COMITE NATIONAL - Comité National d`Ethique Médicale
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COMITE NATIONAL - Comité National d`Ethique Médicale
COMITE NATIONAL D’ETHIQUE MEDICALE ==== Les Comités d’Ethique Locaux Deuxième Conférence Annuelle Tunis, le 22 Octobre 1997 1 SOMMAIRE - Les Comités d’éthique locaux. Rapport introductif A propos des Comités d’éthique hospitaliers. Synthèse bibliographique et réflexions................................................................3 Pr Abdelaziz GHACHEM Président de la Section Technique - Conclusion des débats ..............................................................................................19 - Conférence : la médecine prédictive ....................................................................... 22 Pr Mongi BEN HAMIDA Institut National de Neurologie 2 LES COMITES D’ETHIQUE LOCAUX ======= RAPPORT INTRODUTIF « Ce qui n’est pas scientifique n’est pas éthique ». Le développement considérable des sciences biologiques et médicales a conduit à l’apparition dans le monde de nouvelles institutions : les Comités d’éthique. En effet, c’est devant les difficultés auxquelles la puissance publique a eu à faire face pour appréhender certains problèmes de société liés au développement des sciences de la vie que des comité de « sages » ont été créés pour alimenter la réflexion publique, voire en l’absence d’une législation spécifique, d’élaborer des règles éthiques qui pourraient réunir un consensus social. Dans beaucoup de pays, en plus d’une instance nationale d’éthique médicale, ont été créés des Comités d’Ethique Locaux. En Tunisie, le Comité National d’Ethique Médicale (CNEM) est né d’un texte règlementaire : le décret n° 94-1939 du 19 septembre 1994. Il n’en va pas de même pour les comités d’éthique « hospitaliers » qui ont été créés dans certains établissements pour respecter les règles internationales d’éthique qui font obligation aux médecins-chercheurs de « solliciter l’avis d’un comité d’éthique créé à cet effet ». Par lettre n° 658 datée du 27 mai 1996, le Ministre de la Santé Publique a demandé au Comité National d’Ethique Médicale de lui donner un avis sur la création de comités d’éthique dans les établissements qui nécessite la mise sur pied de pareille structure, la mission qui leur sera dévolue, la composition de ces comités ainsi que les modalités de coordination et coopération avec le Comité national et tout ce qui a trait à l’organisation et au fonctionnement de ces comités. La Section Technique du CNEM a consacré quatre séances pour la préparation du projet de rapport qui a été discuté par le CNEM au cours des réunions du 4 décembre 1996, du 4 février 1997 et du 27 mars 1997. 3 A PROPOS DES COMITES D’ETHIQUE HOSPITALIERS SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE ET REFLEXIONS Pr Abdelaziz GHACHEM Président de la Section Technique du CNEM 1. POURQUOI DES COMITES D’ETHIQUE ? Les raisons qui ont conduit à la mise en place de comités d’éthique sont au moins de 3 ordres : 1- Des raisons d’ordre médical et biotechnologique Les comités nationaux d’éthique et les comités locaux d’éthique répondent à des besoins générés par les problèmes inhérents aux progrès de la connaissance scientifique et technique. En effet, ces comités sont issus : d’une part, de la rapidité et de la complexité des progrès scientifiques et technologiques. Sans doute, de nouvelles voies se sont ouvertes à la recherche scientifique, de nouvelles technologies complexes aux applications multiples ont été mises au point. Or les conséquences directes et indirectes de certaines orientations de la recherche et de leurs applications sont souvent difficiles à évaluer et peuvent comporter des dangers aussi divers qu’imprévisibles ; d’autre part, les innovations technologiques donnent lieu à des situations radicalement nouvelles qui ne correspondent pas aux schémas et aux normes habituels. Ces situations suscitent des incertitudes et des hésitations (ou encore, parfois une absence d’hésitation) devant des décisions à haut risque et conduisent (ou peuvent conduire) singulièrement à un amalgame de considérations déontologiques ou éthiques d’un côté et de l’autre, de considérations économiques qui créent un besoin certain de concertation pluridisciplinaire. Ces situations peuvent naître aussi bien à l’occasion de projets de recherche nouveaux qu’au cours de la pratique hospitalière dominée de plus en plus par des technologies nouvelles. 2- Des raisons inhérentes à la Société La mise en place notamment des comités d’éthique hospitaliers répond à un besoin de la Société. En effet, en raison de l’érosion de certaines normes éthiques traditionnelles, il est très difficile dans bien de cas, de prendre des décisions susceptibles d’être acceptées par toutes les parties concernées. Une concertation prudente tolérante entre les parties en présence est quelquefois nécessaire. Une des facettes au moins de la culture morale, est que les personnes et groupes concernés par une décision importante, ressentent un puissant besoin de sauvegarder leur autonomie et d’être consultés. Il en est ainsi aussi bien des malades et de leurs parents que du personnel soignant. Parallèlement à cette affirmation de l’autonomie de la personne humaine et des groupes, celles et ceux qui sont obligés de prendre des décisions importantes, dans des situations souvent délicates et complexes, risquent de plus en plus souvent de se voir exposé(e)s par la suite à des critiques voire à des poursuites judiciaires. Cette situation assez 4 fréquente en Amérique du Nord, a créé à son tour un besoin de consultation et de concertation. 3- Des raisons d’ordre social et psychologique Le système de soins hospitaliers a pris des dimensions parfois inhumaines ce qui se traduit par une mise en question des liens traditionnels entre malades et médecins. Le même malade consulte plus d’un médecin : il est parfois soigné dans un hôpital dans lequel il ne connaît personne. L’environnement est très différent de son entourage familier. Cette situation peut, dans certains cas, créer un sentiment d’isolement, voire d’angoisse et d’inquiétude. Au cas, du moins, où le patient est sérieusement atteint et que des décisions importantes s’imposent, il peut paraître naturel de créer une instance susceptible de conseiller et de rassurer. Situé sur le terrain de la pratique médicale, le comité local d’éthique constitue une structure privilégiée pour développer une réflexion avec les usagers et les acteurs de la pratique médicale. 2. LES DIFFERENTS TYPES DE COMITE D’ETHIQUE Dans « les Mots de la bioéthique »1 G. HOTTOIS et M.H. PARIZEAU, distinguent deux type de comités d’éthique : Un comité d’éthique « qui dépend d’une instance nationale ou supranationale » ; Et celui qui « dépend soit d’une instance locale (par exemple un hôpital, un institut, une université, ou une association médicale) soit encore d’une instance régionale » (commun à une pluralité d’institutions). Le comité d’éthique local ou régional « existe sous deux formes : le comité d’éthique de la recherche et le comité d’éthique clinique ». ˚ Les comités d’éthique de la recherche sont « chargés de l’évaluation de protocoles scientifiques » ou encore selon les définitions du « Dictionnaire Permanent Bioéthique et Biotechnologies »2 « ils se prononcent sur des projets de recherches biomédicales sur la personne … » ; ˚ Les comités d’éthique hospitaliers ont le plus souvent comme fonctions : - La formation (ou l’initiation à la réflexion éthique ) des professionnels de la santé de l’institution hospitalière ; - L’aide à la décision et à l’élaboration des lignes d’orientation éthiques internes à l’institution. Certaines instances envisagent une mission plus large des comités d’éthique : faciliter la décision des médecins qui ont à résoudre des problèmes d’ordre éthique à l’occasion de l’exercice de leur activité, notamment dan s leurs rapports avec les malades et leurs familles. 1 2 Bruxelles, De Boeck ; 1993, page 69. Feuillet 7, 1er oct. 1995, page 385. 