Entretien avec MALIK MERSALI - Vitrolles, un laboratoire de l

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Entretien avec MALIK MERSALI - Vitrolles, un laboratoire de l
ITW Malik MERSALI
Professeur de Sciences Economiques et Sociales à Vitrolles depuis 1993.
Principal du collège Simone de Beauvoir à Vitrolles depuis 2008.
Maire adjoint
PCF, délégué à l’éducation de 2002 à 2007, puis délégué
aux finances de la municipalité « d’union de la gauche »
Né le 16 avril 1962 à Arcachon ( où on me traitait parfois à l’école en 1972,
de « chinois ») dans une famille de 8 enfants, le père est sergent-chef dans
l’armée de l’air. Quand nous arrivons à Marignane où ma mère a des cousines,
pour louer notre 1er logement, mon père qui s’appelle Mohamed Mersali signe
le bail « Maurice Mersali « . J’ai grandi à Marignane et fait mes études
universitaires à Aix-en-Provence.
J’ai découvert la vie politique à la Fac, j’ai milité avec des étudiants
enfants d’immigrés proches de l’amicale des algériens en Europe au sein de
l’unja et du PAGS(parti de l’avant-garde socialiste) avant 1986, ce parti était
clandestin en Algérie. En même temps j’étais à l’UNEF, proche du PS. J’avais
donc une double casquette : ma formation marxiste me vient du PAGS mais
c’était clandestin. C’est un moment de recherche : mon avenir c’est ici ou làbas, en Algérie ? Naturellement j’ai choisi de rester : j’ai rejoint la mouvance
Popereniste dans l’UNEF. Comme j’étais surveillant, j’avais rejoint le SNES.
Je me souviens d’un meeting aux Milles en 1989, pour l’élection
municipale, Anglade, élu au 1er tour à Vitrolles était venu parler avec son
écharpe blanche, pour soutenir le candidat Picheral.
J’ai réussi le CAPES en 1992 et j’ai pris des responsabilités au SNES. C’est en
1995 à Vitrolles que j’adhère enfin au PCF.
Quand j’ai été nommé à Vitrolles au lycée Jean Monnet, j’ai eu du mal à le
trouver ! Je faisais la route Marignane-Aix, la RD9, et je constatais le
développement de Vitrolles. Comme le milieu enseignant est assez cloisonné
par rapport à la vie locale, je ne connaissais pas grand chose de la mairie de
Vitrolles. Peu d’enseignants dans le lycée y habitaient, à la différence des
professeurs des écoles. J’étais donc plutôt dans une problématique syndicale.
A partir de 1994/1995, il y a une imbrication des mondes syndicaux et
politiques parce que le FN devient menaçant. L’idéologie du Front National
m’a touché à plusieurs niveaux : comme politique et comme homme. Quand
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on s’appelle Malik Mersali, on est plus touché que d’autres. Mes
représentations et mes hiérarchies ont été modifiées. Le syndicalisme passait
au second plan : la réponse au FN ne peut être que politique. J’ai compris au
niveau syndical qu’il y avait une insuffisance de relai politique. En 1993 se crée
la FSU, j’assiste au 1er congrès national à Bourg-en-Bresse. La FSU, à ce
moment-là met le FN en marge des questions de société. Par la suite elle sera
au 1er rang dans l’Education Nationale avec les semaines d’éducation contre le
racisme, notamment. On n’est pas en relation avec la vie politique proprement
dite, le syndicat est indépendant, c’est le grand refrain. A ce moment-là mon
choix c’est de militer à Vitrolles : c’est au PCF que, pour moi, ces questions
devaient être posées. Par exemple la question de l’émigration sans faux-fuyant.
Au PS, la lutte pour les places est très prégnante, elle n’est pas toujours trés
démocratique. J’ai trouvé le fonctionnement de la section PCF très
démocratique, plus aujourd’hui qu’hier, par exemple pour la désignation des
candidats. Quand j’adhère, en 1995, le PCF est en pointe contre la montée du
FN à Vitrolles. Cette année-là, les élections municipales sont annulées.
