. Les organismes déplorent des
tarifications immuables qui ne tiennent pas compte des besoins de qualifier le personnel, alors même
qu’on leur demande de gagner en efficacité. Cependant, en première analyse, nous avons le
sentiment que le secteur a été plutôt protégé en 2015. En tout cas, c’est ce que tendent à montrer les
informations qui nous parviennent des unions régionales interfédérales des organismes privés
sanitaires et sociaux (URIOPSS) et des fédérations spécialisées.
Nous n’avions pas abordé ce thème, parce que les conseils généraux nous semblaient être hors du
cadre de votre commission.
M. le président Alain Fauré. C’est le cas.
Mme Nadia Bellaoui. Notez que, de plus en plus et à très juste titre, on nous demande de mieux faire
travailler des organismes ensemble autour d’une dynamique territoriale. D’ailleurs, nous nous le
demandons aussi à nous-mêmes. Il existe une dynamique de rapprochement entre le médico-social et
l’éducatif, entre l’éducatif et l’éducation populaire, la culture et le sport. Il ne faudrait pas que les
restrictions budgétaires détruisent cette dynamique qui contribue à une prise en charge globale de la
personne, qui évite de mettre les gens dans des cases et de multiplier les silos. Il faudrait donc que
les collectivités locales puissent continuer à financer l’action sociale, en complément du conseil
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MARDI 29 SEPTEMBRE 2015
GABRIELLE GAUTHEY, DIRECTRICE DES INVESTISSEMENTS ET DU
DEVELOPPEMENT LOCAL (CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS)
ET MARC ABADIE, DIRECTEUR DU RESEAU ET DES TERRITOIRES (CAISSE
DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS)
Mme Jeanine Dubié. Plusieurs intervenants nous ont dit avoir travaillé avec vous sur le
préfinancement du FCTVA, en nous faisant part de leur scepticisme. Le dispositif du prêt à taux zéro
leur apporte en effet plutôt une aide de trésorerie qu’il n’est un soutien à l’investissement.
Je ne puis imaginer que la Caisse des dépôts ne compte pas un service de prospective ou
d’anticipation qui puisse faire des prévisions. Pour ma part, je suis bien moins optimiste que notre
président et je m’attends à une baisse des dotations en 2015, en 2016 et en 2017. Le phénomène va
s’accentuer. La capacité d’autofinancement des communes va baisser, particulièrement en zone
rurale, où cette problématique ne se pose pas dans les mêmes termes que pour les grandes
métropoles. Quand une commune ne compte que 600 habitants, ce sont bien eux qui sont
directement touchés à la moindre réduction des coûts de fonctionnement, car tout est déjà calculé au
plus juste. La réduction de la capacité d’autofinancement affecte aussi immédiatement l’entretien des
bâtiments communaux, de la voirie. La France, tant vantée pour ses paysages, ne le sera plus
guère… Tous les travaux visant à une meilleure attractivité touristique ne pourront plus être poursuivis
faute d’entretien, dans les cinq ou dix ans à venir.
Ne pensez-vous pas qu’il devrait au moins être possible, pour les collectivités, de récupérer la TVA
sur les travaux de grosses réparations ?
M. Marc Abadie. Pour avoir été directeur de l’agence de l’eau Adour-Garonne, j’ai des souvenirs très
précis de votre département, madame la députée. Quant au préfinancement du FCTVA, certains
rapports d’inspection laissent entendre que c’est le mécanisme lui-même qui devrait être revu.
Néanmoins, dès lors que 8 % ou 9 % des opérations ont été déclarées éligibles, nous les
préfinançons, ce qui représente un coût pour la Caisse des dépôts, même si nous limitons au plus
simple l’ingénierie financière en privilégiant la dématérialisation. Les préfets et directeurs régionaux de
la Caisse attirent l’attention des maires et des présidents d’intercommunalité sur ces opportunités, en
réalisant un travail de persuasion qui est en train de porter ses fruits, après un démarrage assez lent.
Quant à savoir, dans un monde où prévaut le principe de libre administration des collectivités
territoriales, si le mécanisme peut produire un effet structurant sur la relance de l’investissement,
félicitons-nous déjà que l’État ait permis qu’il n’ait pas d’effet aggravant sur la dette des collectivités,
puisqu’il devrait être comptabilisé à part. La situation sera en tout état de cause très variable d’une
commune à l’autre. Puisque nous sommes entre la première campagne et la deuxième, je pense que
nous ne pouvons pas encore arriver à des conclusions définitives. Mais, comme son nom l’indique, le
FCTVA n’a pas pour finalité première de relancer l’investissement.
Mme Gabrielle Gauthey. Sur les petits travaux et le petit budget d’entretien, Mairie Conseil serait
sans doute mieux à même de vous donner des exemples et des conseils. Comme directrice de
l’investissement, je travaille à un allégement des procédures de financement qui permettent une
rénovation des bâtiments dans le sens d’une meilleure performance énergétique. L’étalement du
financement des travaux sur la durée me semble une piste intéressante.
Les Pyrénées nous fournissent un bon exemple de mutualisation, grâce à leur système de réservation
en ligne des stations de ski, géré par la SEM N’Py Résa. En mettant leurs forces en commun, les huit
communes concernées ont eu plus de réservations que si elles s’étaient débrouillées chacune de son
côté. Nous les avons aussi aidées à s’attaquer à la question des « lits froids ». Certes, cet exemple de
mutualisation réussie concerne le domaine touristique et saisonnier, non l’entretien au jour le jour
d’une école ou d’un bâtiment.
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Mme Jeanine Dubié. Je salue vos propos responsables. Il serait en effet illusoire de croire que le
processus de réduction des dotations publiques où nous sommes engagés pourra être inversé. Mais
certaines collectivités sont prêtes à ce changement et jouissent de l’envergure nécessaire et de la
capacité d’ingénierie nécessaire pour bénéficier de votre accompagnement, tandis que d’autres, dans
des zones rurales comme les Hautes-Pyrénées, me donnent beaucoup d’inquiétude. Je rappelle que
ce département, à 80 % rural, compte 474 communes de moins de 250 habitants. Dans certains
villages reculés, la voirie ne pourra plus être entretenue. De l’autre côté de la frontière, en Espagne,
des villages fantômes sont déjà apparus dans le Val d’Aran.