5 Au-delà d’une mission d’évaluation de la recherche, on voit ainsi apparaître la possibilité d’exercice d’un rôle de conseil auprès des praticiens y compris pour les conduites diagnostiques et thérapeutiques. Dans « De la Biologie à l’Ethique »3 pour J. BERNARD : « Le comité d’éthique est une institution assemblant à intervalles plus ou moins réguliers des biologistes, des médecins et des personnes extérieures aux milieux de la biologie et de la médecine se consacrant à des questions d’éthique posées par les progrès de la médecine. Le Comité n’a aucun pouvoir. Il est consultatif. Son seul pouvoir est celui que lui donne la qualité de ses éventuels avis. L’action des comités est pragmatique ». En France par exemple, plusieurs comités d’éthique locaux sont apparus avant la création du Comité National – qui est né du décret n° 83-132 du 23 février 1983 – et ont des activités très diverses. Certains se limitent à l’étude des protocoles d’essais de nouveaux médicaments, d’autres évaluent toute recherche entreprise dans le cadre d’un C.H.U. Certains limitent leur champ d’intervention à une spécialité médiale comme la réanimation ou la cardiologie, d’autres privilégient une réflexion et des actions d’information largement ouvertes en direction du public. Cette hétérogénéité reflète des situations historiques différentes d’un endroit à un autre mais l’expérience a montré que , quel que soit leur lieu d’intervention, leur mission commune est de promouvoir une recherche médicale de qualité menée dans l’intérêt de la société et des sujets dans le respect de leurs droits. En maintenant un degré d’exigence d’éthique de haut niveau, ils ont favorisé une relation de confiance entre la communauté scientifique et la société. Dans son avis sur les essais de nouveaux traitements chez l’homme (1984) le Comité consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé de France a proposé la création d’autres comités et a recommandé « qu’il soit obligatoire de leur soumettre tout essai sur l’homme visant à évaluer une intervention d’ordre curatif, préventif ou diagnostique » et a précisé : « ce sont ces mêmes comités qui devraient examiner tous les problèmes moraux soulevés par la recherche dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé ». Le « Dictionnaire Permanent Bioéthique et Biotechnologies »4 décrit une multitude de forme de comités d’éthique. Ils peuvent être : - privés ou publics ; - institutionnels ou non institutionnels ; - ou encore permanents ou ad hoc ; - obligatoires, optionnels ou facultatifs. Cette distinction est à dédoubler quant à la saisine d’abord et à la force de l’avis ensuite. 3. ORIGINES DES PREMIERS COMITES D’ETHIQUE Dans la plupart des pays, on a assisté à l’éclosion spontanée de comités d’éthique locaux, sans coordination, en fonction seulement des besoins et de l’intérêt qu’un certain nombre de personnes y portaient. Mais, il serait utile de appeler les origines des premiers comités d’éthique. 3 4 Paris : Buchet/Chastel : 1990 p. 259-262. Feuillet 7, 1er oct. 1995, p. 385. 6 3.1- Les Comités d’éthique de recherche Les premiers comités d’éthique à voir le jour, ont été les comités d’éthique de recherche. Souvent, la création des comités d’éthique de recherche est liée au jugement du tribunal militaire américain de Nuremberg des 19 et 20 août 1947 qui a imposé l’introduction de règles de base pour la pratique de l’expérimentation médicale sur l’être humain et, en particulier, sur les volontaires. Toutefois, il importe de rappeler que le « Code de Nuremberg » n’était pas le premier document à règlementer des « activités » de recherche qui pouvaient être sans finalité thérapeutique individuelle. Le Ministère de l’Intérieur de WEIMAR avait établi le 28 février 1931 des « Directives concernant les nouveaux traitements médicaux et l’expérimentation scientifique sur l’être humain ». Mais, il y a lieu de préciser que ces documents ne sont pas à l’origine de la mise en place des comités d’éthique de recherche. De toute évidence, un lien plus direct existe avec la Déclaration adopté en juin 1964 à Henlsinki (Finlande) par la dix-huitième Assemblée de l’Association Médicale Mondiale (A.M.A.), amendée à Tokyo (Japon) en octobre 1975 par la 29ème Assemblée Médicale Mondiale, puis à Hong-Kong en septembre 1989 par la 41ème Assemblée Médicale Mondiale puis à Somerset West (République d’Afrique du Sud) en octobre 1996 par la 41ème Assemblée Médicale Mondiale. Aux termes de la Déclaration d’Helsinki « les projets de l’exécution de chaque phase de l’expérimentation portant sur l’être humain doivent être clairement définis dans un protocole expérimental qui doit être soumis à un comité indépendant désigné spécialement à cet effet pour avis et conseil ». A la date du deuxième amendement de la déclaration d’Helsinki, existaient aux Etats-Unis et au Canada des Comités d’Ethique de Recherche. 3.2- Les Comités d’Ethique Hospitaliers Les premiers comités d’éthique « cliniques » ou hospitaliers ont été créés aux Etats-Unis à la suite d’un jugement de la Cour Suprême de New-Jersey en date du 31 mars 1976 dans l’affaire de Karen-Ann QUINLAN. La Cour a imposé la consultation d’un comité hospitalier pour « faire un pronostic sur un état pathologique aux fins de décider le maintien ou le débranchement d’un respirateur ». A ce propos, on retrouve dans le « Dictionnaire Permanent Bioéthique et Biotechnologies »5 que « l’affaire QUINLAN soulignait le besoin réel ou supposé d’une structure de prise de décision collective, d’ordre thérapeutique et provoquait à l’institution de tels groupes de réflexions en milieu hospitalier, alors que l’on peut se demander si leur examen ne serait que technique, ou s’il serait aussi éthique de la même façon que l’on s’était interrogé sur le jugement exclusivement éthique ou également scientifique des comités de recherche expérimentale ». Dans leur excellent ouvrage « Le Droit des Comités d’Ethique » Ch. BYK et G. MEMETEAU ont ainsi commenté le jugement de la Cour de New-Jersey : « Il s’agissait à la fois de confier à Monsieur QUINLAN un pouvoir tutélaire sur sa fille (en droit français, la théorie des protecteurs naturels eût suffi) et de fournir aux praticiens un fait justificatif en cas de décès de la patiente à la suite de ce débranchement d’appareil… S’agissant des fonctions que devaient assumer ces Comités, plusieurs publications apportent quelques précisions supplémentaires. Dans son rapport sur l’interruption de traitement, la President’s Commission for the Study of Ethical Problems in Medicine and biomedical and Behavioural Research suggère que des comités d’éthique pourraient contribuer, d’une part, à la prise de décisions concernant 5 Feuillet 7, 1er octobre 1995, page 384. 7 des patients incapables et, d’autre, apporter une contribution à « l’éducation du milieu hospitalier par l’élaboration de lignes directrices. A la suite du cas de Baby Jane DOE (1983) dans lequel les parents refusaient, contre l’avis des médecins, une intervention chirurgicale sur leur nouveau-né atteint d’une spina-bifida, le Departement of Health and Human Service et l’Académie Américaine de Pédiatrie prenaient position en faveur de la création de Comités d’éthique hospitaliers : ils y voyaient notamment à leur tour le moyen d’éviter le recours aux tribunaux. Au fil du temps, les « Hospital Ethics Commettees » (HEC) ont acquis d’autres fonctions : leur fonction proprement éthique a été soulignée et ont eu leur mot à dire, sur le plan local, dans la politique de santé et dans l’information du public. Malgré des réserves émises par certaines instances dont l’ « Americain Medical Association »qui a formulé des appréhensions à l’égard des relations « médecin-malade » que l’intervention des comités d’éthique pourrait troubler, les comités hospitaliers ont prospéré aux Etats-Unis au cours des années quatre-vingt. D’après G. HOTTOIS et MH. PARIZEAU, alors qu’en 1981, 1 % seulement des hôpitaux disposaient d’un tel comité, en 1984, une majorité d’hôpitaux pédiatriques en avaient créé un. Aux Etats-Unis, il n’existe aucune structure-type des comités d’éthique hospitaliers. La tendance est de créer des comités spécialisés lorsque le besoin s’en faisait sentir : des comités d’interruption volontaire de la grossesse, des comités des greffes, des comités des soins néonatals, des comités de pronostic à l’égard des mourants6. La composition de ces comités est, très largement, laissée à la discrétion de l’établissement hospitalier. En général, le comité est formé d’un noyau permanent (qui comprend le Président et éventuellement un représentant du secrétaire) et d’une quinzaine de membres en majorité des médecins. Au Canada, le premier CEH a été créé en 1978. En 1986, l’Association des hôpitaux du Canada a recommandé la création et la reconnaissance des comités de bioéthique. Elle s’est prononcée en faveur de la mise en place des comités multidisciplinaires chargés d’assurer l’éducation des personnels, d’établir une politique et des lignes directrices pour le personnel, de procéder à une consultation de l’ensemble des personnes concernées. Les avis et les recommandations de ces comités ne devraient, toutefois, en aucune façon être contraignants. En 1987, l’Association des hôpitaux du Québec a repris et a diffusé un document qui a été publié par l’association des hôpitaux du Canada. Ce document qui s’intitule « Les Comités d’Ethique au centre Hospitalier : propositions de planifications » ne vise que les établissements de plus de 300 lits. D’après ce texte, les comités d’éthique se justifient par l’existence d’un « besoin » de l’établissement et de son personnel et non pas par l’énoncé de principes, par le respect de certaines valeurs ou la nécessité de modifier certaines conduites. A ce propos, M.H. PARIZEAU indique que « les centres hospitaliers devront étudier leurs services afin de déterminer s’ils doivent ou non mettre sur pied un comité d’éthique. Il est « imprudent pour un établissement d’adhérer totalement à ce concept sans avoir exploré ses besoins ». Il se peut très bien que certains établissement, de par leur mandat, leur taille ou leur organisation, n’aient pas besoin d’un tel comité, n’ayant pas suffisamment de besoins pour le justifier. Il est également possible que certains établissements ne disposent pas de ressources suffisantes leur permettant de constituer un comité d’éthique crédible et fonctionnel » . 