Sous les champs, une ville gauloise

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Sous les champs, une ville gauloise
13/9/2014
Sous les champs, une ville gauloise - LeTemps.ch
Archéologie Samedi 13 septembre 2014
Sous les champs, une ville gauloise
Par Pascaline Minet corent (france)
Des fouilles menées en Auvergne, à quelques kilomètres du site de
Gergovie, ont mis au jour une ancienne cité gauloise. Du lieu de culte au
théâtre en passant par le quartier des artisans, visite guidée de l’oppidum
de Corent au côté du chercheur genevois Matthieu Poux. S’agit-il de la
capitale des Arvernes? La taille de la cité et le caractère de ses édifices
soutiennent cette hypothèse
Vous les imaginez bagarreurs et fêtards, occupés à chasser le sanglier et le légionnaire romain à
travers les bois? Il est temps de réviser votre jugement. Les découvertes archéologiques récentes
éclairent d’un nouveau jour nos connaissances sur les Gaulois, beaucoup moins rustres que certains
textes romains et autres bandes dessinées ne le laissaient supposer. Parmi les sites qui ont contribué
à cette évolution, celui de Corent, proche de Clermont-Ferrand, en Auvergne, a joué un rôle majeur. Il
abrite les restes d’une cité gauloise, ou oppidum, occupée de 130 à 50 av. J.-C. par le peuple des
Arvernes, l’un des plus importants peuples gaulois, installé dans le Massif central. Loin d’être un
simple rassemblement de huttes dans une clairière, il s’agissait d’une véritable ville, avec ses quartiers
d’habitations et des espaces publics accueillant de surprenants édifices.
Une petite route en lacets amène au site archéologique de Corent, installé sur un plateau surplombant
de 400 mètres le cours de l’Allier et offrant une vue imprenable sur un paysage de volcans endormis.
En cette matinée du début du mois de septembre, une brume légère enveloppe la trentaine
d’archéologues – pour la plupart des étudiants, pour certains des bénévoles passionnés – occupés à
dégager des vestiges du sol à l’aide de pelles, pioches, râteaux et pinceaux. Dans les champs
éventrés, la terre retournée laisse entrevoir des amoncellements de pierres, des morceaux de
céramiques et d’autres artefacts difficiles à interpréter par le quidam. Inutile de venir chercher ici des
monuments spectaculaires: les bâtiments gaulois, construits en terre et en bois, n’ont laissé que peu
de traces, hormis des trous de poteaux et des tranchées creusées dans la roche.
Bien que l’existence de vestiges archéologiques sur le plateau de Corent soit connue depuis le
XIXe siècle, les premières recherches systématiques n’y ont débuté que dans les années 1990, avec
l’identification d’un sanctuaire romain. En 2001, c’est Matthieu Poux, un archéologue franco-suisse
aujourd’hui professeur à l’Université de Lyon, qui prend la tête du programme de fouilles mené sur le
site auvergnat, où son équipe dégage un lieu de culte gaulois. «Ce sanctuaire monumental était
constitué d’un haut mur de terre délimitant une cour intérieure. Nous y avons retrouvé de nombreux
reliefs de banquets, d’offrandes et de sacrifices, dont des restes d’animaux, des armes, des pièces de
monnaie, des bijoux ou encore des morceaux d’amphores», raconte l’archéologue.
Aux alentours directs du sanctuaire, outre une vaste place attenante et des quartiers d’habitations, un
marché a également été mis au jour. Les objets caractéristiques recueillis sur le site ont permis
d’identifier d’anciens ateliers de métallurgie et de confection de petits objets en os. Des spécialistes
du travail de la peau et des bouchers y avaient aussi pignon sur rue, dans un bâtiment formant des
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halles. «Un grand nombre de pièces de monnaie, probablement perdues par leurs propriétaires, a par
ailleurs été retrouvé dans cette zone. Comme aujourd’hui, on égarait plus facilement les petites pièces
que celles qui avaient beaucoup de valeur. On a ainsi récupéré beaucoup plus de pièces de bronze que
d’argent et encore moins de monnaie en or», rapporte Matthieu Poux.
En 2011, les fouilles ont révélé encore un élément de ce centre-ville gaulois, et pas des moindres.
«C’est la plus belle découverte que nous ayons effectuée à Corent», dit l’archéologue du théâtre
gaulois que ses équipes ont peu à peu exhumé, et qu’elles sont maintenant en train de rénover afin de
pouvoir le présenter aux visiteurs. Un théâtre gaulois? Ce type d’édifice était jusqu’alors inconnu, bien
qu’un auteur antique ayant séjourné en Gaule, Poseidonios d’Apamée, y fasse référence dans ses
écrits. Légèrement décalé vers le nord par rapport à un autre théâtre, romain celui-là, l’hémicycle
gaulois était de petite taille, pouvant accueillir quelques centaines de personnes au maximum. «Ce
lieu n’avait probablement pas une fonction de divertissement comme les théâtres actuels. La forme
des gradins évoque plutôt un lieu d’assemblée, tel qu’il en existait en Grèce quelques siècles plus tôt.
Il pouvait avoir une vocation sociale, ou peut-être religieuse», estime Matthieu Poux, dont l’équipe a
été récompensée pour cette découverte par le Prix 2012 du magazine scientifique La Recherche.