M. Marc Abadie. La Caisse des dépôts ne saurait tout faire, son réseau comptant moins de
1000 personnes. Pour nous prémunir contre la tentation de travailler de préférence avec des
agglomérations de quelque importance, nous avons pris deux orientations fortes.
D’abord, Mairie Conseil verra son offre renouvelée et accrue. En outre, de premiers accords
privilégiés ont déjà été signés, dans l’Aude ou en Haute-Saône, pour anticiper sur la loi NOTRe. En
dernier ressort, ce sont bien les petites intercommunalités et les communes qui en profiteront.
Gabrielle Gauthey prenait à juste titre l’exemple des stations pyrénéennes, qui sont en effet un
modèle. Mais tout dépend du degré d’organisation des collectivités, car nous ne travaillons jamais
qu’en partenariat avec elles. Nous pouvons les inciter et les encourager à agir, les accompagner dans
cette action, mais jamais nous substituer à elles. En tout état de cause, nous attendons beaucoup de
la refonte de la carte intercommunale, en espérant qu’elle permettra d’imaginer des solutions
nouvelles et adaptées aux besoins des territoires.
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MARDI 29 SEPTEMBRE 2015
SERGE BAYARD, PRESIDENT DE LA BANQUE POSTALE COLLECTIVITES
LOCALES, ET JEAN-SYLVAIN RUGGIU, DIRECTEUR DU MARCHE «
SECTEUR PUBLIC ET PPP » (GROUPE BPCE)
Mme Jeanine Dubié. On parle du bloc communal sans distinguer communes et intercommunalité.
Constatez-vous, l’un ou l’autre, que les investissements qui ne sont pas réalisés par les communes
sont compensés par une hausse des investissements des intercommunalités ? Est-ce quelque chose
que vous pouvez mesurer, ou bien est-il beaucoup trop tôt pour le faire ?
J’ai besoin d’une précision s’agissant de l’entretien du patrimoine actuel du bloc communal, dont vous
avez dit qu’il nécessiterait 37 milliards d’euros par an de dépenses d’investissement. Avez-vous bien
dit qu’au bout des trois ans, la baisse de 10 milliards d’euros des dotations se traduirait par une baisse
de 10 milliards d’euros des investissements ? J’ai besoin d’une explication, parce que je pense n’avoir
pas bien compris.
M. Serge Bayard. Nous livrerons nos conclusions sur l’évolution de l’investissement en 2015 au mois
de novembre. Nos équipes y travaillent actuellement, mais, aujourd’hui, rien ne remet en cause nos
prévisions pour 2015, qui avaient été publiées en 2014. Le constat est donc celui d’une baisse de
l’investissement, sachant que l’année 2015 est marquée par deux phénomènes. Le premier est, avec
l’installation des nouvelles équipes municipales, le lancement d’investissements dès le début de
l’année. Le second est qu’il y a beaucoup d’opérations de renégociation de dettes.
Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, nous ne savons pas ce que nous finançons. Parfois, nous ne
savons pas, en accordant un prêt à une collectivité, qu’elle rembourse par ailleurs un autre banquier –
en fait, elle n’investit pas, et nous l’apprenons souvent plus tard. Cette distinction entre endettement
nouveau et endettement de substitution est une question à travailler, parce qu’il y a eu effectivement
beaucoup de renégociations d’emprunts, notamment au premier semestre où les taux étaient très bas.
Je ne parle pas là de désensibilisation de prêts toxiques, je parle bien de collectivités qui ont
emprunté en 2010 ou 2011, à des taux très élevés.
M. le rapporteur. Elles font de la gestion active !
M. Serge Bayard. Je n’aime pas trop cette expression. Je préfère parler de « renégociation
d’emprunt », qui est du même style que le bon gros prêt immobilier que l’on souscrit à titre personnel.
Cela m’amène à la toute dernière question. Effectivement, depuis plusieurs années maintenant, les
prêts aux collectivités locales sont assortis d’indemnités de remboursement anticipé. Ainsi, il est
parfois plus onéreux de rembourser par anticipation un prêt que d’en souscrire un autre à un taux plus
bas. C’est vraiment dans le cadre de la relation qu’ils entretiennent avec la banque qui leur a accordé
ce prêt que les maires peuvent négocier une baisse ou, plus rarement, une suppression de ces
indemnités de remboursement anticipé. Pour faire un parallèle tout à fait trivial, c’est exactement la
même chose que quand vous voulez renégocier votre prêt immobilier contracté vers 2010, comme
cela se fait beaucoup.
Pour ma part, je suis extrêmement réservé sur des montages qui viseraient à rallonger démesurément
la dette ou à transformer un prêt amortissable en crédit in fine, ce que j’estime assez dangereux. Par
contre, je n’ai aucun problème avec la renégociation d’un prêt, qui me paraît participer de la bonne
gestion.
Une question portait sur la gestion du patrimoine des collectivités. Celui-ci est bien de 1 300 milliards
d’euros : c’est donc un montant énorme. Quant à donner un scénario de rééquilibrage, je ne suis pas
Mme Soleil, mais je pense que les nouveaux élus, ayant à cœur de réaliser les projets pour lesquels
ils ont été élus, seront certainement tentés de faire des arbitrages en faveur de ces projets au
détriment de l’entretien et du renouvellement du patrimoine existant. Des maintenances et des
renouvellements seront repoussés. Ayant moi-même été élu, je sais qu’on peut se dire que les routes
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tiendront bien encore deux ans, et, finalement, il faut qu’elles tiennent trois ans, cinq ans. Le
problème, c’est qu’à la fin, l’investissement requis pour les remettre en état sera plus important.
S’agissant des pratiques nouvelles, je ne voudrais pas qu’elles se résument au retour aux pratiques
anciennes. Je suis très réservé face aux demandes d’allongement de la durée de remboursement
d’une dette, de dix à trente-cinq ans, ou de transformation d’un prêt amortissable en crédit in fine. Ce
ne sont pas là des pratiques nouvelles : on les a connues avant 2010. Et, comme dirait l’autre, « il y
en a qui ont essayé, ils ont eu des problèmes ». Nous sommes donc assez réservés, parce qu’il ne
faudrait pas qu’un emprunteur, pour gagner deux ou trois ans, se retrouve ensuite dans une situation
financière extrêmement dégradée.