6 Voir BYK et G. MEMETEAU, 1996 p. 243. 8 La composition des comités d’éthique hospitaliers canadiens est extrêmement diverse. En moyenne de un à cinq médecins font partie d’un tel comité, un ou deux infirmiers (dont la participation est jugée nécessaire) deux ou trois représentants de l’administration (dont la participation est jugée importante), un travailleur social, rarement un psychologue. Les membres extra-hospitaliers sont représentés par un juriste, un homme religieux … En 1989, sur un total de 38 C.E.H., 17 comités sont rattachés au Conseil d’Administration de l’Institution hospitalière, 15 le sont au Conseil des médecins, dentistes, pharmaciens. En Belgique, la mise en place des comités de recherche a précédé celle des comités hospitaliers. Dès le début des années quatre-vingt, le Conseil National de l’Ordre des médecins s’est préoccupé de la création de comités locaux chargés de l’examen de protocole de recherche concernant les êtres humains. Les modalités d’organisation de ces comités ont été adoptées en 1984. A la fin des années quatre-vingt, une centaine de comités fonctionnent. Un nombre non négligeable d’entre-eux assume en fait aussi en même temps les fonctions d’un comité hospitalier. Ch. BYK et G. MEMETEAU (1996, p. 253) font remarquer qu’en 1990, sur 85 comités, 80 % avaient une activité essentiellement liée à l’expérimentation mais 29, parmi ceux-ci avaient également traité de sujets de réflexion éthique alors que 6 avaient exclusivement leur activité tournée vers ces questions. La création de C.E.H. a été institutionnalisée par l’arrêté royal du 12 août 1994 modifiant l’arrêté royal du 23 octobre 1964, fixant les normes auxquelles les hôpitaux et leurs services doivent répondre. D’après cet arrêté, les comités se composent au moins de 8 et au plus de 15 membres représentant les deux sexes. Ils doivent comporter : o Une majorité de médecins attachés à l’hôpital ou au groupement d’hôpitaux ; o Au moins un médecin généraliste non attaché à l’hôpital ou au groupement d’hôpitaux ; o Un juriste. D’autres personnes, appartenant ou n’appartenant pas à l’hôpital ou au groupement d’hôpitaux peuvent être désignées comme membres du Comité. La qualité de membre est, toutefois, incompatible avec les fonctions de directeur d’Hôpital, de médecin-chef, de président du Conseil médical, de chef du département infirmier. Les comités sont chargés d’une part d’une mission d’accompagnement et de conseil concernant les aspects éthiques de la pratique des soins hospitaliers et d’autre part d’une fonction d’assistance à la décision concernant les cas individuels et d’une fonction d’avis sur tout protocole d’expérimentation sur l’Homme. Leur mission est donc, finalement, intermédiaire entre celle d’un comité hospitalier et celle d’un comité de recherche. Les comités peuvent être saisis par tout membre du personnel de l’hôpital ou du groupement d’hôpitaux et, plus généralement, par tout médecin. Les avis des comités sont confidentiels et non contraignants. Ils font l’objet d’un rapport motivé transmis exclusivement au requérant. Ils doivent refléter les différents points de vue des membres. En s’appuyant sur une décision motivée, le comité peut ne pas donner suite à une demande. En France, comme dans les pays d’Outre Atlantique, les premiers comités locaux à être mis en place sont des comités de recherche. 9 D’après le « Dictionnaire Permanent Bioéthique et Biotechnologies », on peut, à la rigueur, faire remonter l’apparition des comités d’éthique en France, au décret de 1960 autorisant les directeurs d’hôpitaux à établir des règles d’éthique. Ils apparaissent, en tout cas, avec la constitution en 1974, du comité de l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM). Les premiers comités hospitaliers font leur apparition au début des années quatrevingt. En 1981, l’Assistance Publique de Paris crée un comité d’éthique par décision du directeur général et après accord du Ministère de la Santé. En fait, d’après le « Dictionnaire Permanent Bioéthique et Biotechnologies », le droit français ne donne guère d’ « exemples de comités strictement cliniques ». L’article L-162-12 du Code de la Santé Publique français paraît toutefois mettre en place, en cas d’avortement thérapeutique ou eugénique, un comité ou plutôt une espèce d’ébauche de comité clinique. L’interruption volontaire de la grossesse ne peut, dans ce contexte, être pratiquée que si deux médecins ont attesté qu’il y a péril pour la santé de la femme ou que l’enfant court des risques graves à sa naissance. L’un des médecins doit pratiquer en milieu hospitalier, l’autre doit être inscrit sur une liste d’experts près de la Cour de Cassation ou d’une Cour d’Appel. Le rôle des médecins est d’attester « après examen et discussion » que les conditions prévus par le texte sont réalisées. Au Royaume-Uni, la création des C.E.H. est relativement récente. C’est en 1993, qu’a été créé au Northwick Park Hospital un CEH qui et, en fait, le premier à être chargé, dans ce pays, d’une mission éthique générale assimilable à celle d’autres comités hospitaliers. Antérieurement, il existait, dans certains hôpitaux, des comités « ad hoc » dont la fonction était limitée à des questions spécifiques telle que l’attribution des moyens requis par la dialyse. En Espagne, c’est sur l’initiative de l’Union des hôpitaux catalans regroupant les hôpitaux publics et privés que quatre établissements hospitaliers ont été créés des C.E.H. L’un de leurs objectifs était de « considérer le malade comme une personne adulte capable de participer à la prise de décision relevant le plus souvent de l’autonomie, voire de l’autoritarisme du médecin ». Les comités catalans sont multidisciplinaires réunissant médecins, infirmières, assistantes sociales et administrateurs hospitaliers. Si l’Union des hôpitaux catalans avait exprimé le souhait que les pouvoirs publics ne légifèrent pas sur les comités (afin de ne pas les transformer en une instance bureaucratique supplémentaire), un rapport du Ministère de la Santé n’en proposa pas moins en 1994 de généraliser l’expérience. En 1995 une circulaire du directeur de l’Institut National de la Santé rendait obligatoire la constitution de comités éthiques hospitaliers. En Tunisie, la nécessité de mener des recherches sur certaines pathologies a conduit à la mise sur pied de comités d’éthique locaux notamment « hospitaliers » et ce, d’autant plus que les règles internationales font obligation aux chercheurs de solliciter l’avis d’un comité d’éthique. Une enquête préliminaire menée par la Section Technique du Comité National d’Ethique Médicale a montré que dans quelques hôpitaux universitaires et à l’Institut Pasteur de Tunis existent des Comités ou des Commissions dont la mission est d’accompagner le 10 progrès des connaissances et d’amorcer une réflexion collective sur des questions biomédicales cliniques ou de recherche. Si ces structures ne procèdent d’aucun texte officiel et présentent des modalités diverses de fonctionnement, force est de reconnaître qu’elles jouent un rôle important et doivent poursuivre leur action avec une efficacité encore plus renforcée. 4. LA MISSION DES COMITES D’ETHIQUE HOSPITALIERS On peut définir quatre axes d’activités aux C.E.H. 4.1- Evaluation des Projets de Recherche Conformément à la Déclaration d’Helsinki, tout protocole de recherche impliquant l’être humain doit être soumis à un comité d’éthique pour évaluation, qu’il émane de centres hospitaliers ou d’organismes de recherche, publics ou privés. Aux Etats-Unis, existent dans les hôpitaux des « Institutional Review Bord » qui évaluent les protocoles de recherche et les « Institutional Ethical Commettee » qui interviennent dans le domaine de la pratique médicale. En France, la loi Huriet de 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales a rendu obligatoire l’examen des protocoles de recherche par des comités d’éthique locaux (les CCPPRB). Dans « les Mots de la Bioéthique », le Comité d’Ethique de Recherche a pour but essentiel la protection du sujet d’expérience dans la recherche médicale. Il évalue, à l’aide de règles déontologiques et éthiques (règles de consentement et de confidentialité, calcul des risques et des bénéfices de la recherche, règle de protection des populations vulnérables, principe de Justice), les protocoles de recherche qui leur sont soumis. Ces règles font généralement références aux codes internationaux relatifs à l’expérimentation humaine (Code de Nuremberg de 1947 etc.). En Tunisie, la distinction entre comité d’éthique de recherche et comité d’éthique clinique ne paraît pas nécessaire dans l’état actuel du développement des comités d’éthique locaux. Certes, telle ou telle mission sera privilégiée en fonction des situations locales et la liberté doit être laissée aux Comités d’étudier les questions qui leur seraient soumises par les médecins et les chercheurs concernés. 