Le mal est plus important que ce qu’on pouvait voir comme enseignants
en 1995. Quand on descend dans l’arène populaire, on s’aperçoit que le ver est
dans le fruit. Le FN a décidé de faire main-basse sur Vitrolles, sous l’impulsion
de Mégret, en s’en donne les moyens. A Marignane, c’était mûr. A Vitrolles,
c’est différent, la société est différente, la gauche y a été forte : il y a une
gauche bobo, une autre trotskiste, ce qui est rare dans une ville de 37 000
habitants. Il y a un centre-droit avec des réseaux familiaux et une classe
moyenne-inférieure installée depuis la fin des années 70 (il y a 37% de
logements sociaux à Vitrolles qui cohabitent avec des zones pavillonnaires).
C’est donc une ville moyenne avec une élite de droite et de gauche mais avec
une sorte de vie de village et des réseaux familiaux. On peut toucher tout le
monde assez rapidement. La crise économique des années 80, l’histoire en
particulier des pieds-noirs, comme à Marignane, vont jouer. Le FN va s’en
servir en opposant les groupes. A ce moment-là, le PS n’est pas d’accord pour
dire que c’est un problème de racisme, mais un problème économique. Or, j’ai
constaté, dès le début des années 80 à la fac, en participant à la création d’SOS
RACISME avec Julien Dray : on recevait des stocks de la main jaune dans les
locaux de l’UNEF qu’il y avait aussi un problème de racisme. La réponse du
PS à ce moment-là c’est le droit de vote des étrangers aux élections locales.
Moi, je suis foncièrement contre : l’entrée de ce problème n’est pas le droit de
vote, c’est une réponse d’intellectuel. D’ailleurs, a-t-on demandé aux intéressés
leur avis sur ce point ? Cette question n’a pas été tranchée depuis 30 ans mais
est productrice d’alimentation pour le FN. Le vote pour les étrangers me fait
penser à la situation dans l’Algérie coloniale avec le code de l’indigénat et les
deux Collèges. Dans mon bureau de vote depuis 10 ans, il y a une page sur nos
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registres pour les électeurs communautaires, quelques uns votent, ça ne
change rien au scrutin. Par contre, le droit de vote ne règle pas le problème des
jeunes de l’immigration maghrébine, français à part entière depuis 3 ou 4
générations. Et le FN s’appuie sur ce terreau et sur la crise économique. Les
arabes sont les boucs émissaires, qui sont considérés comme au-dessous (les
français qui ne sont pas de souche, socialement à des niveaux inférieurs). Je
lisais hier un blog du journal La Provence : un habitant vend sa maison, il
raconte que 2 voisins sur 4 lui demandent : « tu as vendu à un français, au
moins »? et l’autre : « u n’as pas vendu à un arabe ? ». En 1999, quand j’achète
notre maison à Vitrolles j’entends : « oui, mais lui, il est bien, il est prof» ! Ca
ne m’a pas surpris mais interpelé. Ensuite, il y a eu une propagande très bien
faite avec un énorme matériel (cassettes dans les boites aux lettres, petits
livres…). Il y a eu aussi un choix d’installation de cadres politiques à Vitrolles.
Il y a eu une gestion municipale qui avait des ressources financières
directes importantes (taxe professionnelle). Le Stadium est emblématique. La
construction de la ville s’est terminée en 92/93 et du point de vue du
patrimoine communal, on n’a pas pris alors les mesures propres à son
entretien. Je m’en suis aperçus en étant élu à partir de 2002. Les écoles, le
chauffage…avaient souvent 30 ans et il fallait tout reprendre et reconstruire la
ville sur la ville à partir de 2002. Dès 1995, la politique ostentatoire qui avait
précédé a été ressentie comme masquant les problèmes réels : Tapie, la
glorification de l’entreprise et du libéralisme, pendant que ceux qui avaient
acquis un pavillon à crédit avec des taux élevés ou variables dans les années 80,
avaient du mal à payer. Pour cause de séparation ou de chômage. Il y avait
aussi en 1995 un rejet de l’équipe en place que j’ai ressenti : certains à gauche
disaient « Anglade ou Mégret, je ne voterai pas Anglade ». Il existe alors de
nombreux équipements sportifs et culturels à Vitrolles, mais c’est de l’entresoi, et on retrouve les mêmes acteurs les mêmes participants. Il y a une
appropriation de la ville par une partie de la population : l’intelligentsia de
gauche au sens large. Dans le monde sportif, ça reste des réseaux, aussi. Tout
cela n’irradie pas dans la ville. Les systèmes sont très cloisonnés. L’appareil
municipal aussi : on a un recrutement de génération en génération, avec des
pratiques népotiques. La société fonctionne tout entière comme cela : on sait
par exemple, que 70% des 1ers emplois dans la vie sont obtenus par des
réseaux familiaux, par le capital social de la famille. La « méritocratie »
républicaine des concours anonymes de la fonction publique est la meilleure
chose qui puisse exister pour tous les autres. A Vitrolles, des quartiers entiers
ont été laissés en autarcie : Les Vignettes, La Plaine…On n’a pas prévu de faire
vivre les quartiers et de les relier entre eux. Le FN va s’appuyer sur des
réseaux, d’abord de rapatriés d’Algérie et aussi avec une idéologie de la
nouvelle droite : casser du syndicat, voire les infiltrer. Les cadres du FN venus
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d’ailleurs vont politiser ces réseaux et construire un appareil avec des locaux,
une figure nationale, Mégret. Leur politique ne va pas consister à demander à
ces vitrollais d’agir dans l’espace public mais de mettre un bulletin dans l’urne.
