Le retrait de permis de conduire et licenciement

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Le retrait de permis de conduire et licenciement
dossier
DRoit Du tRAVAiL
Le retrait ou la suspension du permis
de conduire peuvent-ils justifier
un licenciement ?
la perte ou la suspension de son permis de conduire constitue pour un salarié un fait qui relève
parfois de sa vie personnelle. pour autant, ce fait peut constituer une atteinte aux intérêts
de l’entreprise qui l’emploie si l’usage d’un véhicule est indispensable à l’exécution de son travail
ou si le salarié est directement affecté à la conduite de véhicules. en effet, la suspension
ou l’annulation du permis de conduire interdit, même provisoirement, la poursuite de la relation
contractuelle. l’employeur est-il alors en droit de licencier le salarié ?
dr
s
Christophe
noël,
avocat à la cour,
spécialisé
en droit social
i la perte du permis résulte
de faits commis à l’occasion
du travail, la réponse à la
question posée dans le titre
est relativement simple. Par exemple,
il a été jugé que, pendant le temps de
travail, la conduite d’un véhicule sous
l’empire d’un état alcoolique constitue
indiscutablement une faute grave
justifiant le licenciement d’un salarié
(Soc., 24 janvier 1991, n° 88-45.022 :
JurisData n° 1991-002127). La perte du
permis de conduire à l’occasion d’une
telle infraction commise pendant le
temps de travail constitue donc indiscutablement une faute. En revanche,
la question est plus délicate lorsque
la suspension ou l’annulation du
permis de conduire font suite à des
infractions routières commises dans
le cadre de la vie personnelle du salarié. Cette question continue toujours
à nourrir la chronique jurisprudentielle et n’est pas véritablement tranchée, comme nous allons le voir.
un principe : la protection de la
vie personnelle des salariés
Aux termes d’une jurisprudence
constante, il existe, en droit du travail,
un principe selon lequel l’employeur
ne peut pas se référer à des faits relevant de la vie personnelle d’un salarié
pour le licencier (Soc., 15 juin 1999,
Aux termes d’une jurisprudence
constante, il existe,
en droit du travail, un principe
selon lequel l’employeur
ne peut pas se référer à des faits
relevant de la vie personnelle
d’un salarié pour le licencier.
jurisprudence automobile • n° 830 • juin 2011 • jurisprudence-automobile.fr
Bull. civ. 1999, V, n° 279). Chacun
comprend que lorsque le salarié ne se
trouve pas dans une journée de travail
ni sur un lieu d’exercice de celui-ci, et
qu’il n’est donc pas en situation d’exécution de sa prestation de travail,
il n’est pas dans un lien de subordination, et n’est donc tenu à aucune
obligation envers son employeur.
L’article L. 1121-1 du code du travail
rappelle également les droits et libertés dans l’entreprise : « Nul ne peut
apporter aux droits des personnes et
aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient
pas justifiées par la nature de la
tâche à accomplir ni proportionnées
au but recherché. »
une exception : le trouble objectif
au sein de l’entreprise
En définitive, la vie personnelle se
confond très largement dans les faits
avec la vie extraprofessionnelle des
salariés. Un agissement ou comportement du salarié dans sa vie personnelle peut avoir des répercussions
sur le bon fonctionnement de l’entreprise au sein de laquelle il a pu
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Le « permis de conduire », un risque lourd à gérer pour les entreprises
provoquer un trouble. Aussi, la Cour
de cassation a-t-elle retenu assez
vite que des faits relevant de la vie
personnelle d’un salarié peuvent
constituer une cause réelle et sérieuse
de licenciement s’ils sont de nature
à créer, compte tenu de la nature
des fonctions exercées et de la finalité
propre de l’entreprise, un trouble
objectif caractérisé au sein de cette
entreprise (Soc., 17 avril 1991, Bull. civ.
1991, V, n° 201).
La perte du permis de conduire
ne devrait pas constituer
un fait fautif
À supposer que la perte du permis
puisse constituer une cause du licenciement, elle doit impérativement être
une cause non fautive, car, si l’employeur se place sur le terrain disciplinaire, il sera sanctionné par les juges
en vertu de la jurisprudence actuelle
qui lui interdit de licencier un salarié
pour faute (faute simple, faute grave
ou lourde) en raison de faits qui
relèvent de sa vie personnelle (Soc.,
9 mai 2000, JurisData n° 2000001842 ; Bull. civ. 2000, V, n° 170).