4.2- L’aide à la décision Les raisons de cette mission attribuée aux C.E.H., sont multiples : - La complexité des problèmes éthiques de nature différente des problèmes concernant la seule compétence professionnelle du médecin ; - La concertation éventuelle de trois groupes d’acteurs dont les intérêts, les fins et les projections de valeurs peuvent ne pas être compatibles : ˚ Le malade et son entourage ; ˚ Les professionnels de la santé ; ˚ Les administrateurs. A ces raisons, s’ajoutent des coûts économiques qui peuvent être considérables, des normes juridiques qui, dans certains cas, sont sujettes à interprétation, la possibilité de poursuite judiciaire et l’on comprendra qu’il n’est pas aberrant de juger qu’une aide à la 11 décision, fournie par un comité multidisciplinaire puisse être utile aux professionnels de la santé, aux malades et à la qualité globale des soins hospitaliers7. Bien entendu, un avis du C.E.H. ne doit être formulé que si une demande lui est adressée par un décideur concerné (médecin traitant) patient ou parents. De toute évidence, l’avis ne pourra porter sur des questions qui sont de la seule compétence du ou des médecins traitants. Tout en relevant que la liberté thérapeutique des médecins n’est plus absolue, le « Dictionnaire Permanent Bioéthique et Biotechnologies » souligne, en s’appuyant sur un rapport canadien, que « les comités d’éthique cliniques n’ont jamais pour mission de prendre des décisions à la place des médecins ou des hôpitaux »8. Il importe de souligner que le comité d’éthique ne doit pas être perçu comme une structure administrative supplémentaire dans un milieu fortement bureaucratisé, ou comme un instrument de manipulation ou de contrainte autoritaire, ou comme une entité se substituant à une compétence professionnelle contestée ou déresponsabilisant soignants et patients mais comme un instrument consultatif mis à la disposition des personnes concernées en vue de nourrir leur réflexion et éclairer leur discernement dans des circonstances où des « dilemmes » éthiques rendant particulièrement difficile la décision. Sur le plan pratique, les situations dans lesquelles une aide à la décision des personnes concernées peut se révéler souhaitable sont multiples. On peut notamment citer les cas suivants : - Les cas de refus d’un traitement médical ou chirurgical ; - Le contrôle de la douleur ; - L’acharnement thérapeutique chez les malades en phase terminale ; - Les problèmes concernant la réanimation ; - Le dépistage du SIDA ; - L’accessibilité à l’égard du don d’organes ; - L’avortement thérapeutique et la stérilisation ; - Les hospitalisations d’office et les mécanismes de substitution de consentement éclairé des malades mentaux (déficits cognitifs). Pour ces cas, et dans d’autres cas semblables, le C.E.H. formulera par écrit des avis éthiques sur la pertinence d’un traitement, d’un examen complémentaire ou d’une autre décision médicale. Avant qu’une thérapeutique ou qu’une thérapeutique alternative possible, ne soit prescrite et administrée, le C.E.H. se concerte sur des lignes de conduite, sur les investigations utiles et nécessaires et sur les schémas de traitement en appréciant l’adéquation entre les objectifs poursuivis et les moyens (humains, matériels, techniques) mis en œuvre9. Dans ce contexte le Comité a la charge d’assurer le lien entre le ou les médecin(s), le patient, la famille et/ou les proches de ce dernier. Son rôle est particulièrement important lorsqu’il s’agit de protéger des populations vulnérables. 4.3- L’information et la formation 7 « Dictionnaire Permanent Bioéthique et Biotechnologies », feuillet 7, oct. 1995 : 35, p. 389. Feuillet 7, oct. 1995 : 73, page 396. 9 Voir Protection des personnes dans la recherche biomédicale, guide des textes législatifs et règlementaires. Tome II, République Française, Ministère des Affaires Sociales et de l’Intégration, chapitre IX : A2. p. 36. 8 12 Dans la mesure où le comité d’éthique hospitalier doit faire réfléchir et fournir un forum de discussion sur les questions éthiques10, il serait souhaitable de lui attribuer la mission d’élaborer – en dehors de situations d’urgence, à un niveau de réflexion plus général – des orientations visant à guider la prise de décision éthique des soignants dans leur travail journalier. Dans cette optique, il s’agit de créer une certaine culture de l’approche au quotidien des problèmes éthiques en milieu hospitalier. Sans aucun doute, ces efforts de réflexion sont utiles à condition toutefois, qu’ils n’imposent pas consciemment ou inconsciemment à la réflexion éthique vivante, ouverte, modulée selon les contextes et les circonstances variables, le carcan des règles toutes faites. Si le travail quotidien ne peut pas se faire sans règles, dans le domaine éthique, il faut rester méfiant à l’égard de règles ou de principes d’orientation tous faits qui tendent à se scléroser et à se substituer à la réflexion critique. En outre, la réflexion éthique ne doit être ni confidentielle ni réservée à des spécialistes. C’est pourquoi pour sa mission de formation et d’information le C.E.H. doit utiliser tous les supports de la communication pour transmettre les messages éthiques à tous les milieux : scolaire, universitaire, professionnel … Une certaine liberté devrait être laissée aux C.E.H. pour adapter leur mode d’intervention dans ce domaine aux situations locales, par exemple par la constitution d’un fond documentaire. 4.4- Veiller aux droits des malades De nombreux rapports soulignent, à juste titre peut-être, que les C.EH. doivent veiller aux droits du patient, à la qualité des soins qui lui sont prodigués, à la qualité humaine de l’environnement hospitalier dans lequel, indéniablement, il se sentira, « isolé ». Le C.E.H. veillera également à la bonne information des malades et aux modalités du recueil de leur consentement. Aux Etats-Unis, il a été attribué à deux comités d’éthique cliniques la fonction d’étudier les situations conflictuelles et de donner un avis pour diminuer les recours aux tribunaux. Si une affaire judiciaire est engagée, l’avis du C.EH. peut fournir au(x) médecin(s) le soutien d’un groupe de réflexion indépendant dans lequel figurent à la fois des professionnels de la santé et des représentants d’autres professions non médicales. 5. L’ORGANISATION DES C.E.H. 5.1- La composition des C.E.H. Le principe fondamental à respecter est celui de la « pluridisciplinarité » ou du « pluralisme ». Est considérée comme essentielle la réunion de personnes de professions, de philosophies et de formations différentes. En effet, il est difficile pour des professionnels de la santé quels qu’ils soient, de s’évader de leurs domaines et d’évaluer la totalité des questions qui se posent à eux. Un concours extérieur est un apport précieux. De plus, un avis rendu par un comité de composition unitaire aura moins de crédit qu’un avis rendu par un comité pluraliste, aux yeux de l’opinion qui trouvera dans ce second cas le reflet de ses propres préoccupations et aura le sentiment d’avoir eu des interprètes. 10 M.H. PARIZEAU, 1995 : 89. 