Il va y avoir des personnes-relais, des associations, une comptabilisation des
partisans, des interrogations et des mots d’ordres simples : les autres prennent
tout aux français, quand on sera au pouvoir on ne s’occupera que des français
et ça suffit !
A l’inverse à gauche aujourd’hui : pas de projet, pas de leader et la lecture
brouillée de la politique se traduit par une abstention galopante. Les
différences droite-gauche existent mais sont difficiles à percevoir. La société
s’est complexifiée.
A l’époque de la gestion d’Anglade, je ne suis pas en opposition avec elle,
mon attitude c’était d’empêcher que les Mégret viennent à la mairie. J’étais
critique mais ça n’étais pas le plus important, j’ai fait la campagne pour
Anglade, j’étais le directeur de publication du journal « L’Effronté » qui était
diffusé jusqu’à Marignane. Le syndicat aussi était mobilisé contre le FN, on
avait créé « Carrefour laïque », je ne posais pas de questions sur la gestion
passée d’Anglade, on était dans le feu de l’action. De 1995 à 2008 on était en
campagne permanente. J’ai découvert alors au PC qu’on pouvait ne pas voter
Anglade et donc favoriser le FN. Certains disaient, à gauche, « il y en a marre
d’Anglade » mais on pouvait empêcher les Mégret d’être élu en votant
Anglade. Entre 1995 et 1997 la division de la gauche a joué. Comme Anglade
était rejeté par une partie de l’appareil du PS, Tichadou est arrivé. Il y avait
donc une dissension interne. Il y avait donc à ce moment-là dans une partie de
la gauche, un rejet d’Anglade et Tichadou n’était pas encore reconnu. Il y avait
de fortes tensions à la fin du mandat d’Anglade avec le PC : les élus PC n’ont
pas voté pour le stadium et Anglade leur a retiré leur délégation. Les actes
d’autorité d’Anglade ont affaibli la majorité municipale tandis que le FN est en
embuscade. L’élection de Mégret est aussi provoquée par le passage
d’électeurs d’Anglade et du PC au vote FN puisqu’en 1997 l’électorat se
partage en 2 parts quasiment égales avec une avance pour le FN.
La venue d’Alain Hayot à Vitrolles, comme tête de liste possible, avec
comme orientation celle d’être à l’écoute des vitrollais. On crée des espaces
citoyens et on invite les associations, les syndicats, les vitrollais à venir
s’exprimer. La période Hayot c’est un changement de stratégie du PC : on se
dit qu’on peut prendre la mairie. Hayot a un discours construit, c’est un
universitaire, c’est nouveau à Vitrolles et on va essayer de construire un
programme municipal avec les gens, mais les espaces-citoyens ne suffisent
pas, on reste entre nous. Il faut travailler les réseaux, aller voir les gens, faire
des réunions « tupperware »…Pendant ce temps Tichadou n’a pas de réseaux.