Récapitulons: au centre de Corent, on trouvait donc des maisons, mais aussi des espaces publics
comprenant un sanctuaire religieux, un marché et un lieu de rassemblement social. Autrement dit, les
principaux éléments constitutifs de l’agora grecque ou du forum romain! Riche en infrastructures,
l’oppidum de Corent montrait aussi des traces de planification: «Les espaces publics étaient
clairement délimités et les façades alignées les unes par rapport aux autres», relève Matthieu Poux.
Qui estime que l’ensemble de la cité devait couvrir une soixantaine d’hectares et accueillir plusieurs
milliers d’habitants. Tous ces éléments donnent une idée du haut degré d’organisation des villes
gauloises, dont l’existence même n’est pourtant avérée que depuis quelques décennies, notamment à
la suite des fouilles menées dès les années 1970 sur le site de Bibracte, en Bourgogne, l’ancienne
capitale du peuple des Eduens.
Ce que révèle également le site de Corent, c’est la forte connexion qui existait déjà avant la conquête
romaine entre les Gaulois et les cultures méditerranéennes. Une des meilleures preuves en est la
quantité d’amphores retrouvées sur le site: plus de 40 tonnes de tessons y ont été récoltées depuis le
début des fouilles, sur une surface à peine supérieure à un terrain de football! «La vaste majorité
d’entre elles contenait du vin importé de Campanie ou d’Etrurie, relate Matthieu Poux. Après avoir été
vidées de leur contenu, elles étaient bien souvent brisées pour remblayer les rues et les cours.» Des
soiffards, les Gaulois? Il semble que la légende soit au moins correcte sur ce point, même si les
hectolitres de vin importés de Méditerranée sont à mettre en regard avec les plusieurs décennies
d’occupation de la ville. La découverte à Corent d’un vaste entrepôt à vin, ayant pu également servir
de taverne et de local de réunion, mais aussi de restes d’amphores à vin à l’intérieur même du
sanctuaire religieux, témoignent en tout cas de l’importance de ce breuvage pour les populations
locales.
D’autres objets témoignent de cette ouverture gauloise vers le sud de l’Europe. Des instruments de
chirurgie typiquement grecs ont ainsi été retrouvés à Corent – ont-ils été importés avec le savoir-faire
qui les accompagnait, ou existait-il des médecins grecs exerçant en Gaule? Impossible de le dire. Tout
aussi mystérieux, des pollens de châtaigniers et de noyers ont été identifiés dans des sédiments
datant de l’époque gauloise, prélevés dans une ancienne retenue d’eau située sur le plateau de
Corent. «Or, ces arbres ne sont pas originaires d’Auvergne et on considérait qu’ils y avaient été
plantés par les Romains après leur conquête», explique Yannick Miras, chercheur à l’Université de
Clermont-Ferrand et l’un des responsables d’un programme de reconstitution du paléoenvironnement de Corent, financé par le Conseil général d’Auvergne. Ces arbres ont-ils été
volontairement amenés là à l’époque gauloise? Ou leurs graines y sont-elles arrivées par hasard,
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transportées, par exemple, dans des céramiques? Nul ne le sait.
Pour Matthieu Poux, la taille de la ville de Corent et le caractère des édifices qui y ont été trouvés
prouvent qu’il s’agissait d’une cité importante; voire, pourquoi pas, de la capitale des Arvernes.
Jusqu’à aujourd’hui, ce rôle était traditionnellement dévolu à Gergovie, autre oppidum gaulois situé à
quelques kilomètres à peine de Corent et mentionné par Jules César dans la Guerre des Gaules. C’est
en effet à Gergovie que s’est déroulé, en 52 av. J.-C., le célèbre siège ayant abouti à la victoire de
Vercingétorix sur les Romains, quelques semaines avant sa déroute à Alésia.
Toujours dans la même zone, un autre site encore, celui de Gondole, aurait également abrité une cité
gauloise. «Les fouilles menées à Gergovie et à Gondole n’y ont cependant pas encore révélé
l’existence d’un sanctuaire ou d’un autre équipement public comparable à ceux découverts à Corent,
le seul des trois oppida à pouvoir prétendre au statut de capitale», estime l’archéologue.
Est-ce à la suite de la conquête romaine? L’oppidum de Corent s’est en tout cas vidé de ses habitants
autour de 50 av. J.-C. Ce qui explique d’ailleurs en grande partie la richesse du site, puisqu’un grand
nombre d’objets de la vie quotidienne ont été abandonnés sur place. Mais l’histoire de la cité ne s’est
pas arrêtée là. Les fouilles les plus récentes montrent en effet l’existence d’une bourgade romaine qui
aurait succédé à l’oppidum gaulois, dont elle a d’ailleurs repris certaines des structures. Le site
présente aussi des restes archéologiques antérieurs à l’époque gauloise, datant de l’âge du bronze.
Quant aux études paléo-environnementales de Yannick Miras et de ses collègues, elles ont montré
que le plateau avait déjà subi un important défrichement durant le néolithique, ce qui suggère une
présence humaine encore plus ancienne… Les Gaulois n’ont, semble-t-il, pas été les premiers, ni les
derniers, à profiter de la vue depuis le plateau de Corent.
© 2014 Le Temps SA
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