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MERCREDI 30 SEPTEMBRE 2015
BRUNO DELSOL, DIRECTEUR GENERAL DES COLLECTIVITES LOCALES
Mme Jeanine Dubié. Depuis le début de nos auditions, nous entendons que la baisse des dotations –
ces fameux 12 milliards d’euros sur trois ans – n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact. Il me semble
pourtant que cela relève de la responsabilité de l’État. La DGCL a-t-elle fait des simulations ? Si oui,
pouvez-vous nous apporter quelques éléments de compréhension ?
Pouvez-vous nous donner des solutions pour aider les collectivités à rééquilibrer leur budget,
notamment leur budget de fonctionnement ? Est-il envisagé de modifier les règles liées aux
amortissements, notamment l’allongement de la durée des amortissements ?
M. Bruno Delsol. En matière d’évolution d’effectifs, les communes ont en effet le sentiment qu’on leur
fait un mauvais procès. Bien évidemment, ce n’est pas ma position ni celle du Gouvernement. Je
n’entends pas donner aux communes des conseils de gestion. Je ne suis ni habilité à le faire, ni
qualifié pour le faire, et le Gouvernement ne le fait pas davantage. Les analyses faites sur l’évolution
de la dépense et des effectifs n’impliquent aucun jugement de valeur sur l’utilité de la dépense. C’est
une autre question, sur laquelle je me garderai bien d’intervenir.
Le rapport Lambert-Malvy cite des cas de collectivités qui sont parvenues à baisser leur masse
salariale. Depuis un peu moins de dix ans, on constate un freinage de la hausse – pas une baisse –
qui semble témoigner d’une évolution dans les comportements. Le coût des normes explique très
probablement une partie de la hausse des dépenses de fonctionnement et sans doute aussi une
partie de l’augmentation des effectifs.
J’étais, il y a peu de temps encore, préfet d’un département rural. À cette occasion, j’ai pu mesurer à
quel point les maires sont irrités par la prolifération des normes. Ils ont le sentiment qu’on leur invente
tous les jours quelque chose qui vient leur compliquer la vie. J’appelle votre attention sur le fait que
ces normes contrarient aussi l’administration qui en est la victime et pas seulement l’auteur. La
volonté du Gouvernement est bien de maîtriser l’inflation normative. Le Premier ministre a fixé pour
objectif que le coût de toute norme nouvelle devra être gagé par le coût d’une simplification. Pour
l’année 2015 – le sujet a été documenté par le Conseil national d’évaluation des normes (CCEN) –,
nous sommes parvenus à stabiliser le coût réglementaire. Il est vrai cependant que le coût des
mesures en matière de fonction publique n’entre pas dans cette comptabilité car nous estimons qu’il
est d’une autre nature. Je parle ici des normes proprement dites, c’est-à-dire des normes techniques.
Il existe un intervalle de temps entre le moment où nous maîtrisons mieux au niveau central la
machine à produire des normes et celui où les communes s’en aperçoivent dans leur vie quotidienne.
Nous sommes précisément dans cette période, qui est assurément la moins confortable.
Il est indiscutable que la maîtrise des effectifs dans les collectivités doit tenir compte de questions
telles que l’ancienneté, le rythme des départs à la retraite, etc. Comment concilier la politique de
maîtrise des effectifs avec des données qui sont rigides, comme l’âge de départ à la retraite des
agents et leur ancienneté ? J’ai l’impression que les collectivités se heurtent à des questions qui sont
très familières à l’État. J’ai rappelé, devant des assemblées de maires, que dans ma préfecture j’avais
ainsi perdu en six ans 20 % de mes effectifs. L’effort demandé aux collectivités n’est pas du même
ordre. La Direction départementale des finances publiques (DDFiP), la Direction départementale de la
cohésion sociale et de la protection des populations (DCSPP), la Direction départementale des
territoires (DDT) ont perdu entre 20 et 25 % de leurs effectifs ; on n’a jamais demandé aux communes
d’en faire autant.
Le nombre d’emplois aidés a augmenté en 2013 de 44 %, ce qui est considérable mais qui
correspond au décollage des emplois d’avenir qui n’existaient pas jusqu’à présent.
Quant à la pyramide des âges, nous vous la transmettrons. Elle a été publiée dans l’ouvrage Les
collectivités locales en chiffres. Par contre, je vous demanderai de nous laisser le temps de vérifier si
nous avons des données chiffrées sur le GVT. À vrai dire, je n’en suis pas certain.
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J’en viens aux fusions de communes. Je ne suis pas prescripteur en la matière. Les fusions de
communes ne peuvent se faire que par le libre choix de ces dernières puisqu’une décision à
l’unanimité est nécessaire, soit par délibération des conseils municipaux, soit par recours au
référendum qui doit être positif dans toutes les communes. Je constate actuellement une certaine
dynamique en ce qui concerne la création de communes nouvelles. J’ai connaissance de 200 à
300 projets à des degrés d’avancement différents.
Vous m’interrogez sur la montée en gamme de l’intercommunalité. Aujourd’hui, la dotation
d’intercommunalité dépend de la catégorie juridique. Si les communes passent d’une communauté de
communes à une communauté d’agglomération, la dépense augmente alors que l’enveloppe est
fermée. Le projet de réforme de la DGF, examiné ce matin en conseil des ministres, prévoit de mettre
fin à ce système dans lequel le montant de la dotation par habitant est fonction de la catégorie
juridique au profit d’un système à notre avis plus équitable où la dotation d’intercommunalité sera fixée
en fonction des charges de centralité, du degré d’intégration et de critères de péréquation.
Quant au rythme de décaissement de la DETR, nous vous transmettrons un tableau très précis. Ce
rythme est bien connu et bien documenté puisque nous en avons besoin pour programmer nos
ouvertures de crédits de paiement. En gros, il est de 15 % l’année de l’ouverture des autorisations
d’engagement et de 35 % la deuxième année.
