Un « livre des minutes », pourquoi

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Un « livre des minutes », pourquoi
vos affaires
Un « livre des minutes »,
pourquoi ?
U
n client vient vous voir et vous
demande d’incorporer son entreprise, qu’il doit opérer en société.
Celle-ci étant légalement constituée, il faut
procéder à son organisation juridique et à la
préparation d’un livre de société (communément appelé « livre des minutes ») qui devra
par la suite être tenu à jour. Le client interroge
alors : « Pourquoi un livre des minutes ? »
Cette question nous étant fréquemment
posée, ce texte présente les obligations imposées par la loi et l’importance de tenir un tel
livre des minutes.
Le contenu d’un livre des minutes
En pratique, le livre des minutes n’est malheureusement pas la préoccupation première du
client, alors qu’il devrait en être tout autrement.
En effet, la société étant une fiction de la loi, le
livre des minutes constitue sa seule manière de
s’exprimer. À l’organisation juridique qui suit
immédiatement l’incorporation, le livre des
minutes contiendra l’acte de naissance de la
société, soit les statuts de constitution (appelée
communément « la charte »), les règlements de
base concernant son fonctionnement interne,
les procès-verbaux des actionnaires et des
administrateurs, un registre des transferts,
des valeurs mobilières, ainsi que les noms
des actionnaires et des administrateurs et
les certificats d’actions émis. Par la suite, il
contiendra toutes les modifications apportées à l’actionnariat, et on y indiquera les
changements d’administrateurs ainsi que les
décisions importantes prises au fil des années.
En réalité, c’est tout l’historique de la société
qui y sera contenu !
Son importance et les divers
problèmes rencontrés
Il est courant de se trouver en présence d’un
livre de société incomplet ou dont la mise
à jour a été négligée. Outre les obligations
imposées par la loi, les transferts d’actions
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effectués 15 ans plus tôt et non consignés au
livre, les démissions manquantes d’anciens
administrateurs, les assemblées annuelles
non produites, voilà autant d’exemples pour
lesquels le livre peut être incomplet, et la liste
est encore longue !
Le livre et les registres sont une preuve prima
facie de leur contenu dans toute action, poursuite ou procédure engagée contre la société ou
contre un actionnaire. À défaut de posséder un
livre à jour, la société devra présenter des preuves par l’intermédiaire de témoins et effectuer
des démarches souvent onéreuses.
Le client dont le livre est incomplet peut voir
un financement retardé, puisque le conseiller
juridique n’est pas en mesure d’émettre une
opinion sur le statut de la société.
Un livre complet et à jour sera capital lors
d’une vente d’actions, puisque l’acheteur prendra généralement la responsabilité du passé
de la société. Imaginez que des transactions
d’actions passées n’aient pas été consignées et
que, de surcroît, un ancien actionnaire soit
décédé, un actionnaire qui s’est départi de
ses actions ait déménagé à l’étranger ou ne
soit plus en bons termes avec le client. Il sera
alors bien difficile de régulariser le livre, et la
transaction pourrait être mise en péril. La mise
à jour régulière des livres évitera tout désordre
et malentendu avec un futur acheteur. Elle
garantira que la compagnie est construite sur
une structure juridique solide, ce qui facilite
les négociations entre les parties.
Qu’en sera-t-il également lors d’une vérification fiscale si la société n’est pas en mesure
de prouver ses décisions passées, ou si un
conflit surgit entre les actionnaires et que le
livre ne reflète pas la réalité ?
Pour les sociétés qui subissent de nombreux changements ou engagent plusieurs
transactions, il sera difficile de s’y retrouver
si le livre n’est pas à jour ou si les renseignements qu’il contient sont incomplets ou
même contradictoires.
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L’obligation imposée par la
Un livre complet et à jour est
capital lors d’une vente d’actions,
puisque l’acheteur prend
généralement la responsabilité
du passé de la société.