13 Quel peut être cette composition ? Il est unanimement admis que les C.E.H. – composés d’hommes et de femmes – comprennent en premier lieu des médecins. En raison de leurs compétences propres et de la spécificité de leurs activités soignantes, les infirmier(e)s doivent retrouver une représentation au Comité d’éthique. Là où les médecins diagnostiquent et traitent les maladies des patients, les infirmières et infirmiers ont, en plus de leur participation aux soins proprement dits, davantage que les médecins, la lourde tâche de diagnostiquer et traiter la réponse des patients à l’acte médical et à ses répercussions sur leur état, qualité de vie, contacts avec les parents, etc. En ce qui concerne les membres du Comité extérieurs aux professions de santé, ils sont sensés imprimer à la réflexion commune, un enrichissement sur des sujets qui intéressent la société toute entière. On pourrait envisager à cet égard une composition imitée de celle du comité national. En effet, la présence de certaines catégories professionnelles bénéficierait au bon fonctionnement des comités. A titre d’exemple, on peut citer : - Les juristes (magistrats, professeurs de droit, avocats) qui fourniraient l’information technique nécessaire sur les problèmes à propos desquels le droit intervient souvent (consentement, intégrité de la personne humaine) ou qui relèveraient l’absence de droit avec, corrélativement, la nécessité parfois de combler le vide juridique ; - Les enseignants, qui traduiraient les aspirations des jeunes générations et leur transmettraient en retour le message délivré ; - Les philosophes qui permettraient de donner à certains débats une dimension à la mesure de l’enjeu en cause ; - Les représentants de la religion qui traduiraient les aspirations de la société lors des délibérations surtout quand il y va de la vie ou de la mort. Il reste à s’interroger sur l’opportunité de faire place à deux catégories de personnes dont la participation est à la fois suggérée et souvent critiquée : - D’abord, les représentants de l’administration hospitalière. On peut objecter que les délibérations risquent de perdre de leur objectivité. Il résulte de l’expérience vécue par certains C.E. que cette crainte n’est pas fondée ; - Ensuite les représentants des malade. Les obstacles sont là plus importants. Il faut d’abord se demander de quels malades il devrait s’agir. En effet, en pratique, il ne saurait être question d’accueillir les représentants de chaque catégorie de patients. De plus, comment leur représentativité serait-elle définie ? Enfin, les membres du comité eux-mêmes ou certains parmi eux, ont été des patients et peuvent, à cet égard, intervenir en connaissance de cause non pour soutenir un point de vue d’une catégorie particulière, mais pour exposer l’incidence d’un problème éthique sur un malade donné. Il n’en demeure pas moins que ces objectifs sont d’ordre pratique. Elles ne visent nullement à fermer, par principe, aux représentants des malades la porte des comités. - Les comités doivent avoir la possibilité d’inviter à leurs réunions les personnes qu’ils jugent capables de les éclairer sur certaines questions particulières. Dans son avis 2/96 concernant les C.E.H., la Commission Consultative Nationale d’Ethique pour les Sciences de la vie et de la Santé du Grand-Duché de Luxembourg, a dressé un listing pour le choix des membres des C.E.H. Il serait utile d’en rappeler les profils : 14 1. « Les membres des comités d’éthique hospitaliers sont de préférence des personnes bien qualifiées, dans leur domaine de travail ; 2. ils s’informent des nouveautés de leur domaine d’activité et sont, si possible, en contact avec des collègues à l’étranger ; 3. ils jouissent de la considération de leurs collègues de travail ; 4. ils s’intéressent aux questions éthiques et font preuve de disponibilité et d’ouverture d’esprit ; notamment ils auront compris la nécessité de s’initier aux particularités de la discussion éthique dont un des présupposés majeurs et d’avoir à sa disposition un langage (termes techniques : type d’argumentation ; cadrages conceptuels, etc.) partagé par tous ceux qui participent au débat ; 5. ils acceptent la diversité des compétences et acceptent les informations en provenance de disciplines autres que la leur propre ; 6. ils ont l’habitude de la discussion contradictoire ou du moins ne s’y opposent pas d’entrée de jeu ; 7. ils respectent le cadre des problèmes posés ; 8. ils ont le sentiment de la responsabilité qui leur incombe et la sagesse exigée par le contexte général des comités d’éthique hospitaliers ; 9. le président du comité d’éthique hospitalier possède, en outre des qualités ciindiquées, celle de diriger avec promptitude et équanimité les débats ; il serait souhaitable qu’il ait des qualités certaines au niveau des relations sociales ». 5.2- Modalités de création et de mise en place : statut juridique des C.E.H. Une revue internationale du statut des comités d’éthique a révélé que les pouvoirs publics se sont préoccupés davantage des comités nationaux et des comités locaux de recherche que des comités d’éthique cliniques ou hospitaliers, de création beaucoup plus récente. La France, l’Allemagne, le Danemark et l’Espagne ont rendu obligatoire par « la loi », la consultation d’un comité d’éthique pour tout projet de recherche sur l’homme. En Belgique, un arrêté royal en fait de même. En Suisse, en l’absence d’une législation fédérale, de nombreux cantons exigent la mise en place de comités d’éthique de recherche. Dans ce pays, un rôle important dans la création de comités d’éthique incombe à l’Académie Suisse des Sciences Médicales qui encadre la recherche médicale en Suisse, G. HOTTOIS et M.H. PARIZEAU mentionnent qu’en 1979, l’Académie Suisse des Sciences Médicales a créé un Comité Central d’Ethique Médicale qui s’intéresse aux comités d’éthique de la recherche et qui a élaboré en 1988, des directives clarifiant l’organisation et les activités de ces comités. Au Royaume-Uni, la profession médicale fait de la consultation par chaque chercheur d’un comité d’éthique un devoir déontologique et au Luxembourg le Code de Déontologie des médecins fait dépendre toute recherche sur l’homme de la consultation d’un comité d’éthique. 15 En Australie et aux Etats-Unis, si aucun texte ne rend obligatoire l’avis d’un comité pour la recherche sur l’homme, les institutions qui subventionnent la recherche sur l’homme, posent cette exigence et les crédits sont accordés sous les mêmes conditions. En Tunisie, pour les projets de recherche sur l’homme en partenariat avec des équipes de chercheurs d’autres pays, la consultation d’un comité d’éthique est conventionnellement exigée. S’agissant des C.E.H. (ou cliniques), seuls deux pays ont rendu obligatoires auprès des grands hôpitaux, la création de ces comités : la Belgique par un arrêté royal et l’Espagne par une circulaire ministérielle. Ailleurs, ces comités se font de plus en plus nombreux, mais ils se constituent spontanément comme ce fut le cas aussi à l’origine pour les comités de recherche. Actuellement, les textes internationaux disponibles s’expriment davantage sur la composition des comités d’éthique et de leur mode de fonctionnement que sur leur forme juridique. Il semble, cependant que dans la grande majorité des cas, ces comités soient des structures « informelles » sans personnalité juridique. Il y a lieu de souligner que la forme d’association sans but lucratif (loi 1901) choisie en France pour certains C.E.H., paraît particulièrement inadaptée avec sa structure comportant des membres élus, un conseil d’administration et une assemblée générale. Pour la Tunisie, s’agissant du statut des comités à mettre éventuellement en place, il ne semble pas utile que ceux-ci doivent être dotés d’une personnalité juridique. Cependant la mise en place de comités d’éthique hospitaliers à consulter obligatoirement dans certaines hypothèses devrait se faire en vertu d’un « texte » émanant de la puissance publique, afin de parer à tout problème pouvant résulter de la communication de données nominales confidentielles à ses membres. 5.3- L’implantation des C.E.H. La répartition de divers comités sur le territoire impose un choix entre deux formules : le système de découpage pour un meilleur quadrillage ou bien sans esprit de système, l’implantation des C.E.H. au rythme des besoins. Certes, un strict découpage présenterait l’avantage de la clarté et de la logique, il permettrait de plus, d’échapper à toute difficulté de recherche de compétence pour les demandeurs d’avis. Mais cette formule ne serait pas du moins dans l’état actuel de la réflexion, en harmonie avec le souci d’éloigner le plus possible les comités de la rigidité administrative. Une certaine souplesse d’organisation et de fonctionnement paraît nécessaire à l’épanouissement d’organismes se consacrant à un domaine qui ne s’accommode guère de structures rigides et de catégories. Pour la Tunisie, il est souhaitable que chaque hôpital universitaire dispose d’un comité hospitalier. Toutefois, selon les besoins, le C.E.H. pourrait être spécifique à l’institution ou être commun à plusieurs établissements ou groupements hospitaliers à l’échelle locale ou régionale. Ces comités d’éthique locaux seraient à créer par décision du Ministre de la Santé Publique après avis du CNEM. 6. LE FONCTIONNEMENT DES C.E.H. 16 6.1- Modalités de la saisine Peu de pays ont règlementé la matière des C.E.H., d’où peu de réponses fournies par le droit comparé à la question de la saisine. En Belgique l’arrêté royal du 12 avril 1997 précise que le Comité d’éthique ne se réunit que si la demande lui est adressée, ce qui exclut l’auto-saisine mais la « demande peut émaner de tout membre du personnel de l’hôpital ou groupe d’hôpitaux et de tout médecin. Au Portugal, d’après le décret-loi du 10 mai 1995 portant réglementation des comités d’éthique de la santé, ces comités à attributions très vastes à mettre en place dans les hôpitaux, sont susceptibles d’être saisis « par l’administration, les professionnels de la santé ou les patients ». En revanche, dans « Le Droit des comités d’Ethique » Ch. BYK et G. MEMETEAU se prononcent pour une saisine très restreinte : « la constellation de comité d’éthique ne peut avoir lieu qu’à la demande du patient ou à l’initiative du praticien, comme toute consultation ». 