La question de la modification de la durée d’amortissement est à l’étude. Actuellement, les règles en
matière de durée d’amortissement des immobilisations laissent aux collectivités des marges de
manœuvre assez importantes. Nous n’excluons pas de les élargir, à condition de rester dans le cadre
des principes du plan comptable général. Vous le savez, un effort important a été fait pour mettre la
comptabilité publique française aux normes internationales comptables. On ne peut pas s’en éloigner.
Il faut rester conforme au principe selon lequel la comptabilité doit donner une image fidèle.
M. le rapporteur. Vous avez oublié de répondre à madame Dubié qui vous a demandé si une étude
d’impact avait été réalisée. Elle rejoint la question que j’ai posée sur les notes aux ministres, que nous
viendrons chercher puisque j’ai bien compris qu’il était compliqué de les avoir.
M. Bruno Delsol. Tous les projets de lois sont accompagnés d’une étude d’impact, y compris la loi de
programmation des finances publiques qui a décidé cette hausse. Reste à savoir si vous avez trouvé
dans cette étude d’impact tout ce que vous auriez souhaité y voir. Mais c’est une question distincte…
M. le président Alain Fauré. Quand on ne veut pas voir certaines informations dans un document, on
ne les trouve pas, en effet !
M. le rapporteur. Comme madame Dubié, je ne sais pas lire ! Dans l’étude d’impact, je n’ai pas vu les
conséquences des baisses de dotations sur les finances des collectivités locales et sur la croissance.
Cela n’y figure pas. Sinon nous n’aurions pas eu besoin d’une commission d’enquête.
M. le président Alain Fauré. Monsieur le rapporteur, ce n’est pas ce qu’a dit monsieur Delsol. C’est
moi qui ai pu semer le trouble. Ne mettons pas en porte-à-faux nos intervenants, même s’ils se
doivent de répondre aux questions.
M. Bruno Delsol. Il est possible que j’aie répondu rapidement sur certains points. Aussi, je vous
transmettrai une documentation complémentaire, certaines de vos questions appelant des tableaux de
chiffres ou des fiches.
M. le président Alain Fauré. Je vous remercie en effet de les transmettre. Elles pourront servir à la
rédaction de notre rapport.
23
MERCREDI 30 SEPTEMBRE 2015
YOANN IACONO, CONSEILLER DU PRESIDENT DE L’ASSOCIATION DES
ADMINISTRATEURS TERRITORIAUX DE FRANCE (AATF)
Mme Jeanine Dubié. Il y a longtemps que l’on entend le discours de l’optimisation des moyens et des
missions dans les collectivités locales, et que nombre de mesures sont mises en œuvre dans tout ce
qui touche à la RH et notamment à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
Beaucoup de collectivités sont engagées dans ce processus, au risque de mettre en place de
véritables usines à gaz finalement plus coûteuses. La fonction publique territoriale compte beaucoup
d’agents de catégorie C, ce qui pose le souci de l’adaptation des agents aux postes de travail. Les
collectivités doivent conduire un important effort de formation continue et initiale. Ne pensez-vous pas
qu’il serait nécessaire de toiletter le référentiel de formation pour qu’il corresponde à ce que l’on attend
des fonctions d’encadrement intermédiaire et d’encadrement des collectivités locales ? Je pense
notamment à l’usage du numérique.
S’agissant des dépenses, pourriez-vous apporter des éléments sur ce qui touche aux politiques
d’achats publics, notamment en achats centralisés et en commande groupée ? Travaillez-vous sur ces
pistes ?
Afin d’améliorer le rendement de la fiscalité locale, des collectivités passent des protocoles d’accord
avec les services fiscaux pour travailler sur le redressement des bases fiscales, la collectivité
apportant en contrepartie une aide et un suivi au recensement. Avez-vous connaissance de telles
expériences ?
Enfin, sur la gestion active du patrimoine, n’y a-t-il pas des choses à améliorer ? Certaines collectivités
ne savent même pas qu’elles sont propriétaires d’immeubles ou de bureaux répartis sur un
département.
M. Yoann Iacono. Il y a effectivement des choses à faire dans le domaine la commande publique. Je
sais, pour avoir travaillé avec des organisations professionnelles du bâtiment, qu’il faut fluidifier la
commande publique, au bénéfice de l’économie, du territoire et de ses entreprises du BTP. Nous
sommes parfois tenus par des règles tout à fait légitimes, qui ont produit des effets vertueux et positifs
en termes de qualité de gestion, à l’instar de celles sur la transparence ou la lutte contre la corruption.
Mais aujourd’hui, dans un contexte de crise économique, il serait peut-être bon de les fluidifier.
Concrètement, lors du travail que nous avons réalisé avec les entreprises du bâtiment pour tous les
marchés de construction en lien avec le BTP, elles nous ont expliqué que pour être performantes,
elles devraient réduire considérablement les temps de chantier. Pour cela, elles devraient être
davantage associées aux maîtres d’œuvre en amont, dans la construction du projet, ce qui éviterait de
nombreux problèmes qui sont réglés ensuite sur le chantier. Or plus il y a de jours de chantier, plus la
performance de l’entreprise est dégradée.
Nous avons donc essayé d’élaborer des marchés de conception-réalisation, qui associent la maîtrise
d’œuvre et les entreprises du BTP. Mais il faudrait trouver une solution dans le code des marchés
publics pour aider les entreprises à réduire les temps de chantier – c’est une bonne idée – et associer
les collectivités plus en amont dans les phases de conception, en prenant exemple sur ces marchés
de conception-réalisation mais en trouvant un levier juridique différent.
Les entreprises nous faisaient aussi savoir que les appels d’offres et les cahiers des charges étaient
trop compliqués. Les petites PME ou les TPE n’ont pas de services pour faire de la veille, ou lire
toutes les clauses dans des documents de cent pages. Nous nous sommes donc engagés à simplifier
les mémoires techniques en deux pages, de manière très concrète et standardisée, afin que les TPE
et les PME puissent s’y retrouver. Nous nous sommes aussi engagés à faire beaucoup plus de
communication en amont, car les entreprises nous informaient qu’elles n’arrivaient pas à s’organiser
et qu’elles n’avaient pas de lisibilité sur les dates de lancement des appels d’offres.