Loi sur les sociétés par actions
du Québec
La Loi sur les sociétés par actions du
Québec exige que la société tienne, à son
siège social ou à tout autre endroit à
l’extérieur du Québec 1 désigné par les
administrateurs, un livre contenant 2 :
■■ les statuts, le règlement intérieur et toute
convention unanime des actionnaires;
■■ les procès-verbaux des assemblées et les
résolutions des actionnaires;
■■ les nom et adresse domiciliaire de chacun
des administrateurs, ainsi que les dates
de commencement et de fin de leur
mandat;
■■ le registre des valeurs mobilières 3,
lequel doit contenir les noms, par ordre
alphabétique, et adresses des personnes
qui détiennent ou ont détenu ces
actions; le nombre d’actions détenues
par ces personnes; la date et les détails
de l’émission et du transfert de chaque
action ; et le montant dû sur chaque
action, le cas échéant.
Les actionnaires peuvent consulter
les livres de la société pendant les heures
normales d’ouverture de ses bureaux.
Ils peuvent également, sur demande et
sans frais, obtenir une copie des statuts, du
règlement intérieur et de toute convention
unanime des actionnaires. Les créanciers
de la société peuvent, de la même manière,
consulter toute convention unanime
des actionnaires 4.
La société, ainsi que toute personne
intéressée, peut demander au tribunal
de rendre une ordonnance afin que soit
rectifié dans ses livres tout renseignement
nominatif ou d’une autre nature, si un tel
renseignement y a été inscrit, supprimé ou
omis prétendument à tort 5.
Toute personne qui autorise une fausse
entrée au livre ou y participe s’expose à une
amende minimale de 5 000 $, et maximale
de 50 000 $ 6.
Selon la nouvelle loi entrée en vigueur
le 14 février 2011, lors de l’organisation
d’une société par actions québécoise,
il n’est plus requis d’émettre au moins
une action 7. Le conseil d’administration
pourra également décréter une émission
d’actions sans certificat. Dans ce dernier
cas, l’existence d’actions sans certificat
est constatée par la seule inscription de
ces actions au nom d’un actionnaire dans
le registre des valeurs mobilières de la
société 8. Un actionnaire unique pourra
aussi choisir de ne pas former de conseil
d’administration. Ces nouvelles mesures permettent de simplifier le contenu
devant être consigné au livre des minutes d’une société québécoise, mais sans
remettre en question sa nécessité, pour
les raisons exprimées plus loin.
L’obligation imposée par la Loi
canadienne sur les sociétés
par actions
La loi fédérale exige elle aussi que la
société tienne, à son siège social ou à tout
autre endroit au Canada désigné par les
administrateurs, un livre contenant les
éléments prévus à la loi québécoise, en
plus d’un exemplaire des avis des administrateurs et des changements déposés
à Corporations Canada 9.
Toute personne qui ne respecte pas
ces obligations s’expose à une amende
maximale de 5 000 $ 10.
1
Voir article 35 de la Loi sur les sociétés par actions du
Québec (LSA).
2
Voir article 31 de la LSA.
7
3
Voir article 11 de la LSA.
Voir article 33 de la LSA.
8
4
Voir article 61 de la LSA.
Voir article 32 de la LSA.
9
5
Voir article 456 de la LSA.
Voir article 20 de la Loi canadienne sur les sociétés par
actions (LCSA).
6
Voir article 493 de la LSA.
10
Voir paragraphe 20(6) de la LCSA.
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Comme le stipule la loi québécoise, les
actionnaires, les créanciers, leurs représentants personnels ainsi que le directeur
(Corporations Canada) ou toute personne
intéressée peuvent consulter les livres pendant les heures normales d’ouverture des
bureaux de la société 11 et en obtenir une
copie sans frais.
Les assemblées
et mises à jour annuelles
L’assemblée annuelle des actionnaires
prévoit l’adoption des états financiers de
la société, l’élection des administrateurs
et le renouvellement du mandat du vérificateur. Notez que les sociétés qui sont
des émetteurs fermés, soit la plupart des
sociétés de nos clients, peuvent renoncer
à la nomination d’un vérificateur si tous
les actionnaires y consentent.
L’assemblée annuelle des administrateurs prévoit l’approbation des états
financiers, et prévoit qu’au moins un
administrateur est autorisé à les signer.
C’est généralement l’occasion de préparer les résolutions particulières telles que la
déclaration et le versement de dividendes
ou de bonis. Il sera important de vérifier
également si des changements sont survenus au cours de la dernière année, tels
que le changement d’administrateurs, le
rachat ou la vente d’actions ou toute autre
transaction.