Cette distinction est encore très mal
connue des employeurs. L’évolution
de la jurisprudence sociale concernant le retrait du permis de conduire
d’un salarié a été chaotique, il faut
bien le reconnaître.
La Cour de cassation a parfois rattaché artificiellement à la vie professionnelle des faits du salarié étrangers à
l’exécution de la prestation de travail,
ce qui a eu pour conséquence de
justifier le licenciement disciplinaire
du salarié en cause, nonobstant la
règle selon laquelle un fait de vie
personnelle ne peut pas constituer
une faute. Ainsi, elle a jugé que le fait
pour un chauffeur routier de se voir
retirer son permis de conduire pour
des faits de conduite sous l’empire
d’un état alcoolique, même commis
en dehors de son temps de travail,
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se rattache à la vie professionnelle
(Soc., 2 décembre 2003, Bull. civ.
2003, V, n° 304 ; voir également
C. Vigneau, « Le rattachement de
faits de la vie personnelle à la vie
professionnelle : la Cour de cassation
persiste », note ss Soc., 19 mars 2008,
n° 06-45.212 : Dr. soc. 2008, p. 818 ;
JurisData n° 2008-043290), alors que
le contraire avait été jugé quelque
temps auparavant (Soc., 26 sep­tembre
2001 : RJS 2001, n° 1413).
Cette décision a été suivie par cer­
taines cours d’appel, notamment
celle de Lyon, dans un arrêt de 2010
dont la motivation mérite d’être
rappelée : il s’agissait d’un salarié,
engagé en qualité de VRP sur un
La question semble donc tranchée
par la Cour de cassation :
la perte du permis de conduire
ne peut pas constituer une faute
disciplinaire pour le salarié.
Pour autant, peut-elle constituer
une cause réelle et sérieuse
(non fautive) de licenciement ?
secteur couvrant dix départements,
qui s’était fait suspendre son permis
de conduire pour une durée de trois
mois en raison d’un contrôle d’alcoolémie positif, alors qu’il était au volant
de son véhicule personnel. Il a été
licencié pour faute grave.
Pour justifier la rupture du contrat
de travail, la cour d’appel de Lyon a
retenu que « dès lors que l’activité du
VRP consiste dans la prospection de
clients dans dix départements, que
l’employeur a mis à sa disposition
un véhicule de type utilitaire pour
faciliter le transport des échantillons
à présenter et que les modes de
jurisprudence automobile • N° 830 • juin 2011 • jurisprudence-automobile.fr
transport vers les régions à visiter
ne sont pas forcément commodes et
rapides, il est montré que la conduite
d’un véhicule est un élément essentiel
de l’activité du salarié. C’est pourquoi,
puisque la perte du permis de conduire
a, en outre, un impact direct sur le
chiffre d’affaires réalisé par le salarié
en l’empêchant de remplir, par ses
propres moyens, les tâches inhérentes
à sa fonction, l’employeur, qui ne
pouvait matériellement pas proposer
un autre poste au salarié et n’était pas
tenu d’accepter sa proposition de se
faire accompagner à ses frais par des
tiers dans ses déplacements, caractérise le grief tiré, non de l’infraction
routière en elle-même commise dans
un cadre privé, mais de ses incidences
professionnelles. Le licenciement
pour faute grave prononcé par l’employeur est alors justifié » (CA Lyon,
15 décembre 2010, n° 10/00988,
JurisData n° 2010-028334).
Or, très récemment, la position de la
Cour de cassation s’est totalement
inversée sur cette question. S’agissant
d’un conducteur d’engins employé
par une entreprise de propreté, la
chambre sociale de la Cour de cassation a pris une décision contraire en
indiquant qu’« un motif tiré de la vie
personnelle du salarié ne peut pas, en
principe, justifier un licenciement
disciplinaire, sauf s’il constitue un
manquement de l’intéressé à une
obligation découlant de son contrat
de travail ». Elle ajoute que « le fait,
pour un salarié qui utilise un véhicule
en dehors de l’exercice de ses fonctions, de commettre, dans le cadre
de sa vie personnelle, une infraction
entraînant la suspension ou le retrait
de son permis de conduire ne saurait
être regardé comme une méconnaissance par l’intéressé de ses obligations
découlant de son contrat de travail »
(Soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464, FS-P
+ B, Sté Challancin c/ M. M., JurisData
n° 2011-007705).