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Il y a donc des règles de droit contenues dans le code des marchés publics à faire évoluer – le
Manifeste de la décentralisation contient des propositions – mais aussi toute une visibilité de la
commande publique de l’État et des collectivités à organiser, y compris avec des outils numériques.
Du point de vue des entreprises, il est anormal d’avoir autant de plateformes que de collectivités
publiques. Il faudrait une plateforme unique sur un territoire qui regroupe les marchés de l’État et ceux
des strates de collectivités territoriales, afin que les entreprises n’aillent sur une seule plateforme, car
pour les entreprises qui n’ont pas de moyens de veille, aller sur toutes les plateformes est compliqué.
Les informations données peuvent être très sommaires : les entreprises n’ont besoin que de l’objet, du
montant, de la date prévisionnelle et des différents lots – il faut qu’elles sachent s’il y a beaucoup
d’allotissement, si c’est de l’entreprise générale ou s’il y aura du macro-lot. Cela leur suffit, à une
échelle de six mois, pour s’organiser.
Vous avez donc raison, il y a un travail profond à mener sur la commande publique et des propositions
très concrètes peuvent être mises en œuvre.
Sur la question du patrimoine, les collectivités territoriales comme l’État sont déjà engagés dans une
gestion active du patrimoine. Si l’on veut jouer sur tous les leviers d’optimisation, il est nécessaire de
travailler ce point en mettant en place des systèmes d’information géographiques (SIG) et des
logiciels de suivi. Mais une fois encore, il y a une inégalité entre collectivités riches et pauvres. Après
avoir travaillé pour une région, je travaille pour une communauté d’agglomération, et je vois la
différence. À l’échelle de la région, nous avions un SIG extrêmement développé pour la gestion de
notre patrimoine, avec des vues en trois dimensions, et l’on pouvait piloter tout cela et faire des
cessions. Dans la communauté d’agglomération où j’arrive, il n’y a pas de logiciel de suivi.
Cela pose la question des dépenses d’investissement : sachant que ces dépenses sont extrêmement
comprimées, qui pourrait demander au président de la communauté d’agglomération de réduire
l’investissement dans une crèche pour investir dans un SIG de patrimoine ? L’arbitrage est vite fait.
On voit que la baisse de revenu des collectivités touche souvent les dépenses innovantes, ou qui sont
susceptibles de générer des économies de fonctionnement. Par exemple, pour la collecte des ordures
ménagères dans la communauté de communes où je travaille, le matériel est vétuste et il faudrait que
nous renouvelions le parc de véhicules avec des camions électriques. Mais cela coûte extrêmement
cher, et ce n’est donc pas la priorité. Compte tenu du contexte financier, cette dépense-là sera
reportée et notre matériel continuera de vieillir, entraînant un accroissement des dépenses de
maintenance, de fluides et de consommables, alors qu’un investissement dans le parc électrique
permettrait des gains en termes de qualité de service, de nuisances sonores et de fonctionnement.
Mais nous ne ferons pas cette dépense car elle n’est pas prioritaire.
De la même façon, pour en revenir au patrimoine, nous ne faisons pas la dépense pour acquérir un
SIG parce que ce n’est pas une dépense prioritaire dans un contexte contraint. Et tout cela se
retrouvera dans les tensions en fonctionnement. Nous aurons beau nous démener, si nous n’arrivons
pas à faire les investissements innovants de performance énergétique parce que le contexte est trop
contraint, nous ferons face à des difficultés financières. Il faut donc permettre ces investissements
plus innovants.
Cela pose la question des dépenses d’investissement : sachant que ces dépenses sont extrêmement
comprimées, qui pourrait demander au président de la communauté d’agglomération de réduire
l’investissement dans une crèche pour investir dans un SIG de patrimoine ? L’arbitrage est vite fait.
On voit que la baisse de revenu des collectivités touche souvent les dépenses innovantes, ou qui sont
susceptibles de générer des économies de fonctionnement. Par exemple, pour la collecte des ordures
ménagères dans la communauté de communes où je travaille, le matériel est vétuste et il faudrait que
nous renouvelions le parc de véhicules avec des camions électriques. Mais cela coûte extrêmement
cher, et ce n’est donc pas la priorité. Compte tenu du contexte financier, cette dépense-là sera
reportée et notre matériel continuera de vieillir, entraînant un accroissement des dépenses de
maintenance, de fluides et de consommables, alors qu’un investissement dans le parc électrique
permettrait des gains en termes de qualité de service, de nuisances sonores et de fonctionnement.
Mais nous ne ferons pas cette dépense car elle n’est pas prioritaire.
S’agissant maintenant du statut de la fonction publique territoriale, il me semble protecteur, mais il
permet d’être innovant. C’est pour cela que j’ai choisi la fonction publique territoriale ; j’aurai pu en
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choisir une autre, mais j’aime cette fonction publique car elle est moderne. Lorsque je postule dans
une collectivité locale, aucun bureau du personnel d’un ministère n’intervient pour gérer ma carrière à
l’ancienneté. Je fais exactement comme dans le privé : j’envoie un CV, une lettre de motivation, et je
passe une série d’entretiens jusqu’à l’entretien final avec un président ou un maire. Et si l’on me
recrute, c’est sur des compétences, sur mon expérience. J’ai l’impression de travailler dans le privé,
parce que c’est quelque chose de moderne. J’ai trente-quatre ans, je suis assez jeune, j’ai été
directeur général délégué d’une grande région et je trouve assez exceptionnel d’avoir la confiance
d’élus sans que l’on exige de moi un parcours déterminé. Aujourd’hui, je suis directeur général des
services adjoint d’une communauté d’agglomérations en Île-de-France, et je trouve que la fonction
publique territoriale est innovante et moderne. Nous aurions néanmoins intérêt à travailler plus en lien
avec la fonction publique d’État, car nous sommes nous-mêmes bloqués dans des déroulés de
carrière que nous souhaiterions plus ouverts, pour aller vers d’autres fonctions publiques, et même le
monde de l’entreprise : cela n’a rien de choquant.
