De la dérive d`un certain libéralisme

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De la dérive d`un certain libéralisme
De la dérive d’un certain libéralisme
A n’en point douter, le Libéralisme connaît en ces jours d’élections le regain d’intérêt qu’une
campagne “Bastiat 2012”ne peut que conforter ; juste retour des choses dans l’environnement de
vague mécontentement où navigue l’électeur moyen. Au même instant, les programmes qui nous
sont présentés ignorent avec cette sorte de superbe qui sied aux ignorants jusqu’à une once de
solutions libéralo-compatibles. Et chacun d’appuyer de sa plus belle voix les mérites d’un
candidat.
Et puis plus rien.
Rien sur le bien-être, rien sur le vivre ensemble ni plus sur la personne, rien encore sur la liberté,
enfin suffisamment de riens pour que j’en vienne à constater que cette campagne m’ennuie, si
bien qu’il parait utile ou de bon aloi de reprendre le fil d’une vie politique laissée de coté il y a
longtemps déjà. Je lisais il y a peu le propos de Charles Gave dont l’idée était de réfuter aux
tenants du libéralisme quelque étiquette qu’ils puissent revendiquer.
Cela débutait ainsi: «Êtes vous un Autrichien ? ou un Libertarien ? Ou pire encore un monétariste
? On nous a rapporté que vous offriez des sacrifices propitiatoires sur des autels dédiés à Milton
Friedman. Est-ce vrai ? Que pensez-vous de Murray Rothbart, ou de Gary Becker. Quid de Ron
Paul ?». Chemin faisant, je reconnaissais dans ces mots les traces de l’exaspération dont je me
trouve affecté d’avoir déjà trop fréquenté les réseaux sociaux consacrés à notre idéal, cette
incorrigible manie de vouloir classifier tout et en de telles proportions qu’on finit en général par
ne se plus retrouver nulle part. Mais ce nr’est pas le pire.
Les tentatives de classement, les typologies libérales aboutissent en général au regroupement de
ceux qui croient bon de se reconnaitre dans l’une ou l’autre catégorie, et, bien entendu de prêter
la main à l’exclusive que représente leur mouvance. J’ai pu en maintes occasion voir fuser des
«axiomes de la liberté, et des principes de non agression », la «nécessité de l’instauration du
principe de subsidiarité» au milieu de tant d’autres bonnes idées … qui devancent en général les
élégants sobriquets «d’ignorant» rapidement commués en «collectiviste» ou “socialiste”,
s’adressant à qui ose défendre un Etat limité à ses fonctions régaliennes. Un comble.
J’ai aussi croisé des gens très bien, de vrais libéraux qui hurlent au Sophisme à la moindre
tentative d’expression qui ne serait dans une certaine ligne qualifiée de libérale, sur des sites de
libéraux authentiques, jusqu’à lire des mêmes un engagement avoué et parfaitement assumé
pour le déni de Démocratie … teinté de «brûlons l’Etat, il en restera bien suffisamment, ce qui
sera toujours trop»; bref toutes choses qui déclenchent
dans le libéral-tout-court que je suis comme un signal d’alarme. Il est toujours surprenant de
rencontrer celles et ceux qui se réclament de la liberté au mépris de la liberté d’autrui, et
l’assaisonnent d’invective, puis de ces noms d’oiseaux représentatifs d’opinions quelque peu
opposées à celles qu’on entend défendre. J’en viens à me demander si penser tout court, au
moment des élections, n’est pas désormais qualifiable de crime.
Je tombais à l’inverse ce matin sur un bref encouragement, l’appel de personnes influentes en
matière de libéralisme, à positionner nos choix au centre. Ah … ? Voilà donc revenue une énième
recomposition du centre. On pourrait voir ici la conséquence prévisible de ce qui précède. On y
trouve déjà la même détestable méthode cette fois conclue par un mot d’ordre presque magique.
Tel que glané, cela donne : «S’il faut soutenir le vainqueur, indépendamment des valeurs qui nous
rassemblent, il faut le dire clairement #opportunisme.» Et c’est effectivement ce que je lis au long
d’aujourd’hui, au point de me dire que les tenants du libéralisme métropolitain ne valent pas
mieux que les prébendes distribuées par le clan de l’interventionnisme mondain. C’est le premier
abord d’une dérive qui rendra le libéralisme soluble dans la sociale démocratie. C’est aussi un
raisonnement que je ne comprends pas.
Mais ce n’est pas le seul, ni plus le pire.
Il est aisé de comprendre que, nous l’avons appris des auteurs libéraux et de bien d’autres avant
eux, le libéralisme parce qu’il est une doctrine de droit, bien avant d’être une théorie économique
ou un manifeste politique, laisse une place conséquente au vivre ensemble, donc aux interactions
d’individualités entre elles et pas seulement à l’essor de la seule individualité, comme on le lit
trop souvent. Bien sûr, on convient que l’année électorale (où le libéral est absent) pousse
certains libéraux à se déterminer politiquement, donc à composer avec l’environnement dans
lequel ils baignent, donc … nous dit-on d’une part, de frayer avec le camp de l’intervention ou, tel
que montré d’autre part, à le combattre avec toute l’arsenal manichéen qu’il est possible de
concevoir.
Le libéralisme m’est avant toute chose une manière d’être, à la manière décrite par Friedrich
Hayek: (in, Constitution of liberty, 1960:6) «We must show that liberty is not merely one particular
value but that it is the source and condition of most moral values… » Et comment montrer
simplement, autrement que par des actes que nous respectons des valeurs ? Comment encore
traduire ses valeurs autrement que par le droit ?