Alain Hayot pensait être en tête au 1er tour de la municipale de 1997. Au 2ème
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tour, il y a eu fusion des listes PC/PS, mais le rabibochage ne crée pas de
dynamique et la stratégie de Mégret paie : il repasse. A ce moment-là, Bruno
Mégret est inéligible, c’est donc sa femme qui est candidate, BM ne serait
peut-être pas passé s’il avait été candidat. Sur ces affiches, elle met des cœurs à
côté de Vitrolles. Elle est accessible et n’est pas rejetée.
Tichadou battu, il disparaît, on est abandonnés par tout le
monde : « malheur aux vaincus ». On entre en résistance. Beaucoup partent,
moi, je reste. En 1997, je me marie, on s’installe à Vitrolles, mon fils naît en
1998 et ma fille en 2000. Je me marie à Aix, pour que le mariage ne soit pas
célébré dans la mairie dirigée par le FN. Je milite plus sur le plan syndical.
C’est l’époque des voyages de la mémoire, des « haies du déshonneur » dans
les deux lycées de Vitrolles lors des CA. C’est une période difficile parce qu’on
a l’impression que les Mégret sont au pouvoir pour longtemps. On se regarde
de travers car un électeur sur deux a voté Mégret. Les élections seront de
nouveau annulées en juillet 2002. Hayot m’appelle en juillet quand je suis en
rééducation à Collioures. Le 22 août on organise une réunion de toute la
gauche, à l’initiative du PC. L’objectif est : le PS est légitime et c’est à lui de
prendre la tête de la liste municipale pour qu’il n’y ait qu’une seule liste de
gauche, on savait que le danger venait de la division, en particulier au PS. Lors
de cette réunion qui a eu lieu dans le local du PC, il y avait aussi les
associations. Au PS il y a un problème : la tête de liste ne sera pas celle à
laquelle les militants de Vitrolles pensaient. Tichadou ne venait pas souvent.
Obino n’est pas encore là, d’une manière générale, il a toujours été à côté de
tout. On ne le voit jamais. Tichadou n’est pas là non plus à la réunion du 22
août mais la section du PS est représentée, ainsi que de nombreuses
associations. Les choses s’accélèrent puisque les élections ont lieu dans 2 mois
et chaque parti définit la composition de la liste qui le concerne. Pour le PC
c’est Hayot qui mène les discussions. Le PC souhaite qu’Hayot soit 1er adjoint.
Lors de la négociation finale, il ne sera pas 1er adjoint. Cette décision a été prise
en « haut-lieu », je n’ai pas assez d’éléments pour savoir pourquoi Hayot n’est
pas 1er adjoint. Moi, je suis sur la liste et j’avais demandé à être adjoint à
l’éducation, pour ne pas faire de la figuration. Je quitte mes mandats de la
FSU, car il fallait « aller au charbon » et virer les Mégret. Nous avions 3 postes
d’adjoints au PC, Agarrat, Hayot et moi (que des hommes !).
Lorsque nous sommes élus, il y a une dynamique, nous sommes unis
(malgré les rancoeurs…). Nous n’avons pas voulu fusionner au 2ème tour avec la
liste de Tichadou, même Guérini est venu pour demander cette fusion et
finalement, ce fut la même liste au 1er comme au 2ème tour.
Il y a beaucoup de nouveaux élus, Obino est un catho de centre-droit.
Ensuite, on se met au travail, on ne sort plus la tête de l’eau pendant 6 ans. Il
n’y avait plus de cadres municipaux ( 4 de catégorie A). A l’époque de Mégret,
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les cadres étant partis, les finances par exemple étaient gérées par un cabinet
privé à Paris ! Beaucoup d’écoles sont en mauvais état et la demande explose :
tous les gens viennent nous voir d’un seul coup. On croule sous les demandes.
Et le 6 novembre 2002, une école maternelle brûle intégralement, en une nuit.
On n’a jamais su les causes exactes : une voiture a brûlé à côté et il y a du
mistral. On est tous un peu chef de service et on fait un travail de fonctionnaire
même en étant élu. Au début, on répare au coup par coup les écoles, ensuite,
on met sur pied un plan pluriannuel de rénovation des groupes scolaires. On
n’a pas de programme autre que celui de reconstruire la ville. On était assis sur
un volcan et Obino disait « mon rôle c’est d’apaiser la ville ». Le FN avait laissé
une cinquantaine de personnels stagiarisés au dernier moment en juillet 2002
qu’il a fallu titulariser, sans état d’âme. »
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