S’agissant de la prédominance du personnel de catégorie C dans le bloc communal, je n’en ignore
rien, puisque j’ai en charge la propreté. Pour ne rien vous cacher, nous travaillons aujourd’hui sur
l’intégration de cette compétence dans un territoire plus vaste, ce qui nous amène à travailler très
concrètement avec les agents, dans le dialogue social, en insistant sur la polyvalence. Nous leur
expliquons qu’ils ne pourront pas exercer demain comme aujourd’hui : ils devront faire preuve de
polyvalence territoriale, de polyvalence de compétence, et tout cela est permis par le statut de la
fonction publique territoriale.
De la même façon, ce statut permet de rémunérer au mérite, d’adosser une partie du régime
indemnitaire annuel à une évaluation professionnelle fondée sur des objectifs mesurables et
quantifiables, et d’avoir un régime indemnitaire adossé qui varie dans des proportions importantes.
Quand je travaillais pour une région, une part importante de mon régime indemnitaire était adossée à
l’évaluation au mérite, et certaines années j’avais plus que d’autres. Ce n’était pas choquant,
l’ensemble du personnel de catégorie A l’acceptait parce que cela avait été discuté et s’inscrivait dans
le cadre d’une politique managériale assumée.
Sur la formation, je ne voudrais pas être désagréable, et je suis désolé de m’exprimer à nouveau du
point de vue de la région, mais les derniers transferts de compétence ont plutôt concerné les
départements et les régions. Quand les régions ont hérité le personnel d’entretien des lycées, je peux
vous assurer qu’une politique extrêmement importante de formation et de santé a été mise en place.
Ce personnel n’avait aucun entretien médical annuel et un absentéisme extrêmement important a très
vite été constaté par la région pour cause de maladies professionnelles, parce que le travail de suivi
de santé qui échoit à tout employeur n’avait pas été fait.
Je rejoins donc tout à fait vos propos sur le personnel de catégorie C dans le bloc communal. Il y a un
chantier à mener sur la formation et l’adaptation aux métiers liés aux nouvelles attentes. Aujourd’hui,
l’exigence des citoyens est extrêmement forte. Il y a une part de schizophrénie de notre société qui a
une grande exigence à l’égard des services publics mais qui ne veut pas payer d’impôts et trouve qu’il
y a trop de fonctionnaires. Les élus locaux et les fonctionnaires sont tiraillés au milieu de tout cela.
Nous essayons de faire au mieux, mais on ne peut pas résoudre une équation qui a trop d’inconnues.
Le thème de la formation rejoint celui du numérique, des nouvelles technologies, de l’accueil du
public. Je suis convaincu qu’il y a dans ces domaines un enjeu majeur de mutualisation à travailler, et
nous le faisons. Mais sur le numérique, je crois que les gains financiers ne seront pas immédiats. Le
travail à mener pour dématérialiser complètement des dispositifs d’aide, de paiement ou de factures
est considérable. Cela suppose un investissement considérable en temps de travail, des achats et des
acquisitions de matériel, tout un travail managérial pour accompagner des personnes qui peuvent être
réticentes à l’usage du numérique ou à des écrans. Cela demande un travail extrêmement important,
qui doit être mené car c’est le sens de l’histoire, mais qui n’apportera pas de gains à court terme.
Il en va de même pour la mutualisation : quand les mutualisations se sont mises en place à l’issue de
la loi Chevènement – c’est un sujet que je connais également –, les gains de mutualisation ne sont
pas apparus à court terme ; c’est plutôt à moyen terme, à un horizon de huit à dix ans. Mais
aujourd’hui, quels que soient les projets de l’intercommunalité ou des régions, les gains ne seront pas
immédiats. Quand il faut mutualiser des progiciels financiers, des progiciels RH ou des organisations,
26
il est fait appel à la force interne de la collectivité, parfois à des conseils, parce que ce sont des projets
extrêmement techniques, et cela coûte cher. Il y a donc un surcoût les premières années, et l’on
espère un gain les années suivantes. Mais dire que la mutualisation apporte un gain immédiat ne se
vérifie pas au niveau technique.
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MARDI 6 OCTOBRE
LUC ALAIN VERVISCH, PROFESSEUR ASSOCIE A L’UNIVERSITE DE
CERGY-PONTOISE, MEMBRE DU CONSEIL D’ADMINISTRATION DE
L’ASSOCIATION FINANCES-GESTION-ÉVALUATION DES COLLECTIVITES
TERRITORIALES (AFIGESE).
Mme Jeanine Dubié. J’ai bien entendu que la baisse des dotations ne venait que s’ajouter à un
processus déjà engagé, et qu’elle ne suffisait pas à expliquer l’essentiel de la baisse de
l’investissement. Reste que celle-ci devrait être de 10 % par an.
Le tissu communal est composé à 80 % de communes de moins de 250 ou 300 habitants, qui ont très
peu de marge de fonctionnement : on ne peut pas leur prendre ce qu’elles n’ont plus. Déjà, la plupart
du temps, c’est l’élu qui se démène pour que l’on y maintienne un service public de proximité. C’est
l’investissement de ces communes qui fait vivre l’artisanat local. Quant aux travaux publics, ils
dépendent à 70 % de la commande publique.
Dans ces conditions, je me demande si nous n’allons pas vers la disparition de nos villages. En effet,
la population finira par partir si le patrimoine, la voirie et les réseaux d’eau potable ne seront plus
entretenus. C’est ce qui s’est passé en Espagne, où des villages ont été abandonnés. Notre pays
risque de payer cher ce manque d’entretien, en termes d’attrait touristique et de cohésion sociale.
M. Luc Alain Vervisch. L’État est pleinement conscient des risques d’évolution négative des
territoires ruraux : d’où le fonds d’un milliard d’euros supplémentaires ; d’où la modification de la DGF
qui devrait redonner, grâce à la dotation de ruralité, une certaine capacité d’action financière aux
collectivités, fragilisées notamment par la faiblesse de la densité démographique. Celle-ci avait déjà
été repérée – en particulier dans l’étude d’Alain Guengant et Guy Gilbert –, mais n’avait pas pu être
traitée dans la DGF de 2004. Il est indéniable que les communes rurales souffrent. Je remarque
toutefois qu’elles souffrent proportionnellement un peu moins que les autres : la contribution au
redressement des comptes publics étant calculée sur les recettes de fonctionnement, comme les
recettes de fonctionnement par habitant en milieu rural sont moins élevées, la pression y est un tout
petit peu plus faible.