Tout changement impliquera la mise
à jour des registres concernés, soit ceux
portant sur les actionnaires, les actions, le
transfert ou les certificats d’actions. Si la
société procède à une modification de ses
statuts ou à une fusion, les résolutions ou
les règlements approuvant celles-ci devront
également être consignés dans le livre.
11
Voir paragraphe 21(1) de la LCSA.
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La reconstitution d’un livre
Le livre incomplet ou irrégulier, de même
que le livre perdu, devra être reconstitué
ou régularisé. Mais attention, si des
pages cruciales ont été enlevées ou si le
livre est falsifié, cela peut entraîner des
amendes ou des recours. Si une inscription est irrégulière ou manquante dans les
registres, des recours pour faire rectifier,
annuler ou effectuer cette inscription
peuvent être entrepris. Pour ces raisons,
de nombreux juristes refusent d’effectuer
la régularisation de transactions passées
ou la reconstitution du livre. Le maintien
à jour du livre évitera de se trouver dans
une telle situation.
Mentionnons qu’il peut en coûter beaucoup plus cher à un client de régulariser ou
de reconstituer son livre des minutes que
de l’avoir tenu à jour année après année.
Le travail exclusif d’un juriste
La loi accorde le droit exclusif de pratique
en droit corporatif aux notaires et aux avocats, et les autorise à rédiger des documents
se rapportant à la constitution d’une personne morale ou des déclarations de nature
administrative prescrites par la Loi sur la
publicité légale des entreprises. La Chambre
des notaires, particulièrement, poursuit de
plus en plus ceux qui entreprennent une
pratique illégale de la profession de notaire
en droit corporatif 12.
À titre d’exemple, si vous apparaissez
à titre d’administrateur d’une société et
que vous avez démissionné, et si cette
société doit des sommes au ministère du
Revenu, ce dernier intentera des poursuites contre vous afin de récupérer ces
dettes. Vous devrez dès lors faire preuve
que dans les faits, vous n’êtes plus administrateur, en montrant une copie des
résolutions ou un avis de démission qui
en font foi, d’où l’importance de produire
une déclaration modificative dès que des
changements surviennent.
Chaque année, toute compagnie doit,
dans les six mois suivant la fin de son exercice financier, produire une déclaration
annuelle au Registraire des entreprises.
Toutes les sociétés par actions régies par
la loi fédérale doivent en plus soumettre
au directeur de Corporations Canada un
rapport annuel. Notez que la société qui
n’a pas produit de rapport annuel après
deux ans pourrait être dissoute.
La tenue de livres
En pratique, il arrive fréquemment que le
client ne se souvienne plus de l’endroit où se
trouve le livre des minutes de la société,
et qu’il se demande si celui-ci est chez le
comptable, le notaire, l’avocat, à la maison
ou même perdu ? Sachez que certaines
firmes de juristes offrent le service de tenue
de livre et de mise à jour annuelle. Ce service comprend généralement la vérification
des registres gouvernementaux, la préparation des assemblées annuelles ainsi que la
préparation des résolutions particulières
telles les déclarations de dividendes, les
bonis ou les emprunts contractés, ainsi
que la préparation des résolutions, avis ou
transferts ayant eu lieu dans la dernière
année. Ce service permet de garder votre
livre toujours au même endroit, à jour, sans
vous occasionner de maux de tête. Me Odile St-Hilaire, notaire et fiscaliste,
Groupe Conscia.
Michel Lessard, fiscaliste, assureur vie
agréé et Pl. Fin., Groupe Conscia.
Les registres gouvernementaux
Il est primordial pour une société de se
conformer à ses obligations d’information auprès des différents gouvernements,
notamment à Corporations Canada et au
Registraire des entreprises du Québec, car
celles-ci sont opposables aux tiers.
La plupart des informations (le nom de
la compagnie, le ou les noms d’emprunt,
le domicile, le nom des administrateurs
et les principaux dirigeants de même que
l’adresse du ou des établissements) font
preuve de leur contenu à l’égard des tiers
de bonne foi 13.
12
Voir entre autres la Chambre des notaires du Québec c.
Dubeau, 2009 QCCQ 12769, 19-11-2009.
13
Voir le 2e alinéa de l’article 13 de la LSA.
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