Le libéralisme serait donc fait de valeurs que le droit réunit. Ses valeurs ne sont pas autre chose
que la répétition
de comportements communément acceptés comme autant de facteurs essentiels du vivre
ensemble, puis codifiés. Je me demande par contre ou l’on trouve ces mêmes facteurs de vivre
ensemble dans l’ambiance de mayonnaise sidérale que dépeignent les échanges entre certains
libéraux qui tapotent en vociférants. D’actualité, je suis atterré des réactions que la diffusion des
idées libérales suscitent dans leur propre maison. Il y a bien entendu des tendances, des
mouvances qui méritent le respect ; c’est une des pierres angulaires de la liberté d’expression.
Mais il y a aussi beaucoup ici, que ne dis-je trop de doctes comportements, de ces partisans du « j
’ai raison donc je suis.» Et pour avoir raison, l’appropriation littéraire n’est pas rare. Mieux, il se
conforte dans une interprétation des maximes libérales dans un sens qui sert habilement le
propos, taxant au passage tout ce qui n’y participe pas de Sophisme ou d’ignorance – puisqu’il
s’agit de s’inscrire en digne héritier des auteurs anciens (l’un d’eux surtout). Les anarchocapitalistes par exemple vous démontrent non sans aplomb que «le discours aux électeurs du
département des Landes» prononcé par Frédéric Bastiat contiendrait les clefs d’un manifeste
dédié à la fin de l’Etat par nature clientéliste … Or ce discours débute par les mots « Un peuple n’
est pas libre par cela seul qu’il possède des institutions libérales ; il faut encore qu’il sache les
mettre en œuvre, …» Il existe donc bien chez Frédéric Bastiat la trace d’institutions libérales …
donc d’un Etat. En défendre la substance, serait elle minimaliste ne fait pas du locuteur un
socialiste; qu’on se le dise une bonne fois pour toutes. J’ai renoncé à en défendre la possible
intelligence sur quelques forums, ni plus que la démarche Minarchiste d’une juste traduction des
propos de Frédéric Bastiat (et d’autres), développée dans les années 70 aux Etats-Unis. Je ne
m’étonne par contre pas plus que cela que ce grand homme soit aujourd’hui plus connu là-bas
qu’ici.
A ce point, on nous répond invariablement que ce sont les Libertarians américains qui nous ont
fait re-découvrir Bastiat … et qu’ainsi il se peut que les libertariens, comprendre les anarchocapitalistes qui se voient comme les seuls vrais libéraux du fait de cette similarité de
consonnance, aient seuls raison contre le reste du monde. Puisque les libertariens nous
expliquent que ceux qu’ils pensent être leurs corrolaires d’outre atlantique veulent supprimer
l’Etat, et qu’au surplus ces américains nous offrent Bastiat comme en échange de Lafayette, c’est
que Bastiat veut la suppression de l’Etat. Point barre. Peu importe que les libertariens américains
ne soient pas tous anarcho- capitalistes, et de loin s’en faut, notre défaut de culture libérale fera
ici l’illusion recherchée. Bref, on se fout bien de savoir ce qu’à bien voulu dire Bastiat, mais on
affirme, on cite, bref on a raison.
Je vous laisse ici le soin de réfléchir au cheminement intellectuel emprunté. Point n’est donc plus
besoin de réfléchir au sens des mots, ni même de croire en la liberté d’expression, puisque tout
est inscrit dans la bonne conscience de chacun, ou le sera ainsi puisqu’il «n’existe aucune autre
voie». Le contrat, passant par là pour l’exemple autant que comme le pilier de la nouvelle société
dans le cours de la discussion, n’ est plus ainsi «un instrument de droit, parce que le droit naît de
l’Etat». La preuve ! Bastiat écrit :«État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde
s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde». Et de renchérir sur la fait que le contrat doit se
substituer au Droit de l’Etat, parce que ce dernier écrase le bon peuple dans la grande fête de la
coercition. Et de finir sur le mode «même Bastiat l’a écrit». Je m’étrangle.
Bien sûr, les libertariens et autres anarcho-capitalistes ont toute leur place dans la galaxie
libérale. Qu’ils s’expriment est heureux. Mais voudrait-on décrire comme libérale une société où
règne,passée la primauté de l’individuel sur l’ensemble (qui reste un objectif louable), la volonté
du plus fort, comprendre celle du plus grand nombre de décibels et de l’imagination la plus
fertile? Est-on alors heureux que le principe de non agression empêche qu’on n’en vienne aux
mains. Je m’interroge.
Je vis de libéralisme depuis fort longtemps. A plus de quarante ans, j’ai souvenir de mes années
étudiantes et militantes nourries à la responsabilité individuelle et aux «laissez nous faire» d’Alain
Madelin. Ce n’est donc pas tout récent. Je ne retrouve pourtant pas trace dans ce passé d’un
libéralisme idéologique comme seul en produit Hoppes, ou Rothbard avant lui (ou la traduction
qu’on en fait aujourd’hui), mais bien plus le témoignage d’une confiance en autrui à laquelle
répond une volonté de faire et d’assumer de faire sans qu’il soit besoin de se référer instamment
aux institutions pour trouver des solutions. Se définir comme libéral confine à une réflexion de
chaque instant, réflexion personnelle sur les conséquence de nos actes, sur le respect des valeurs
partagées, la vision d’autrui comme un égal sans lequel on ne peut faire tout. Et puisque je ne
suis pas seul, que j’avoue recourir au monde qui m’entoure, je conçois que ce monde s’organise,
que la réunion des hommes libres requière qu’ils s’entendent sur l’essentiel, sans obliger pour
autant la réunion d’autres hommes à cet agrément faussement unanime qui fonde la coercition.
Vivre libre est un comportement. J’aimerais qu’on s’en souvienne.

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