Cela étant, les mesures de compensation prises par l’État aboutissent à « recentraliser » la décision.
Le milliard d’euros est ainsi réparti soit sur des politiques stratégiques définies par lui, soit en faisant
jouer un rôle au préfet. Est-ce la résurgence de ce qui existait avant 1982, quand les projets
d’investissement communaux, pour pouvoir être financés par des prêts bonifiés, avaient besoin d’une
subvention de l’État, ce qui faisait indirectement de celui-ci le maître du développement territorial ?
Est-ce un retour en arrière par rapport à la décentralisation ? Je partage tout à fait votre interrogation
sur ce point.
Pour autant, je ne crois pas que l’on ira là où vous craignez qu’on aille, même si la faible densité du
territoire national et le niveau aujourd’hui exceptionnel de ses équipements amènent à s’interroger sur
notre capacité financière à les entretenir, alors que la croissance et les moyens financiers globaux
sont malheureusement réduits.
Cela me conduit à évoquer l’emprunt, et la pertinence ou la qualité des choix d’investissement faits
dans le passé. Je ne crois pas du tout que l’on puisse dire, à part quelques exceptions locales, que la
stratégie d’investissement des trente premières années a été mal venue. Simplement, elle s’est
fondée sur un équilibre économique dans lequel on empruntait pour investir, parce que l’on savait que
l’on pourrait rembourser grâce à des ressources en croissance tendancielle. Exactement comme un
ménage emprunte pour acheter sa maison parce qu’il anticipe sur ses ressources pour rembourser
ses mensualités. En outre, en cas d’accident de la vie, les primes d’assurance lui permettront toujours
de passer ce cap difficile. Mais les collectivités territoriales n’ont pas de primes d’assurances.
28
La baisse des dotations de l’État provoque donc une rupture dans la tendance à la croissance des
ressources ; elle amène à s’interroger sur la façon de rembourser la dette passée, et rend les
collectivités plus frileuses quant au recours à l’emprunt pour financer des investissements nouveaux.
De fait, dans l’exposé des motifs du PLF, le déficit public local pour 2016 est estimé à 0,1-0,2 % – il
serait beaucoup plus faible que ce qui était prévu dans les projets de prospective. Cela montre bien
que les collectivités emprunteront moins, non pas parce qu’elles sont moins ambitieuses en matière
d’investissements, mais parce qu’elles craignent de ne pas avoir la capacité de les rembourser. Voilà
pourquoi je n’avais pas évoqué l’emprunt comme solution, même si, dans les modèles économiques
qui ont pu tourner, le recours à l’emprunt reste une réalité et atténue la baisse de ces fameux
investissements en volume à un niveau qui permettra globalement de maintenir le patrimoine. Mais ce
ne sera pas partout le cas, compte tenu de certaines situations individuelles.
Je ferai une remarque à propos du revenu par habitant. Selon moi, la qualité d’un indicateur tient à sa
signification, et surtout au fait que sa signification est permanente. Si l’on considère que le revenu par
habitant traduit le poids des charges publiques, encore faut-il que ce revenu n’évolue pas d’une année
sur l’autre, ce qui laisserait penser que les charges publiques évoluent elles aussi fortement, alors
qu’elles sont par nature très rigides.
Entre 2014 et 2015, l’évolution du revenu par habitant a été de 6 %, avec un écart type – onc une
variation par rapport à 6 – de 2,50. Cela signifie qu’il y a un coefficient de dispersion de 40 %. On peut
donc dire qu’au niveau des ensembles intercommunaux, l’indicateur n’est absolument pas fiable.
Sinon, cela signifierait qu’il traduit une non-permanence des charges publiques. Vous comprendrez
donc que je sois un peu réservé.
La formule des « neuf ans en dix ans » n’a de sens que lorsque l’on investit sur du neuf. Faire un
projet nouveau en dix ans plutôt qu’en neuf ans ne me paraît pas constituer un problème crucial. En
revanche, ne pas pouvoir entretenir normalement son patrimoine, c’est prendre le risque qu’au bout
de neuf ans, au moment où il aurait dû être réparé, il s’effondre, ce qui est évidemment plus
préoccupant.
Enfin, je pense vraiment que le développement de la technicité, en matière financière et en matière
d’outils de pilotage de la gestion, est de nature à générer des économies. Il peut permettre, par
exemple, d’améliorer la rentabilité fiscale. C’est ainsi que lors des dernières assises, la communauté
d’agglomération du Grand Saint-Brieuc nous a présenté, pour le prix de l’innovation, un dossier sur le
suivi de la taxe du versement transport ; un cadre s’en occupe à temps plein, mais le coût de son
travail est largement compensé par l’efficacité de la mesure.
De telles démarches doivent plutôt être engagées au niveau intercommunal, voire au niveau de
regroupements d’intercommunalités. Sur l’observatoire fiscal, sur le pilotage des partenaires, sur
l’évaluation des politiques publiques, elles ne peuvent être techniquement menées, en effet, que sur
des territoires suffisamment vastes.
M. le rapporteur. J’ai cru entendre que le revenu par habitant avait augmenté de 6 % entre 2014
et 2015.
M. Luc Alain Vervisch. D’après les statistiques de la direction générale des finances publiques, le
revenu par habitant pris en compte pour le calcul des données de la DGF a en effet augmenté de 6 %
entre 2014 et 2015. Ces chiffres me surprennent, sans doute tout autant que vous, car ce n’est pas le
(1)
sentiment que l’on a .
M. le rapporteur. Ce n’est pas la réalité !
M. Luc Alain Vervisch. Ces chiffres portent sur les ensembles intercommunaux, dont il faut exclure
les communes qui étaient encore isolées, principalement Paris et la Première couronne. Mais ils
concernent tout de même la majeure partie de la population française.
29
M. le rapporteur. Alain Calmette s’est arrêté sur l’affirmation selon laquelle le volume des
investissements permettrait de faire en dix ans ce que l’on aurait pu faire en neuf. J’observe que
certains intervenants nous ont dit qu’on ferait en dix ans ce que l’on aurait pu faire en sept, ce qui
n’est pas tout à fait la même chose.