6.2- Les destinataires des avis des C.EH. En Belgique, conformément à l’arrêté royal du 12 août 1994 « les avis et conseils du comité … sont transmis exclusivement au requérant … ». Si la question du destinataire des avis du comité d’éthique est peu discutée dans la littérature disponible, l’accent est mis sur le caractère confidentiel de ces avis dans tous les pays. Dans « Le Droit des comités d’Ethique » Ch. BYK et G. MEMETEAU estiment cependant que le caractère confidentiel des avis dû au fait qu’ils concernent des cas très concrets, ne devrait pas s’opposer à leur publication sous forme anonyme, ceci afin de permettre une certaine « jurisprudence » de se mettre en place. 6.3- La protée des avis des C.E.H. A l’exception de la règlement espagnole qui prévoit pour toute étude clinique une autorisation des autorités sanitaires qui n’est accordée qu’en cas d’avis favorable d’un comité d’éthique, les règlementations ou pratiques d’autre pays ne donnent pas de force obligatoire aux avis des comités d’éthique. Dans sont avis daté du 7 novembre 1988 sur les comités d’éthique locaux, le Comité Consultatif National d’Ethique (de France) précise : « En l’état de notre étude, nous ne saurions, sans bouleverser l’image que nous nous formons des comités d’éthique, proposer la force obligatoire de leurs avis. L’obligation peut se situer à deux niveaux : l’obligation de saisine des comités dans certains cas ; l’obligation pour ces comités de se prononcer en fondant leur position sur l’argumentation la plus claire possible. La force de leurs avis cependant doit apparaître en dehors de l’enrichissement qu’ils apportent à la pensée dans le domaine des publications, dans celui de l’octroi des crédits de recherche et dans celui de la responsabilité dans les instances en justice. « L’éthique ne se décrète pas ». Sa formulation est un élément de la réflexion collective et individuelle, une invitation aux questions, une incitation à leur solution. Elle ne saurait être imposée. Point n’est besoin dès lors de la bureaucratiser ». La fonction des C.EH. ne doit être que consultative et leur avis ne doit mettre en question ni l’autonomie des malades ni celle des médecins. 17 6.4- Rapports entre comités En Tunisie, les quelques comités actuellement en activité travaillent isolément. Des rapprochements entre eux fourniraient l’occasion d’une meilleure réflexion et partant, d’une harmonisation de certaines positions. Des efforts dans ce sens doivent être entrepris. Pour ne pas laisser les C.E.H. dans une solitude qui leur nuit a bien des égards, il importe de mettre en pratique deux propositions : - chaque année, chaque comité adresserait au Comité National un rapport d’activité relatant les travaux effectués et mettant en valeur les principes éthiques dégagés ou appliqués ; - chaque année, les délégués des comités locaux se réuniraient avec le Comité National pour une session d’étude consacrée aux commentaires de ces rapports. Il ne serait pas souhaitable que cette réunion coïncide avec la Conférence Annuelle du CNEM, dont l’objet est différent et qui peut constituer un autre moyen de contacts et qui est un instrument d’information et d’échange privilégié dans le domaine de l’éthique médicale. CONCLUSION Tout au long de ce rapport introductif, j’ai essayé de vous présenter une revue synthétique des données de la littérature internationale relatives aux missions, à l’organisation et au fonctionnement des comités d’éthique locaux et particulièrement des comités d’éthique hospitaliers. Ces données que j’ai livrées à votre bienveillante attention n’avaient d’autre objectif que d’introduire les débats et aider la concertation sur les voies et moyens susceptibles de permettre à des structures hospitalières de répondre aux mieux à nos besoins et à nos moyens, compte tenu de nos réalités locales et régionales. Si nous devons éviter que les C.E.H. ne soient coulés dans une structure administrative rigide, force est de reconnaître qu’ils doivent cependant bénéficier d’un certain degré d’organisation et d’harmonisation. Sans aucun doute pour que l’éthique s’impose par sa force propre, il importe de lui fournir quelques outils. Ce fut le véritable objet de cette modeste présentation. 18 CONCLUSION DES DEBATS Au terme de la présentation du rapport introductif, une trentaine environ de participants – pour la plupart des chefs de service hospitaliers – ont pris la parole pour donner leurs avis sur les missions des comités d’éthique locaux, leur organisation et leur fonctionnement. Du débat qui s’est instauré, il ressort une unanimité quant à la nécessité de création des comités d’éthique hospitaliers mais quelques nuances à propos de leurs missions, leur organisation et leur fonctionnement. 1. LES MISSIONS S’agissant des missions de ces comités, si les missions concernant l’évaluation des projets de recherches et l’information et la formation sont unanimement reconnues par l’ensemble des intervenants, l’extension de leur compétence au domaine de l’aide à la décision clinique ou thérapeutique a fait l’objet d’appréciations quelquefois divergentes. 1.1- L’évaluation des projets de recherches Les intervenants ont notamment insisté sur la nécessité de veiller au respect des règles d’éthique des protocoles des projets de recherches dans les hôpitaux et les instituts. A ce propos ils estiment que les comités d’éthique hospitaliers permettront le maintien d’un degré d’exigence éthique de haut niveau et favoriseront une relation de confiance entre la communauté scientifique et le public. En pratique, ils ont souligné que le Comité doit s’assurer de la conformité des projets de recherches sur la personne humaine aux recommandations internationales clairement affirmées à plusieurs occasions par l’Assemblée Médicale Mondiale : - Le consentement éclairé des malades ; - Un rapport risque/bénéfice acceptable ; - La pertinence de la finalité scientifique de la recherche. 1.2- L’éducation et la formation des personnels de santé dans le domaine de la bioéthique. Pour cette mission, les participants ont souligné que les moyens utilisés par les Comités seront d’une grande variété (conférences, rencontres, études de cas, études rétrospectives) et les outils pédagogiques doivent être multiples notamment les supports audio-visuels. 1.3- L’aide à la décision clinique et thérapeutique Certes tous les intervenants ont été unanimes pour affirmer que les Comités d’Ethique Hospitaliers ou Régionaux n’ont pas pour mission de prendre des décisions à la place des professionnels de la santé ni d’intervenir dans la relation entre le praticien et ses patients. Mais certains intervenants estiment qu’il est tout à fait concevable que – confronté à des questions d’éthique difficiles – le médecin puisse développer une réflexion avec le Comité qui lui apportera son aide pour sa propre décision. Cette réflexion sera d’autant plus pertinente et fructueuse que le Comité réunira des compétences multidisciplinaires au-delà du monde médical. 2. L’ORGANISATION DES COMITES 19 Pour l’organisation des Comités, les intervenants ont notamment débattu des modalités de création des comités, de leur forme juridique, de leur implantation et de leur composition. 2.1- Les modalités de création : forme juridique des comités Si la création de ces Comités par un texte législatif ou règlementaire n’a pas été recommandée, la plupart des intervenants estime qu’il est souhaitable de soumettre à la création des Comités à un agrément du Département de la Santé Publique. 2.2- L’implantation et la composition des Comités 2.2.1. L’implantation Des Comités d’Ethique peuvent être créés auprès des centres universitaires hospitaliers. Leur compétence pourrait s’étendre sur l’ensemble du ressort du centre hospitalier et universitaire, ou à toute la région pour toutes les recherches menées dans le secteur public et le secteur privé. 2.2.2. La composition Pour éviter que les comités ne soient coulés dans une structure administrative rigide, les participants estiment que la composition et les modalités d’organisation devraient être définies par une circulaire du Ministre de la Santé Publique qui fixera les principes généraux tout en laissant place à une grande souplesse dans l’application. Les Comités d’Ethique locaux doivent être composés selon un mode pluraliste et doivent présenter un caractère représentatif suffisant de l’opinion. Chaque comité doit être à la fois composé de représentants des professionnels de santé et de personnes venant d’horizons divers choisies pour leur compétence, leurs intérêts pour les problèmes éthiques mais aussi pour leur disponibilité qui doit être grande. La circulaire ministérielle précisera les modalités de choix des membres du Comité. Le choix des membres pourrait être confié aux Comités Médicaux des E.P.S. aux directeurs régionaux de la santé publique, aux Premiers Présidents des Cours d’Appel et aux Présidents des Conseils Régionaux de l’Ordre des Médecins. Ceux-ci proposeraient des membres des Comités doit être agréée par le Ministre de la Santé Publique. 