Dossier
La question semble donc tranchée
par la Cour de cassation : la perte du
permis de conduire ne peut pas
constituer une faute disciplinaire
pour le salarié. Pour autant, peut-elle
constituer une cause réelle et sérieuse
(non fautive) de licenciement ?
l’impossibilité d’accomplir dura­
blement sa prestation de travail par
suite de l’adoption d’un compor­
tement délictueux ayant entraîné la
perte de son permis, et que ce fait
constitue un trouble objectif caractérisé au sein de l’entreprise, compte
tenu de l’impossibilité de toute poursuite des relations contractuelles.
À notre sens, un tel licenciement ne
serait pourtant pas sans risque.
En effet, il reste parfaitement possible
pour l’employeur de conserver le
salarié privé de son permis de conduire
sur un emploi ne requérant pas l’usage
de son permis. Par exemple, la convention collective des transports routiers
oblige l’employeur, informé de la
suspension de son permis de conduire
La perte du permis n’entraîne
pas systématiquement un trouble
au sein de l’entreprise
En théorie, l’employeur conserverait
la possibilité de licencier un salarié
qui a perdu son permis dont l’usage
est indispensable à l’exercice de ses
fonctions, pour un motif personnel
autre que disciplinaire. Dans la lettre
de licenciement, il invoquerait le fait
pour ce salarié de s’être placé dans
3 questions à
par le salarié, à le reclasser dans un
autre poste durant le temps de celle-ci.
Si un tel reclassement est envisageable,
l’employeur ne peut plus invoquer
l’impossibilité de toute poursuite des
relations contractuelles, et, par conséquent, un trouble caractérisé au sein
de son entreprise.
Certaines décisions sont favorables à
un licenciement (CA Bourges, 5 novembre 2010, n° 10/00156 ; JurisData
n° 2010-026614), d’autres le sanc­
tionnent (CA Paris, 30 avril 2009,
n° 07/05785 ; JurisData n° 2009377529), sans qu’il soit possible de fixer
une règle juridique claire. La juris­
prudence n’est donc pas fixée sur ce
point, qui mériterait une position
tranchée de la Cour de cassation. n
« Une sensibilisation régulière
est faite par la hiérarchie »
dr
Alain Landec,
président d’Autolia Group (1)
la hiérarchie et le CHSCT (par l’intermédiaire du document
unique), nous ne déplorons à ce jour aucun incident majeur.
Le salarié se trouvant en infraction à titre professionnel se verra
perdre le nombre de points prévus par la législation, et les
amendes correspondantes seront à sa charge.
Dans votre entreprise, existe-t-il une gestion spécifique
des permis de conduire des collaborateurs utilisateurs
réguliers de votre flotte automobile ?
Quelles sont les conséquences sur le contrat de travail
du retrait de permis de conduire pour un salarié
dont les missions nécessitent qu’il ait un permis valide ?
Notre règlement intérieur rappelle les bonnes règles de conduite,
et une sensibilisation régulière est faite par la hiérarchie
directe lors des réunions et par notes écrites afin de prévenir
les risques, qui sont d’ailleurs mentionnés dans le document
unique. Cette démarche sera renforcée par la mise en place
de formations à l’éco-conduite, dont l’objectif est la maîtrise
de la conduite ration­nelle et préventive et l’adoption en permanence de bons comportements.
Une récente jurisprudence interdit aux employeurs des sanctions
relatives au retrait du permis de conduire d’un collaborateur
lors de l’utilisation personnelle du véhicule de société. Dans le
cas contraire, et après examen des circonstances, nous étudions
une possibilité de reclassement temporaire. n
Quelle est la procédure à réception d’un avis de contravention
pour excès de vitesse impliquant un véhicule de l’entreprise ?
Sachant le faible nombre de collaborateurs bénéficiant d’un
véhicule de société et de la forte sensibilisation effectuée par
Propos recueillis par Véronique Crouzy
1. Autolia Group est un acteur majeur du marché français de la vente de
pièces détachées pour l’automobile, le poids lourd, la carrosserie-peinture,
l’équipement d’atelier et les fournitures industrielles (900 M€ de CA,
170 salariés) avec un réseau de 334 distributeurs et grossistes pour 500 points
de vente et un maillage national de 900 ateliers de réparation.
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