Par ailleurs, je m’interroge : si la baisse des dotations aboutit à la recentralisation d’un certain nombre
de compétences, ne peut-on pas dire que la baisse des dotations est inconstitutionnelle ?
M. Luc Alain Vervisch. On pourrait aussi dire le contraire, puisque le transfert de compétences
s’accompagnerait d’un transfert de moyens ou de ressources dans l’autre sens, ce qui est tout à fait
dans la lettre du texte. Pour autant, je reconnais que c’est un véritable enjeu pour le monde local.
Globalement, la décentralisation est une exceptionnelle réussite en termes de développement
territorial. Ce n’est toutefois pas le cas sur deux points : premièrement, la structuration financière de la
décentralisation, qui est un échec ; deuxièmement, la démocratie locale, qui mérite d’être améliorée.
Mais vous connaissez ce sujet mieux que moi…
30
MERCREDI 13 OCTOBRE
TABLE RONDE, OUVERTE A LA PRESSE, SUR LE THEME :
«NUMERIQUE – RESEAUX D’INITIATIVE PUBLIQUE »
Mme Jeanine Dubié. L’investissement dont vous parlez, caractérisé par le mariage du public et du
privé, concerne les zones peu, voire très peu denses. Mais, dans les zones AMII, c’est le jeu du
marché et des opérateurs qui prévaut. Cela veut dire que le contribuable local paiera plus en milieu
rural qu’en milieu urbain, que ces opérations pèseront plus sur sa feuille d’impôts. Quand ce sont les
collectivités qui financent, elles passent nécessairement, en effet, par la fiscalité ou par l’emprunt.
Je voudrais aborder la question de la tarification des réseaux publics. L’ARCEP, suite à la loi Macron,
vient de lancer une consultation sur la définition des grilles tarifaires pour faciliter les relations
commerciales des RIP avec les fournisseurs d’accès internet (FAI). Le régulateur propose un dispositif
en trois temps pour faciliter la convergence des tarifs pratiqués entre les zones d’initiative publique et
la zone privée. Tout cela doit permettre de dégager des recettes pour les RIP, qui pourront ainsi
rentabiliser les investissements réalisés.
J’aimerais donc savoir si les orientations que prend l’ARCEP vous conviennent, et si elles vous
semblent favorables aux RIP. Il ne suffit pas d’investir, il faut ensuite amortir l’investissement. Les
recettes sont donc primordiales pour les collectivités. Je suis d’autant mieux placée pour en témoigner
que, dans le département des Hautes-Pyrénées, le déploiement de la fibre optique se fait dans le
cadre d’un partenariat public-privé (PPP) sur lequel je n’insisterai pas, sinon pour vous assurer que les
recettes prévues ne sont pas au rendez-vous. D’une manière plus générale, quelles suggestions
pouvez-vous faire pour améliorer les recettes, et donc l’amortissement des investissements réalisés
par les collectivités ?
M. Étienne Dugas. Je souhaite répondre à la question de madame Dubié sur les lignes directrices,
sujet ô combien important puisque la consultation vient d’être lancée par l’ARCEP, suite au travail du
législateur.
L’idée initiale était de donner des lignes directrices afin de pérenniser les business plans des
opérateurs d’opérateurs travaillant pour le compte de collectivités locales. Certes, le modèle retenu
chez vous – un PPP – est particulier, mais vous avez les mêmes problèmes que d’autres collègues
dans d’autres territoires.
Tout d’abord, il faut distinguer la fibre dite « noire » et la fibre « activée ». L’ARCEP propose 13 euros
pour la ligne FttH en fibre noire, avec une fourchette de 50 centimes. Le tarif moyen nous convient,
mais nous trouvons la fourchette est un peu étroite. En revanche, la deuxième proposition de l’ARCEP
ne nous va pas du tout : pour les lignes activées, la fourchette va de 19 à 26 euros. Sachant que
Bouygues Télécom a fait de la ligne activée son business model, je me demande comment ils vont
survivre avec de tels prix. Je rappelle qu’un accès grand public est vendu 30 euros TTC, et que
Bouygues Télécom fait des offres d’appel à 19,90 euros TTC. Cela veut dire qu’ils vendraient à perte,
et le business model risque de s’en trouver compliqué.
Pour ajouter un exemple à celui qu’a cité monsieur Nguyen Van Sang, nous pouvons citer Vannes. La
communauté d’agglomération y a lancé un RIP, en partie sur zone AMII, avec une option au cas où
l’opérateur ne respecterait pas ses engagements sur la zone AMII. C’est très efficace : l’opérateur
déploie plus vite la fibre à Vannes que dans d’autres endroits. Et on pouvait déjà voir cela dans le
cadre des RIP de première génération – on parlait de DSL à l’époque. Il fallait aller chercher les
centraux téléphoniques de l’opérateur historique, et les déploiements de l’opérateur historique étaient
aiguillonnés par les initiatives des collectivités locales.
M. Patrick Vuitton. Je rejoins tout à fait les propos qui viennent d’être tenus sur les lignes directrices
de l’ARCEP. Nous nous réjouissons qu’elles introduisent un degré de souplesse qui n’existait pas
31
auparavant, mais elles posent problème sur certains points essentiels au moment du démarrage des
réseaux.
Pour des raisons diverses, Bouygues Télécom a bien d’autres chats à fouetter que les quelques
centaines de milliers de prises des RIP, Free est toujours dans la roue d’Orange et préfère ne traiter
qu’avec cette entreprise, Numericable-SFR se concentre sur ses propres investissements, et Orange,
ayant le réseau cuivre, ne souhaite pas voir de réseaux fibres là où il a le cuivre.
La situation est donc assez complexe, et nous devons la débloquer avec des outils tarifaires. De
nouvelles offres de services apparaissent : Canal Plus-Coriolis et Vidéofutur se sont positionnés en
profitant de l’absence des quatre grands opérateurs. Il faut que nous puissions accompagner ce
mouvement sans dévaloriser l’investissement public.
Quoi qu’il en soit, vendre beaucoup plus cher quand on a déjà du mal à vendre ne semble pas, en
termes économiques, une porte de sortie évidente.
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