3. LE FONCTIONNEMENT DES COMITES D’ETHIQUE LOCAUX Pour le fonctionnement de ces Comités, les participants ont formulé des réflexions à propos des modalités de saisine, de la nature des avis et enfin des rapports entre les Comités Locaux et le Comité National. 3.1- Les modalités de saisine Les participants estiment que la demande d’avis doit émaner du responsable du projet de recherche mais les professionnels de la santé, l’administration et en cas de besoin, le patient et sa famille peuvent également saisir le Comité d’Ethique Local. 3.2- La nature des avis Certains participants ont proposé que les avis des Comités d’Ethique Locaux soient doués de force obligatoire. Pour d’autres, l’avis du Comité n’est que consultatif. Mais de toutes les propositions qui ont été formulées en cours du débat, il ne semble pas souhaitable de proposer la force obligatoire des avis des Comités. 20 L’obligation peut cependant, se situer à deux autres niveaux : l’obligation de saisine des Comités dans tous les cas de projet de recherche sur la personne humaine et l’obligation pour ces Comités de se prononcer en fondant leur avis sur l’argumentation scientifique la plus claire possible. 3.3- Les rapports entre les Comités Locaux et le Comité National Pour tous les intervenants qui ont soulevé cette question, les Comités Locaux ne doivent pas travailler isolement. Pour prévenir la solitude des Comités Locaux, qui leur nuit à bien des égards, ils ont proposé quelques pratiques qui pourraient être généralisées : chaque année, chaque Comité Local adresserait au Comité National un rapport relatant les travaux effectués et mettant en valeur les principes éthiques dégagés ou appliqués. Selon le rythme annuel, les délégués des Comités se réuniront avec le Comité National pour une session d’étude consacrée aux commentaires de ces rapports. C’st au Comité National qu’il revient de formuler avis et recommandations concernant les questions morales générées par le développement de la recherche fondamentale et de la recherche clinique. Confrontés à ce type de questions, les comités Locaux devront saisir le Comité National. 21 LA MEDECINE PREDICTIVE Pr Mongi BEN HAMIDA Institut National de Neurologie – TUNIS La médecine curative a beaucoup bénéficié des grandes percées pharmacologiques et médicamenteuses enregistrées durant ces dernières décades. La médecine préventive s’est beaucoup développée et a permis grâce aux larges campagnes de vaccination de protéger de très nombreuses populations contre certains fléaux tels que les parasitoses, la tuberculose, la poliomyélite, la rougeole, etc. Les nouveaux développements génétiques et les découvertes d très nombreux gènes responsables de maladies héréditaires ou familiales a permis d’entrevoir une nouvelle forme de médecine préventive : la médecine prédictive. Cette médecine basée sur la connaissance précise du gène responsable d’une certaine maladie permet, lorsque les conditions le permettent, de détecter, voire, de prévoir qu’un individu serait affecté par la maladie avant même que les signes cliniques n’apparaissent PCU (surdité, cécité, mongolisme). La médecine de demain comportera de plus en plus une part prédictive. Tout médecin doit acquérir un minimum de connaissances génétiques afin de répondre aux besoins de la population et pouvoir mieux la servir. D’emblée deux points doivent être définis. Le premier est celui du diagnostic d’une maladie génétique et le second est celui de la thérapie génique qu’elle soit somatique ou gonadique. 1. Un être humain comporte 100 000 gènes. Mais seulement 3 000 à 4 000 cartes génétiques ont été jusque là établies. L’identification des gènes impliqués dans les maladies humaines et dans le fonctionnement normal de l’organisme, le développement de systèmes permettant de les transférer et de les exprimer dans les cellules, ont ouvert de nouvelles perspectives thérapeutiques. 2. La thérapie génique a, tout d’abord, été conçue pour le traitement des maladies héréditaires. Le nombre de maladies héréditaires « candidates » ne cesse de s’allonger. Le traitement de la mucoviscidose ou de la myopathie de Duchenne ne semble plus a priori hors de portée. Les indications de la thérapie génique se sont étendues aux maladies infectieuses, cardio-vasculaires, neurologiques, et même à titre préventif. Considérée au début comme l’addition d’un gène dans les cellules d’un patient pour traiter une maladie héréditaire, la thérapie génique se définit aujourd’hui comme un système de production in vivo de protéines à effet thérapeutique. Il existe, actuellement, deux différents types de thérapie génique : 4. La thérapie somatique consiste à introduire le gène chez le jeune enfant ou l’adulte, dans les cellules somatiques de l’organisme. Dans ce cas, les cellules germinales ne sont pas modifiées et le transgène n’est pas transmis à la descendance. Un individu guéri ainsi d’une maladie génétique peut toujours la transmettre à sa descendance comme s’il n’avait pas été traité. 22 La modification de la lignée germinale qui consiste à introduire un gène dans les cellules germinales ou dans l’embryon précoce, est pratiquée couramment sur l’animal pour l’obtention de modèles de maladies humaines, la production de protéines d’intérêt ou pour l’étude du contrôle génétique de développement. Dans ce cas, le nouveau gène est transmis à la descendance. Cette thérapie germinale n’a pas été appliquée à l’homme et elle est catégoriquement refusée par les comités d’éthique. Cependant, devant les avancées techniques considérables certains plaident pour introduire la thérapie germinale dans la correction des déficits génétiques graves. Dans la thérapie génique somatique, les cellules du malade sont transférées ex vivo, le gène est introduit puis les cellules sont réintroduites dans l’organisme. Le transfert de gènes in vivo peut s’appliquer de la même façon aux hépatocytes, myoblastes, fibroblastes, kératinocytes, aux cellules de l’épithélium vasculaire et aux cellules tumorales. La correction génétique d’une maladie héréditaire doit, en principe, s’exercer sur les cellules où le gène est normalement exprimé. Lorsqu’il s’agit d’une protéine sécrétée et déversée dans la circulation, il est possible de la faire produire de façon ectopique par des tissus autres que ceux où se manifeste le déficit. En revanche, lorsque la protéine a une activité intercellulaire, la correction doit porter sur le tissu où elle est normalement exprimée. La question actuelle, est de rechercher le vecteur le plus approprié présentant le minimum de risques. Dans tous les cas, il s’agit de thérapie d’addition. Le gène non fonctionnel responsable de la maladie héréditaire n’est pas réparé ou remplacé mais une copie fonctionnelle est rajoutée dans la cellule. Je me propose d’envisager 2 parties correspondant à deux approches différentes. La première est une approche pessimiste, fataliste, car basée sur des données précises et certaines, telle que la connaissance précise d’un gène responsable d’une maladie. La seconde est une approche plus ordinaire et plus facile, car elle est actuellement encore imprécise ou inconnue. L’exemple le plus frappant est celui d’une maladie terrible pour les familles et les parents qu’est la maladie de Huntington. La mise en évidence du gène responsable en 1983 par Gusella et son groupe et la récente découverte du gène lui-même, ont rendu possible la détection de sujets présymptomatiques qui sont susceptibles de développer la maladie vers l’âge de 40 ans. Une telle performance scientifique n’est pas sans poser de très graves problèmes éthiques et montre les limites de l’application de la médecine prédictive. Prévoir, à la naissance de l’individu et peut-être même avant la naissance de l’individu, qu’il serait atteint de telle ou telle affection qui ne porte pas encore l’espoir d’une thérapeutique efficace, pose au médecin ainsi qu’à la famille de graves problèmes de conscience professionnelle et d’éthique sociale. Comment peut-on exposer une telle situation aux futurs patients ? Que fautil dire à la famille ? Quelle est la meilleure conduite à tenir ? Telles sont quelques-unes des nombreuses questions qui se posent actuellement au médecin, au sociologue, au psychologue et surtout aux familles et aux patients. A- LA PREDICTION DANS LES MALADIES GENETIQUEMENT DEFINIES Je prendrai l’exemple de certaines maladies métaboliques et/ou neurologiques. Le traitement de la phénylcétonurie (PCU) est un modèle tout à fait typique des maladies dues à des « erreurs innées du métabolisme ». La prévention d’une telle maladie est basée sur une réduction de l’apport en protéines et un apport supplémentaire en tyrosine et d’autres acides aminés essentiels pour le développement d’un enfant atteint de cette maladie. La maladie de Wilson est un autre bon exemple pour ces maladies héréditaires. Beaucoup de progrès ont été réalisés dans la connaissance de certaines grandes maladies neurogénétiques. Le diagnostic moléculaire précis est devenu possible et facile. La mise en évidence d’un marqueur génétique d’une maladie permet actuellement de détecter les 23 personnes à risque, dans une famille atteinte surtout lorsque la localisation génétique est connue, avant même que le gène ne soit cloné ni le produit du gène défini. Mais lorsque le gène est connu, la recherche directe de la mutation peut être réalisée chez un individu même quand il n’a pas encore de manifestations cliniques. Ainsi, il est devenu possible de savoir si tel sujet est atteint de la même maladie génétique que l’un de ses parents ascendants : frère ou cousin. On peut prendre l’exemple de la dystrophie musculaire de Duchenne ou de Becker qui est localisée au chromosome Xp21 et résulte de mutations du gène de la dystrophine à ce niveau. D’autres tests réalisés par souhtern blott, ou par immunofluorescence sur des biopsies musculaires sont possibles et permettent le diagnostic. Les patients, les sujets à risque (frère ou cousins) ainsi que les fœtus (diagnostic prénatal) peuvent subir les tests de détection d’une façon routinière. La grande sévérité de cette affection conduit, actuellement, les chercheurs à tenter toutes les expérimentations possibles pour une thérapie génique. Il est intéressant de noter que la myatonie dystrophique de Steinert, localisée au chromosome 19p13-3 et due à une expansion d’un triplet CTG. La maladie est d’autant plus précoce et sévère que la taille de l’expansion (normalement 35) est grande (supérieure à 50, pouvant atteindre 2000). Un sujet encore sain peut subir un test et on peut savoir si la maladie est prévisible chez lui et à partir de quel âge. La maladie de Huntington localisée au chromosome 4p est aussi due à une expansion du trinucléotide CAG (répétition entre 39 et 100). Là encore plus l’expansion est élevée, plus la maladie apparaît précocement. Les hérédodégénérescences spino-cérébelleuses sont très variées et nombreuses. Le groupe classiquement appelé « atrophies olivo-ponto-cérébelleuses » (AOPC) est actuellement démembré en plusieurs classes génétiques (spinocerebellar ataxia SCA1-SCA7) dont plusieurs sont dues à une expansion CAG de taille variable et de localisation chromosomique variable. Comme il s’agit de maladies dominantes, il est possible de détecter les sujets à risque d’une façon très précise. La maladie d’Alzheimer dans sa forme dominante et familiale peut être liée à plusieurs gènes (précurseur de la protéine amyloïde (APP) sur le chromosome 21,S182/PS-1 sur le chromosome 14 STM-2/PS-2 sur le chromosome 1). De plus, il existe un gène de susceptibilité qui est celui de l’Apolipoprotéine (ApoE). Les individus qui ont une ApoE2,2, ont un taux de risque peu élevé (20 %). Ceux qui ont une ApoE4,4 ont un taux de risque très élevé (95 %) à 75 ans, et ceux qui ont une ApoE3,4 n’ont pus qu’un taux de risque de 47 %. Comme on le voit à travers ces quelques exemples, la biologie moléculaire a permis des progrès considérables dans le diagnostic des maladies génétiques et du diagnostic prénatal. En fait, les recherches continuent dans le cadre « Projet Génome Humain » et débouchent sur l’identification de tout gène qui peut participer soit dans la susceptibilité pour une maladie ou la résistance à cette maladie. B- ROLE DE LA PRESDISPOSITION MALADIES CONNUES GENETIQUE DANS CERTAINES Parmi les maladies ordinaires, il faut citer : La maladie d’Alzheimer, la maladie coronaire, l’hypertension artérielle, le cancer, l’asthme, le diabète sucré, les maladies mentales. La maladie d’Alzheimer a un regain d’intérêt mondial en raison de sa gravité, sa fréquence et de la prolongation de la longévité dans toutes les sociétés. Ainsi, la maladie coronaire est influencée par de nombreux et différents facteurs de risque. En l’absence de 24 facteurs de risque environnementaux, un individu ayant une prédisposition génétique, peut développer quand même cette maladie très tardivement. Il est ainsi intéressant de reconnaître les individus susceptibles pour leur permettre d’adopter un rythme et un régime de vie adaptés. On peut même recommander d’élargir ces mesures « préventives » à toute une population qui comprend par ailleurs des individus à haut risque. A ce point de nos connaissances, la discussion sur les découvertes génétiques dans ces quelques maladies, révèle un large éventail d’applications médicales possibles, met en évidence une rapide évolution au plan moléculaire et éveille un grand espoir dans le traitement et la prévention. Tout au long de ces développements, à l’évidence, il apparaît nécessaire d’avoir de très bonnes études prospectives cliniques et épidémiologiques pour les mettre à la disposition du corps médical qui pourra ainsi parvenir à comprendre et assimiler une génétique simple et apprendre à reconstituer une histoire familiale génétique dans la pratique médicale de tous les jours. Il est souhaitable d’accroître nos efforts pour renforcer les études des facteurs génétiques des maladies ordinaires, développer les recherches pharmacologiques et introduire une approche médicale adaptée et orientée vers l’enquête familiale. C- L’APPROCHE PREVENTIVE Quelques maladies congénitales ou génétiques importantes peuvent être prévenues par une bonne information auprès du public, des agents de la Santé et des autorités politiques et par la disponibilité des moyens diagnostiques de base. Cette approche est en fait une partie d’une action intégrée dans le diagnostic prénatal, mettant l’accent sur l’étape préconceptionnelle et le conseil génétique. A partir de cette information, il existe certaines recommandations systématiques de routine auprès des femmes qui, en fait, sont peu informées de ces faits : Étude du groupe Rhésus – les femmes Rh(-) doivent recevoir les anticorps anti-D après l’accouchement ; Rubéole congénitale : vaccination des enfants et des femmes non enceintes, avortement en cas d’infection avérée ; Toxoplasmose congénitale : conseiller aux femmes de manger la viande bien cuite et éviter le contact avec les excréments des chats. Les femmes enceintes et les nouveau-nés infectés doivent recevoir des antibiotiques pour éviter les complications cérébrales ou oculaires ; Les anomalies du tube neural sont évitées ou réduites par l’ingestion supplémentaire d’acide folique à la période de la conception. Dans les régions où de telles anomalies sont fréquentes, il faut administrer des vitamines à toutes les femmes désirant une grossesse ; Les femmes diabétiques (I.D.) ainsi que celles qui prennent un traitement anti-épileptique ont un risque élevé d’avoir des enfants malformés ; Lorsque le déficit en G6PD est courant dans une population, l’incidence de l’ictère néonatal et l’usage de l’exsanguino-transfusion peuvent être réduits par des mesures simples et peu onéreuses (éviter d’exposer les bébés à la lumière, et éduquer les parents et la population) ; Tout décès d’un nouveau-né doit être suivi d’un examen anatomo-pathologique de manière à pouvoir conseiller les parents et les orienter dans le cas du désir d’une nouvelle grossesse. 25 En matière de santé publique, les approches préventives des maladies ordinaires à composante génétique sont de plus en plus importantes. L’importance actuelle des facteurs environnementaux dans l’étiologie de telles maladies implique que la société (dans le sens global du terme) doit prendre conscience de la nécessité d’avoir un mode de vie et une nourriture plus saine . Une campagne avec une information claire et sincère, doit être entreprise. Au plan politique, et économique des mesures doivent être prises en considération pour assurer un mode de vie et une alimentation économiquement adaptée (compatible ». Ainsi, les aliments sains doivent être libérés de toute taxe et les aliments à risque doivent être surtaxés. CONCLUSION Les possibilités pour traiter, voire idéalement pour éviter une maladie héréditaire se développent considérablement avec les progrès rapides dans les domaines de la biologie moléculaire. Le projet génome humain et les bases génétiques des maladies constituent actuellement une préoccupation médicale, sociale et politique. La prévention est une médecine de masse. La médecine prédictive est une médecine de groupe ou d’individus. Le médecin doit aller au devant du patient. Ceci justifie la création, dans le pays, de nombreux services de génétique et l’organisation de services de médecine moléculaire. Cette médecine sera probablement plus efficace mais non moins coûteuse. 26